lundi 25 janvier 2016

Voir et dire ce qui se passe

Un être nouveau a fait irruption dans la nature et dans la société, qu'il transforme de fond en comble : c'est le couple, l'alliage, que forment le cerveau humain et l'automate programmable ubiquitaire que l'on nomme « ordinateur ». Ce fait massif, évident et simple s'impose au regard. Dans les bureaux le temps de travail est partagé entre l'« ordinateur » et les réunions. Dans les usines les machines-outils et les robots exécutent un programme sous le contrôle d'un superviseur.

Le cerveau humain considéré ici, c'est le « cerveau d'oeuvre » des programmeurs qui dictent ses actions à l'automate, c'est aussi celui des agents opérationnels, c'est enfin celui de tous les utilisateurs que l'automate assiste dans leur action.

Le travail n'est fait ni par les êtres humains, ni par les ordinateurs, mais par la « personne informatisée », devenue l'unité de base insécable de l'organisation, son « atome » au sens propre du mot. Les institutions, les entreprises, la société tout entière se construisent en la combinant, l'organisant, comme un mur se construit avec des pierres ou des briques. Elles se sont mises à tâtonner à la recherche du bon dosage des deux composants de l'alliage. Celui-ci fait émerger des phénomènes nouveaux dans la nature et dans la société car il a des propriétés auparavant inconnues.

« Les composés constituent une forme nouvelle, toute différente de la somme de leurs parties, et dont aucune formule ne peut prévoir la physionomie. L'eau est de l'eau et rien autre chose, ce n'est pas de l'oxygène ni de l'hydrogène »
(Maurice Blondel, L'Action, 1893).

Cet événement n'est pas sans précédents. Quelque sorcier découvrit un jour, en explorant diverses combinaisons, les étranges propriétés de l'alliage du cuivre et de l'étain. Il fallut bien des tâtonnements avant de trouver la proportion et la température qui convenaient le mieux, mais ils ont abouti à l'âge du bronze. D'autres tentatives, plus tard, firent apparaître un alliage du fer et du carbone, l'acier. D'autres alliages sont apparus : entre le cerveau humain et l'écriture, entre la main d'oeuvre et la machine, etc.

Le tâtonnement est naturellement soumis à des préjugés, des habitudes, et à une sociologie qui délimite ce qu'il est légitime de penser, dire et faire. Ces préjugés, ces habitudes, cette sociologie tiraillent dans tous les sens les esprits et les actions, et la première réaction est de nier l'évidence : l'alliage, prétend-on, n'existe pas, seuls existent ses composants. La pensée, fuyant ainsi la ligne de crète où ils se rejoignent, dévale alors la pente vers des vallées familières.

jeudi 7 janvier 2016

Pense-bête de l'iconomie

Cette page propose un aide-mémoire des principaux résultats sur l'iconomie.

Définitions

La situation actuelle est celle d'une crise de transition provoquée par l'inadéquation du comportement des agents (consommateurs, entreprises, Etat) en regard des possibilités et des risques qu'apporte l'informatisation.

L'iconomie est le modèle d'une économie et d'une société informatisées qui seraient parvenues, par hypothèse, à la maturité - donc au moins à l'efficacité économique, qui concerne le bien-être matériel de la population.

L'iconomie n'est pas une prévision mais un repère posé à l'horizon du futur pour orienter le comportement et les décisions des agents.

Possibilités et risques

L'informatisation transforme la nature à laquelle sont confrontées les intentions des personnes et des institutions.

Cette transformation a des effets dans tous les domaines de l'anthropologie : technique, économie, psychologie, sociologie, méthodes de la pensée, culture, valeurs.

La ressource informatique offre des moyens puissants aux producteurs mais aussi à des prédateurs. Ces derniers, rivalisant avec les Etats, ambitionnent de conquérir le pouvoir souverain en vendant à la découpe des patrimoines mal protégés, captant des flux de richesse, blanchissant les profits du crime organisé, pratiquant la fraude fiscale, etc.

