lundi 24 septembre 2012

L'Iconomie, l'élan du nouveau « système technique » pour reconquérir la compétitivité

Texte de l'exposé de Michel Volle à la conférence de l'Institut Xerfi le 19 septembre 2012.

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Lors d'une « révolution industrielle » le rapport entre la nature et la société change. Il en résulte des conséquences économiques mais aussi psychologiques, sociologiques, culturelles, géopolitiques etc.

La première de ces révolutions s'est produite vers 1775 avec la mécanisation. Les progrès de la métallurgie ayant permis de construire des machines plus puissantes et plus précises que les machines en bois utilisées jusqu'alors, la machine à vapeur a pu transformer l'énergie calorique en énergie motrice.

La deuxième s'est produite vers 1875 avec la maîtrise de deux formes nouvelles d'énergie, l'électricité et le pétrole. Le moteur électrique a été inventé en 1873, la lampe électrique en 1879, le moteur à essence en 1884. Ces inventions ont complètement transformé l'économie – et aussi la société.

La troisième révolution s'est produite vers 1975 avec l'informatisation. L'évolution exponentielle de la capacité des processeurs et des mémoires, ainsi que du débit des réseaux, a alors lancé une dynamique puissante. L'économie s'est orientée vers la structure que nous nommons iconomie et qui présente des possibilités immenses accompagnées de dangers immenses eux aussi.

Pour le retour d’un État stratège, pour une reconstruction du tissu productif

Intervention de Christian Saint-Etienne à la conférence de l'institut Xerfi le 19 septembre 2012.

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Nous assistons donc à un bouleversement profond du système productif et concurrentiel mondial par l’essor de l’Iconomie. Les tâches répétitives, qu’elles soient physiques ou mentales, sont automatisées. La valeur ajoutée et l’emploi qualifié se concentrent dans la conception des produits et des systèmes automatisés qui vont les fabriquer ainsi que dans les systèmes de marketing d’image et de réseaux qui vont rendre le produit désirable et accessible. Compte tenu des coûts fixes de conception des produits et des systèmes qui leur donnent vie et attractivité, on est face à des rendements d’échelle croissants pour les produits qui réussissent et à des provisions pour pertes considérables en cas d’échec.

L’Iconomie est donc une sorte de « loterie professionnalisée » qui génère beaucoup de stress managérial et actionnarial compte tenu des risques et des enjeux et qui ne peut réussir que dans un contexte institutionnel à la fois stable dans ses règles et flexible dans sa mise en œuvre pour ne pas doubler les coûts fixes économiques par des coûts institutionnels et sociaux élevés.

L’Iconomie exige une grande réactivité des acteurs économiques et une profitabilité de l’activité productive comparable à celle des compétiteurs, ce qui proscrit tout excès de fiscalité et de contraintes sociales par rapport aux pays et entreprises compétiteurs.

Or, depuis trente ans que se développe l’Iconomie, la France a fait une lecture fausse des mutations en cours tandis que l’Europe est devenue un handicap supplémentaire dans la compétition mondiale. Toutefois, les systèmes politiques européens décentralisés contournent mieux l’obstacle européen que les systèmes centralisés. Développons ces deux thèmes.

Rétablir la profitabilité des entreprises

La France a continuellement privilégié le consommateur face au producteur car le modèle intellectuel dominant des élites était marqué par une conception keynésienne simpliste. La consommation est supposée être le véritable moteur économique et doit être servie par la production la moins chère. On sait, en fait, que Keynes ne mentionnait l’importance de la consommation qu’à court terme pour régler les désajustements production – consommation mais que toute son analyse fait la part belle aux entrepreneurs et à l’investissement.

En faisant à tort de la seule consommation le moteur de la croissance, on a sous-estimé les dangers de la consommation à crédit, notamment de la consommation financée par la dette publique. Et l’on a surtout négligé la capacité et la profitabilité productives, ce qui n’a pas permis l’essor des milliers d’ETI qui nous manque si cruellement aujourd’hui. La faiblesse de la profitabilité n’a pas permis les investissements de montée en gamme qui donnent un rapport qualité – prix attrayant pour le consommateur et des marges élevées et durables aux producteurs grâce à la constitution de niches par la segmentation de l’offre.

Provoquer un choc de compétitivité

Le secteur productif français est aujourd’hui exsangue, le déficit extérieur signalant tout à la fois l’erreur stratégique du modèle français de croissance par la consommation et l’incapacité des entreprises françaises d’offrir des produits manufacturés attrayants et rentables.

Il faut donc provoquer un choc de compétitivité immédiat par la baisse des charges grâce à la CSG sociale et à la TVA sociale. Compte tenu de la dégradation compétitive française, la baisse des charges doit être de l’ordre de 40 milliards d’euros en deux ans, au moment même où nous devons produire un effort majeur de réduction des déficits publics. Mais reporter ce choc de compétitivité ne peut qu’aggraver la situation économique et donc la capacité à réduire les déficits.

