jeudi 31 décembre 2015

S'intéresser à l'iconomie

S'intéresser à l'iconomie (voir L'intelligence iconomique), c'est :
  • S'efforcer de comprendre l'informatisation ;
  • Percevoir les transformations qu'elle suscite dans l'anthropologie ;
  • Faire apparaître les conditions nécessaires de l'efficacité ;
  • Éclairer l'intuition du grand public ;
  • Indiquer une orientation aux dirigeants de l'économie et de la politique.

L'informatisation est une dynamique car l'informatique évolue tant dans la physique des processeurs, mémoires et réseaux que dans la logique des programmes. Il en résulte une évolution permanente des possibilités qu'elle offre, des dangers qui les accompagnent, ainsi qu'une incitation renouvelée à l'innovation.

Cette évolution concerne toutes les dimensions de l'anthropologie : la technique, l'économie, la psychologie des personnes, la sociologie des pouvoirs et institutions, les procédés de la pensée, jusqu'aux valeurs qui indiquent aux personnes et aux institutions le but de leur action.

L'iconomie exige donc une approche pluri-disciplinaire. Cependant si l'on s'accorde en général pour juger la pluri-disciplinarité souhaitable, en pratique chacun, croyant sa discipline plus intéressante que les autres, est tenté de les mépriser : le sociologue taxera ainsi l'informaticien de "technicisme", l'informaticien prétendra que "l'économie n'est pas une science", etc.

L'iconomie nous contraint à écouter ce que dit chaque spécialité pour noter son vocabulaire, identifier ses concepts et méthodes, évaluer son apport et ses limites, concevoir enfin ses relations avec les autres. Cela suppose d'adopter le point de vue de l'historien qui, focalisé sur une période ou un phénomène, doit pour l'éclairer prendre ses outils dans diverses disciplines.

Le phénomène que nous considérons est d'ailleurs tellement profond qu'il est culturel : la mise à jour des représentations doit s'opérer non seulement dans l'intellect des spécialistes, mais aussi dans l'intuition du grand public. C'est d'ailleurs une condition nécessaire pour que les décisions des dirigeants soient bien orientées car, même s'ils forment une couche particulière, leur culture ne diffère pas de celle de la population.

L'efficacité se résume par l'expression "faire au mieux avec ce que l'on a", c'est-à-dire "tirer le meilleur parti des ressources dont on dispose en évitant les pièges qu'elles comportent". Il faut bien sûr avoir défini le but que l'on veut atteindre "au mieux" : pour la science économique, par exemple, il s'agit de maximiser le bien-être matériel du consommateur. Le bien-être matériel n'étant pas le bonheur, l'économie ne répond pas à tout. Il n'en reste pas moins qu'il serait bien bête de gaspiller des ressources ou de tomber dans des pièges.

Même si elle laisse ouverte la question du but, l'efficacité est donc pour l'action une exigence minimale. Les conditions nécessaires de l'efficacité ont cependant une portée universelle : quel que soit le but que l'on s'est donné, les décisions qui violent les contraintes de la logique ou qui s'appuient sur des hypothèses contraires à l'état de la nature font toujours courir un risque d'inefficacité.

Or le fait est que l'informatisation a transformé les conditions pratiques de la production et de l'organisation des entreprises, des institutions : un dirigeant dont les méthodes, l'orientation et les valeurs sont encore celles qui avaient pu convenir dans l'économie mécanisée pourra-t-il prendre aujourd'hui des décisions judicieuses ? Celui qui sait que le monde a changé, mais dont les idées restent confuses, est-il logé à meilleure enseigne ? Et leurs errements sont encore bénins, comparés aux dégâts que font ceux qui voient tout à travers les lunettes de la finance.

Il n'est certes pas facile pour les dirigeants de trouver leurs repères dans un monde que l'informatisation fait émerger et que l'innovation travaille : nous voulons leur faciliter la tâche. Une fois qu'ils auront trouvé ces repères, il leur restera à voir les mille opportunités et obstacles qui se présentent chaque jour : la conduite des affaires exige une vigilance continue, une attention aux détails et des réactions rapides, qu'il s'agisse d'une entreprise, d'un service public ou de l'Etat.

Notre ambition est donc modeste car les repères que nous indiquons ne suffisent pas à tout. Elle obéit à une exigence à la fois scientifique et civique : scientifique, car il s'agit de comprendre le monde dans lequel nous vivons et la dynamique de son évolution ; civique, car il faut tout faire pour réduire la durée de la crise de transition vers l'iconomie et l'ampleur du sacrifice humain qu'elle provoque.

samedi 19 décembre 2015

L'Action et les Valeurs

(Ceci est l'introduction de la première version d'un ouvrage (107 pages, 517 Ko) que l'on peut ouvrir au format pdf en cliquant sur ce lien).

Le destin humain est à toutes les époques, en tout lieu, pour chaque individu, un drame qui place la personne entre le monde de la pensée où résident ses intentions, représentations et valeurs, et le monde de la nature, des choses qui existent hic et nunc et se présentent devant ses intentions comme obstacle ou comme outil. Ce lieu intermédiaire, c'est celui de l'action.

