Ce texte est la suite de « Economie patrimoniale ».
Nous avons montré dans le texte précédent les différences qui existent entre l’économie de la consommation et celle du patrimoine : cette dernière est caractérisée par l’ambiguïté des prix et par une propension à agir au rebours des besoins.
Nous considérons ici le cas de l’économie « numérique », celle qu’a fait surgir l’informatisation à partir des années 1970. Elle n’est pas sortie d’une phase de transition car les entreprises obéissent encore aux habitudes acquises avant l’informatisation. Nous nous appuierons donc sur le modèle de l’iconomie1, qui décrit une économie numérique parvenue par hypothèse à la maturité.
Nous montrerons que l'économie numérique est essentiellement patrimoniale, ce qui entraîne des conséquences sur la stratégie et la gestion des entreprises, la nature de leurs produits et le régime du marché. Nous montrerons aussi que ces conséquences sont ignorées ou niées par la doctrine néolibérale, aujourd'hui dominante, qui a poussé les acteurs de l'économie dans une impasse.
Une production ultra-capitalistique
Toute entreprise s’appuie sur un stock de travail (le capital, « travail mort »), auquel elle associe un flux de travail nécessaire à la production (« travail vivant »). Elle est d’autant plus capitalistique que le stock est plus important par rapport au flux ou, autrement dit, que la part du travail consacrée à la formation du stock est plus importante.
Dans l’iconomie les tâches répétitives physiques et mentales sont automatisées. Le flux de travail vivant nécessaire pour produire un bien étant négligeable, l’essentiel du travail nécessaire à la production est réalisé lors de la phase initiale d’investissement (conception du produit, programmation des automates, ingénierie, organisation, etc.) qui la prépare, et dont l’accumulation forme un stock de capital.
La commercialisation du produit et les services qu’il comporte (conseil, information, maintenance, recyclage, etc.) nécessitent évidemment un flux de travail, mais celui-ci demande un dimensionnement préalable des ressources (architecture et débit d’un réseau, agences, effectifs, etc.) qui, là aussi, forme un capital.
On peut supposer, en schématisant comme les économistes aiment à le faire pour souligner l'essentiel d'une situation, que la part du « travail vivant » est négligeable. Le capital (« travail mort » accumulé) étant alors le seul « facteur de production », le coût de production se condense dans un « coût fixe » (sunk cost). Le coût unitaire d’un produit étant d’autant plus faible que le volume écoulé sur le marché est plus important, le « rendement d’échelle » est croissant.
vendredi 29 décembre 2017
mercredi 27 décembre 2017
Économie patrimoniale
La théorie néoclassique s’est focalisée sur la production, la consommation et l’échange : le consommateur maximise son utilité, l’entreprise maximise son profit, les prix s’établissent au niveau où l’offre et la demande s’équilibrent.
Cette théorie a accordé peu d’attention au fait que les ménages sont non seulement des consommateurs, mais aussi des propriétaires : le plus pauvre d’entre eux possède en effet quelque chose, des actifs qui ne sont pas destinés à être détruits par la consommation et qu’il conserve soigneusement, fût-ce seulement une ficelle comme dans la chanson « Je chante » de Charles Trenet.
Ce point de vue conduit à associer à chaque ménage non pas une, mais deux fonctions d’utilité : une pour la structure de sa consommation, une autre pour celle de son patrimoine. L’épargne détermine chaque année la somme consacrée au patrimoine, qu’il convient ensuite de répartir entre diverses catégories d’actifs : immobilier, foncier, actifs financiers (actions, obligations, créances) et monnaie.
Les actifs entre lesquels le patrimoine est réparti se classent dans l’ordre de la rentabilité décroissante, qui est aussi l’ordre de la liquidité croissante : plus un actif est rentable, moins il est en principe liquide et inversement. Posséder un appartement, par exemple, procure un loyer ou évite d’avoir à en payer un, mais cet actif est peu liquide car sa vente nécessite une longue négociation.
La monnaie est le plus liquide des actifs, à tel point que les mots « monnaie » et « liquidité » sont presque des synonymes : elle est immédiatement acceptée à sa valeur faciale pour payer des achats ou rembourser des dettes. Cependant sa rentabilité est nulle ou plutôt négative puisque sa valeur est érodée par l’inflation. C’est donc un actif paradoxal : qu’est-ce qui pousse un ménage à détenir de la monnaie1 ?
Cette théorie a accordé peu d’attention au fait que les ménages sont non seulement des consommateurs, mais aussi des propriétaires : le plus pauvre d’entre eux possède en effet quelque chose, des actifs qui ne sont pas destinés à être détruits par la consommation et qu’il conserve soigneusement, fût-ce seulement une ficelle comme dans la chanson « Je chante » de Charles Trenet.
Ce point de vue conduit à associer à chaque ménage non pas une, mais deux fonctions d’utilité : une pour la structure de sa consommation, une autre pour celle de son patrimoine. L’épargne détermine chaque année la somme consacrée au patrimoine, qu’il convient ensuite de répartir entre diverses catégories d’actifs : immobilier, foncier, actifs financiers (actions, obligations, créances) et monnaie.
Les actifs entre lesquels le patrimoine est réparti se classent dans l’ordre de la rentabilité décroissante, qui est aussi l’ordre de la liquidité croissante : plus un actif est rentable, moins il est en principe liquide et inversement. Posséder un appartement, par exemple, procure un loyer ou évite d’avoir à en payer un, mais cet actif est peu liquide car sa vente nécessite une longue négociation.
La monnaie est le plus liquide des actifs, à tel point que les mots « monnaie » et « liquidité » sont presque des synonymes : elle est immédiatement acceptée à sa valeur faciale pour payer des achats ou rembourser des dettes. Cependant sa rentabilité est nulle ou plutôt négative puisque sa valeur est érodée par l’inflation. C’est donc un actif paradoxal : qu’est-ce qui pousse un ménage à détenir de la monnaie1 ?
mardi 26 décembre 2017
Maurice Nivat (1937-2017)
Maurice Nivat est décédé le 21 septembre 2017. Ses travaux ont été parmi les plus féconds de la science informatique. Il s’est intéressé notamment aux langages de programmation et à l’algorithmique.
J’ai eu avec lui de fréquentes conversations. Il m’envoyait un message, nous nous rencontrions à la gare du Nord et allions déjeuner dans un petit restaurant de la rue du Faubourg Saint-Denis. Ce qui l’intéressait alors relevait moins de sa spécialité, la théorie informatique, que du phénomène de l’informatisation.
Comme nombre de théoriciens Maurice n’avait jusqu’alors jamais accordé d’attention aux systèmes d’information, ces êtres hybrides et complexes qui, insérant l’informatique dans une institution, y rencontrent les exigences simultanées de la logique, de la physique et de la sociologie. Il était assez modeste pour dire « c'est intéressant, je n’y connais rien ».
J’ai eu avec lui de fréquentes conversations. Il m’envoyait un message, nous nous rencontrions à la gare du Nord et allions déjeuner dans un petit restaurant de la rue du Faubourg Saint-Denis. Ce qui l’intéressait alors relevait moins de sa spécialité, la théorie informatique, que du phénomène de l’informatisation.
Comme nombre de théoriciens Maurice n’avait jusqu’alors jamais accordé d’attention aux systèmes d’information, ces êtres hybrides et complexes qui, insérant l’informatique dans une institution, y rencontrent les exigences simultanées de la logique, de la physique et de la sociologie. Il était assez modeste pour dire « c'est intéressant, je n’y connais rien ».
dimanche 24 décembre 2017
Francis Jacq
Francis Jacq était un homme au cœur pur.
Il a mis fin à ses jours le 7 octobre 2017. Atteint de la maladie de Parkinson, il souffrait de la diminution de ses facultés ainsi que des effets pénibles du traitement.
J’ai connu Francis dans les années 1990 alors qu’il venait de perdre son emploi de DRH au journal Le Monde. Il y avait fait tout son possible pour supprimer la barrière sociologique entre la caste supérieure des journalistes et les « petites mains » qui font tourner la boutique, cela n’avait pas été toléré. Je l’ai embauché dans mon entreprise, Eutelis.
Francis était docteur en philosophie : mieux, c’était un philosophe. Une éducation des plus dures l’avait conduit au désespoir à la fin de l'adolescence. La philosophie, sous la forme des explications de texte lumineuses que prodiguait Jacques Derrida, lui a alors littéralement sauvé la vie.
Cet épisode douloureux et cette formation l’avaient doté d’une sensibilité extrême aux frontières que la sociologie des institutions impose entre les personnes, à la diversité des langages que ces frontières délimitent et qui s’oppose à la communication comme à la compréhension.
Il a mis fin à ses jours le 7 octobre 2017. Atteint de la maladie de Parkinson, il souffrait de la diminution de ses facultés ainsi que des effets pénibles du traitement.
J’ai connu Francis dans les années 1990 alors qu’il venait de perdre son emploi de DRH au journal Le Monde. Il y avait fait tout son possible pour supprimer la barrière sociologique entre la caste supérieure des journalistes et les « petites mains » qui font tourner la boutique, cela n’avait pas été toléré. Je l’ai embauché dans mon entreprise, Eutelis.
Francis et Djian, son épouse |
Francis était docteur en philosophie : mieux, c’était un philosophe. Une éducation des plus dures l’avait conduit au désespoir à la fin de l'adolescence. La philosophie, sous la forme des explications de texte lumineuses que prodiguait Jacques Derrida, lui a alors littéralement sauvé la vie.
Cet épisode douloureux et cette formation l’avaient doté d’une sensibilité extrême aux frontières que la sociologie des institutions impose entre les personnes, à la diversité des langages que ces frontières délimitent et qui s’oppose à la communication comme à la compréhension.
jeudi 21 décembre 2017
Voir clair dans le calcul des indices
(Reprise du texte publié en 2005 sur volle.com. Ne passez pas votre chemin en pensant « c’est des maths » : c'est très clair et très simple.)
Le calcul des indices de volume et de prix occupe une place importante dans l’analyse et la politique économiques : il est à l’origine de l’indice du prix de la consommation, de l’évaluation du PIB en volume, des comparaisons internationales de productivité etc. Or ce calcul comporte des approximations que les utilisateurs négligent souvent alors qu’elles délimitent la signification et la portée des indices.
Le but de la présente fiche est de revenir sur la théorie des indices afin de préciser ces limites.
La définition des indices de volume s’appuie sur la théorie économique, plus précisément sur la concavité de la fonction d’utilité du consommateur[1].
On suppose le consommateur rationnel : il répartit sa consommation entre les divers produits de façon à maximiser sa satisfaction sous la contrainte de son budget C, ce budget résultant lui-même de l’arbitrage intertemporel qui détermine la répartition du revenu entre consommation et épargne.
Nota Bene : on suppose dans les graphiques ci-dessous qu'il n'existe que deux produits, x et y (le raisonnement est le même s'il existe un nombre quelconque de produits). Le consommateur répartit au mieux sa dépense entre ces deux produits, qu'il achète pour les consommer. q désigne le vecteur des quantités consommées, qx et qy. p désigne le vecteur des prix, px et py. Le produit scalaire pq est la somme dépensée par le consommateur, px qx + py qy.
La droite budgétaire D est le lieu des points q tels que pq = C (p est le vecteur des prix des produits, q le vecteur des quantités consommées, pq est un produit scalaire). L’utilité de la consommation est U.
Évaluation des indices
Considérons deux années successives et repérons la première année par l’indice 0. Lors de l'année 0, le vecteur des prix est p0 et le vecteur des quantités consommées est q0, la droite budgétaire est D0, l'utilité de la consommation est U0.
Le calcul des indices de volume et de prix occupe une place importante dans l’analyse et la politique économiques : il est à l’origine de l’indice du prix de la consommation, de l’évaluation du PIB en volume, des comparaisons internationales de productivité etc. Or ce calcul comporte des approximations que les utilisateurs négligent souvent alors qu’elles délimitent la signification et la portée des indices.
Le but de la présente fiche est de revenir sur la théorie des indices afin de préciser ces limites.
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La définition des indices de volume s’appuie sur la théorie économique, plus précisément sur la concavité de la fonction d’utilité du consommateur[1].
On suppose le consommateur rationnel : il répartit sa consommation entre les divers produits de façon à maximiser sa satisfaction sous la contrainte de son budget C, ce budget résultant lui-même de l’arbitrage intertemporel qui détermine la répartition du revenu entre consommation et épargne.
Nota Bene : on suppose dans les graphiques ci-dessous qu'il n'existe que deux produits, x et y (le raisonnement est le même s'il existe un nombre quelconque de produits). Le consommateur répartit au mieux sa dépense entre ces deux produits, qu'il achète pour les consommer. q désigne le vecteur des quantités consommées, qx et qy. p désigne le vecteur des prix, px et py. Le produit scalaire pq est la somme dépensée par le consommateur, px qx + py qy.
La droite budgétaire D est le lieu des points q tels que pq = C (p est le vecteur des prix des produits, q le vecteur des quantités consommées, pq est un produit scalaire). L’utilité de la consommation est U.
Évaluation des indices
Considérons deux années successives et repérons la première année par l’indice 0. Lors de l'année 0, le vecteur des prix est p0 et le vecteur des quantités consommées est q0, la droite budgétaire est D0, l'utilité de la consommation est U0.
samedi 9 décembre 2017
Valeurs, métaphysique et mythes
(Ce texte s'appuie sur « Le rapport entre la pensée et ses objets » et « L'utilité des modèles irréalistes »).
Ceux qui veulent que tout soit démontré ignorent que toute démonstration s’appuie sur des axiomes non démontrables, et dont le choix ne peut se justifier qu’en regard d’une situation : l’espace est euclidien, ou ne l’est pas, selon le monde que l’on considère, et l’égalité « 1 + 1 = 2 » elle-même n’est « vraie » que si l’on fait abstraction des évolutions et transformations qu’apporte la durée.
Une double exigence (« être réaliste, tout démontrer ») est cependant souvent opposée à celui qui, exprimant une intention, révèle qu’il adhère à une valeur. « C’est de la métaphysique », lui dit-on, et en effet le monde des valeurs est celui des choix fondamentaux, des axiomes que ni l’expérience, ni le raisonnement ne peuvent parvenir à justifier et qui doivent donc s'évaluer autrement.
Chacun choisit les valeurs auxquelles il va consacrer ou même sacrifier sa vie et qu’il va donc, au sens exact du mot, juger sacrées : personne n’échappe à cette obligation. Il est donc vain de critiquer le caractère « métaphysique » des valeurs.
La personne qui prétend « ne pas faire de métaphysique » fait elle aussi des choix fondamentaux, puisqu'on ne peut pas éviter d’en faire. Elle est donc métaphysicienne sans le savoir et peut-être de façon maladroite.
Les valeurs qu’ont inculquées l’éducation et d'autres influences seront souvent incohérentes, ce qui inhibe l’action ou la rend erratique. Elles peuvent aussi être inadéquates à la situation présente, ce sera souvent le cas de celles que transporte une tradition. Elles peuvent enfin être perverses, inadéquation radicale, lorsqu'elles expriment une révolte contre la finitude du destin humain.
Chacun peut évaluer ses propres valeurs, supprimer les incohérences et redresser les perversités : c'est ainsi qu'une personne peut accéder à la maturité.
Les valeurs s'expriment par des intentions qui orientent l'action. Dans une société, une institution ou une entreprise, la cohésion des actions individuelles s'appuie sur la synergie des intentions.
Cette synergie suppose un partage des valeurs qui s’appuie sur des mythes. Les mythes sont des récits (« story telling ») qui, conférant la vie à des valeurs, éveillent l’émotion et invitent à l’adhésion.
Ceux qui veulent que tout soit démontré ignorent que toute démonstration s’appuie sur des axiomes non démontrables, et dont le choix ne peut se justifier qu’en regard d’une situation : l’espace est euclidien, ou ne l’est pas, selon le monde que l’on considère, et l’égalité « 1 + 1 = 2 » elle-même n’est « vraie » que si l’on fait abstraction des évolutions et transformations qu’apporte la durée.
Une double exigence (« être réaliste, tout démontrer ») est cependant souvent opposée à celui qui, exprimant une intention, révèle qu’il adhère à une valeur. « C’est de la métaphysique », lui dit-on, et en effet le monde des valeurs est celui des choix fondamentaux, des axiomes que ni l’expérience, ni le raisonnement ne peuvent parvenir à justifier et qui doivent donc s'évaluer autrement.
Chacun choisit les valeurs auxquelles il va consacrer ou même sacrifier sa vie et qu’il va donc, au sens exact du mot, juger sacrées : personne n’échappe à cette obligation. Il est donc vain de critiquer le caractère « métaphysique » des valeurs.
La personne qui prétend « ne pas faire de métaphysique » fait elle aussi des choix fondamentaux, puisqu'on ne peut pas éviter d’en faire. Elle est donc métaphysicienne sans le savoir et peut-être de façon maladroite.
Les valeurs qu’ont inculquées l’éducation et d'autres influences seront souvent incohérentes, ce qui inhibe l’action ou la rend erratique. Elles peuvent aussi être inadéquates à la situation présente, ce sera souvent le cas de celles que transporte une tradition. Elles peuvent enfin être perverses, inadéquation radicale, lorsqu'elles expriment une révolte contre la finitude du destin humain.
Chacun peut évaluer ses propres valeurs, supprimer les incohérences et redresser les perversités : c'est ainsi qu'une personne peut accéder à la maturité.
Les valeurs s'expriment par des intentions qui orientent l'action. Dans une société, une institution ou une entreprise, la cohésion des actions individuelles s'appuie sur la synergie des intentions.
Cette synergie suppose un partage des valeurs qui s’appuie sur des mythes. Les mythes sont des récits (« story telling ») qui, conférant la vie à des valeurs, éveillent l’émotion et invitent à l’adhésion.
