dimanche 25 octobre 2015

Iconomie de la distribution

Cette étude a été rédigée par l'institut de l'iconomie à l'intention de France Stratégie. Contributeurs : Pierre-Jean Benghozi, Jean-Paul Betbeze, Sylvie Billard, Marc Desreumaux, Francis Jacq, Philippe Moati, Gilles Moutet, Michel Paillet, Julien Pillot, Michel Volle.

(Version imprimable : www.volle.com/travaux/150921distribution.pdf)

Pour pouvoir se représenter ce que la distribution sera dans l'iconomie1 il faut d'abord se rappeler ce qu'elle a été dans l'économie moderne, antérieure à l'informatisation : cet héritage détermine aujourd'hui encore sa représentation la plus répandue.

On pourra ensuite, en s'appuyant sur une analyse des premiers effets de l'informatisation, construire un modèle de la distribution qui soit cohérent avec celui de l'iconomie.

La distribution dans l'économie moderne

Dans le modèle de l'économie moderne les produits sont matériels, dotés d'une masse et d'un volume : ce sont des biens. Leur production est censée être achevée lorsque le producteur les place dans un stock de produits finis où ils attendront les commandes des distributeurs.

Des entreprises de logistique les enlèvent sur l'ordre des distributeurs pour les transporter vers les stocks de ces derniers. Ils en sont extraits pour être placés dans le rayonnage des magasins et proposés à l'attention des clients qui les choisissent, les achètent et les emportent à leur domicile pour les consommer et, ce faisant, les détruire.


Ce schéma peut être complété pour tenir compte du commerce des produits intermédiaires (« Business to Business, B to B »), dont les clients sont des entreprises, mais il suffit pour faire apparaître le cloisonnement qui distingue et articule production, logistique, distribution et consommation. Nous considérons donc ici le commerce « Business to Consumer, B to C » qui assure la relation entre le système productif et la consommation.

Le magasin est, entre la consommation et la distribution, l'interface à travers laquelle le consommateur perçoit l'offre et le producteur perçoit la demande : le rythme de la production des biens est dicté par une anticipation probabiliste des commandes, qui résultent elles-mêmes de l'anticipation des ventes par les distributeurs.

Iconomie de l'automobile

Cette étude a été rédigée par l'institut de l'iconomie à l'intention de France Stratégie. Contributeurs : Pierre-Jean Benghozi, Jean-Paul Betbeze, Jean-Pierre Corniou, Nicolas Cugier, Marc Desreumaux, Frédéric Lefebvre-Naré, Vincent Lorphelin, Gilles Moutet, Bernard Ourghanlian, Claude Rochet, Michel Volle.

(Version imprimable : www.volle.com/travaux/150922automobile.pdf)

Le but de cette étude est de porter un diagnostic sur les perspectives de l'automobile dans l'iconomie1.

Dans l'iconomie, l'automobile n'est plus un bien mécanique que son consommateur possède, mais un service informatisé qu'il utilise. L'industrie automobile, qui fut la reine de l'économie du XXe siècle, est ainsi confrontée à une mise en cause de la nature de son produit et de son marché.

Sera-t-elle au XXIe siècle l'esclave du langage performatif de la programmation informatique2, ou saura-t-elle redéfinir son identité afin de le maîtriser ?

Et aussi, que deviendra l'utilisateur ? Il était responsable de la conduite, au risque de se trouver broyé dans la carcasse accidentée du véhicule. Sera-t-il désormais, dans le berceau mobile de la voiture automatique, aussi passif qu'un nourrisson ?

L'automobile a exprimé de façon exemplaire les enjeux économiques et symboliques de la mécanisation. Il lui faut maintenant apprendre à exprimer ceux de l'informatisation.

*     *

dimanche 18 octobre 2015

Jean-Michel Quatrepoint, Alstom, scandale d'Etat, Fayard, 2015.



A travers le récit détaillé (et complexe) des épisodes qui ont conduit à la prise de contrôle d'Alstom Énergie par General Electric Jean-Michel Quatrepoint décrit les mœurs, valeurs et priorités d'une classe dirigeante qui a adopté le mode de pensée de la finance mondiale, d'une administration qui a perdu son expertise industrielle, de services de renseignement qui ne savent plus pratiquer l'intelligence économique.

Les grandes entreprises françaises sont dès lors exposées sans défense aux razzias des Américains dont la politique industrielle, lucide et très active, tire parti du pouvoir judiciaire qu'ils se sont arrogés sur le reste du monde. Elles disparaissent l'une après l'autre : Péchiney, Alcatel, l'électronique, l'informatique, le textile, la chaussure, Arcelor, maintenant Alstom et bientôt Lafarge... à chaque fois, un tissu industriel s'en va car la grande entreprise fait vivre un réseau de sous-traitants. Une fois ses actifs liquidés et ses compétences détruites, ses dirigeants la quittent en percevant d'énormes bonus.

Le spectacle de ces trahisons répétées donne la nausée.