L'informatisation ouvre ainsi deux voies entre lesquelles il faut choisir : soit l'iconomie maîtrisée et régulée au service du bien commun, soit une forme ultra-moderne et violente de féodalité qui débouche sur Big Brother et sur la société totalitaire décrite hier par Georges Orwell.

Avant de pouvoir élucider les valeurs il faut toutefois avoir recherché l'efficacité : quelles que soient les valeurs qu'une société entend promouvoir, être inefficace serait en effet stupide.

Structure de l'iconomie

Le système productif

Les tâches répétitives physiques et mentales que demande l'action productive sont automatisées. Le coût marginal est donc négligeable, le rendement d'échelle est croissant.

Chaque produit est un assemblage de biens et de services, élaboré par un réseau de partenaires.

Le coût de production se réduit au coût fixe (sunk cost) de l'investissement initial : l'iconomie est l'économie du risque maximum.

Le marché

Le marché des produits obéit au régime de la concurrence monopolistique : les produits sont diversifiés en variétés adaptées chacune à un segment des besoins. La connaissance des besoins s'appuie sur la démarche scientifique du marketing statistique.

Chaque entreprise ambitionne un monopole temporaire sur un segment des besoins du marché mondial. Le régulateur règle la durée du monopole de sorte que le moteur de l'innovation tourne à haut régime.

Les consommateurs choisissent les produits qu'ils utilisent selon le rapport qualité subjective/prix : l'iconomie est l'économie de la qualité.

dimanche 3 janvier 2016

Felix Hausdorff, Grundzüge der Mengenlehre, Springer, 2002

Lorsque je suis entré en sixième mon père a dit : « L'anglais, c'est la langue des affaires, pouah ! L'allemand est la langue des philosophes : tu feras de l'allemand ».

J'ai souffert pendant deux ans, au lycée Montesquieu à Bordeaux, sous la férule d'un professeur qui prétendait nous inculquer, avec la langue allemande, l'esprit de sérieux que seuls, pensait-il, les Allemands possèdent. Mon refus obstiné l'a fait enrager.

C'est en seconde, avec M. Guinaudeau au lycée Montaigne, que j'ai enfin découvert les plaisirs que procure cette langue. Ce pédagogue à la générosité inlassable nous a fait avaler une grammaire que nous étions censés déjà connaître mais que nous ignorions évidemment. J'ai pu enfin lire Goethe, Heine, Thomas Mann, et une foule d'auteurs savoureux comme Ernst von Salomon.

*     *

C'est donc à mon père, et à M. Guinaudeau, que je dois de pouvoir lire Hausdorff. Les Grundzüge der Mengenlehre, publiés en 1914 (et de nouveau par Springer en 2002), sont l'ouvrage fondamental en théorie des ensembles, topologie générale et théorie de la mesure. Ils n'ont pas été traduits en français, ni à ma connaissance en anglais, et c'est une honte.

La théorie des ensembles que l'on m'a enseignée était un tissu de banalités, à l'exception de ce qu'elle dit sur la cardinalité des ensembles infinis. La topologie générale était une énigme : comment peut-on comprendre la définition des ouverts par laquelle le cours commence et que je résume : « ensemble, stable par réunion quelconque et par intersection finie, de parties d'un ensemble » ? D'autres que moi ont peut-être entendu enfin une présentation raisonnable de l'intégrale de Lebesgue, ce n'est pas mon cas.

Tout cela, on le trouve dans Hausdorff : sa pédagogie patiente est de même qualité que celle de M. Guinaudeau. Tout est clair, exact, complet, et si sa lecture demande un effort (lire des maths, ce n'est pas lire un roman) celui-ci reçoit bientôt sa récompense. De temps à autre, il me semble qu'Hausdorff a commis une erreur : l'enquête qui s'ensuit, passionnante, fait alors franchir à mon intuition une de ses limites.