L’utilité des modèles irréalistes
(Ce texte s'appuie sur « Le rapport entre la pensée et ses objets »)
L’économiste qui présente un modèle entend souvent la critique suivante : « ton modèle est trop schématique, il ne rend pas un compte exact de la réalité ». Cette critique n’est pas pertinente car aucune représentation, aucune pensée, ne peuvent « rendre un compte exact de la réalité » : elles sont donc inévitablement schématiques.
Exiger d'un modèle qu'il soit « réaliste » ou « objectif » (au sens de « reproduction exacte de l’objet dans la pensée »), c'est ignorer la complexité de chacun des êtres qui nous entourent et, a fortiori, celle du monde qu’ils composent.
Par contre on peut (et on doit) chercher quelle situation le modélisateur a voulu schématiser, à quelle intention il a voulu répondre1. Cette démarche est la seule qui permette d’évaluer un modèle : on peut discuter le choix de la situation, la justesse de l’intention et, une fois admises la situation et l’intention, évaluer l’habileté du modélisateur et l’élégance du schématisme2.
Considérons par exemple le modèle de l’iconomie, conçu dans l’intention de représenter une économie numérique par hypothèse efficace.
L’économiste qui présente un modèle entend souvent la critique suivante : « ton modèle est trop schématique, il ne rend pas un compte exact de la réalité ». Cette critique n’est pas pertinente car aucune représentation, aucune pensée, ne peuvent « rendre un compte exact de la réalité » : elles sont donc inévitablement schématiques.
Exiger d'un modèle qu'il soit « réaliste » ou « objectif » (au sens de « reproduction exacte de l’objet dans la pensée »), c'est ignorer la complexité de chacun des êtres qui nous entourent et, a fortiori, celle du monde qu’ils composent.
Par contre on peut (et on doit) chercher quelle situation le modélisateur a voulu schématiser, à quelle intention il a voulu répondre1. Cette démarche est la seule qui permette d’évaluer un modèle : on peut discuter le choix de la situation, la justesse de l’intention et, une fois admises la situation et l’intention, évaluer l’habileté du modélisateur et l’élégance du schématisme2.
Considérons par exemple le modèle de l’iconomie, conçu dans l’intention de représenter une économie numérique par hypothèse efficace.
Le rapport entre la pensée et ses objets
Un colonel de mes amis travaillait à l’état-major des armées dans l’équipe chargée de concevoir le référentiel du « système d’information du champ de bataille ». Elle se noyait dans le détail car aucun critère logique ne lui permettait de savoir où s’arrêter : il suffisait de considérer une des armes qui agissent sur un champ de bataille (l’artillerie, par exemple) pour que se révèle une complexité capable d’absorber toute l’attention, tout le travail.
Un nouvel arrivé a posé une question cruciale : « que veut-on donc faire sur le champ de bataille ? ». Cette question a permis de sélectionner, parmi les faits innombrables, ceux sur lesquels un stratège doit focaliser son attention.
Lorsque j’étais à l’INSEE je me suis intéressé à la nomenclature des activités économiques. L’histoire montre que le critère selon lequel ces activités sont classées a évolué : selon la matière première au XVIIIe siècle, la ressemblance des produits au milieu du XIXe siècle, les équipements utilisés au début du XXe siècle, leur occurrence dans les entreprises après 1945. Chacun de ces critères a été jugé à son époque « naturel » par les statisticiens mais il répondait en fait aux exigences d’une situation économique.
Dernier exemple : le système d’information d’une entreprise contient une représentation (malencontreusement nommée « objet ») de ses clients, de ses produits, etc. À chaque client sont associés un identifiant et, en outre, des données fournies par l’observation de certains de ses attributs (nom, adresse, numéro de téléphone et, peut-être, cumul du chiffre d’affaires réalisé avec lui, indicateur de satisfaction, alerte éventuelle sur l’état des livraisons, etc.).
La couleur des yeux du client ne se trouve pas parmi ces attributs, sauf si notre « entreprise » est la gendarmerie et l’« objet » une fiche signalétique. On l’a compris : les attributs notés dans le système d’information se limitent à ce que l’entreprise entend faire dans sa relation avec ce client.
Il faut savoir ce que l’on veut faire pour choisir ce qu’il convient de voir dans la complexité des faits.
Georg Cantor a démontré qu’il existe autant de points dans le segment [0, 1] d’une droite que dans l’espace entier. De même, le plus modeste des objets de notre vie quotidienne (une brosse à dents, un verre, un stylo) est aussi complexe que l’univers entier.
Dans le moindre détail se rencontrent en effet, comme dans une fractale, d’autres niveaux de détail d’une complexité égale à celle de l'ensemble. Cependant chacun de ces niveaux obéit à une logique qui lui est particulière. À la complexité de la fractale s'ajoute ainsi un autre type de complexité : la nature, essentiellement complexe, est « ultra-fractale ».
Considérons votre brosse à dents. Un examen au microscope révélerait les détails de sa structure physique puis, en augmentant la définition, des molécules, des atomes, etc. : l’examen de chaque détail révèle ainsi d’autres détails ad infinitum.
Un nouvel arrivé a posé une question cruciale : « que veut-on donc faire sur le champ de bataille ? ». Cette question a permis de sélectionner, parmi les faits innombrables, ceux sur lesquels un stratège doit focaliser son attention.
Lorsque j’étais à l’INSEE je me suis intéressé à la nomenclature des activités économiques. L’histoire montre que le critère selon lequel ces activités sont classées a évolué : selon la matière première au XVIIIe siècle, la ressemblance des produits au milieu du XIXe siècle, les équipements utilisés au début du XXe siècle, leur occurrence dans les entreprises après 1945. Chacun de ces critères a été jugé à son époque « naturel » par les statisticiens mais il répondait en fait aux exigences d’une situation économique.
Dernier exemple : le système d’information d’une entreprise contient une représentation (malencontreusement nommée « objet ») de ses clients, de ses produits, etc. À chaque client sont associés un identifiant et, en outre, des données fournies par l’observation de certains de ses attributs (nom, adresse, numéro de téléphone et, peut-être, cumul du chiffre d’affaires réalisé avec lui, indicateur de satisfaction, alerte éventuelle sur l’état des livraisons, etc.).
La couleur des yeux du client ne se trouve pas parmi ces attributs, sauf si notre « entreprise » est la gendarmerie et l’« objet » une fiche signalétique. On l’a compris : les attributs notés dans le système d’information se limitent à ce que l’entreprise entend faire dans sa relation avec ce client.
Il faut savoir ce que l’on veut faire pour choisir ce qu’il convient de voir dans la complexité des faits.
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Georg Cantor a démontré qu’il existe autant de points dans le segment [0, 1] d’une droite que dans l’espace entier. De même, le plus modeste des objets de notre vie quotidienne (une brosse à dents, un verre, un stylo) est aussi complexe que l’univers entier.
Dans le moindre détail se rencontrent en effet, comme dans une fractale, d’autres niveaux de détail d’une complexité égale à celle de l'ensemble. Cependant chacun de ces niveaux obéit à une logique qui lui est particulière. À la complexité de la fractale s'ajoute ainsi un autre type de complexité : la nature, essentiellement complexe, est « ultra-fractale ».
Considérons votre brosse à dents. Un examen au microscope révélerait les détails de sa structure physique puis, en augmentant la définition, des molécules, des atomes, etc. : l’examen de chaque détail révèle ainsi d’autres détails ad infinitum.
samedi 25 novembre 2017
Il faudra s’attendre à une exponentielle
(Entretien de Vincent Lorphelin et Michel Volle avec Benoît Barbedette, 30 juillet 2015, WE/conomie)
L’informatisation, point de rencontre entre la « micro-électronique, le logiciel et internet », nous a fait pénétrer dans l’ère de l’iconomie. Que signifie le vocable ? Selon Michel Volle et Vincent Lorphelin, coprésidents de l’Institut de l’Iconomie, les préceptes de ce nouvel âge se vérifient sur quatre champs : l’emploi, l’économie, la production et le commerce. Explications.
Pouvez-vous définir cette transition iconomique, dans le temps, les étapes clés et une perspective ?
M. Volle : On peut dater de 1975 l’émergence du système technique informatisé. Il a fait suite au système technique mécanisé et chimisé antérieur. La mécanique et la chimie ne sont pas supprimées : elles s’informatisent. La ressource informatique est devenue ubiquitaire dans les années 1990 avec l’Internet. L’informatisation a fait alors émerger un être nouveau : le couple que forment le cerveau humain et l’automate programmable. L’automatisation de la production a substitué dans l’emploi le cerveau d’œuvre à la main-d’œuvre. Il en résulte un bouleversement des organisations. Les produits sont devenus des assemblages de biens et de services. La production des biens est automatisée, celle des services est assistée par l’automate.
Quelles ont été les innovations marquantes depuis 20 ans ? Et celles à venir dans un futur proche ?
L’informatisation, point de rencontre entre la « micro-électronique, le logiciel et internet », nous a fait pénétrer dans l’ère de l’iconomie. Que signifie le vocable ? Selon Michel Volle et Vincent Lorphelin, coprésidents de l’Institut de l’Iconomie, les préceptes de ce nouvel âge se vérifient sur quatre champs : l’emploi, l’économie, la production et le commerce. Explications.
Pouvez-vous définir cette transition iconomique, dans le temps, les étapes clés et une perspective ?
M. Volle : On peut dater de 1975 l’émergence du système technique informatisé. Il a fait suite au système technique mécanisé et chimisé antérieur. La mécanique et la chimie ne sont pas supprimées : elles s’informatisent. La ressource informatique est devenue ubiquitaire dans les années 1990 avec l’Internet. L’informatisation a fait alors émerger un être nouveau : le couple que forment le cerveau humain et l’automate programmable. L’automatisation de la production a substitué dans l’emploi le cerveau d’œuvre à la main-d’œuvre. Il en résulte un bouleversement des organisations. Les produits sont devenus des assemblages de biens et de services. La production des biens est automatisée, celle des services est assistée par l’automate.
Quelles ont été les innovations marquantes depuis 20 ans ? Et celles à venir dans un futur proche ?
mercredi 22 novembre 2017
L'emploi et l'automatisation
(Article publié le 26 octobre 2017 par Atlantico.fr sous le titre "En Allemagne, la robotisation n’a pas créé de chômeurs... mais elle a aggravé les inégalités")
Atlantico : Des chercheurs allemands ont examiné les données sur l'emploi des 20 dernières années pour déterminer l'impact de la croissance sur la production industrielle et le marché du travail : leur constat c'est qu'en dépit de la croissance de l'utilisation allemande des robots (plus qu'aux Etats-Unis) cela n'a pas entamé le marché du travail. Pourquoi ?
MV : Ces chercheurs donnent plusieurs explications : la croissance démographique est faible en Allemagne, de nouveaux emplois se créent dans les services, enfin les salariés qui accomplissaient les tâches routinières désormais automatisées acceptent une baisse de salaire pour garder leur emploi.
Derrière ces statistiques et indications mitigées on perçoit que les économies - celle de l'Allemagne, de la France, des Etats-Unis, etc. - ne sont pas encore parvenues à assimiler toutes les conséquences de l'informatisation, à s'orienter vers "l'économie informatisée efficace" que l'on nomme iconomie.
L'iconomie se propose comme repère aux stratèges, politiques et citoyens. Son étude fait apparaître que les tâches répétitives physiques et mentales ont vocation à être automatisées : l'emploi passe de la main d'oeuvre au "cerveau d'oeuvre".
Atlantico : Comment le marché du travail s'adapte-il à l'automatisation et la robotisation de certains secteurs ?
Atlantico : Des chercheurs allemands ont examiné les données sur l'emploi des 20 dernières années pour déterminer l'impact de la croissance sur la production industrielle et le marché du travail : leur constat c'est qu'en dépit de la croissance de l'utilisation allemande des robots (plus qu'aux Etats-Unis) cela n'a pas entamé le marché du travail. Pourquoi ?
MV : Ces chercheurs donnent plusieurs explications : la croissance démographique est faible en Allemagne, de nouveaux emplois se créent dans les services, enfin les salariés qui accomplissaient les tâches routinières désormais automatisées acceptent une baisse de salaire pour garder leur emploi.
Derrière ces statistiques et indications mitigées on perçoit que les économies - celle de l'Allemagne, de la France, des Etats-Unis, etc. - ne sont pas encore parvenues à assimiler toutes les conséquences de l'informatisation, à s'orienter vers "l'économie informatisée efficace" que l'on nomme iconomie.
L'iconomie se propose comme repère aux stratèges, politiques et citoyens. Son étude fait apparaître que les tâches répétitives physiques et mentales ont vocation à être automatisées : l'emploi passe de la main d'oeuvre au "cerveau d'oeuvre".
Atlantico : Comment le marché du travail s'adapte-il à l'automatisation et la robotisation de certains secteurs ?
jeudi 9 novembre 2017
Le dialogue entre les experts et les académiques
« The theologians who declined, when invited, to look through Galileo's telescopes, were already, as they thought, in possession of sufficient knowledge about the material universe. If Galileo's findings agreed with Aristotle and St Thomas there was no point in looking through a telescope ; if they did not they must be wrong » (Joseph Needham, Science and civilisation in China, Cambridge University Press, 1956, vol. 2, p. 90).Gabriel Chevallier a décrit dans La peur l’incompréhension des gens de l’arrière envers les combattants du front pendant la guerre de 14-18.
Les premiers s’étaient habitués aux récits héroïques que publiaient les journaux. Lorsqu’ils rencontraient un permissionnaire ils attendaient ou exigeaient de lui la confirmation de ce que disait la presse. Certains combattants, cédant à cette pression, régalaient leur auditoire de contes d’un héroïsme délirant. D’autres, sachant que personne à l’arrière ne pouvait concevoir ce qu’ils avaient vécu, se taisaient sombrement.
Chacun de nous rencontre des situations analogues. L’expérience que l’on fait lorsque l’on élève des enfants est incompréhensible pour une personne qui n’en a pas eu, cela ne l’empêche pas de donner des conseils aux parents.
Mon expérience est celle du travail dans des entreprises, de la création et la direction d’entreprises, de l’examen de ce qui se passe sur le terrain, du conseil à des dirigeants. Elle m’a fait constater des faits qu’aucun des cours que j’ai subis, aucun des livres et des articles que j’ai lus ne mentionnent. Il m’arrive souvent, lorsque j’évoque ces faits, de contrarier un philosophe, un économiste, un historien, un sociologue, un informaticien, etc.
Ils s’inquiètent de savoir ce qui m’autorise à dire de telles choses, me demandent de citer les auteurs sur lesquels je m’appuie. Lorsque je leur dis que je m’appuie sur mon expérience ils se détournent en haussant les épaules. Je pourrais bien sûr citer des auteurs, car mon expérience est aussi celle de la lecture : mais une sorte de pudeur m’interdit d’étaler mon érudition.
Que peut d'ailleurs valoir la « science » qu'ils bâtissent en ruminant leurs lectures et en ignorant les faits qu'apportent des témoins ?
Le phénomène n’est heureusement pas général. Il se trouve aussi, parmi ces personnes, quelques-unes que mon témoignage étonne mais intéresse et qui me posent des questions pour en savoir plus. Elles sont minoritaires mais elles existent. Nous y reviendrons.
mercredi 8 novembre 2017
Pour ne plus souffrir dans l'entreprise
Beaucoup de souffrances viennent de ce que nous n’avons pas une représentation exacte de l'entreprise.
Notre formation nous a préparé à la concevoir comme un être purement rationnel et orienté vers l'efficacité. Or étant une collectivité humaine l’entreprise est en fait un être psychosociologique :
Quelle attitude avoir ?
Je suis sans doute trop anxieux pour pouvoir parvenir à cette sagesse, mais j'ai connu des animateurs dont je garde un souvenir lumineux.
Notre formation nous a préparé à la concevoir comme un être purement rationnel et orienté vers l'efficacité. Or étant une collectivité humaine l’entreprise est en fait un être psychosociologique :
- psychologique, car chacun y agit selon la représentation qu'il se fait de sa place dans le monde, de son destin personnel, de l'opinion que les autres se font de lui ;
- sociologique, car une structure de pouvoir définit la légitimité (droit à la parole, droit à l'erreur) accordée à chacun selon la fonction qu'il occupe (commandement, expertise, gestion, exécution, etc.).
- psychologie : personnalités perturbées par l'angoisse, la perversité, l'inhibition, etc. ;
- sociologie : silos hiérarchiques empêchant la communication et la coopération, autoritarisme, « sommet coupé de la base », etc.
Quelle attitude avoir ?
- D'abord être réaliste : concevoir l'entreprise comme un être psychosociologique et donc susceptible de pathologies ;
- puis assumer le fait qu'une certaine dose de pathologie est inévitable : la santé parfaite n'existe ni dans l'entreprise, ni chez une personne ;
- enfin soigner les maladies psychologiques et sociologiques d'abord en soi-même, puis dans son environnement de travail.
Je suis sans doute trop anxieux pour pouvoir parvenir à cette sagesse, mais j'ai connu des animateurs dont je garde un souvenir lumineux.
À propos de l'entreprise
L’entreprise « est l’un des concepts les plus difficiles à appréhender1 », elle est « le point aveugle du savoir2 », etc. Elle résiste en effet à la conceptualisation, et quand des statisticiens tentent de la définir le résultat n’est guère convaincant :
« L’entreprise correspond à la plus petite combinaison d’unités légales qui constitue une unité organisationnelle de production de biens et de services jouissant d’une certaine autonomie de décision, notamment pour l’affectation de ses ressources courantes. Une entreprise exerce une ou plusieurs activités dans un ou plusieurs endroits » (Règlement du Conseil de l’Union européenne relatif aux unités statistiques d’observation et d’analyse du système productif dans la Communauté, 15 mars 1993).