*     *

L'exemple le plus clair du comportement des prédateurs est celui des LBO (leveraged buyout), qui consiste à emprunter de l'argent pour acheter une entreprise, puis à inscrire après l'avoir achetée cette dette à son passif moyennant une réduction de ses capitaux propres. Citons Quatrepoint, qui montre comment l'on peut « produire de l'argent » en détruisant une entreprise :
« Lors de la première acquisition de Cegelec par LBO en 2001, les acheteurs n'apportent que 82,5 millions en capital et empruntent le reste, soit 720 millions. En 2006, après avoir licencié 4 000 personnes et cédé des actifs, ils revendent Cegelec à LBO France pour 1,15 milliards (700 millions, plus 450 millions de reprise de dette) : en cinq ans, les acheteurs de 2001 auront multiplié leur mise par huit. LBO France et les dirigeants de Cegelec, dont son PDG Claude Darmon, refont alors un LBO. Les 700 millions de capital sont financés à hauteur de 630 millions par un nouvel emprunt, Cegelec est de nouveau pressurée pour accélérer les remboursements (plus de 800 millions en deux ans). En juillet 2008 LBO France et les dirigeants de Cegelec, localisés en Belgique pour échapper à l'impôt sur les plus-values, la revendent à un fonds du Qatar pour 1,7 milliard : la plus-value est de 1,1 milliard. Fin 2009 le Qatar revend la Cegelec à Vinci avec une moins-value de 500 millions. »
On se demande naturellement ce qui empêche le législateur d'interdire les LBO, ou du moins de restreindre leur usage. Cela s'explique par la démission de l'Etat, intimidé par les prétentions du néo-libéralisme et dont les services ont perdu leur compétence. Citons encore Quatrepoint :

mercredi 7 octobre 2015

Innovations et industrie

Contribution à une double page de L'Humanité du 2 octobre 2015 intitulée « Innovations et industrie : sésames pour sortir de la crise ? » (les questions sont celles que le journal m'a posées).

1° Pourquoi cette injonction généralisée à innover dans tous les secteurs d'activité ? Est-ce qu'on n'innove pas en fait quotidiennement pour s'adapter ou résoudre des problèmes ?

« Innover » n'est pas aujourd'hui une « injonction » mais la réponse à la situation résultant d'une révolution industrielle qui a débuté au milieu des années 1970 : l'informatisation a transformé la nature des produits, la façon de les produire, l'organisation des entreprises, le régime de la concurrence. Elle a fait éclore le néo-libéralisme, suscité la mondialisation et procuré des armes puissantes aux prédateurs.

Le rapport entre la société et la nature a été modifié : tout se passe comme si la nature avait changé, comme si nous avions été transplantés sur un continent qu'il faut aménager mais dont nous ne connaissons ni la géographie, ni la flore, ni la faune.

L'évolution met en question des habitudes et formes d'organisation naguère efficaces, les institutions et les personnes sont soumises à une tension pénible : il leur faut, en effet, innover quotidiennement pour résoudre une foule de problèmes.

2° Est-ce que l'innovation est un facteur de croissance économique ?

On peut retourner la question comme un gant : la croissance est-elle possible sans innovation quand il s'agit de s'adapter à un monde nouveau ?

Il faut s'entendre sur ce que l'on nomme « croissance ». Un indicateur comme le PIB évalue le volume de la production mais non sa qualité alors que ce celle-ci contribue au bien-être matériel des consommateurs, but essentiel de l'économie. Le passage du téléphone filaire au téléphone mobile, puis au téléphone « intelligent » a transformé la vie des gens sans que cela se voie dans le PIB. Il en est de même pour l'Internet, le Web, les machines informatisées (robots, automobiles, équipements médicaux), etc.

Toute révolution industrielle détruit des emplois dans un premier temps : à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles des régions ont été ruinées par la mécanisation du textile. Le sous-emploi de la population active constaté aujourd'hui est un symptôme d'inefficacité : il faudra un délai et des efforts pour retrouver le plein-emploi.

3° L'innovation prend de nombreuses formes : l'innovation technique bien sûr est omniprésente, mais est-ce aussi le cas de l’innovation sociale et culturelle ? Est-elle valorisée ?

L'informatisation a des conséquences dans tous les domaines de l'anthropologie : économie, psychologie, sociologie, culture, valeurs, etc. Notre société ne pourra atteindre la maturité que si elle prend conscience des possibilités et des risques que cela comporte : chacun, chaque institution, chaque entreprise doit mûrir sa compréhension du phénomène et elle doit en effet déboucher sur des innovations culturelles et sociales.

Il faut parvenir à penser la dynamique historique et dialectique qui noue les techniques à leur utilisation. Ceux qui croient que seule importe la technique sont des apprentis sorciers : en témoignent les excès de la finance dans l'utilisation des algorithmes, notamment pour le trading de haute fréquence. Ceux qui, symétriquement, croient que seuls les usages importent sont aveugles au changement des possibilités et des risques que provoque la technique.

4° Valorise-t-on l'innovation technique dans les entreprises pour légitimer les réorganisations du travail, de la concurrence déloyale (exemple d'Uber) voire des suppressions d'emplois… ?

Toute révolution industrielle éveille cette tentation, la nôtre ne fait pas exception. Des prédateurs s'enrichissent en s'emparant de patrimoines mal protégés ou en prélevant une dîme sur les transactions, ils sont agiles parce que ni la loi, ni les scrupules ne les retiennent. Ils ont été les premiers à tirer parti de la mécanisation, ils sont les premiers à tirer parti de l'informatisation.

Pour contenir la prédation il faut un législateur judicieux, un système judiciaire compétent, des associations de consommateurs et des syndicats vigilants : cela suppose un effort pour comprendre la situation, puis de l'énergie, enfin du courage.