On comprend alors que la stratégie de la rigueur sans vision actuellement suivie ne permet pas de gagner du temps mais détruit nos dernières marges de manœuvre. La seule réduction du déficit public, sans reconstruction de notre compétitivité par l’innovation et la baisse des coûts, ne peut conduire qu’à une baisse profonde de l’activité. Il faut d’urgence une opération vérité expliquant l’ampleur du désastre stratégique vers lequel nous progressons à bonne vitesse et surtout substituer à la non décision actuelle une stratégie volontariste faisant appel à un Etat stratège négociant avec les forces vives du pays et les décideurs régionaux pour mettre en place d’ici le printemps 2013 une stratégie gagnante visant à mailler nos régions avec un puissant réseau d’ETI tout en facilitant l’essor d’un réseau différencié de métropoles constituant des aimants pour la production.

La stratégie nationale doit passer par les régions

Les autorités européennes, qui cassent systématiquement toute tentative de conduire des politiques stratégiques nationales revendiquées, qu’elles voient comme une menace pour leur propre pouvoir, sont en revanche favorables à des politiques régionales de développement économique. Il faut donc mettre ce biais à profit en déclinant aux niveaux régional et métropolitain des politiques de compétitivité globale.

L’adoption d’une stratégie nationale ambitieuse, mise en œuvre localement, n’est pas une option servant à l’amusement intellectuel de quelques experts ou politiques clairvoyants, mais une nécessité de survie à court terme. L’Institut Xerfi se donne pour vocation de fédérer les énergies qui voudront « fabriquer » cette stratégie de rebond.

Comment l'Iconomie va provoquer une nouvelle organisation productive plus performante

Texte de l'exposé de Jean-Pierre Corniou lors de la conférence de l'Institut Xerfi le 19 septembre 2012.

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En ce début de XXIe siècle, notre conception du travail n’a pas encore fondamentalement changé. Nous sommes marqués par une vision traditionnelle, celle des manufactures, où on rassemble à heures fixes des gens, sous le même statut, pour effectuer de façon répétitive des tâches pré-définies. Depuis cinquante ans, nous avons pourtant inventé des outils surpuissants pour nous aider à concevoir, produire, distribuer, analyser, mesurer. Avec l’informatique et la robotisation, nous avons commencé à apprendre à faire plus, mieux, plus rapidement tout en minimisant la pénibilité du travail et l’impact environnemental. Mais le système hiérarchique et pyramidal régit encore notre modèle d’organisation du travail.

Désormais, nous devons dépasser ces performances associées à des outils et à des organisations déjà anciennes. Le PC existe depuis 1981 ! Nous avons appris en 250 ans à décupler l’énergie musculaire des hommes en les dotant de prothèses efficaces, les machines. Nous devons apprendre maintenant à passer de la main-d’œuvre au cerveau d’œuvre pour faire jaillir de la complémentarité entre l’esprit humain et ces prothèses intellectuelles que sont les processeurs et les programmes des sources nouvelles de créativité.

Imaginer le travail au XXIe siècle, c’est reconnaître et orchestrer cette révolution ! Le travail n’est plus un stock où les nouveaux venus remplacent à l’identique ceux qui partent. C’est un flux constant d’adaptations, de transformations continues, d’innovations mais aussi de remises en cause profondes. Le monde est devenu global, plat, l’information nous connecte en permanence à toutes les idées, tous les produits de la planète. En douze ans, 5,2 milliards de terriens ont accédé au téléphone mobile et 2,2 milliards aux services du web. Nous savons tout et tout de suite, le champ des opportunités individuelles s’élargit, les disciplines scientifiques se décloisonnent et chacun peut désormais accéder en quelques clics à toute la connaissance scientifique et technique.

Investir massivement dans l'Iconomie pour créer les conditions d'une nouvelle compétitivité

Texte de l'intervention d'Alain Marbach pour la conférence de l'Institut Xerfi le 19 septembre 2012.

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Le positionnement des entreprises, leur compétitivité, sont de plus en plus influencées par la qualité de leur système d'information qui détermine la nature de leurs produits, la façon de les produire et la relation avec leurs partenaires. Le système d'information revêt donc une importance stratégique, il mérite toute l'attention des dirigeants. Or qu'entend-on dire par la plupart des dirigeants français ? « l'informatique, c'est de la technique, je n'y comprends rien, la seule chose que je sais c'est qu'elle coûte trop cher ».

Cette inconscience concerne il est vrai surtout les processus de gestion : chez un opérateur de téléphonie mobile, par exemple, et alors que les automatismes qui assurent l'acheminement du signal vocal sont hautement performante, l'informatique de gestion reste étonnamment négligée.

Il en résulte de graves conséquences. La dépense informatique annuelle des entreprises françaises se situe entre 60 et 80 milliards d'euros dont la moitié pour la production, et une moitié de la production est relative à des équipements en double ou qui ne sont pas au point, à des personnes qui doivent gérer les pannes en courant dans tous les sens. 15 milliards sont ainsi gaspillés chaque année. En outre plusieurs milliards d'euros pourraient être économisés si nos grandes entreprises et nos ETI savaient mieux gérer leurs licences logicielles : mon expérience professionnelle m'en apporte la preuve.

