J’ai été aux premières loges pour voir se dérouler le phénomène de l’informatisation. À l’INSEE dans les années 1960-1970 la production statistique était informatisée, la qualité des codages était déterminante et l’analyse des données amorçait ce que l’on nommera plus tard l’« intelligence artificielle ». J’ai vu émerger au CNET dans les années 1980 la mise en réseau des ordinateurs et ses conséquences.
J’ai créé des entreprises de conseil dans les années 1990. J’ai vu alors de grandes entreprises s’informatiser à reculons : la plupart des dirigeants méprisaient l’informatique, les silos de l’organisation hiérarchique s’opposaient à la cohérence des données comme à la cohésion des processus.
C’est encore le cas aujourd’hui. En témoignent l’échec de Louvois aux Armées, de SIRHEN à l’éducation nationale, de l’Opérateur national de paie au Budget. On connaît ces catastrophes-là parce que la Cour des Comptes publie ce qui se passe dans les institutions publiques ; d’autres catastrophes se produisent dans les entreprises privées mais elles préfèrent ne pas en parler.
samedi 28 juillet 2018
dimanche 1 juillet 2018
Élucider la sémantique de l’entreprise
(Exposé devant le collège des architectes du système d’information, BNP, 28 juin 2018)
La sémantique fournit à l’entreprise à la fois son socle conceptuel et son langage : elle définit les mots avec lesquels les agents désignent les êtres avec lesquelles l’entreprise est en relation, et qui sont l’objet de leurs conversations : l’ingénierie du système d’information s’appuie sur une ingénierie sémantique.
Il arrive que celle-ci soit de mauvaise qualité, que les données soient incohérentes, lacunaires, voire fallacieuses : or le meilleur des algorithmes ne peut rien fournir qui soit meilleur que les données qui l’alimentent car « garbage in, garbage out ».
Les choix fondamentaux
Dans l’immensité du monde qui l’entoure, et aussi dans la complexité de son monde interne, l’entreprise choisit quelques « populations » qu’elle va observer.
Nous empruntons ici le langage de la démographie. Un mathématicien dirait que l’entreprise choisit des « ensembles » composés d’« éléments », il vaut mieux dire « populations » composées d’« individus » car cela oriente l’intuition vers quelque chose de vivant : des « éléments » sont statiques tandis que des « individus » vivent et évoluent.
Quelles sont les « populations » que l’entreprise observe ? Ses clients, ses agents, ses équipements, ses établissements, les entités de son organisation, les logiciels, les méthodes, ses produits, ses concurrents, les factures, les rubriques de la comptabilité, etc. Ces populations sont donc de nature très diverse.
L’entreprise va aussi choisir les attributs qu’elle observe sur chacun des individus qui composent une population. Un individu possède a priori une infinité d’attributs (que l’on pense à un être humain : son poids, sa taille, le nombre de ses cheveux, la couleur de ses yeux, etc.) : l’entreprise ne va en retenir que quelques-uns, nous verrons comment elle les choisit.
La sémantique fournit à l’entreprise à la fois son socle conceptuel et son langage : elle définit les mots avec lesquels les agents désignent les êtres avec lesquelles l’entreprise est en relation, et qui sont l’objet de leurs conversations : l’ingénierie du système d’information s’appuie sur une ingénierie sémantique.
Il arrive que celle-ci soit de mauvaise qualité, que les données soient incohérentes, lacunaires, voire fallacieuses : or le meilleur des algorithmes ne peut rien fournir qui soit meilleur que les données qui l’alimentent car « garbage in, garbage out ».
Les choix fondamentaux
Dans l’immensité du monde qui l’entoure, et aussi dans la complexité de son monde interne, l’entreprise choisit quelques « populations » qu’elle va observer.
Nous empruntons ici le langage de la démographie. Un mathématicien dirait que l’entreprise choisit des « ensembles » composés d’« éléments », il vaut mieux dire « populations » composées d’« individus » car cela oriente l’intuition vers quelque chose de vivant : des « éléments » sont statiques tandis que des « individus » vivent et évoluent.
Quelles sont les « populations » que l’entreprise observe ? Ses clients, ses agents, ses équipements, ses établissements, les entités de son organisation, les logiciels, les méthodes, ses produits, ses concurrents, les factures, les rubriques de la comptabilité, etc. Ces populations sont donc de nature très diverse.
L’entreprise va aussi choisir les attributs qu’elle observe sur chacun des individus qui composent une population. Un individu possède a priori une infinité d’attributs (que l’on pense à un être humain : son poids, sa taille, le nombre de ses cheveux, la couleur de ses yeux, etc.) : l’entreprise ne va en retenir que quelques-uns, nous verrons comment elle les choisit.