L’entreprise n’est pas le seul être qui résiste de la sorte : la « personne », la « société », la « science », sont comme elle des phénomènes organiques que chaque discipline tente de saisir selon sa grille conceptuelle sans jamais pouvoir les embrasser en entier.
Nous allons évoquer ici les disciplines qui considèrent l’entreprise. Nous n’entrerons pas dans leur détail car notre objet est seulement de montrer de façon très schématique en quoi leurs points de vue diffèrent, puis de suggérer comment ils peuvent se compléter.
Chaque entreprise est une institution en ce sens précis qu’elle a été instituée pour remplir une mission. Elle se dote à cette fin d’une organisation qui définit les procédures de l’action et les pouvoirs de décision légitimes. Le formalisme de l’organisation tend cependant toujours à s’émanciper de la mission : mission et organisation entretiennent une relation dialectique.
La production et l’échange sont l’objet de la théorie économique. Elle considère l’Entreprise avec un « E » (aussi nommée « système productif »), forme institutionnelle dont la mission est d’assurer l’interface entre les ressources naturelles et le bien-être matériel d’une population, et les entreprises avec un « e », dont chacune est un îlot d’organisation baignant dans un marché où il concrétise l’Entreprise.
« L’entreprise correspond à la plus petite combinaison d’unités légales qui constitue une unité organisationnelle de production de biens et de services jouissant d’une certaine autonomie de décision, notamment pour l’affectation de ses ressources courantes. Une entreprise exerce une ou plusieurs activités dans un ou plusieurs endroits » (Règlement du Conseil de l’Union européenne relatif aux unités statistiques d’observation et d’analyse du système productif dans la Communauté, 15 mars 1993).
L’entreprise n’est pas le seul être qui résiste de la sorte : la « personne », la « société », la « science », sont comme elle des phénomènes organiques que chaque discipline tente de saisir selon sa grille conceptuelle sans jamais pouvoir les embrasser en entier.
Nous allons évoquer ici les disciplines qui considèrent l’entreprise. Nous n’entrerons pas dans leur détail car notre objet est seulement de montrer de façon très schématique en quoi leurs points de vue diffèrent, puis de suggérer comment ils peuvent se compléter.
* *
Chaque entreprise est une institution en ce sens précis qu’elle a été instituée pour remplir une mission. Elle se dote à cette fin d’une organisation qui définit les procédures de l’action et les pouvoirs de décision légitimes. Le formalisme de l’organisation tend cependant toujours à s’émanciper de la mission : mission et organisation entretiennent une relation dialectique.
La production et l’échange sont l’objet de la théorie économique. Elle considère l’Entreprise avec un « E » (aussi nommée « système productif »), forme institutionnelle dont la mission est d’assurer l’interface entre les ressources naturelles et le bien-être matériel d’une population, et les entreprises avec un « e », dont chacune est un îlot d’organisation baignant dans un marché où il concrétise l’Entreprise.
jeudi 5 octobre 2017
La finance à la façon de Molière
Dans la dernière scène du Malade imaginaire Molière a fait de l’examen du doctorat en médecine une cérémonie burlesque en latin de cuisine. Pour chaque pathologie le candidat a la même prescription :
Clysterium donare,
Deinde purgare,
Ensuitta seignare.
Voici le doctorat en science économique version finance. Le latin est remplacé, comme il se doit aujourd'hui, par un anglais macaronique.
EXAMINATOR
Excellent academics,
Economists, experts,
Essayists, journalists
And everybody,
Salutations, honor, money
And good appetit !
I cannot enough admire
This wonderful invention,
Finance economics.
It made us rich and powerful :
We are Gods in the City of London,
Wall Street, Hong-Kong and Francfort aussi,
And we govern all the countries.
It is important for us
To receive in our profession only
Those who are dedicated and able
To apply the sound theory.
I will question this savant candidate
Then we will decide if he deserves
The most honourable title of PhD
Excellent candidate, please answer :
What would you counsel for a country
Whitout any industry at all ?
CANDIDATE
Perfect competition,
Free trade,
And shareholder value creation.
CHORUS
Good, very good answer !
He deserves to enter
In our savant profession.
EXAMINATOR
What would you counsel for a country
With an enormous unemployment ?
CANDIDATE
Perfect competition,
Free trade,
And shareholder value creation.
CHORUS
Good, very good answer !
He deserves to enter
In our savant profession
EXAMINATOR
What would you counsel for a country
Where there is civil war and epidemy ?
CANDIDATE
Perfect competition,
Free trade,
And shareholder value creation.
CHORUS
Good, very good answer !
He deserves to enter
In our savant profession
EXAMINATOR
What would you counsel for a country
Whose dictator intends only to enrich himself ?
CANDIDATE
Perfect competition,
Free trade,
And shareholder value creation.
CHORUS
Good, very good answer !
He deserves to enter
In our savant profession
EXAMINATOR
Do you swear to never change
And always recommande
The same excellent policy ?
CANDIDATE
I swear.
EXAMINATOR
I give you, with this venerable PhD
Power to be an expert in Economics and Finance
Everywhere in the World
And at Bruxelles and Bercy itou
With the unlimited ability
To enrich the predators,
Ruin, desperate and destroy
Workers, engineers and entrepreneurs
Without any accountability,
Get a lot of money and jolly enjoy
Drinks, drugs and good fucks !
CHORUS
Vivat, vivat, a hundred times vivat !
New doctor, you spoke very well.
Thousand years of destroy and kill !
Get a lot of money and jolly enjoy
Drinks, drugs and good fucks !
Clysterium donare,
Deinde purgare,
Ensuitta seignare.
Voici le doctorat en science économique version finance. Le latin est remplacé, comme il se doit aujourd'hui, par un anglais macaronique.
EXAMINATOR
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And good appetit !
I cannot enough admire
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Wall Street, Hong-Kong and Francfort aussi,
And we govern all the countries.
It is important for us
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To apply the sound theory.
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Without any accountability,
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dimanche 20 août 2017
De la main d'œuvre au cerveau d'œuvre
(Contribution au colloque de Cerisy « Qu'est-ce qu'un régime de travail réellement humain ? », 10 juillet 2017.)
Résumé
L'informatisation a suscité l'automatisation des tâches répétitives autrefois accomplies par une main d’œuvre dont les entreprises laissaient les facultés mentales en jachère. L'action productive se partage entre l'automate et l'être humain, ce dernier possédant pour interpréter les cas particuliers et répondre à des incidents imprévisibles un discernement que l'automate ne peut pas exercer.
Le « cerveau d’œuvre » remplace ainsi la main d’œuvre.
Cela implique une transformation des organisations, dont la qualité dépend désormais de la synergie des compétences individuelles : un « commerce de la considération » doit se substituer à la relation hiérarchique. La plupart des entreprises refusent cette transformation qui bouscule leurs habitudes. L'inefficacité massive qui en résulte est l'une des causes de la crise actuelle.
L'entreprise aujourd'hui
Ouvrons les yeux et regardons ce qui se passe. Dans les bureaux le temps de travail des agents se partage entre « l'ordinateur » et les réunions. Dans les usines des robots s’activent et l’essentiel de l'emploi est consacré à leur supervision et à leur maintenance.
Les ordinateurs de bureau, robots et téléphones mobiles (ces derniers étant en fait des ordinateurs mobiles) sont des automates programmables, conçus pour exécuter automatiquement tout ce qu'il est possible de programmer.
La plupart des ménages sont équipés de plusieurs automates : leur ordinateur est relié à l’Internet, parents et enfants possèdent chacun un téléphone mobile, les équipements ménagers – réfrigérateur, machine à laver, aspirateur, cuisinière, téléviseur, chaîne haute-fidélité, etc. – sont informatisés.
L'utilisateur d’un ordinateur accède, sous la seule contrainte de ses habilitations, à la ressource informatique mondiale composée de processeurs, mémoires, logiciels et documents (données, textes, images, vidéos, etc.). L’ensemble des ordinateurs en réseau forme ainsi un automate accessible sans délai perceptible depuis n’importe où, l’automate programmable ubiquitaire (APU).
L'informatisation a ainsi pénétré la vie personnelle comme la vie au travail : elle impose de « savoir vivre avec l'automate1 ». Dans les institutions, dans les entreprises, cette exigence se condense en deux mots : symbiose et synergie.
Résumé
L'informatisation a suscité l'automatisation des tâches répétitives autrefois accomplies par une main d’œuvre dont les entreprises laissaient les facultés mentales en jachère. L'action productive se partage entre l'automate et l'être humain, ce dernier possédant pour interpréter les cas particuliers et répondre à des incidents imprévisibles un discernement que l'automate ne peut pas exercer.
Le « cerveau d’œuvre » remplace ainsi la main d’œuvre.
Cela implique une transformation des organisations, dont la qualité dépend désormais de la synergie des compétences individuelles : un « commerce de la considération » doit se substituer à la relation hiérarchique. La plupart des entreprises refusent cette transformation qui bouscule leurs habitudes. L'inefficacité massive qui en résulte est l'une des causes de la crise actuelle.
L'entreprise aujourd'hui
Ouvrons les yeux et regardons ce qui se passe. Dans les bureaux le temps de travail des agents se partage entre « l'ordinateur » et les réunions. Dans les usines des robots s’activent et l’essentiel de l'emploi est consacré à leur supervision et à leur maintenance.
Les ordinateurs de bureau, robots et téléphones mobiles (ces derniers étant en fait des ordinateurs mobiles) sont des automates programmables, conçus pour exécuter automatiquement tout ce qu'il est possible de programmer.
La plupart des ménages sont équipés de plusieurs automates : leur ordinateur est relié à l’Internet, parents et enfants possèdent chacun un téléphone mobile, les équipements ménagers – réfrigérateur, machine à laver, aspirateur, cuisinière, téléviseur, chaîne haute-fidélité, etc. – sont informatisés.
L'utilisateur d’un ordinateur accède, sous la seule contrainte de ses habilitations, à la ressource informatique mondiale composée de processeurs, mémoires, logiciels et documents (données, textes, images, vidéos, etc.). L’ensemble des ordinateurs en réseau forme ainsi un automate accessible sans délai perceptible depuis n’importe où, l’automate programmable ubiquitaire (APU).
L'informatisation a ainsi pénétré la vie personnelle comme la vie au travail : elle impose de « savoir vivre avec l'automate1 ». Dans les institutions, dans les entreprises, cette exigence se condense en deux mots : symbiose et synergie.
dimanche 6 août 2017
L’« intelligence artificielle » : option métaphysique, réalité pratique, projet politique
Une « chose qui pense » ?
L'expression « intelligence artificielle » évoque l'image d'une « chose qui pense » : le silicium dans lequel sont gravés processeurs et mémoires, muni d'un programme ad hoc, serait capable de « penser comme un être humain » ou même mieux que lui. Affirmer la possibilité ou la possibilité d’une telle « chose », c’est poser une option que l’on peut qualifier de métaphysique car elle concerne la conception de l’être.
Nombre de personnes insouciantes sautent d’un bond léger le gouffre qui sépare cette option de celles qui, jusqu'alors, donnaient un socle à la représentation du monde. Parmi les êtres vivants, disions-nous en effet, seuls les animaux pensent, et parmi les animaux seuls les humains possèdent une pensée élaborée. Et voilà que surgirait une « chose qui pense » et qui n’est pas même vivante !
S’il est facile de l’imaginer – des œuvres de fiction nous y invitent – il se peut qu’elle soit une chimère, un être que le langage évoque sans que rien de réel ne puisse lui correspondre. Il ne faut pas en effet confondre la réalité d’une image avec la réalité physique et pratique de l’objet qu’elle évoque.
Mais certains agissent et parlent comme s’ils posaient une option métaphysique plus radicale encore que la précédente : rien ne séparerait selon eux l’imaginaire du possible ni le possible du réel : « si je peux imaginer une chose, semblent-ils dire, c’est qu’elle est réelle ».
Les options métaphysiques sont rarement aussi explicites que cela. Elles n’en résistent que mieux à la réfutation et tout en étant implicites elles animent et orientent l’action : elles ont donc des conséquences politiques.
Avant d’en venir à ces conséquences il est salubre d’examiner ce qu’est pratiquement et réellement l’intelligence artificielle aujourd'hui, et de considérer ce que cet examen indique comme possible dans le futur.
L'expression « intelligence artificielle » évoque l'image d'une « chose qui pense » : le silicium dans lequel sont gravés processeurs et mémoires, muni d'un programme ad hoc, serait capable de « penser comme un être humain » ou même mieux que lui. Affirmer la possibilité ou la possibilité d’une telle « chose », c’est poser une option que l’on peut qualifier de métaphysique car elle concerne la conception de l’être.
Nombre de personnes insouciantes sautent d’un bond léger le gouffre qui sépare cette option de celles qui, jusqu'alors, donnaient un socle à la représentation du monde. Parmi les êtres vivants, disions-nous en effet, seuls les animaux pensent, et parmi les animaux seuls les humains possèdent une pensée élaborée. Et voilà que surgirait une « chose qui pense » et qui n’est pas même vivante !
S’il est facile de l’imaginer – des œuvres de fiction nous y invitent – il se peut qu’elle soit une chimère, un être que le langage évoque sans que rien de réel ne puisse lui correspondre. Il ne faut pas en effet confondre la réalité d’une image avec la réalité physique et pratique de l’objet qu’elle évoque.
Mais certains agissent et parlent comme s’ils posaient une option métaphysique plus radicale encore que la précédente : rien ne séparerait selon eux l’imaginaire du possible ni le possible du réel : « si je peux imaginer une chose, semblent-ils dire, c’est qu’elle est réelle ».
Les options métaphysiques sont rarement aussi explicites que cela. Elles n’en résistent que mieux à la réfutation et tout en étant implicites elles animent et orientent l’action : elles ont donc des conséquences politiques.
Avant d’en venir à ces conséquences il est salubre d’examiner ce qu’est pratiquement et réellement l’intelligence artificielle aujourd'hui, et de considérer ce que cet examen indique comme possible dans le futur.
mercredi 19 juillet 2017
Pierre Veltz, La société hyper-industrielle, Seuil, 2017
Je recommande ce livre aux dirigeants de l’économie et de la politique, à leurs conseillers et experts, enfin à chacun des « simples » citoyens qui souhaitent comprendre la situation actuelle de notre société et de notre économie : il présente en effet de façon très claire une synthèse des opportunités et des risques auxquels elles sont confrontées
Le monde qu’il décrit est celui que l’informatisation a fait émerger à partir des années 1970. Le mot « industrie » a changé de sens, la frontière entre l’industrie et les services a disparu. La multiplication des réseaux, plates-formes et robots a introduit des phénomènes inédits, l’emploi a changé de nature, l’organisation du système productif est bouleversée.
Certaines des contraintes que la durée et la distance imposaient naguère à l’action étant effacées, le temps et l’espace ont été transformés : le monde s’organise désormais en pôles et en réseaux, l’innovation se diffuse rapidement, les chaînes de valeur se ramifient en partenariats ou sous-traitances complexes, une concurrence monopolistique se déploie sur le marché mondial.
L’insertion de l’action productive dans les territoires est remodelée car le développement de quelques centres métropolitains contraste avec l’inertie des périphéries. Les inégalités s’accroissent au risque d’un éclatement du lien social.
Le livre se termine par une évocation des atouts que possèdent la France et l’Europe : elles peuvent, à condition qu’elles soient lucides et volontaires, tirer parti des opportunités et contenir les risques que comporte la situation présente.
Je souhaite donc que tout le monde puisse lire et comprendre ce que Pierre Veltz a écrit : il n’a rien oublié ni négligé d’important et la sobre clarté de son écriture met à la portée de chacun le panorama qu’il propose.
Le monde qu’il décrit est celui que l’informatisation a fait émerger à partir des années 1970. Le mot « industrie » a changé de sens, la frontière entre l’industrie et les services a disparu. La multiplication des réseaux, plates-formes et robots a introduit des phénomènes inédits, l’emploi a changé de nature, l’organisation du système productif est bouleversée.
Certaines des contraintes que la durée et la distance imposaient naguère à l’action étant effacées, le temps et l’espace ont été transformés : le monde s’organise désormais en pôles et en réseaux, l’innovation se diffuse rapidement, les chaînes de valeur se ramifient en partenariats ou sous-traitances complexes, une concurrence monopolistique se déploie sur le marché mondial.
L’insertion de l’action productive dans les territoires est remodelée car le développement de quelques centres métropolitains contraste avec l’inertie des périphéries. Les inégalités s’accroissent au risque d’un éclatement du lien social.
Le livre se termine par une évocation des atouts que possèdent la France et l’Europe : elles peuvent, à condition qu’elles soient lucides et volontaires, tirer parti des opportunités et contenir les risques que comporte la situation présente.
Je souhaite donc que tout le monde puisse lire et comprendre ce que Pierre Veltz a écrit : il n’a rien oublié ni négligé d’important et la sobre clarté de son écriture met à la portée de chacun le panorama qu’il propose.
mardi 30 mai 2017
L'« intelligence artificielle » dans notre culture
L'« intelligence artificielle » se présente simultanément à l'intellect comme un existant, comme un possible et comme un imaginaire1. Or ce que l'on imagine n'est pas nécessairement possible et il n'est pas certain que ce qui est possible puisse exister un jour.
Le concept de l'« intelligence artificielle » fusionne par ailleurs « intelligence » et « artifice » (ce dernier mot désignant ici l'« informatique » ou l'« ordinateur ») et comme tout concept hybride celui-ci doit être examiné pour s'assurer qu'il ne s'agit pas d'une chimère comme le griffon dont la tête d'oiseau est entée sur le corps d'un lion, ou comme Pégase, le cheval ailé de la mythologie.