Introduction : passer de l'économie à l'Iconomie, pour la renaissance de la France

Exposé de Laurent Faibis à la conférence de l'institut Xerfi le 19 septembre 2012.

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1- Passer de l’économie à l’Iconomie, c’est construire le système productif du XXIe siècle. Il s’agit de replacer l’économie française au premier rang en jouant le coup d’après et pas celui d’hier. Mais pour cela, il nous faut penser la rupture. Nous sommes en crise, parce que comme le disait Gramsci, « le vieux ne veut pas mourir et que le neuf ne peut pas naître ». Dans cet entre deux surgissent les monstres de la prédation économique et financière, du délitement du système productif, du chômage de masse.

2- On ne reconstruira pas le système productif par de simples mesures macro-économiques. Il ne s’agit pas non plus de copier des pays qui ont su habilement tirer parti des faiblesses des autres. Il faut réviser nos modes de pensée et d’action. Penser la mutation, la rendre intelligible, c’est le but que s’est fixé le groupe de travail de l’association Institut Xerfi. Il s’agit d’impulser le passage de l’économie à l’Iconomie, avec un nouveau modèle de compréhension de l’économie pour penser le monde d’après, la France d’après, éclairer les voies d’une nouvelle compétitivité et d’une nouvelle manière de créer des richesses et des emplois.

3- Or, nous sommes confrontés à un vide, un vide de la pensée et de l’action stratégique. La stratégie, ce n’est pas un ensemble de solutions techniques. Ce n’est pas l’organisation efficace de moyens pour atteindre un but comme on l’enseigne à nos futures élites. En 35 ans de métier, je n’ai jamais vu une grande stratégie sortir d’une analyse stratégique. Je n’ai jamais vu un futur se dessiner dans un modèle économétrique. Non, une stratégie exige une vision, un dessein, une ambition, qui se concrétise dans une orientation. Oui, depuis plusieurs dizaines d’année la France est dans un vide stratégique. L’Iconomie, c’est d’abord la volonté de penser le neuf, c’est aussi une ambition pour la renaissance de la France.

L'état des lieux : les chiffres-clés d'une révolution productive manquée

Exposé d'Alexandre Mirlicourtois lors de la conférence de l'Institut Xerfi le 19 septembre 2012.

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Slide 1 – La France manque de robots

Les robots sont désormais partout. Je veux dire dans les usines occidentales où ils sont largement utilisés. C’est une évidence en Allemagne qui compte environ 150 000 robots, selon l’IFR, la Fédération Internationale de la Robotique. C’est aussi vrai en Italie avec un parc d’environ 62 400 unités. C’est en revanche beaucoup moins vrai en France. Avec près de deux fois moins de robots industriels installés qu’en Italie et quatre fois moins qu’en Allemagne. La France, et ses 34 800 robots a du retard. Et l'écart se creuse par rapport à nos principaux concurrents. Les industriels français ont installé un peu plus de 3 000 nouveaux robots en 2011, les allemands eux 19 500. C’est sept fois plus. Même corrigé des effets de structures, c'est-à-dire corrigé de la puissance relative des différentes industries, le diagnostic reste inchangé : les entreprises françaises ratent le virage de la robotisation et de l’automatisation. Un retard d’autant plus inquiétant que les pays émergents, Chine en tête, s’équipent à vive allure.

Slide 2 – Un parc de robots dépassé

Mais il y a plus grave encore. Notre parc de robots est complètement dépassé. En examinant le parc de robots et les achats annuels de robots pour chaque pays, on peut évaluer le nombre de robots mis au rebut chaque année puis en déduire la durée de vie opérationnelle d’un robot. Nous avons fait ces calculs. Et ces calculs montrent qu’au niveau mondial 8 à 10 % du parc est mis au rebut chaque année, contre 4 % seulement en France. Un robot dure donc plus d’une vingtaine d’année en en France contre 10 ans seulement dans le reste du monde. Non seulement notre parc de robot est plus réduit que celui de nos principaux concurrents, mais il est aussi plus vieux, donc en partie dépassé.

La fourniture d'effets utiles et l'émergence d'un modèle économique serviciel

Texte de l'intervention Philippe Moati à la conférence de l'institut Xerfi le 19 septembre 2012.

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Le redressement productif est donc à l’ordre du jour. Et il y a urgence au vu de la vitesse à laquelle dépérit notre industrie et du caractère abyssal du déficit de la balance commerciale.

Le redressement suppose celui de la compétitivité de notre tissu économique. Pour beaucoup (notamment les représentants du patronat), la question de la compétitivité semble se réduire à celle du coût du travail. Cette conception éculée de la compétitivité nous fait collectivement courir le risque de rater le virage historique de l’entrée dans le nouvel âge de l’économie consistant dans le passage d’un capitalisme industriel à un capitalisme immatériel s’appuyant sur un système technique centré sur l’informatique.

Mobiliser l’intelligence collective

La création de valeur découle de moins en moins de l’efficacité et du coût de la transformation de la matière. Elle réside aujourd’hui dans la capacité de mobilisation de ressources immatérielles en vue de la fourniture d’effets utiles. Expliquons-nous.