Or voici que les mondes de la pensée et de la nature viennent d'être bouleversés par une révolution industrielle, celle de l'informatisation, qui a fait naître un nouveau système technique et fait se déployer les potentialités de l'alliage que forment le cerveau humain et l'automate programmable : cet alliage présente des qualités, des propriétés et des possibilités que n'avaient ni l'une, ni l'autre des composantes qu'il fond ensemble :
« Les composés constituent une forme nouvelle, toute différente de la somme de leurs parties, et dont aucune formule ne peut prévoir la physionomie. L'eau est de l'eau et rien autre chose, ce n'est pas de l'oxygène ni de l'hydrogène »
(Maurice Blondel, L'Action, 1893, p. 70).
Cet alliage n'est pas sans précédents : que l'on pense par exemple à celui qu'a formé le cerveau humain avec l'écriture, puis avec le livre imprimé. L'humanité a ainsi dans son histoire été déjà plusieurs fois « augmentée ». Il en est résulté à chaque fois une transformation des conditions pratiques de l'action et un changement des repères sur lesquels elle peut s'orienter.

La crise actuelle est une crise de transition causée par l'incohérence et l'illogisme des comportements dans une société que cette transformation a, au sens précis du mot, déboussolée. Une société ne peut atteindre la maturité que lorsque les valeurs, le langage et les savoir-faire des personnes et des institutions sont devenus compatibles avec la nature à laquelle l'histoire la confronte.

vendredi 11 décembre 2015

Le DSI au cœur du cyclone de l'informatisation

(Exposé du 3 décembre 2015 à l'Ecole polytechnique lors du séminaire Aristote « Quelles missions pour les DSI dans 5 ans ? »)

Le métier de DSI est l'un des plus difficiles qui soit. Il fait collaborer des spécialités diverses et doit délimite ce qui sera fait en interne et ce qui sera confié à des fournisseurs, le tout dans un contexte technique évolutif et tandis que l'informatisation transforme les produits de l'entreprise, leurs processus de production, la relation avec les clients, la forme de la concurrence etc. Il faut qu'il puisse aider l'entreprise à définir une stratégie qui tirera parti des possibilités qu'offre l'informatisation tout en maîtrisant les risques qui les accompagnent.

Une crise

Au milieu des années 90, un DSI restait en fonction 4,7 ans en moyenne ; au début des années 2000, cette durée s'est réduite paraît-il à deux ans1. Le « turn over » est rapide. Certaines entreprises semblent ne pas être pas sûres d’avoir, demain, besoin d’un DSI alors qu’il est (croient-elles) tout simple d’externaliser l’informatique ou de recourir à des progiciels. La fonction informatique se serait-elle banalisée ?

La « simplicité de l’informatique », quelle illusion ! les illusions fleurissent quand un changement de repères suscite le désarroi, et nous sommes dans telle une période de transition. Les outils se sont diversifiés, le discours commercial est devenu plus séduisant (mais pas plus sincère). Les directions générales, qui n'ont jamais été un repaire d'experts en système d'information, sont complètement dépassées. Il est terriblement tentant de croire que l’« outsourcing » peut résoudre tous les problèmes !

L'expérience montre pourtant que si l'euphorie précède la signature du contrat, le contentieux commence souvent peu après.

Informatisation et iconomie

(Ceci est le texte de ma conférence au 5th World Congress on Information and Communication Technologies, 14-16 décembre 2015, Marrakech)

English version

Nous voulons proposer ici une explication de la crise économique actuelle, du ralentissement de la croissance et du chômage qui frappe plusieurs pays. Notre thèse s'appuie sur celle que Bertrand Gille a formulée dans son Histoire des techniques, publiée chez Gallimard dans la collection de La Pléïade en 1978.

Bertrand Gille propose de découper l'histoire de l'humanité en périodes caractérisées chacune par un système technique, synergie de quelques techniques fondamentales. Dès le paléolithique, les êtres humains ont su en effet se doter d'outils pour compléter l'action de leurs mains, et depuis lors les systèmes techniques se sont succédés.

Considérons les quatre derniers : le système technique essentiellement agricole de l'ancien régime fait place, à partir de 1775, au « système technique moderne » (STM) qui s'appuie sur la synergie de la mécanique et de la chimie. Vers 1875 ces deux techniques sont complétées par la maîtrise de l'énergie électrique, ainsi que celle du pétrole, donnant naissance au « système technique moderne développé » (STMD) dont la très grande entreprise est la créature la plus représentative. Le moteur électrique est inventé par Gramme en 1873, l'éclairage électrique par Edison en 1879, le moteur à combustion interne par Otto en 1884.

Vers 1975 enfin arrive le « système technique contemporain » (STC), qui s'appuie sur une synergie entièrement nouvelle : celle de la micro-électronique, du logiciel et de l'Internet. L'informatisation des entreprises s'organise autour d'un système d'information dans les années 1970, le micro-ordinateur se répand dans les années 1980, l'Internet et le téléphone mobile dans les années 1990, le téléphone « intelligent » (ordinateur mobile) dans les années 2000 ; dans les usines, la robotisation automatise les tâches répétitives qui étaient auparavant confiées à la main d’œuvre.

Les prochaines étapes sont déjà amorcées avec la synergie de l'accès mobile à haut débit, du cloud computing et de l'Internet des objets ; le corps humain s'informatise avec l'ordinateur mobile et les prothèses informatisées ; divers outils (imprimante 3D, scanner, etc.) permettent de passer du virtuel au réel et vice-versa.