Le fait est que l'informatique accroît la portée de l'intelligence et de l'action humaines tout comme l'a fait bien avant elle la notation écrite de la parole, des nombres, de la musique et des mathématiques : l'ordinateur exécute des calculs et déclenche des actions avec une rapidité dont l'être humain est incapable. « Intelligence artificielle » n'est de ce point de vue rien d'autre qu'une expression quelque peu prétentieuse pour désigner l'informatique.
Le concept de l'« intelligence artificielle » fusionne par ailleurs « intelligence » et « artifice » (ce dernier mot désignant ici l'« informatique » ou l'« ordinateur ») et comme tout concept hybride celui-ci doit être examiné pour s'assurer qu'il ne s'agit pas d'une chimère comme le griffon dont la tête d'oiseau est entée sur le corps d'un lion, ou comme Pégase, le cheval ailé de la mythologie.
Le fait est que l'informatique accroît la portée de l'intelligence et de l'action humaines tout comme l'a fait bien avant elle la notation écrite de la parole, des nombres, de la musique et des mathématiques : l'ordinateur exécute des calculs et déclenche des actions avec une rapidité dont l'être humain est incapable. « Intelligence artificielle » n'est de ce point de vue rien d'autre qu'une expression quelque peu prétentieuse pour désigner l'informatique.
Le pilote automatique d'un avion de ligne reçoit les signaux des capteurs et manipule les ailerons afin de maintenir l'avion dans la position qui économise le carburant, action qui pour un pilote humain serait aussi difficile que de maintenir une assiette en équilibre sur la pointe d'une épingle : c'est un bon exemple de l'élargissement du possible qu'apporte l'informatique.Alan Turing a cependant énoncé une autre ambition2 : concevoir une « machine qui pense » de telle sorte que l'on ne puisse pas distinguer ses résultats de ceux de la pensée d'un être humain. Or si l'on peut dire qu'un programme informatique « pense », puisqu'il traite les données qu'il ingère pour produire des résultats, il est évident qu'il ne pense pas comme nous. Avec les systèmes experts les informaticiens ont tenté de reproduire la façon dont nous raisonnons en suivant des règles3, mais ils ont rencontré des difficultés car nos règles changent avec la conjoncture et en outre certaines sont implicites.
vendredi 26 mai 2017
80 morts la semaine dernière
L'attentat de Manchester a fait 22 victimes. De nombreux hommages leur sont rendus, l'émotion est forte, la télévision nous montre le chagrin de leurs parents et amis.
La semaine dernière les accidents de la circulation ont tué de l'ordre de 80 personnes en France (4 000 morts par an, cela fait 80 par semaine). Aucun hommage ne leur est rendu et personne n'est ému – sauf bien sûr les parents et amis des victimes, mais leur chagrin n'intéresse pas les médias.
Notre voiture est beaucoup plus dangereuse que le terrorisme. Qui le dit ? Qui le sait ?
La semaine dernière les accidents de la circulation ont tué de l'ordre de 80 personnes en France (4 000 morts par an, cela fait 80 par semaine). Aucun hommage ne leur est rendu et personne n'est ému – sauf bien sûr les parents et amis des victimes, mais leur chagrin n'intéresse pas les médias.
Notre voiture est beaucoup plus dangereuse que le terrorisme. Qui le dit ? Qui le sait ?
dimanche 21 mai 2017
Le 18 brumaire d'Emmanuel Macron
Lors du 18 brumaire An VIII (9 novembre 1799) les soldats de Bonaparte ont chassé les députés de l'assemblée baïonnette au canon. Karl Marx verra dans le coup d'Etat du 2 décembre 1851 « le 18 brumaire de Louis Bonaparte ».
En 2017 il ne s'agit pas d'un coup d'Etat : l'élection du 7 mai a certes été gagnée à la hussarde, mais de façon régulière. Les partis, qui sont moins des lieux de réflexion que des associations de compétition et d'entraide en vue de la notoriété et des places, en restent baba.
Point de baïonnettes, point de répression comme en 1851, et pourtant cette élection pourrait être l'équivalent d'un 18 brumaire car elle semble annoncer une transformation des institutions aussi profonde que celles du Consulat et du Second Empire.
Cette annonce sera-t-elle suivie d'effet ? Nous n'en savons rien et seul l'événement nous l'apprendra. Voici cependant deux pistes qui se présentent à la réflexion.
En 2017 il ne s'agit pas d'un coup d'Etat : l'élection du 7 mai a certes été gagnée à la hussarde, mais de façon régulière. Les partis, qui sont moins des lieux de réflexion que des associations de compétition et d'entraide en vue de la notoriété et des places, en restent baba.
Point de baïonnettes, point de répression comme en 1851, et pourtant cette élection pourrait être l'équivalent d'un 18 brumaire car elle semble annoncer une transformation des institutions aussi profonde que celles du Consulat et du Second Empire.
Cette annonce sera-t-elle suivie d'effet ? Nous n'en savons rien et seul l'événement nous l'apprendra. Voici cependant deux pistes qui se présentent à la réflexion.
Turing a-t-il perdu son pari ?
Le « pari de Turing » est souvent évoqué par ceux qui estiment qu'il n'existera bientôt plus de différence perceptible entre l'intelligence de l'ordinateur et celle de l'être humain, dont le cerveau sera alors supplanté par la « machine » car elle est plus rapide et plus fiable que lui. Ils s'appuient ainsi sur un article que peu de personnes ont lu attentivement. Nous reprenons ici l'étude qui se trouve dans De l'informatique, p. 90.
Dans un article de 1950 qui a eu une immense influence1 Alan Turing a soutenu qu'il était possible de concevoir une expérience montrant que l'intelligence de l'ordinateur ne pouvait pas être distinguée de celle d'un être humain. Le « pari de Turing » a éveillé l'ambition de l'intelligence artificielle.
Pour répondre à la question « est-ce que les machines peuvent penser ? » il faut bien sûr pouvoir faire abstraction de l'apparence physique. Turing propose donc un « jeu de l'imitation » qu'il définit ainsi :
Turing ne dit pas que le test sera réussi si cette fréquence est de 0,5, valeur qui correspond au cas où l'on ne pourrait absolument pas distinguer l'ordinateur de l'être humain : il dit que le test sera réussi si cette fréquence est comprise dans l'intervalle [0,5 , 0,7], c'est-à-dire si l'interrogateur a confondu l'ordinateur avec un être humain dans au moins 30 % des cas.
Ce test est peu exigeant : il ne dure pas plus de cinq minutes et le seuil d'efficacité est modeste. Il est donc audacieux de prétendre qu'une telle expérience, si elle réussissait, autoriserait à affirmer que des machines puissent penser.
* *
Dans un article de 1950 qui a eu une immense influence1 Alan Turing a soutenu qu'il était possible de concevoir une expérience montrant que l'intelligence de l'ordinateur ne pouvait pas être distinguée de celle d'un être humain. Le « pari de Turing » a éveillé l'ambition de l'intelligence artificielle.
Pour répondre à la question « est-ce que les machines peuvent penser ? » il faut bien sûr pouvoir faire abstraction de l'apparence physique. Turing propose donc un « jeu de l'imitation » qu'il définit ainsi :
« Le jeu de l'imitation se joue à trois personne, un homme (A), une femme (B) et un interrogateur (C) qui peut être de l'un ou l'autre des deux sexes. L'interrogateur se trouve dans une pièce séparée des deux autres. Le but du jeu est pour l'interrogateur de deviner lequel de ses deux interlocuteurs est un homme et lequel est une femme. Il les désigne par les matricules X et Y ; à l'issue du jeu il dit soit "X est A et Y est B", soit "X est B et Y est A". Il peut poser des questions à A et B (...) Maintenant nous nous demandons "Que peut-il arriver si l'on fait tenir par une machine le rôle de A dans ce jeu ?" Est-ce que l'interrogateur se trompera aussi souvent que lorsque la partie se joue entre un homme et une femme ? Ces questions remplacent notre question initiale, "Des machines peuvent-elles penser?" (...) Je crois que dans cinquante ans environ il sera possible de programmer des ordinateurs ayant une mémoire de l'ordre de 109 de telle sorte qu'ils jouent tellement bien au jeu de l'imitation qu'un interrogateur moyen n'aura pas plus de 70 chances sur cent de les identifier de façon exacte après les avoir questionnés pendant cinq minutes. (...) La seule façon satisfaisante de prouver cela, c'est d'attendre la fin du siècle et de faire l'expérience que je viens de décrire. »Pour comprendre la nature du test de Turing, il faut réfléchir un instant à son énoncé. Si la différence entre A et B est évidente, l'interrogateur ne se trompera jamais : la probabilité qu'il ne fasse pas d'erreur est donc égale à 1. Si la différence entre A et B est insensible, l'interrogateur se trompera une fois sur deux (il faut supposer qu'en cas de doute il tire sa réponse à pile ou face) : la probabilité qu'il ne fasse pas d'erreur est alors égale à 0,5. Le test peut donc être caractérisé par la fréquence des résultats exacts, qui appartient à l'intervalle [0,5 , 1].
Turing ne dit pas que le test sera réussi si cette fréquence est de 0,5, valeur qui correspond au cas où l'on ne pourrait absolument pas distinguer l'ordinateur de l'être humain : il dit que le test sera réussi si cette fréquence est comprise dans l'intervalle [0,5 , 0,7], c'est-à-dire si l'interrogateur a confondu l'ordinateur avec un être humain dans au moins 30 % des cas.
Echelle du pari de Turing |
dimanche 7 mai 2017
L'iconomie et l'entreprise « libérée »
Les travaux sur l'iconomie ont fait apparaître la nécessité d'un « commerce de la considération » et précisé les exigences qui s'imposent à l'entreprise libérée :
- la considération est le respect en action. Elle se définit ainsi : « écouter celui qui parle en faisant un effort sincère pour comprendre ce qu'il veut dire » ;
- le commerce de la considération est un échange équilibré : on amorce ce commerce en offrant sa considération, on le rompt si l'on ne reçoit pas en retour une considération équivalente ;
- l'automatisation des tâches répétitives fait que l'emploi est passé de la main d'oeuvre au cerveau d'oeuvre, auquel l'entreprise confère un droit à l'initiative et délègue des responsabilités ;
- l'emploi du cerveau d'oeuvre nécessite que l'entreprise reconnaisse et cultive la compétence de ses agents ;
- la délégation de responsabilité n'est supportable pour un agent que si elle est accompagnée de la délégation d'une légitimité (droit à l'erreur, droit à l'écoute) bien proportionnée à sa responsabilité ;
- un cerveau humain ne peut d'ailleurs fonctionner que s'il sait pouvoir se faire entendre : il s'éteindra bientôt chez un concepteur dont les avis et alertes ne sont pas entendus, chez un agent de la première ligne dont les comptes rendus tombent dans le vide ;
- la légitimité cesse donc d'être le monopole des managers et dirigeants : la relation hiérarchique, qui sacralise la fonction de commandement, est remplacée par une animation.
* *
dimanche 30 avril 2017
Quatre techniques pour innover
Si vous examinez les projets informatiques présentés par des start-ups qui sollicitent aujourd'hui un capital, un crédit ou une subvention, vous verrez qu'ils s'appuient souvent, dans des proportions diverses, sur une combinaison des quatre techniques suivantes :
Quoiqu'il en soit, j'ai cherché à les connaître. Voici donc des liens vers quatre études qui présentent ce que j'en ai compris, leur lecture aidera à "se mettre dans le coup" certains de ceux qui n'y sont pas déjà :.
- l'intelligence artificielle ;
- le big data ;
- la blockchain ;
- et, plus rarement, l'Internet des objets.
Quoiqu'il en soit, j'ai cherché à les connaître. Voici donc des liens vers quatre études qui présentent ce que j'en ai compris, leur lecture aidera à "se mettre dans le coup" certains de ceux qui n'y sont pas déjà :.
Comprendre l'intelligence artificielle
L'intelligence artificielle fait exécuter par l'informatique des opérations que l'être humain réalise naturellement : reconnaître un visage, transcrire une parole vocale en parole écrite1, jouer aux échecs, trier des messages2, détecter des comportements suspects ou des fraudes, etc. La puissance de l'ordinateur (mémoire, rapidité) lui permet de les accomplir avec une performance hors de la portée de l'intelligence humaine.
Chacune de ces opérations consiste en un classement : un visage est classé sous l'identité d'une personne ; un message est classé dans le dossier des spams ; une parole vocale est classée sous un mot écrit ; le prochain coup, aux échecs, est classé comme « meilleur coup possible », etc.
Il faut, pour pouvoir classer un être, disposer a priori d'une nomenclature3 qui définisse des classes. Dans la vie courante chacun de nous utilise plusieurs nomenclatures : lorsque nous rencontrons une personne, nous nous comportons envers elle en fonction de la catégorie psychosociologique dans laquelle nous la rangeons selon son âge, son habillement, son langage, etc. Lorsque nous sommes au volant nous inférons le comportement prévisible des autres conducteurs selon leur apparence et celle de leur voiture, etc. : nous interprétons ainsi des symptômes pour parvenir à un diagnostic.
L'ensemble des nomenclatures présentes dans l'intellect d'une personne constitue la grille conceptuelle (ou « grille » tout court) à travers laquelle elle se représente le monde tel qu'elle le voit4.
Dans le langage courant, « classement » et « classification » sont parfois synonymes et il en est de même pour « nomenclature » et « classification ». Pour la clarté des idées nous donnons ici à chacun de ces mots un sens précis :
Intelligence artificielle = analyse discriminante
La statistique a systématisé cette démarche de classement avec diverses méthodes d'analyse discriminante:
Un réseau neuronal est une « boîte noire » : personne ne peut expliquer pourquoi il est arrivé à telle ou telle conclusion. Cela contrarie les esprits logiques et certains praticiens jugent d'ailleurs les SVM plus efficaces que les réseaux neuronaux. D'autres ont l'opinion contraire, d'autres encore estiment que la meilleure méthode s'appuie sur une combinaison des deux6.
Nous laisserons les experts à leurs controverses pour retenir que ce que l'on nomme « intelligence artificielle » est essentiellement l'application d'une technique statistique, l'analyse discriminante : quelle que soit la méthode qu'elle emploie, elle s'appuie en effet sur la théorie statistique et sur l'informatique complétées (et parfois compliquées) par l'ingéniosité et l'empirisme des praticiens.
Dire que « l'intelligence artificielle, c'est de l'analyse discriminante » suffit, semble-t-il, pour la situer du point de vue des intentions confrontées aux possibilités techniques et aux risques éventuels qui les accompagnent, et aussi pour éviter les analogies hasardeuses que l'expression « intelligence artificielle » a suggérées à certains penseurs.
Chacune de ces opérations consiste en un classement : un visage est classé sous l'identité d'une personne ; un message est classé dans le dossier des spams ; une parole vocale est classée sous un mot écrit ; le prochain coup, aux échecs, est classé comme « meilleur coup possible », etc.
Il faut, pour pouvoir classer un être, disposer a priori d'une nomenclature3 qui définisse des classes. Dans la vie courante chacun de nous utilise plusieurs nomenclatures : lorsque nous rencontrons une personne, nous nous comportons envers elle en fonction de la catégorie psychosociologique dans laquelle nous la rangeons selon son âge, son habillement, son langage, etc. Lorsque nous sommes au volant nous inférons le comportement prévisible des autres conducteurs selon leur apparence et celle de leur voiture, etc. : nous interprétons ainsi des symptômes pour parvenir à un diagnostic.
L'ensemble des nomenclatures présentes dans l'intellect d'une personne constitue la grille conceptuelle (ou « grille » tout court) à travers laquelle elle se représente le monde tel qu'elle le voit4.
Dans le langage courant, « classement » et « classification » sont parfois synonymes et il en est de même pour « nomenclature » et « classification ». Pour la clarté des idées nous donnons ici à chacun de ces mots un sens précis :
- une nomenclature est la partition d'un domaine de connaissance en « classes » à chacune desquelles est associé un nom ou un code : « nomenclature des activités industrielles », « nomenclature des êtres vivants », etc. ;
- le classement est l'opération qui range un individu dans une classe d'une nomenclature existante : la personne qui dit « cet arbre-là est un mélèze » range un arbre dans la classe « mélèze » d'une nomenclature des arbres ;
- la classification est l'opération qui crée la nomenclature d'un domaine de connaissance.
Intelligence artificielle = analyse discriminante
La statistique a systématisé cette démarche de classement avec diverses méthodes d'analyse discriminante:
- l'analyse factorielle discriminante5 procure les combinaisons linéaires de symptômes qui distinguent au mieux les diagnostics ;
- une machine à vecteurs de support (Support Vector Machines, SVM) indique la frontière, éventuellement sinueuse, qui sépare au mieux les diagnostics dans le nuage de points représentant les individus dans l'espace des symptômes ;
- un réseau neuronal est un ensemble d'algorithmes communiquant par des liaisons, nommées « synapses », dont la pondération non linéaire tâtonne jusqu'à ce que l'interprétation des symptômes soit conforme au diagnostic.
Un réseau neuronal est une « boîte noire » : personne ne peut expliquer pourquoi il est arrivé à telle ou telle conclusion. Cela contrarie les esprits logiques et certains praticiens jugent d'ailleurs les SVM plus efficaces que les réseaux neuronaux. D'autres ont l'opinion contraire, d'autres encore estiment que la meilleure méthode s'appuie sur une combinaison des deux6.
