mercredi 6 juin 2012

Dévoilement de secrets d'Etat

En quelques jours deux secrets d’État ont été dévoilés. Ces révélations ne peuvent être qu'intentionnelles : quelle en est la raison ?

L'une des deux concerne le rôle des États-Unis dans la cyberguerre et notamment dans la conception du virus Stuxnet pour endommager les centrifugeuses qu'utilisent les Iraniens afin d'enrichir l'uranium et, on le suppose, préparer la construction de bombes atomiques (David E. Sanger, « Obama Order Sped Up Wave of Cyberattacks Against Iran », The New York Times, 1er juin 2012).

L'autre concerne la possession par Israël de sous-marins équipés d'armes nucléaires (Markus Becker, « Angst vor dem zufälligen Atomkrieg », Der Spiegel, 5 juin 2012 ; une traduction en anglais est disponible).

Un virus américain et israélien

Lorsqu'une attaque cyber se produit, l'identification de l'attaquant est difficile et parfois impossible : on ne savait donc pas qui était l'auteur de Stuxnet. Cet article nous apprend que ce sont les Américains avec la coopération des Israéliens.

Les Américains ont voulu ralentir l'avance des Iraniens vers la bombe atomique en utilisant d'autres moyens que le bombardement - et, ce faisant, dissuader les Israéliens de bombarder eux mêmes l'Iran. Ils ont donc monté, dans le cadre du projet Olympic Games, une ingénierie complexe pour concevoir un virus susceptible de bloquer les centrifugeuses puis pour l'insérer dans des installations iraniennes bien protégées.

L'article décrit en détail le caractère méthodique de cette ingénierie dont les progrès étaient suivis par Obama en personne : Olympic Games rappelle en à peine plus petit le projet Manhattan, et la ressemblance n'est pas fortuite. Les Américains savent en effet qu'en mettant au point une arme cyber perfectionnée ils amorcent une course aux armements qui risque de se retourner contre eux, car l'économie la plus informatisée est aussi la plus vulnérable à une attaque cyber.

Une catastrophe s'est d'ailleurs produite : alors que Stuxnet était conçu pour n'infecter que les installations nucléaires iraniennes, il s'est répliqué sur l'ordinateur d'un ingénieur iranien puis disséminé à l'extérieur. C'est ainsi qu'il a été découvert. La réplication a été causée par une erreur dans l'écriture du code dont les Américains et les Israéliens s'imputent mutuellement la responsabilité.

L'article du New York Times décrit en détail et l'ingénierie de Stuxnet, et la réflexion stratégique qui l'a précédée, et la façon dont Obama et ses conseillers ont suivi l'affaire : le secret d’État est ainsi dévoilé par des personnes qui étaient au centre de l'affaire. Cela ne peut pas s'expliquer par la perspicacité d'un journaliste, aussi talentueux soit-il : il faut qu'une décision ait été prise à un très haut niveau pour laisser filtrer ces révélations.

Des sous-marins israéliens porteur d'armes nucléaires

La possession d'armes nucléaires par Israël est certes un secret de Polichinelle, c'était tout de même un secret puisqu'il n'y avait jamais eu de confirmation officielle. Voici maintenant la confirmation officieuse : non seulement Israël possède des armes nucléaires opérationnelles, mais il est en mesure de les lancer depuis un sous-marin.

Cela change tout le paysage stratégique. On pensait auparavant qu'Israël ne pouvait utiliser que des avions pour une attaque ou une riposte nucléaire. Des avions, cela implique de survoler l'espace aérien qui sépare Israël de sa cible, de positionner un avion ravitailleur quelque part dans cet espace, de courir le risque de se faire repérer par la défense anti-aérienne etc. Un sous-marin pourrait par contre lancer une riposte nucléaire alors même que le territoire israélien aurait été entièrement détruit par une attaque. On retrouve la logique de la guerre froide : « si tu me fais du mal, je pourrai t'en faire autant ou même davantage ».

Der Spiegel publie dans son numéro du 4 juin 2012 un article intitulé « Made in Germany » qui montre comment Israël sait exploiter la mauvaise conscience de l'Allemagne pour obtenir, parfois gratuitement, des armes modernes dont font partie les sous-marins de la classe Dolphin. Lors des négociations Angela Merkel obtient en contrepartie des engagements que par la suite Netanyahou ne se sent pas tenu de respecter.

Là encore, de telles révélations ne sont possibles que parce que des responsables l'ont voulu.

Pourquoi ces secrets sont-ils ainsi dévoilés ?

Tout s'explique si l'on comprend que l'on se trouve dans une logique de dissuasion : il faut que l'ennemi potentiel sache qu'il n'a pas intérêt à attaquer.

Dans cette logique, il ne convient pas de garder secret l'armement nucléaire d'Israël, il faut aussi que l'on sache qu'il possède des sous-marins capables de lancer une riposte. Ce qui était secret naguère doit être maintenant public, fût-ce à travers des canaux officieux.

Il en est de même pour l'arme cyber, car elle aussi est une arme de destruction massive : « voyez comme je peux vous faire du mal ».

Il est vrai que de telles armes peuvent être utilisées par les deux parties mais la dissuasion peut aussi jouer dans ce cas : c'est l'équilibre de la terreur que seul un fou pourrait rompre... et qui risque donc d'être rompu le jour où un fou accédera au pouvoir.


3 commentaires:

  1. Vous avez écrit "et qui risque donc d'être rompu le jour où un fou accédera au pouvoir."

    Peut-être faudrait-il plutôt écrire "et qui SERA donc rompu le jour où un fou accédera au pouvoir." Voyez vous une seule raison pour que ça ne se produise pas un jour ? Il suffit de regarder l'histoire récente, des fous (ou des faiblement compétents, le résultat est à peu près le même) accèdent régulièrement à toutes les positions de la société. Quelques exemples ? Rwanda, Ben Laden, Fukushima & gouvernement japonais (je n'ose prendre des exemples plus proches encore) etc., etc.
    Bref, quand est-ce qu'on envisagera sérieusement l'abandon de cette menace ?

    "équilibre de la terreur"... quelle rationalité y a-t-il à créer un tel cadre de vie ? (de mort)

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    1. On peut espérer qu'un fou, s'il arrive au pouvoir, sera contenu par des personnes qui ont conservé leur bon sens. Mais la probabilité d'une catastrophe est élevée, j'en conviens.

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    2. Les vrais fous ne craignent pas que le ciel leur tombe sur la tête. Les politiciens même fous, si.

      C'est lorsque les dirigeants du monde entier ont compris qu'ils seraient les première victimes d'une guerre nucléaire mondiale qu'ils se sont décidés à réduire les armements. Même si il leur a fallu quelques décennies et beaucoup de temps d'ordinateur. Le "secret" tient au temps de vol d'un missile intercontinental (20 minutes) : aucune organisation gouvernementale ne peut mettre un dirigeant à l'abri en si peu de temps. Et même si il survit, il ne sera plus que chef de son bunker et ses deux cents habitants. Ce n'est pas pour ça qu'il s'est fait élire/nommer !!!

      Quand le secret a été suffisamment révélé par la méthode ci-dessus du "je sais que tu sais que je sais que...", la menace s'est effondrée. Souhaitons qu'on trouve la quantité de Stuxnext suffisamment puissants pour faire peur aux politiciens.

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