Intervention de Christian Saint-Etienne à la conférence de l'institut Xerfi le 19 septembre 2012.
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Nous assistons donc à un bouleversement profond du système productif et concurrentiel mondial par l’essor de l’Iconomie. Les tâches répétitives, qu’elles soient physiques ou mentales, sont automatisées. La valeur ajoutée et l’emploi qualifié se concentrent dans la conception des produits et des systèmes automatisés qui vont les fabriquer ainsi que dans les systèmes de marketing d’image et de réseaux qui vont rendre le produit désirable et accessible. Compte tenu des coûts fixes de conception des produits et des systèmes qui leur donnent vie et attractivité, on est face à des rendements d’échelle croissants pour les produits qui réussissent et à des provisions pour pertes considérables en cas d’échec.
L’Iconomie est donc une sorte de « loterie professionnalisée » qui génère beaucoup de stress managérial et actionnarial compte tenu des risques et des enjeux et qui ne peut réussir que dans un contexte institutionnel à la fois stable dans ses règles et flexible dans sa mise en œuvre pour ne pas doubler les coûts fixes économiques par des coûts institutionnels et sociaux élevés.
L’Iconomie exige une grande réactivité des acteurs économiques et une profitabilité de l’activité productive comparable à celle des compétiteurs, ce qui proscrit tout excès de fiscalité et de contraintes sociales par rapport aux pays et entreprises compétiteurs.
Or, depuis trente ans que se développe l’Iconomie, la France a fait une lecture fausse des mutations en cours tandis que l’Europe est devenue un handicap supplémentaire dans la compétition mondiale. Toutefois, les systèmes politiques européens décentralisés contournent mieux l’obstacle européen que les systèmes centralisés. Développons ces deux thèmes.
Rétablir la profitabilité des entreprises
La France a continuellement privilégié le consommateur face au producteur car le modèle intellectuel dominant des élites était marqué par une conception keynésienne simpliste. La consommation est supposée être le véritable moteur économique et doit être servie par la production la moins chère. On sait, en fait, que Keynes ne mentionnait l’importance de la consommation qu’à court terme pour régler les désajustements production – consommation mais que toute son analyse fait la part belle aux entrepreneurs et à l’investissement.
En faisant à tort de la seule consommation le moteur de la croissance, on a sous-estimé les dangers de la consommation à crédit, notamment de la consommation financée par la dette publique. Et l’on a surtout négligé la capacité et la profitabilité productives, ce qui n’a pas permis l’essor des milliers d’ETI qui nous manque si cruellement aujourd’hui. La faiblesse de la profitabilité n’a pas permis les investissements de montée en gamme qui donnent un rapport qualité – prix attrayant pour le consommateur et des marges élevées et durables aux producteurs grâce à la constitution de niches par la segmentation de l’offre.
Provoquer un choc de compétitivité
Le secteur productif français est aujourd’hui exsangue, le déficit extérieur signalant tout à la fois l’erreur stratégique du modèle français de croissance par la consommation et l’incapacité des entreprises françaises d’offrir des produits manufacturés attrayants et rentables.
Il faut donc provoquer un choc de compétitivité immédiat par la baisse des charges grâce à la CSG sociale et à la TVA sociale. Compte tenu de la dégradation compétitive française, la baisse des charges doit être de l’ordre de 40 milliards d’euros en deux ans, au moment même où nous devons produire un effort majeur de réduction des déficits publics. Mais reporter ce choc de compétitivité ne peut qu’aggraver la situation économique et donc la capacité à réduire les déficits.
On comprend alors que la stratégie de la rigueur sans vision actuellement suivie ne permet pas de gagner du temps mais détruit nos dernières marges de manœuvre. La seule réduction du déficit public, sans reconstruction de notre compétitivité par l’innovation et la baisse des coûts, ne peut conduire qu’à une baisse profonde de l’activité. Il faut d’urgence une opération vérité expliquant l’ampleur du désastre stratégique vers lequel nous progressons à bonne vitesse et surtout substituer à la non décision actuelle une stratégie volontariste faisant appel à un Etat stratège négociant avec les forces vives du pays et les décideurs régionaux pour mettre en place d’ici le printemps 2013 une stratégie gagnante visant à mailler nos régions avec un puissant réseau d’ETI tout en facilitant l’essor d’un réseau différencié de métropoles constituant des aimants pour la production.
La stratégie nationale doit passer par les régions
Les autorités européennes, qui cassent systématiquement toute tentative de conduire des politiques stratégiques nationales revendiquées, qu’elles voient comme une menace pour leur propre pouvoir, sont en revanche favorables à des politiques régionales de développement économique. Il faut donc mettre ce biais à profit en déclinant aux niveaux régional et métropolitain des politiques de compétitivité globale.
L’adoption d’une stratégie nationale ambitieuse, mise en œuvre localement, n’est pas une option servant à l’amusement intellectuel de quelques experts ou politiques clairvoyants, mais une nécessité de survie à court terme. L’Institut Xerfi se donne pour vocation de fédérer les énergies qui voudront « fabriquer » cette stratégie de rebond.