Nous laisserons les experts à leurs controverses pour retenir que ce que l'on nomme « intelligence artificielle » est essentiellement l'application d'une technique statistique, l'analyse discriminante : quelle que soit la méthode qu'elle emploie, elle s'appuie en effet sur la théorie statistique et sur l'informatique complétées (et parfois compliquées) par l'ingéniosité et l'empirisme des praticiens.
Dire que « l'intelligence artificielle, c'est de l'analyse discriminante » suffit, semble-t-il, pour la situer du point de vue des intentions confrontées aux possibilités techniques et aux risques éventuels qui les accompagnent, et aussi pour éviter les analogies hasardeuses que l'expression « intelligence artificielle » a suggérées à certains penseurs.
jeudi 27 avril 2017
Diverses formes de trahison
Il existe plusieurs façons de trahir son pays.
On pense immédiatement aux profiteurs et aux prédateurs : aux dirigeants qui, comme Carlos Ghosn, s'octroient des rémunérations dont le montant annuel est celui d'un bon patrimoine ; aux politiques qui, fascinés par le niveau de vie de ces dirigeants, se procurent des rémunérations annexes en tirant parti de leur fonction et en cédant aux lobbys ; aux entreprises qui, pratiquant l'évasion fiscale nommée pudiquement « optimisation », profitent de la qualité des équipements et services publics sans vouloir contribuer à leur financement ; aux aventuriers qui, comme Patrick Drahi, empruntent pour s'emparer d'entreprises auxquelles ils font porter ensuite le poids de la dette ; aux banques enfin, qui pratiquent à grande échelle une prédation sur le système productif et vendent aux fraudeurs le service de blanchiment de leurs gains.
Mais il existe d'autres formes de trahison. Des intellectuels et gens des médias, cultivant un désespoir à la mode, parlent de notre prétendue « décadence », de notre prétendue « insécurité », alors que l'histoire montre que la France n'a jamais connu une telle sécurité et que si le PIB croît plus lentement que naguère, il ne recule pas. Des économistes et des philosophes militent contre le « capitalisme » et pour une « décroissance » dont les conséquences personnelles les contrariraient à coup sûr. Des « penseurs » comme les auteurs de L'insurrection qui vient et autres partisans de la « Nuit debout » militent pour la destruction du « système », c'est-à-dire de nos institutions et de notre Etat. Le respect dû à l'être humain quel que soit son sexe est caricaturé par des nouveautés linguistiques grimaçantes (« celles et ceux », etc.) qui déteriorent notre langue maternelle, le français. Cette langue, des universitaires et des chercheurs l'abandonnent pour ne plus parler et écrire qu'en mauvais anglais au détriment de la qualité de leur pensée.
Le « peuple », que certains semblent vouloir diviniser, trahit lui aussi à sa façon. Dans mon coin de province des personnes qui vont consulter à l'hôpital, et qui seraient parfaitement capables de conduire leur voiture, prennent le taxi remboursé par la sécurité sociale « parce qu'elles y ont droit » : notre République, œuvre de notre histoire, est considérée comme une vache à lait et non comme le patrimoine commun des citoyens. Un gamin sympathique à qui je demande « ce qu'il compte faire quand il sera grand » répond « je serai chômeur ». Je vois dans les cafés des affiches de films, C'est assez bien d'être fou et Vorem rien foutre al pais : ces films sont peut-être excellents mais leurs titres, accompagnés d'autres affiches qui proclament « non au nucléaire », « non au gaz de schiste », etc., deviennent les slogans d'un programme destructeur.
On pense immédiatement aux profiteurs et aux prédateurs : aux dirigeants qui, comme Carlos Ghosn, s'octroient des rémunérations dont le montant annuel est celui d'un bon patrimoine ; aux politiques qui, fascinés par le niveau de vie de ces dirigeants, se procurent des rémunérations annexes en tirant parti de leur fonction et en cédant aux lobbys ; aux entreprises qui, pratiquant l'évasion fiscale nommée pudiquement « optimisation », profitent de la qualité des équipements et services publics sans vouloir contribuer à leur financement ; aux aventuriers qui, comme Patrick Drahi, empruntent pour s'emparer d'entreprises auxquelles ils font porter ensuite le poids de la dette ; aux banques enfin, qui pratiquent à grande échelle une prédation sur le système productif et vendent aux fraudeurs le service de blanchiment de leurs gains.
Mais il existe d'autres formes de trahison. Des intellectuels et gens des médias, cultivant un désespoir à la mode, parlent de notre prétendue « décadence », de notre prétendue « insécurité », alors que l'histoire montre que la France n'a jamais connu une telle sécurité et que si le PIB croît plus lentement que naguère, il ne recule pas. Des économistes et des philosophes militent contre le « capitalisme » et pour une « décroissance » dont les conséquences personnelles les contrariraient à coup sûr. Des « penseurs » comme les auteurs de L'insurrection qui vient et autres partisans de la « Nuit debout » militent pour la destruction du « système », c'est-à-dire de nos institutions et de notre Etat. Le respect dû à l'être humain quel que soit son sexe est caricaturé par des nouveautés linguistiques grimaçantes (« celles et ceux », etc.) qui déteriorent notre langue maternelle, le français. Cette langue, des universitaires et des chercheurs l'abandonnent pour ne plus parler et écrire qu'en mauvais anglais au détriment de la qualité de leur pensée.
Le « peuple », que certains semblent vouloir diviniser, trahit lui aussi à sa façon. Dans mon coin de province des personnes qui vont consulter à l'hôpital, et qui seraient parfaitement capables de conduire leur voiture, prennent le taxi remboursé par la sécurité sociale « parce qu'elles y ont droit » : notre République, œuvre de notre histoire, est considérée comme une vache à lait et non comme le patrimoine commun des citoyens. Un gamin sympathique à qui je demande « ce qu'il compte faire quand il sera grand » répond « je serai chômeur ». Je vois dans les cafés des affiches de films, C'est assez bien d'être fou et Vorem rien foutre al pais : ces films sont peut-être excellents mais leurs titres, accompagnés d'autres affiches qui proclament « non au nucléaire », « non au gaz de schiste », etc., deviennent les slogans d'un programme destructeur.
mardi 25 avril 2017
La blockchain dans l'iconomie
L'iconomie est le schéma, ou modèle, d'une société et d'une économie qui, par hypothèse, s'appuient efficacement sur la ressource informatique. Ce modèle, qui met en évidence les conditions nécessaires de l'efficacité, pose à l'horizon du futur un repère propre à orienter la stratégie des entreprises et des institutions.
La perspective de l'iconomie peut éclairer celle de la blockchain elle-même, tout en offrant un point de vue qui permet de faire abstraction des débats techniques actuels (sur la taille optimale des blocs, sur le choix entre « preuve de travail » (prof of work) et « preuve d'enjeu » (proof of stake) pour la rémunération des « mineurs » (miners) ou des « forgeurs » (minters), sur le contenu et le fonctionnement des « contrats intelligents » (smart contracts), etc.).
Les traits essentiels de l'iconomie sont les suivants1 :
Cette courte description fait immédiatement apparaître des domaines d'application de la blockchain : coopération au sein d'un réseau de compétences, ingénierie d'affaire autour des partenariats, cohésion de l'assemblage de biens et de services.
S'agissant de prospective il faut considérer ici la génération de blockchain aujourd'hui la plus avancée, dite 3.0, qui est celle des « contrats intelligents » (smart contracts) et englobe les fonctionnalités des générations 1.0 (réalisation et conservation de paiements en devise numérique) et 2.0 (stockage des traces de transactions portant sur des actifs)2. Nous n'imaginons pas ici par anticipation une future génération 4.0.
La perspective de l'iconomie peut éclairer celle de la blockchain elle-même, tout en offrant un point de vue qui permet de faire abstraction des débats techniques actuels (sur la taille optimale des blocs, sur le choix entre « preuve de travail » (prof of work) et « preuve d'enjeu » (proof of stake) pour la rémunération des « mineurs » (miners) ou des « forgeurs » (minters), sur le contenu et le fonctionnement des « contrats intelligents » (smart contracts), etc.).
Les traits essentiels de l'iconomie sont les suivants1 :
- les tâches répétitives physiques et mentales sont automatisées ;
- chaque produit est diversifié en variétés destinées à un segment des besoins ;
- chaque variété d'un produit est un assemblage (package) de biens et de services élaboré par un réseau de partenaires ;
- chaque entreprise vise à conquérir un monopole temporaire.
Cette courte description fait immédiatement apparaître des domaines d'application de la blockchain : coopération au sein d'un réseau de compétences, ingénierie d'affaire autour des partenariats, cohésion de l'assemblage de biens et de services.
S'agissant de prospective il faut considérer ici la génération de blockchain aujourd'hui la plus avancée, dite 3.0, qui est celle des « contrats intelligents » (smart contracts) et englobe les fonctionnalités des générations 1.0 (réalisation et conservation de paiements en devise numérique) et 2.0 (stockage des traces de transactions portant sur des actifs)2. Nous n'imaginons pas ici par anticipation une future génération 4.0.
lundi 24 avril 2017
Lendemain de premier tour
Toute élection présidentielle est un saut dans l'inconnu. Quoique l'on puisse dire, on ne vote pas pour un "projet", car on sait qu'il sera oublié après l'élection. On vote pour un style qui annonce une orientation, une attitude, que l'on espère à la hauteur de la fonction et des défis qu'elle comporte. Cette évaluation intuitive et globale des divers candidats est sans doute plus fiable que celle qui s'appuie sur la lecture de leur "programme".
Les défis sont nombreux. L'un est la "malédiction de l'Elysée", une perte du sens des réalités, du contact avec les choses et les personnes : c'est la rançon du mode de vie qui suit l'accès à la fonction suprême.
L'autre est le ressentiment, la haine, qui s'éveillent dans le cœur des "politiques" envers un nouveau venu qui, loin de se laisser bizuter par les anciens, leur a raflé le prix d'excellence. Ils vont vouloir le lui faire payer en l'assassinant, au moins politiquement et fût-ce en se suicidant eux-mêmes.
Sa victoire face à Marine Le Pen est certaine mais on a tort de faire du Front national un épouvantail : l'orientation qu'il incarne étant une composante de notre histoire, il faut la connaître et la comprendre - ce qui ne veut pas dire qu'on l'approuve !
Cette orientation est, sous le masque d'une adhésion de façade à notre République, celle de la réaction anti-républicaine qui a inspiré la restauration sous Charles X, la collaboration avec l'Allemagne nazie sous Pétain, le putsch des généraux à Alger en 1961, et qui inspire encore une admiration nostalgique pour les régimes de Franco et de Salazar. La diaboliser, dire que l'on en a peur, lui opposer un "non" sans discussion, tout cela ne fait que lui donner plus de prestige.
En regardant hier soir Emmanuel Macron j'ai pensé à Bonaparte et à Gorbatchev.
Les défis sont nombreux. L'un est la "malédiction de l'Elysée", une perte du sens des réalités, du contact avec les choses et les personnes : c'est la rançon du mode de vie qui suit l'accès à la fonction suprême.
L'autre est le ressentiment, la haine, qui s'éveillent dans le cœur des "politiques" envers un nouveau venu qui, loin de se laisser bizuter par les anciens, leur a raflé le prix d'excellence. Ils vont vouloir le lui faire payer en l'assassinant, au moins politiquement et fût-ce en se suicidant eux-mêmes.
Sa victoire face à Marine Le Pen est certaine mais on a tort de faire du Front national un épouvantail : l'orientation qu'il incarne étant une composante de notre histoire, il faut la connaître et la comprendre - ce qui ne veut pas dire qu'on l'approuve !
Cette orientation est, sous le masque d'une adhésion de façade à notre République, celle de la réaction anti-républicaine qui a inspiré la restauration sous Charles X, la collaboration avec l'Allemagne nazie sous Pétain, le putsch des généraux à Alger en 1961, et qui inspire encore une admiration nostalgique pour les régimes de Franco et de Salazar. La diaboliser, dire que l'on en a peur, lui opposer un "non" sans discussion, tout cela ne fait que lui donner plus de prestige.
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En regardant hier soir Emmanuel Macron j'ai pensé à Bonaparte et à Gorbatchev.
dimanche 16 avril 2017
Boycottons les « revues à comité de lecture » !
Je ne me suis jamais soucié de publier dans des revues à comité de lecture et si cela m'arrive, c'est par accident. Mes écrits sont en effet destinés à des lecteurs et non à des algorithmes qui classent les chercheurs selon le nombre de leurs publications dans des revues jugées crédibles.
Ce système pervers encourage la paresse et la fraude. La paresse, puisqu'il permet de classer les chercheurs sans jamais devoir lire leurs textes. La fraude, qui se manifeste dans des tactiques pour multiplier le nombre des articles et obtenir de nombreuses citations, au prix parfois d'une tricherie sur la qualité des résultats présentés : le « publish or perish » incite à la malhonnêteté.
Lorsque j'étais chercheur à l'INSEE un collègue m'a décrit ces tactiques qu'il utilisait habilement. Il m'a semblé impossible de concilier, avec la qualité de la recherche et la liberté de la pensée, le temps et l'attention que ces tactiques exigent, le conformisme aussi auquel il faut se plier pour séduire un de ces fameux « comités de lecture ». J'ai donc décidé de n'avoir aucune complicité, aucune complaisance avec ce système.
Ce système pervers encourage la paresse et la fraude. La paresse, puisqu'il permet de classer les chercheurs sans jamais devoir lire leurs textes. La fraude, qui se manifeste dans des tactiques pour multiplier le nombre des articles et obtenir de nombreuses citations, au prix parfois d'une tricherie sur la qualité des résultats présentés : le « publish or perish » incite à la malhonnêteté.
Lorsque j'étais chercheur à l'INSEE un collègue m'a décrit ces tactiques qu'il utilisait habilement. Il m'a semblé impossible de concilier, avec la qualité de la recherche et la liberté de la pensée, le temps et l'attention que ces tactiques exigent, le conformisme aussi auquel il faut se plier pour séduire un de ces fameux « comités de lecture ». J'ai donc décidé de n'avoir aucune complicité, aucune complaisance avec ce système.
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jeudi 30 mars 2017
Citations utiles
Voici une petite collection de citations qui illustrent les raisonnements sur l'informatisation et les systèmes d'information :
« Fondamentalement, l’ordinateur et l’homme sont les deux opposés les plus intégraux qui existent. L’homme est lent, peu rigoureux et très intuitif. L’ordinateur est super rapide, très rigoureux et complètement con » (Gérard Berry, professeur d'informatique au Collège de France, entretien avec Rue89, 26 août 2016).
« The hope is that, in not too many years, human brains and computing machines will be coupled together very tightly, and that the resulting partnership will think as no human brain has ever thought and process data in a way not approached by the information-handling machines we know today »
« Nous espérons que dans peu d'années les cerveaux humains et les ordinateurs seront étroitement accouplés : leur partenariat pensera comme aucun cerveau humain n'avait pensé auparavant et traitera les données bien mieux que ne le font actuellement les machines de traitement de l'information »
(Joseph Licklider, « Man Computer Symbiosis », IRE Transactions on Human Factors in Electronics, mars 1960).
« [The IBM machine] was anything but intelligent. It was as intelligent as your alarm clock. A very expensive one, a $10 million alarm clock, but still an alarm clock. Very poweful -- brute force, with little chess knowledge. But chess proved to be vulnerable to the brute force: it could be crunched once hardware got fast enough and databases got big enough and algorithms got smart enough »
« [La machine IBM&] était tout sauf intelligente. Elle était aussi intelligente que votre réveille-matin. Il est très coûteux, il coûte 10 millions de dollars, mais ce n'est qu'un réveille-matin : très puissant, de la force brute, avec peu de connaissance des échecs. Mais les échecs se sont révélés vulnérables à la force brute : ils ont pu être dominés une fois le processeur assez rapide, les bases de données assez volumineuses, les algorithmes assez puissants » (Gary Kasparov et Mig Greengard, Deep Thinking: Where Machine Intelligence Ends and Human Creativity Begins, Public Affairs, 2017).
« The strongest chess player today is neither a human, nor a computer, but a human team using computers »
« Le meilleur joueur d'échecs n'est aujourd'hui ni un humain, ni un ordinateur, mais une équipe d'humains utilisant des ordinateurs » (Devdatt Dubhashi et Shalom Lappin, « AI Dangers: Imagined and Real », Communications of the ACM, février 2017).
« In mathematics we are usually concerned with declarative (what is) descriptions, whereas in computer science we are usually concerned with imperative (how to) descriptions »
« En mathématiques on part de définitions (qu'est-ce que c'est ?) tandis qu'en informatique on part d'une action (comment faire ?) » (Harold Abelson et Gerald Jay Sussman, Structure and Interpretation of Computer Programs, MIT Press, 2001, p. 22).
« La culture s'est constituée en système de défense contre les techniques ; or, cette défense se présente comme une défense de l'homme, supposant que les objets techniques ne contiennent pas de réalité humaine. Nous voudrions montrer que la culture ignore dans la réalité technique une réalité humaine, et que, pour jouer son rôle complet, la culture doit incorporer les êtres techniques sous forme de connaissance et de sens des valeurs » (Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Aubier, 1958, p. 9).
« L'information n'est pas une chose, mais l'opération d'une chose arrivant dans un système et y produisant une transformation. L'information ne peut pas se définir en dehors de cet acte d'incidence transformatrice et de l'opération de réception » (Gilbert Simondon, Communication et information, Les éditions de la transparence, 2010).
« Au-dessus de la communauté sociale de travail, au delà de la relation interindividuelle qui n'est pas supportée par une activité opératoire, s'institue un univers mental et pratique de la technicité dans lequel les êtres humains communiquent à travers ce qu'ils inventent. L'objet technique pris selon son essence, c'est-à-dire en tant qu'il a été inventé, pensé et voulu, assumé par un sujet humain, devient le support et le symbole de cette relation transindividuelle » (Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Aubier, 1958, p. 335).
« C'est la culture qui gouverne l'homme, même si cet homme gouverne d'autres hommes et des machines. Or, cette culture est élaborée par la grande masse de ceux qui sont gouvernés ; si bien que le pouvoir exercé par un homme ne vient pas de lui à proprement parlé, mais se cristallise et se concrétise seulement en lui : il vient des hommes gouvernés et y retourne » (Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Aubier, 1958, p. 207).
« Un professeur de l'ESCP a fait une étude sur près de 300 entreprises dans le monde. Il démontre que 9 % des collaborateurs s'arrachent pour faire avancer les choses, 71 % n'en ont rien à faire et 20 % font tout pour empêcher les 9 % précédents d'avancer » (Georges Epinette, Antémémoires d'un dirigeant autodidacte, Cigref-Nuvis, 2016, p. 24).
« Les approches bureaucratiques ignorantes de la nature du travail cherchent à éliminer toute pensée, activité coûteuse dont la rentabilité n'est pas immédiatement perceptible. D'où l'échec que le « perfectionnement » des procédures ne fera qu'amplifier. L'application trop systématique d'idées parfaitement logiques peut engendrer des catastrophes » (Laurent Bloch, Systèmes d'information, obstacles et succès, Vuibert, 2005).
« Jean-Paul Sartre ne s'est jamais résigné à la vie sociale telle qu'il l'observait, telle qu'il la jugeait, indigne de l'idée qu'il se faisait de la destination humaine (...) Nous avions tous deux médité sur le choix que chacun fait de soi-même, une fois pour toutes, mais aussi avec la permanente liberté de se convertir. Il n'a jamais renoncé à l'espérance d'une sorte de conversion des hommes tous ensemble. Mais l'entre-deux, les institutions, entre l'individu et l'humanité, il ne l'a jamais pensé, intégré à son système » (Raymond Aron, Mémoires, Robert Laffont, 2010 p. 954).
« L’entreprise n’obéit pas uniquement à une rationalité marchande. En externe, elle intervient bel et bien sur différents marchés à la recherche de profits pécuniaires, selon la loi de l’offre et de la demande. Mais, en interne, elle est avant tout un collectif humain assujetti à un mode singulier d’exercice du pouvoir, le management, forgé précisément en réaction aux mécanismes de coordination par le marché. La gestion peut être mise au service du capitalisme, cela n’affecte pas substantiellement sa nature non marchande » (Thibault Le Texier, Le maniement des hommes, essai sur la rationalité managériale, La découverte, 2015).
« Meine Eigenliebe sagt mir, man habe mich unwiderleglich gefunden ; meine Zweifelsucht dagegen flüstert mir zu, man achte mich zu gering, um mich eine Widerlegung zu würdigen. »
« L'amour-propre me dit que l'on a jugé mon argumentation irréfutable. Le doute intime me chuchote par contre que l'on ne m'accorde pas assez d'importance pour me faire l'honneur d'une contradiction. » (Friedrich List, Das nationale System der politischen Ökonomie, 1841, p. XXI)
« Nichts ist natürlicher, als daß Autoren, die bloß ihre Vorgänger abgeschrieben oder erläutert und all’ ihr Wissen aus Büchern geschöpft haben, höchlich beunruhigt und verblüfft werden, wenn ihnen lebendige, ihrem Schulwissen widerstreitende Ehrfahrungen und ganz neue Ideen gegenübertreten. »
« Rien n'est plus naturel, pour des auteurs qui n'ont fait que recopier leurs prédécesseurs et dont tout le savoir provient des livres, que d'être profondément inquiet et perplexe quand ils sont confrontés à des expériences tirées de la vie, à de nouvelles idées qui contredisent leur savoir scolaire. » (Friedrich List, Das nationale System der politischen Ökonomie, 1841, p. XXIX)
« Je rascher der Geist industrieller Erfindung und Verbesserung, der Geist gesellschaftlicher und politischer Vervollkommung vorwärts schreitet, desto größer wird der Abstand zwischen den stillstehenden und den fortschreitenden Nationen, desto gefährlicher das Zurückbleiben. »
« Plus l'esprit d'invention et d'innovation industrielle est vif, plus l'esprit du progrès sociétal et politique va de l'avant, plus se creuse le fossé entre les nations qui avancent et celles qui restent sur place, plus il est dangereux de prendre du retard. » (Friedrich List, Das nationale System der politischen Ökonomie, 1841, p. 1)
« Unfortunately, it seems to be much easier to condition human behavior and to make people conduct themselves in the most unexpected and outrageous manner, than it is to persuade anybody to learn from experience, as the saying goes; that is, to start thinking and judging instead of applying categories and formulas which are deeply ingrained in our mind, but whose basis of experience has long been forgotten and whose plausibility resides in their intellectual consistency rather than in their adequacy to actual events » (Hannah Arendt, « Personal Responsibility Under Dictatorship », 1964).
« The theologians who declined, when invited, to look through Galileo’s telescopes, were certainly scholastics, and therefore already, as they thought, in possession of sufficient knowledge about the material universe. If Galileo’s findings agreed with Aristotle and St Thomas there was non point in looking through the telescope; il they did not they must be wrong » (Joseph Needham, Science and Civilisation in China, Cambridge University Press 1991, vol. 2 p. 90).
« Ce n'est pas avec des 5 %, des 10 % de bénéfice, mais avec des centaines pour cent et des milliers pour cent que se sont faites les fortunes du Lancashire » (Eric Hobsbawm, L'ère des révolutions , 1970).Ce n'est pas avec des 5 %, des 10 % de bénéfice, mais avec des centaines pour cent et des milliers pour cent que se sont faites les fortunes du Lancashire » (Eric Hobsbawm, L'ère des révolutions, 1970).
Ce que Richard Feynman appelait la « pretentious science » : « The work is always, (1) completely un-understandable, (2) vague and indefinite, (3) something correct that is obvious and self-evident, worked out by a long and difficult analysis, and presented as an important discovery, or (4) a claim based on the stupidity of the author that some obvious and correct fact, accepted and checked for years is, in fact, false (these are the worst : no argument will convince the idiot), (5) an attempt to do something, probably impossible, but certainly of no utility, which, it is finally revealed at the end, fails or (6) just plain wrong. » (James Gleick, Genius, Vintage Books, 1992, p. 353).
« L’homme de devoir finira par remplir son devoir envers le diable lui-même, Der Mann der Pflicht wird schließlich auch noch dem Teufel gegenüber seine Pflicht erfüllen müssen », Dietrich Bonhoeffer (1906-1945), Widerstand und Ergebung, Eberhard Bethge 1955, p. 13.
« Consider what effects, that might conceivably have practical bearings, we conceive the object of our conception to have. Then, our conception of these effects is the whole of our conception of the object. » (Charles Sanders Peirce, « How to Make Our Ideas Clear », 1878)
« Vingt ans d'expérience n'ont fait que me fortifier dans les convictions ci-après :
"Il existe un petit nombre de principes fondamentaux de la guerre, dont on ne saurait s'écarter sans danger, et dont l'application au contraire a été presque en tout temps conronnée de succès.
"Les maximes d'application dérivant de ces principes sont elles aussi en petit nombre, et, si elles se trouvent quelquefois modifiées selon les circonstances, elles peuvent néanmoins servir en général de boussole à un chef d'armée pour le guider dans la tâche, toujours difficile et compliquée, de conduire de grandes opérations au milieu du fracas et du tumulte des combats.
"Le génie naturel saura sans doute, par des inspirations heureuses, appliquer les principes aussi bien que pourrait le faire la théorie la plus étudiée ; mais une théorie simple, dégagée de tout pédantisme, remontant aux causes sans donner de systèmes absolus, basée en un mot sur quelques maximes fondamentales, suppléera souvent au génie, et servira même à étendre son développement en augmentant sa confiance dans ses propres inspirations.
"De toutes les théories de l'art de la guerre, la seule raisonnable est celle qui, fondée sur l'étude de l'histoire militaire, admet un certain nombre de principes régulateurs, mais laisse au génie naturel la plus grande part dans la conduite générale d'une guerre, sans l'enchaîner par des règles exclusives.
"Au contraire, rien n'est plus propre à tuer le génie naturel et à faire triompher l'erreur, que ces théories pédantesques, basées sur la fausse idée que la guerre est une science positive dont toutes les opérations peuvent être réduites à des calculs infaillibles.
"Enfin, les ouvrages métaphysiques et sceptiques de quelques écrivains ne réussiront pas non plus à faire croire qu'il n'existe aucune règle de guerre, car leurs écrits ne prouvent absolument rien contre des maximes appuyées sur les plus brillants faits d'armes modernes, et justifiées par les raisonnements même de ceux qui croient les combattre." » (Antoine-Henri Jomini, Précis de l'art de la guerre, Ivrea, 1994, p. 14)
"Rien n'est plus commun que les bonnes choses : il n'est question que de les discerner ; et il est certain qu'elles sont toutes naturelles et à notre portée, et même connues de tout le monde. Mais on ne sait pas les distinguer. Ceci est universel. Ce n'est pas dans les choses extraordinaires et bizarres que se trouve l'excellence de quelque genre que ce soit. On s'élève pour y arriver, et on s'en éloigne : il faut le plus souvent s'abaisser. Les meilleurs livres sont ceux que ceux qui les lisent croient qu'ils auraient pu faire. La nature, qui seule est bonne, est toute familière et commune.
"Je ne fais donc pas de doute que ces règles, étant les véritables, ne doivent être simples, naïves, naturelles, comme elles le sont. Ce n'est pas barbara et baralipton qui forment le raisonnement. Il ne faut pas guinder l'esprit ; les matières tendues et pénibles le remplissent d'une sotte présomption par une élévation étrangère et ridicule au lieu d'une nourriture solide et vigoureuse. Et l'une des raisons principales qui éloignent autant ceux qui entrent dans ces connaissances du véritable chemin qu'ils doivent suivre, est l'imagination qu'on prend d'abord que les bonnes choses sont inaccessibles, en leur donnant le nom de grandes, hautes, élevées, sublimes. Cela perd tout. Je voudrais les nommer basses, communes, familières : ces noms-là leur conviennent mieux ; je hais ces mots d'enflure..." (Blaise Pascal, "De l'esprit géométrique et de l'art de persuader", in Oeuvres complètes, ed. Pléiade, Gallimard, Pléiade, 1954, p. 602).
« It is, I believe, only possible to save anything from (…) the wreckage of the greater part of the general equilibrium theory if we can assume that the markets confronting most of the firms (…) do not differ greatly from perfectly competitive markets (…) and if we can suppose that the percentages by which prices exceed marginal costs are neither very large nor very variable » (John Hicks, Value and Capital, Oxford University Press, 1939, p. 84).
« Floating point computation is by nature inexact, and programmers can easily misuse it so that the computer answers consist almost entirely of "noise". One of the principal problems of numerical analysis is to determine how accurate the results of certain numerical methods will be. There's a credibility gap : We don't know how much of the computer's answers to believe. Novice computer users solve this problem by implicitly trusting in the computer as an infallible authority ; they tend to believe that all digits of a printed answer are significant. Disillusioned computer users have just the opposite approach : they are constantly afraid that their answers are almost meaningless. Many serious mathematicians have attempted to analyze a sequence of floating point operations rigorously, but have found the task so formidable that they have tried to be content with plausibility arguments instead ».
Le calcul en virgule flottante est par nature inexact, et les programmeurs peuvent facilement s'y prendre de telle sorte que la réponse de l'ordinateur sera purement aléatoire. L'un des problèmes les plus importants de l'analyse numérique est d'évaluer l'exactitude des résultats de certaines méthodes de calcul. Il y a là un fossé de crédibilité : nous ne savons pas dans quelle mesure nous devons faire confiance à l'ordinateur. Les utilisateurs novices résolvent ce problème en considérant implicitement l'ordinateur comme une autorité infaillible ; ils ont tendance à croire que tous les chiffres d'un résultat imprimé sont significatifs. Les utilisateurs désillusionnés ont l'approche radicalement contraire : ils craignent toujours que les résultats n'aient aucun sens. Beaucoup de mathématiciens qualifiés ont tenté d'analyser rigoureusement une suite de calculs en virgule flottante, mais ils ont trouvé la tâche si écrasante qu'ils ont tenté de se contenter de pures indications de vraisemblance.
(Donald E. Knuth, The Art of Computer programming, Addison Wesley 1998, vol. 2 p. 229).
« Fondamentalement, l’ordinateur et l’homme sont les deux opposés les plus intégraux qui existent. L’homme est lent, peu rigoureux et très intuitif. L’ordinateur est super rapide, très rigoureux et complètement con » (Gérard Berry, professeur d'informatique au Collège de France, entretien avec Rue89, 26 août 2016).
« The hope is that, in not too many years, human brains and computing machines will be coupled together very tightly, and that the resulting partnership will think as no human brain has ever thought and process data in a way not approached by the information-handling machines we know today »
« Nous espérons que dans peu d'années les cerveaux humains et les ordinateurs seront étroitement accouplés : leur partenariat pensera comme aucun cerveau humain n'avait pensé auparavant et traitera les données bien mieux que ne le font actuellement les machines de traitement de l'information »
(Joseph Licklider, « Man Computer Symbiosis », IRE Transactions on Human Factors in Electronics, mars 1960).
« [The IBM machine] was anything but intelligent. It was as intelligent as your alarm clock. A very expensive one, a $10 million alarm clock, but still an alarm clock. Very poweful -- brute force, with little chess knowledge. But chess proved to be vulnerable to the brute force: it could be crunched once hardware got fast enough and databases got big enough and algorithms got smart enough »
« [La machine IBM&] était tout sauf intelligente. Elle était aussi intelligente que votre réveille-matin. Il est très coûteux, il coûte 10 millions de dollars, mais ce n'est qu'un réveille-matin : très puissant, de la force brute, avec peu de connaissance des échecs. Mais les échecs se sont révélés vulnérables à la force brute : ils ont pu être dominés une fois le processeur assez rapide, les bases de données assez volumineuses, les algorithmes assez puissants » (Gary Kasparov et Mig Greengard, Deep Thinking: Where Machine Intelligence Ends and Human Creativity Begins, Public Affairs, 2017).
« The strongest chess player today is neither a human, nor a computer, but a human team using computers »
« Le meilleur joueur d'échecs n'est aujourd'hui ni un humain, ni un ordinateur, mais une équipe d'humains utilisant des ordinateurs » (Devdatt Dubhashi et Shalom Lappin, « AI Dangers: Imagined and Real », Communications of the ACM, février 2017).
« In mathematics we are usually concerned with declarative (what is) descriptions, whereas in computer science we are usually concerned with imperative (how to) descriptions »
« En mathématiques on part de définitions (qu'est-ce que c'est ?) tandis qu'en informatique on part d'une action (comment faire ?) » (Harold Abelson et Gerald Jay Sussman, Structure and Interpretation of Computer Programs, MIT Press, 2001, p. 22).
« La culture s'est constituée en système de défense contre les techniques ; or, cette défense se présente comme une défense de l'homme, supposant que les objets techniques ne contiennent pas de réalité humaine. Nous voudrions montrer que la culture ignore dans la réalité technique une réalité humaine, et que, pour jouer son rôle complet, la culture doit incorporer les êtres techniques sous forme de connaissance et de sens des valeurs » (Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Aubier, 1958, p. 9).
« L'information n'est pas une chose, mais l'opération d'une chose arrivant dans un système et y produisant une transformation. L'information ne peut pas se définir en dehors de cet acte d'incidence transformatrice et de l'opération de réception » (Gilbert Simondon, Communication et information, Les éditions de la transparence, 2010).
« Au-dessus de la communauté sociale de travail, au delà de la relation interindividuelle qui n'est pas supportée par une activité opératoire, s'institue un univers mental et pratique de la technicité dans lequel les êtres humains communiquent à travers ce qu'ils inventent. L'objet technique pris selon son essence, c'est-à-dire en tant qu'il a été inventé, pensé et voulu, assumé par un sujet humain, devient le support et le symbole de cette relation transindividuelle » (Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Aubier, 1958, p. 335).
« C'est la culture qui gouverne l'homme, même si cet homme gouverne d'autres hommes et des machines. Or, cette culture est élaborée par la grande masse de ceux qui sont gouvernés ; si bien que le pouvoir exercé par un homme ne vient pas de lui à proprement parlé, mais se cristallise et se concrétise seulement en lui : il vient des hommes gouvernés et y retourne » (Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Aubier, 1958, p. 207).
« Un professeur de l'ESCP a fait une étude sur près de 300 entreprises dans le monde. Il démontre que 9 % des collaborateurs s'arrachent pour faire avancer les choses, 71 % n'en ont rien à faire et 20 % font tout pour empêcher les 9 % précédents d'avancer » (Georges Epinette, Antémémoires d'un dirigeant autodidacte, Cigref-Nuvis, 2016, p. 24).
« Les approches bureaucratiques ignorantes de la nature du travail cherchent à éliminer toute pensée, activité coûteuse dont la rentabilité n'est pas immédiatement perceptible. D'où l'échec que le « perfectionnement » des procédures ne fera qu'amplifier. L'application trop systématique d'idées parfaitement logiques peut engendrer des catastrophes » (Laurent Bloch, Systèmes d'information, obstacles et succès, Vuibert, 2005).
« Jean-Paul Sartre ne s'est jamais résigné à la vie sociale telle qu'il l'observait, telle qu'il la jugeait, indigne de l'idée qu'il se faisait de la destination humaine (...) Nous avions tous deux médité sur le choix que chacun fait de soi-même, une fois pour toutes, mais aussi avec la permanente liberté de se convertir. Il n'a jamais renoncé à l'espérance d'une sorte de conversion des hommes tous ensemble. Mais l'entre-deux, les institutions, entre l'individu et l'humanité, il ne l'a jamais pensé, intégré à son système » (Raymond Aron, Mémoires, Robert Laffont, 2010 p. 954).
« L’entreprise n’obéit pas uniquement à une rationalité marchande. En externe, elle intervient bel et bien sur différents marchés à la recherche de profits pécuniaires, selon la loi de l’offre et de la demande. Mais, en interne, elle est avant tout un collectif humain assujetti à un mode singulier d’exercice du pouvoir, le management, forgé précisément en réaction aux mécanismes de coordination par le marché. La gestion peut être mise au service du capitalisme, cela n’affecte pas substantiellement sa nature non marchande » (Thibault Le Texier, Le maniement des hommes, essai sur la rationalité managériale, La découverte, 2015).
« Meine Eigenliebe sagt mir, man habe mich unwiderleglich gefunden ; meine Zweifelsucht dagegen flüstert mir zu, man achte mich zu gering, um mich eine Widerlegung zu würdigen. »
« L'amour-propre me dit que l'on a jugé mon argumentation irréfutable. Le doute intime me chuchote par contre que l'on ne m'accorde pas assez d'importance pour me faire l'honneur d'une contradiction. » (Friedrich List, Das nationale System der politischen Ökonomie, 1841, p. XXI)
« Nichts ist natürlicher, als daß Autoren, die bloß ihre Vorgänger abgeschrieben oder erläutert und all’ ihr Wissen aus Büchern geschöpft haben, höchlich beunruhigt und verblüfft werden, wenn ihnen lebendige, ihrem Schulwissen widerstreitende Ehrfahrungen und ganz neue Ideen gegenübertreten. »
« Rien n'est plus naturel, pour des auteurs qui n'ont fait que recopier leurs prédécesseurs et dont tout le savoir provient des livres, que d'être profondément inquiet et perplexe quand ils sont confrontés à des expériences tirées de la vie, à de nouvelles idées qui contredisent leur savoir scolaire. » (Friedrich List, Das nationale System der politischen Ökonomie, 1841, p. XXIX)
« Je rascher der Geist industrieller Erfindung und Verbesserung, der Geist gesellschaftlicher und politischer Vervollkommung vorwärts schreitet, desto größer wird der Abstand zwischen den stillstehenden und den fortschreitenden Nationen, desto gefährlicher das Zurückbleiben. »
« Plus l'esprit d'invention et d'innovation industrielle est vif, plus l'esprit du progrès sociétal et politique va de l'avant, plus se creuse le fossé entre les nations qui avancent et celles qui restent sur place, plus il est dangereux de prendre du retard. » (Friedrich List, Das nationale System der politischen Ökonomie, 1841, p. 1)
« Unfortunately, it seems to be much easier to condition human behavior and to make people conduct themselves in the most unexpected and outrageous manner, than it is to persuade anybody to learn from experience, as the saying goes; that is, to start thinking and judging instead of applying categories and formulas which are deeply ingrained in our mind, but whose basis of experience has long been forgotten and whose plausibility resides in their intellectual consistency rather than in their adequacy to actual events » (Hannah Arendt, « Personal Responsibility Under Dictatorship », 1964).
« The theologians who declined, when invited, to look through Galileo’s telescopes, were certainly scholastics, and therefore already, as they thought, in possession of sufficient knowledge about the material universe. If Galileo’s findings agreed with Aristotle and St Thomas there was non point in looking through the telescope; il they did not they must be wrong » (Joseph Needham, Science and Civilisation in China, Cambridge University Press 1991, vol. 2 p. 90).
« Ce n'est pas avec des 5 %, des 10 % de bénéfice, mais avec des centaines pour cent et des milliers pour cent que se sont faites les fortunes du Lancashire » (Eric Hobsbawm, L'ère des révolutions , 1970).Ce n'est pas avec des 5 %, des 10 % de bénéfice, mais avec des centaines pour cent et des milliers pour cent que se sont faites les fortunes du Lancashire » (Eric Hobsbawm, L'ère des révolutions, 1970).
Ce que Richard Feynman appelait la « pretentious science » : « The work is always, (1) completely un-understandable, (2) vague and indefinite, (3) something correct that is obvious and self-evident, worked out by a long and difficult analysis, and presented as an important discovery, or (4) a claim based on the stupidity of the author that some obvious and correct fact, accepted and checked for years is, in fact, false (these are the worst : no argument will convince the idiot), (5) an attempt to do something, probably impossible, but certainly of no utility, which, it is finally revealed at the end, fails or (6) just plain wrong. » (James Gleick, Genius, Vintage Books, 1992, p. 353).
« L’homme de devoir finira par remplir son devoir envers le diable lui-même, Der Mann der Pflicht wird schließlich auch noch dem Teufel gegenüber seine Pflicht erfüllen müssen », Dietrich Bonhoeffer (1906-1945), Widerstand und Ergebung, Eberhard Bethge 1955, p. 13.
« Consider what effects, that might conceivably have practical bearings, we conceive the object of our conception to have. Then, our conception of these effects is the whole of our conception of the object. » (Charles Sanders Peirce, « How to Make Our Ideas Clear », 1878)
« Vingt ans d'expérience n'ont fait que me fortifier dans les convictions ci-après :
"Il existe un petit nombre de principes fondamentaux de la guerre, dont on ne saurait s'écarter sans danger, et dont l'application au contraire a été presque en tout temps conronnée de succès.
"Les maximes d'application dérivant de ces principes sont elles aussi en petit nombre, et, si elles se trouvent quelquefois modifiées selon les circonstances, elles peuvent néanmoins servir en général de boussole à un chef d'armée pour le guider dans la tâche, toujours difficile et compliquée, de conduire de grandes opérations au milieu du fracas et du tumulte des combats.
"Le génie naturel saura sans doute, par des inspirations heureuses, appliquer les principes aussi bien que pourrait le faire la théorie la plus étudiée ; mais une théorie simple, dégagée de tout pédantisme, remontant aux causes sans donner de systèmes absolus, basée en un mot sur quelques maximes fondamentales, suppléera souvent au génie, et servira même à étendre son développement en augmentant sa confiance dans ses propres inspirations.
"De toutes les théories de l'art de la guerre, la seule raisonnable est celle qui, fondée sur l'étude de l'histoire militaire, admet un certain nombre de principes régulateurs, mais laisse au génie naturel la plus grande part dans la conduite générale d'une guerre, sans l'enchaîner par des règles exclusives.
"Au contraire, rien n'est plus propre à tuer le génie naturel et à faire triompher l'erreur, que ces théories pédantesques, basées sur la fausse idée que la guerre est une science positive dont toutes les opérations peuvent être réduites à des calculs infaillibles.
"Enfin, les ouvrages métaphysiques et sceptiques de quelques écrivains ne réussiront pas non plus à faire croire qu'il n'existe aucune règle de guerre, car leurs écrits ne prouvent absolument rien contre des maximes appuyées sur les plus brillants faits d'armes modernes, et justifiées par les raisonnements même de ceux qui croient les combattre." » (Antoine-Henri Jomini, Précis de l'art de la guerre, Ivrea, 1994, p. 14)
"Rien n'est plus commun que les bonnes choses : il n'est question que de les discerner ; et il est certain qu'elles sont toutes naturelles et à notre portée, et même connues de tout le monde. Mais on ne sait pas les distinguer. Ceci est universel. Ce n'est pas dans les choses extraordinaires et bizarres que se trouve l'excellence de quelque genre que ce soit. On s'élève pour y arriver, et on s'en éloigne : il faut le plus souvent s'abaisser. Les meilleurs livres sont ceux que ceux qui les lisent croient qu'ils auraient pu faire. La nature, qui seule est bonne, est toute familière et commune.
"Je ne fais donc pas de doute que ces règles, étant les véritables, ne doivent être simples, naïves, naturelles, comme elles le sont. Ce n'est pas barbara et baralipton qui forment le raisonnement. Il ne faut pas guinder l'esprit ; les matières tendues et pénibles le remplissent d'une sotte présomption par une élévation étrangère et ridicule au lieu d'une nourriture solide et vigoureuse. Et l'une des raisons principales qui éloignent autant ceux qui entrent dans ces connaissances du véritable chemin qu'ils doivent suivre, est l'imagination qu'on prend d'abord que les bonnes choses sont inaccessibles, en leur donnant le nom de grandes, hautes, élevées, sublimes. Cela perd tout. Je voudrais les nommer basses, communes, familières : ces noms-là leur conviennent mieux ; je hais ces mots d'enflure..." (Blaise Pascal, "De l'esprit géométrique et de l'art de persuader", in Oeuvres complètes, ed. Pléiade, Gallimard, Pléiade, 1954, p. 602).
« It is, I believe, only possible to save anything from (…) the wreckage of the greater part of the general equilibrium theory if we can assume that the markets confronting most of the firms (…) do not differ greatly from perfectly competitive markets (…) and if we can suppose that the percentages by which prices exceed marginal costs are neither very large nor very variable » (John Hicks, Value and Capital, Oxford University Press, 1939, p. 84).
« Floating point computation is by nature inexact, and programmers can easily misuse it so that the computer answers consist almost entirely of "noise". One of the principal problems of numerical analysis is to determine how accurate the results of certain numerical methods will be. There's a credibility gap : We don't know how much of the computer's answers to believe. Novice computer users solve this problem by implicitly trusting in the computer as an infallible authority ; they tend to believe that all digits of a printed answer are significant. Disillusioned computer users have just the opposite approach : they are constantly afraid that their answers are almost meaningless. Many serious mathematicians have attempted to analyze a sequence of floating point operations rigorously, but have found the task so formidable that they have tried to be content with plausibility arguments instead ».
Le calcul en virgule flottante est par nature inexact, et les programmeurs peuvent facilement s'y prendre de telle sorte que la réponse de l'ordinateur sera purement aléatoire. L'un des problèmes les plus importants de l'analyse numérique est d'évaluer l'exactitude des résultats de certaines méthodes de calcul. Il y a là un fossé de crédibilité : nous ne savons pas dans quelle mesure nous devons faire confiance à l'ordinateur. Les utilisateurs novices résolvent ce problème en considérant implicitement l'ordinateur comme une autorité infaillible ; ils ont tendance à croire que tous les chiffres d'un résultat imprimé sont significatifs. Les utilisateurs désillusionnés ont l'approche radicalement contraire : ils craignent toujours que les résultats n'aient aucun sens. Beaucoup de mathématiciens qualifiés ont tenté d'analyser rigoureusement une suite de calculs en virgule flottante, mais ils ont trouvé la tâche si écrasante qu'ils ont tenté de se contenter de pures indications de vraisemblance.
(Donald E. Knuth, The Art of Computer programming, Addison Wesley 1998, vol. 2 p. 229).
jeudi 2 mars 2017
Un robot n'est pas une personne, une personne n'est pas un robot
Mon ami Pierre Berger n'est pas d'accord avec ce que j'ai écrit dans « Taxer les robots serait une faute historique » : « on peut très bien considérer, dit-il, qu'un robot a une intention propre. N'importe quel objet physique a une intention propre : continuer d'exister ou de se mouvoir selon les lois de Newton... »
Selon Pierre Berger des choses (une pierre, une goutte d'eau, etc.) peuvent avoir des intentions et donc penser : la « chose qui pense » étant pour lui une réalité (alors qu'elle est pour moi une chimère), il ne peut pas concevoir ce qui distingue un robot d'une personne.
Chacun est libre de choisir la façon dont il voit le monde et l'animisme, qui attribue une âme aux choses, enchante l'imagination poétique et la rêverie. Je ne critiquerai donc pas le point de vue de Pierre Berger mais il me semble qu'il l'empêche de voir certaines choses.
Le fait est que les systèmes d'information ont fait apparaître un être nouveau dans les institutions : l'« être humain augmenté », désormais porteur de la compétence individuelle et qui résulte de la symbiose de la personne et de l'automate, ordinateur ou robot.
Pour réussir cette symbiose les institutions doivent savoir organiser l'action conjointe de la personne et de l'automate en attribuant à chacun des deux les tâches qu'il fait mieux que l'autre : tandis que notre cerveau sait interpréter des situations particulières, se débrouiller devant l'imprévu, concevoir des idées et des choses nouvelles, l'automate exécute plus vite et plus exactement que nous ne pouvons le faire la suite d'instructions que comporte son programme.
Les systèmes d'information organisent en outre le réseau qui assure la synergie des compétences individuelles. Cette synergie, qui procure son efficacité à l'action collective, ne peut s'instaurer que si les organisateurs tiennent compte du fait que chacune des compétences individuelles résulte de la symbiose d'une personne et de l'automate.
Pour pouvoir réussir cette symbiose il faut savoir penser ce qui distingue l'automate et la personne mais qui est invisible si l'on postule que l'automate est une personne, car alors on ne peut plus concevoir en quoi ils diffèrent.
Si l'on nie la différence entre le robot et la personne, il sera en outre naturel de considérer les personnes comme des robots et donc d'attendre d'elles qu'elles agissent en exécutant un programme. C'est ce que font les entreprises qui téléguident l'action de leurs agents en l'enfermant dans des consignes détaillées et strictes : elles croient qu'ils répugneraient à prendre des initiatives, à faire preuve de créativité et de responsabilité, etc., alors qu'en fait c'est elles qui sont incapables de leur déléguer la légitimité qui le permettrait.
C'est ainsi que l'on rencontre, derrière les guichets de la SNCF, des impôts, de la sécurité sociale, des banques, etc., des agents auxquels un système d'information interdit d'user de leur bon sens en face du client qui présente un cas particulier. Ces institutions tournent le dos à l'efficacité en gaspillant une ressource naturelle, l'intelligence de leurs agents.
Les régimes totalitaires ont assimilé les personnes aux machines : ils ont ambitionné de créer un « homme nouveau » qui comme elles serait puissant, précis, infatigable et impitoyable. Ceux qui assimilent aujourd'hui les robots aux personnes, et donc les personnes aux robots, annoncent le retour de ce totalitarisme.
Selon Pierre Berger des choses (une pierre, une goutte d'eau, etc.) peuvent avoir des intentions et donc penser : la « chose qui pense » étant pour lui une réalité (alors qu'elle est pour moi une chimère), il ne peut pas concevoir ce qui distingue un robot d'une personne.
Chacun est libre de choisir la façon dont il voit le monde et l'animisme, qui attribue une âme aux choses, enchante l'imagination poétique et la rêverie. Je ne critiquerai donc pas le point de vue de Pierre Berger mais il me semble qu'il l'empêche de voir certaines choses.
Le fait est que les systèmes d'information ont fait apparaître un être nouveau dans les institutions : l'« être humain augmenté », désormais porteur de la compétence individuelle et qui résulte de la symbiose de la personne et de l'automate, ordinateur ou robot.
Pour réussir cette symbiose les institutions doivent savoir organiser l'action conjointe de la personne et de l'automate en attribuant à chacun des deux les tâches qu'il fait mieux que l'autre : tandis que notre cerveau sait interpréter des situations particulières, se débrouiller devant l'imprévu, concevoir des idées et des choses nouvelles, l'automate exécute plus vite et plus exactement que nous ne pouvons le faire la suite d'instructions que comporte son programme.
Les systèmes d'information organisent en outre le réseau qui assure la synergie des compétences individuelles. Cette synergie, qui procure son efficacité à l'action collective, ne peut s'instaurer que si les organisateurs tiennent compte du fait que chacune des compétences individuelles résulte de la symbiose d'une personne et de l'automate.
Pour pouvoir réussir cette symbiose il faut savoir penser ce qui distingue l'automate et la personne mais qui est invisible si l'on postule que l'automate est une personne, car alors on ne peut plus concevoir en quoi ils diffèrent.
Si l'on nie la différence entre le robot et la personne, il sera en outre naturel de considérer les personnes comme des robots et donc d'attendre d'elles qu'elles agissent en exécutant un programme. C'est ce que font les entreprises qui téléguident l'action de leurs agents en l'enfermant dans des consignes détaillées et strictes : elles croient qu'ils répugneraient à prendre des initiatives, à faire preuve de créativité et de responsabilité, etc., alors qu'en fait c'est elles qui sont incapables de leur déléguer la légitimité qui le permettrait.
C'est ainsi que l'on rencontre, derrière les guichets de la SNCF, des impôts, de la sécurité sociale, des banques, etc., des agents auxquels un système d'information interdit d'user de leur bon sens en face du client qui présente un cas particulier. Ces institutions tournent le dos à l'efficacité en gaspillant une ressource naturelle, l'intelligence de leurs agents.
Les régimes totalitaires ont assimilé les personnes aux machines : ils ont ambitionné de créer un « homme nouveau » qui comme elles serait puissant, précis, infatigable et impitoyable. Ceux qui assimilent aujourd'hui les robots aux personnes, et donc les personnes aux robots, annoncent le retour de ce totalitarisme.
lundi 20 février 2017
L'iconomie
(Ce texte est une annexe à la Lettre ouverte aux candidats à l'élection présidentielle).
Le « numérique », le « cyber », l'« intelligence artificielle », le « big data », l'« internet des objets », etc., sont autant de manifestations de l'informatisation. L'iconomie est le schéma d'une société et d'une économie informatisées par hypothèse efficaces.
Ce schéma offre un repère pour orienter la politique économique de l'État et la stratégie des entreprises. L'institut de l'iconomie s'emploie à le développer afin de mettre en évidence les conditions nécessaires de l'efficacité. En voici les principaux éléments :
Cerveau d’œuvre
* Dans l'iconomie les tâches répétitives physiques ou mentales sont automatisées.
* L'activité des agents se concentre sur les tâches qui exigent créativité et discernement : conception des produits et ingénierie de leur production d'une part, services aux consommateurs et utilisateurs d'autre part.
* La conception et la programmation des automates, activités humaines, accumulent une « intelligence artificielle » que le système d'information associe dans l'action productive aux initiatives des agents. L'« être humain augmenté », unité de base des organisations, s'appuie ainsi sur la synergie du cerveau humain et de la ressource informatique.
* La main d'oeuvre est remplacée par le cerveau d'œuvre auquel l'entreprise reconnaît la légitimité (droit à l'erreur, droit à l'écoute) qui correspond aux responsabilités qu'elle lui délègue. L'iconomie est une économie de la compétence et la synergie des compétences individuelles s'appuie sur le système d'information.
Monopoles temporaires
* Les contraintes qu'imposent l'espace et le temps sont pratiquement abolies car le manteau de la ressource informatique s'étend instantanément sur le monde entier.
* L'iconomie est une économie de la qualité, la concurrence se faisant selon le rapport « qualité subjective/prix ». Le marché de chaque produit obéit au régime de la concurrence monopolistique : chaque entreprise définit les attributs qualitatifs de son produit afin de conquérir un monopole temporaire sur un segment mondial des besoins.
* Chaque produit est un assemblage de biens et de services, ou de services seulement. La plupart des produits sont élaborés par un partenariat d'entreprises. Le système d'information assure la cohésion des biens et services ainsi que l'interopérabilité du partenariat. La qualité d'un produit dépend principalement de celle des services qu'il comporte.
* Alors que les besoins des consommateurs et utilisateurs peuvent être saturés en termes de quantité, ils n'ont aucune limite en termes de qualité : le potentiel de la croissance qualitative est donc illimité. Elle respecte les exigences de l'écologie.
* Le système éducatif s'ajuste avec souplesse pour former les compétences nécessaires à la conception des produits et à la qualité des services. Il accorde une place importante à l'enseignement de l'informatique.
* Le plein emploi étant assuré, la société s'appuie sur une classe moyenne nombreuse.
Régulation des risques
* L'essentiel du coût de production des biens réside dans la conception et la programmation des automates. Cet investissement étant effectué avant que le produit ne soit mis sur le marché, l'iconomie est l'économie du risque maximum.
* La régulation de l'iconomie maîtrise la violence de la concurrence monopolistique et anime la croissance qualitative en réglant la durée des monopoles temporaires.
Le « numérique », le « cyber », l'« intelligence artificielle », le « big data », l'« internet des objets », etc., sont autant de manifestations de l'informatisation. L'iconomie est le schéma d'une société et d'une économie informatisées par hypothèse efficaces.
Ce schéma offre un repère pour orienter la politique économique de l'État et la stratégie des entreprises. L'institut de l'iconomie s'emploie à le développer afin de mettre en évidence les conditions nécessaires de l'efficacité. En voici les principaux éléments :
Cerveau d’œuvre
* Dans l'iconomie les tâches répétitives physiques ou mentales sont automatisées.
* L'activité des agents se concentre sur les tâches qui exigent créativité et discernement : conception des produits et ingénierie de leur production d'une part, services aux consommateurs et utilisateurs d'autre part.
* La conception et la programmation des automates, activités humaines, accumulent une « intelligence artificielle » que le système d'information associe dans l'action productive aux initiatives des agents. L'« être humain augmenté », unité de base des organisations, s'appuie ainsi sur la synergie du cerveau humain et de la ressource informatique.
* La main d'oeuvre est remplacée par le cerveau d'œuvre auquel l'entreprise reconnaît la légitimité (droit à l'erreur, droit à l'écoute) qui correspond aux responsabilités qu'elle lui délègue. L'iconomie est une économie de la compétence et la synergie des compétences individuelles s'appuie sur le système d'information.
Monopoles temporaires
* Les contraintes qu'imposent l'espace et le temps sont pratiquement abolies car le manteau de la ressource informatique s'étend instantanément sur le monde entier.
* L'iconomie est une économie de la qualité, la concurrence se faisant selon le rapport « qualité subjective/prix ». Le marché de chaque produit obéit au régime de la concurrence monopolistique : chaque entreprise définit les attributs qualitatifs de son produit afin de conquérir un monopole temporaire sur un segment mondial des besoins.
* Chaque produit est un assemblage de biens et de services, ou de services seulement. La plupart des produits sont élaborés par un partenariat d'entreprises. Le système d'information assure la cohésion des biens et services ainsi que l'interopérabilité du partenariat. La qualité d'un produit dépend principalement de celle des services qu'il comporte.
* Alors que les besoins des consommateurs et utilisateurs peuvent être saturés en termes de quantité, ils n'ont aucune limite en termes de qualité : le potentiel de la croissance qualitative est donc illimité. Elle respecte les exigences de l'écologie.
* Le système éducatif s'ajuste avec souplesse pour former les compétences nécessaires à la conception des produits et à la qualité des services. Il accorde une place importante à l'enseignement de l'informatique.
* Le plein emploi étant assuré, la société s'appuie sur une classe moyenne nombreuse.
Régulation des risques
* L'essentiel du coût de production des biens réside dans la conception et la programmation des automates. Cet investissement étant effectué avant que le produit ne soit mis sur le marché, l'iconomie est l'économie du risque maximum.
* La régulation de l'iconomie maîtrise la violence de la concurrence monopolistique et anime la croissance qualitative en réglant la durée des monopoles temporaires.
Lettre ouverte de l'institut de l'iconomie aux candidats à l'élection présidentielles
La robotisation, l'automatisation et leurs effets sur l'emploi sont au centre des préoccupations actuelles. Ils sont aussi au cœur des réflexions de notre institut. Nous croyons utiles de les partager avec vous.
Toutes les tâches répétitives ont vocation à être automatisées, qu'elles soient physiques ou intellectuelles. Il ne faut pas le regretter : n'a-t-on pas déploré l'aliénation du travailleur contraint de répéter indéfiniment un même geste ?
Le travail humain va se focaliser sur ce qui n'est pas automatisable : travail technique (concevoir les produits, organiser leur production) et aussi travail relationnel car plus la production est automatisée, plus le besoin de relations interpersonnelles se fait ressentir. L'entreprise doit donc savoir entretenir avec ses clients une relation de personne à personne.
Par ailleurs la compétitivité se conquiert désormais par la qualité du produit, plus précisément par son rapport « qualité subjective/prix ». Cela ouvre à l'économie une perspective de croissance car si les besoins du consommateur sont limités en termes de quantité on ne peut assigner aucune limite à son exigence de qualité, d'adéquation du produit à ses besoins1.
De ce point de vue la France dispose d'un avantage qu'elle n'a pas su exploiter pleinement jusqu'à présent : elle a auprès des autres nations l'image d'un pays attentif à la qualité.
La qualité des services étant une composante essentielle de la qualité des produits, il faut former la compétence relationnelle, la reconnaître et la rémunérer convenablement.
Qualité des produits, qualité des services, respect envers les compétences : bien comprises, ces orientations peuvent permettre à la France d'atteindre le plein emploi de sa force de travail et de restaurer sa balance commerciale.
Elles font appel à un sentiment très présent chez les Français et sur lequel un responsable politique doit savoir s'appuyer : la dignité professionnelle du travailleur.
____
1 La qualité est désormais mesurable (Vincent Lorphelin, La république des entrepreneurs, Fondapol, 2017).
Toutes les tâches répétitives ont vocation à être automatisées, qu'elles soient physiques ou intellectuelles. Il ne faut pas le regretter : n'a-t-on pas déploré l'aliénation du travailleur contraint de répéter indéfiniment un même geste ?
Le travail humain va se focaliser sur ce qui n'est pas automatisable : travail technique (concevoir les produits, organiser leur production) et aussi travail relationnel car plus la production est automatisée, plus le besoin de relations interpersonnelles se fait ressentir. L'entreprise doit donc savoir entretenir avec ses clients une relation de personne à personne.
Par ailleurs la compétitivité se conquiert désormais par la qualité du produit, plus précisément par son rapport « qualité subjective/prix ». Cela ouvre à l'économie une perspective de croissance car si les besoins du consommateur sont limités en termes de quantité on ne peut assigner aucune limite à son exigence de qualité, d'adéquation du produit à ses besoins1.
De ce point de vue la France dispose d'un avantage qu'elle n'a pas su exploiter pleinement jusqu'à présent : elle a auprès des autres nations l'image d'un pays attentif à la qualité.
La qualité des services étant une composante essentielle de la qualité des produits, il faut former la compétence relationnelle, la reconnaître et la rémunérer convenablement.
Qualité des produits, qualité des services, respect envers les compétences : bien comprises, ces orientations peuvent permettre à la France d'atteindre le plein emploi de sa force de travail et de restaurer sa balance commerciale.
Elles font appel à un sentiment très présent chez les Français et sur lequel un responsable politique doit savoir s'appuyer : la dignité professionnelle du travailleur.
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1 La qualité est désormais mesurable (Vincent Lorphelin, La république des entrepreneurs, Fondapol, 2017).
Taxer les robots serait une faute historique
Taxer les robots pour protéger l'emploi semble une idée naturelle puisque le robot travaille à la place des êtres humains auxquels il se substitue. Elle est soutenue par Bill Gates, elle paraît avoir convaincu une majorité des Français.
Cependant les taxes sur le travail sont la contrepartie de prestations sociales (retraite, chômage, santé) qui n'ont aucun sens s'agissant des robots. Taxer les robots viole d'ailleurs un principe de la fiscalité : l'impôt porte sur la richesse que crée une entreprise et non sur ses équipements.
Automatiser les tâches répétitives fait passer de la main d'œuvre au cerveau d'œuvre qui implique des compétences, une formation et une organisation nouvelles. Ceux qui disent qu'il faut limiter le nombre des robots pour « protéger l'emploi » tentent donc, comme les luddites en 1811-1812, de perpétuer une forme de travail devenue obsolète. Or la France est en retard : elle ne possède que 125 robots pour 10 000 salariés dans l'industrie alors que l'Allemagne en compte 4371. Il n'est pas opportun de freiner son investissement.
Plus profondément, ceux qui voient dans le robot un travailleur semblable à l'être humain sont proches du mouvement d'idées qui postule que l'« intelligence artificielle » possède les mêmes aptitudes que l'intelligence humaine. Le robot serait une « chose qui pense », chimère qu'il est facile d'imaginer mais dont il est osé d'espérer la réalisation.
Ce mouvement d'idées s'exprime dans un rapport présenté au Parlement européen et qui propose de considérer les robots comme des personnes dotées de droits, devoirs et responsabilités. Or tandis que l'action d'une personne exprime des intentions et des valeurs un robot n'a pas d'intention propre : son action exprime les intentions et valeurs de la personne qui l'a programmé, dont elle engage la responsabilité.
L'iconomie fait apparaître un être nouveau, l'« être humain augmenté », doté de facultés inédites et capable d'actions auparavant impossibles2. L'avenir n'appartient ni à l'automatisation absolue, ni au maintien de formes d'emploi obsolètes, mais à la symbiose de l'être humain et de l'automate informatique.
Pour la réussir il faut avoir conscience de leur différence, percevoir ce que chacun peut faire mieux que l'autre afin de les articuler raisonnablement. Voir dans le robot un équivalent du travailleur humain et le taxer en conséquence, c'est inhiber et retarder les apports de cette symbiose.
Taxer les robots serait donc une faute historique.
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1 World Robotics, International Federation of Robotics, 2016.
2 « The strongest chess player today is neither a human, nor a computer, but a human team using computers. » (Devdatt Dubhashi et Shalom Lappin, « AI Dangers: Imagined and Real », Communications of the ACM, février 2017).
Cependant les taxes sur le travail sont la contrepartie de prestations sociales (retraite, chômage, santé) qui n'ont aucun sens s'agissant des robots. Taxer les robots viole d'ailleurs un principe de la fiscalité : l'impôt porte sur la richesse que crée une entreprise et non sur ses équipements.
Automatiser les tâches répétitives fait passer de la main d'œuvre au cerveau d'œuvre qui implique des compétences, une formation et une organisation nouvelles. Ceux qui disent qu'il faut limiter le nombre des robots pour « protéger l'emploi » tentent donc, comme les luddites en 1811-1812, de perpétuer une forme de travail devenue obsolète. Or la France est en retard : elle ne possède que 125 robots pour 10 000 salariés dans l'industrie alors que l'Allemagne en compte 4371. Il n'est pas opportun de freiner son investissement.
Plus profondément, ceux qui voient dans le robot un travailleur semblable à l'être humain sont proches du mouvement d'idées qui postule que l'« intelligence artificielle » possède les mêmes aptitudes que l'intelligence humaine. Le robot serait une « chose qui pense », chimère qu'il est facile d'imaginer mais dont il est osé d'espérer la réalisation.
Ce mouvement d'idées s'exprime dans un rapport présenté au Parlement européen et qui propose de considérer les robots comme des personnes dotées de droits, devoirs et responsabilités. Or tandis que l'action d'une personne exprime des intentions et des valeurs un robot n'a pas d'intention propre : son action exprime les intentions et valeurs de la personne qui l'a programmé, dont elle engage la responsabilité.
L'iconomie fait apparaître un être nouveau, l'« être humain augmenté », doté de facultés inédites et capable d'actions auparavant impossibles2. L'avenir n'appartient ni à l'automatisation absolue, ni au maintien de formes d'emploi obsolètes, mais à la symbiose de l'être humain et de l'automate informatique.
Pour la réussir il faut avoir conscience de leur différence, percevoir ce que chacun peut faire mieux que l'autre afin de les articuler raisonnablement. Voir dans le robot un équivalent du travailleur humain et le taxer en conséquence, c'est inhiber et retarder les apports de cette symbiose.
Taxer les robots serait donc une faute historique.
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1 World Robotics, International Federation of Robotics, 2016.
2 « The strongest chess player today is neither a human, nor a computer, but a human team using computers. » (Devdatt Dubhashi et Shalom Lappin, « AI Dangers: Imagined and Real », Communications of the ACM, février 2017).
mardi 24 janvier 2017
Les informaticiens et les systèmes d'information
Certains informaticiens s'intéressent aux systèmes d'information, d'autres non.
Il m'est arrivé de participer à des réunions où d'honorables académiciens débattent sur le programme d'un enseignement de l'informatique dans le secondaire. Je leur conseille d'y introduire la conception du système d'information de la classe : gestion d'une bibliothèque de prêt, du cahier de textes, du cahier de notes, de la correspondance avec les parents, documentation des cours, etc.
Cela permettrait aux élèves de voir à quoi l'informatique peut servir. Cette idée est toujours jugée excellente mais elle est oubliée par la suite : je ne la retrouve dans aucun des textes consacrés à ce programme.
La réaction exaspérée d'un de mes amis – grand informaticien qui m'a appris une foule de choses et à qui je dois beaucoup – m'a indiqué la piste d'une explication sur laquelle nous reviendrons.
Le phénomène est général. L'excellent cours d'informatique donné au Collège de France par Gérard Berry ne contient aucune allusion aux systèmes d'information. Donald Knuth ne leur a pas consacré une ligne dans son monumental traité sur l'art de la programmation1. Maurice Nivat, grand théoricien de l'informatique, a été assez modeste pour me dire « ce que tu me dis sur les systèmes d'information est intéressant, je n'y connais rien ». Gilles Dowek et Serge Abiteboul viennent de publier un livre2 où l'expression « système d'information » figure, mais en passant et sans rien en dire.
Ceux des informaticiens qui ignorent les systèmes d'information s'intéressent aux algorithmes, à la structure des langages de programmation, aux compilateurs, à la conception physique et logique des processeurs et des mémoires, aux protocoles des réseaux, à l'« informatique embarquée » qui équipe les avions, automobiles, satellites et, de plus en plus, toutes les machines. Ils ne manquent donc pas de travail, ils font œuvre utile, mais les systèmes d'information sont dans la tache aveugle de leur intellect. Pourquoi ?
Il m'est arrivé de participer à des réunions où d'honorables académiciens débattent sur le programme d'un enseignement de l'informatique dans le secondaire. Je leur conseille d'y introduire la conception du système d'information de la classe : gestion d'une bibliothèque de prêt, du cahier de textes, du cahier de notes, de la correspondance avec les parents, documentation des cours, etc.
Cela permettrait aux élèves de voir à quoi l'informatique peut servir. Cette idée est toujours jugée excellente mais elle est oubliée par la suite : je ne la retrouve dans aucun des textes consacrés à ce programme.
La réaction exaspérée d'un de mes amis – grand informaticien qui m'a appris une foule de choses et à qui je dois beaucoup – m'a indiqué la piste d'une explication sur laquelle nous reviendrons.
Le phénomène est général. L'excellent cours d'informatique donné au Collège de France par Gérard Berry ne contient aucune allusion aux systèmes d'information. Donald Knuth ne leur a pas consacré une ligne dans son monumental traité sur l'art de la programmation1. Maurice Nivat, grand théoricien de l'informatique, a été assez modeste pour me dire « ce que tu me dis sur les systèmes d'information est intéressant, je n'y connais rien ». Gilles Dowek et Serge Abiteboul viennent de publier un livre2 où l'expression « système d'information » figure, mais en passant et sans rien en dire.
Ceux des informaticiens qui ignorent les systèmes d'information s'intéressent aux algorithmes, à la structure des langages de programmation, aux compilateurs, à la conception physique et logique des processeurs et des mémoires, aux protocoles des réseaux, à l'« informatique embarquée » qui équipe les avions, automobiles, satellites et, de plus en plus, toutes les machines. Ils ne manquent donc pas de travail, ils font œuvre utile, mais les systèmes d'information sont dans la tache aveugle de leur intellect. Pourquoi ?