Valeurs de la transition numérique : le livre
Je viens de publier sur Amazon un livre intitulé Valeurs de la transition numérique : civilisation de la troisième révolution industrielle.
Voici le contenu du premier chapitre :
Crise des valeurs
La crise est systémique et globale, nous dit-on. Mais où est sa cause ? dans la finance ? Il faudrait savoir pourquoi la Banque s'est mise à commettre des folies comme dans l'affaire des subprimes1. Dans les entreprises ? Elle s'y manifeste, c'est certain, mais cela ne nous indique pas sa cause. Dans les comportements ? Sans doute, mais qu'est-ce qui les a déréglés ? Dans un cycle qui ferait revenir périodiquement une crise ? Il faudrait encore trouver le ressort de cette fatalité.
La cause immédiate d'une crise réside toujours dans les comportements : si les réponses de l'État, des entreprises et des consommateurs étaient judicieuses face aux possibilités et aux risques que présentent les ressources naturelles et l'état de l'art des techniques, il n'y aurait ni crise, ni désarroi car chacun saurait ce qu'il doit faire. Mais une cause immédiate n'est que le dernier rouage d'un entrelacs de causes2.
Le sol s'est semble-t-il dérobé sous nos pieds. Nous avons perdu nos repères familiers, nous avons été transplantés avec nos institutions sur un continent où ni la géographie, ni la faune, ni la flore ne ressemblent à rien de connu. Les ressources naturelles ne sont plus les mêmes, l'état de l'art a changé, toutes les dimensions de l'anthropologie ont reçu une impulsion qui les a mises en mouvement : technique, économie, psychologie des personnes, sociologie des institutions, procédés de la pensée, valeurs enfin.
La crise de la finance ne peut pas s'expliquer par la finance, ni celle de la sociologie par la sociologie, ni celle des valeurs par les valeurs : belles explications, en vérité, que celles qui font tourner l'engrenage des causes et des effets dans l'espace clos d'une seule des dimensions de l'anthropologie
Voici le contenu du premier chapitre :
« Il est courant d'entendre des discours inquiets sur "la perte des valeurs", la "crise des valeurs", la "perte de repères". Cette crise axiologique fait partie d'une crise systémique globale (...) : crise écologique, alimentaire, politique, sociale, financière, économique, et enfin crise des valeurs (...) Mais qu'est-ce qu'une valeur ? Qu'est-ce qui la différencie d'une norme sociale ? Toute valeur est-elle avant tout morale ? Sur quoi l'existence des valeurs est-elle fondée ? (...) Si certains principes ressortent et nous permettent de guider notre agir d'êtres humains contemporains, quels sont-il, vers où vont-ils ? » (Adélaïde de Lastic, « Une approche philosophique du sens des valeurs », 2012).
Crise des valeurs
La crise est systémique et globale, nous dit-on. Mais où est sa cause ? dans la finance ? Il faudrait savoir pourquoi la Banque s'est mise à commettre des folies comme dans l'affaire des subprimes1. Dans les entreprises ? Elle s'y manifeste, c'est certain, mais cela ne nous indique pas sa cause. Dans les comportements ? Sans doute, mais qu'est-ce qui les a déréglés ? Dans un cycle qui ferait revenir périodiquement une crise ? Il faudrait encore trouver le ressort de cette fatalité.
La cause immédiate d'une crise réside toujours dans les comportements : si les réponses de l'État, des entreprises et des consommateurs étaient judicieuses face aux possibilités et aux risques que présentent les ressources naturelles et l'état de l'art des techniques, il n'y aurait ni crise, ni désarroi car chacun saurait ce qu'il doit faire. Mais une cause immédiate n'est que le dernier rouage d'un entrelacs de causes2.
Le sol s'est semble-t-il dérobé sous nos pieds. Nous avons perdu nos repères familiers, nous avons été transplantés avec nos institutions sur un continent où ni la géographie, ni la faune, ni la flore ne ressemblent à rien de connu. Les ressources naturelles ne sont plus les mêmes, l'état de l'art a changé, toutes les dimensions de l'anthropologie ont reçu une impulsion qui les a mises en mouvement : technique, économie, psychologie des personnes, sociologie des institutions, procédés de la pensée, valeurs enfin.
La crise de la finance ne peut pas s'expliquer par la finance, ni celle de la sociologie par la sociologie, ni celle des valeurs par les valeurs : belles explications, en vérité, que celles qui font tourner l'engrenage des causes et des effets dans l'espace clos d'une seule des dimensions de l'anthropologie
Élucider l'intelligence artificielle
L'Institut de l'iconomie vient de publier un ouvrage collectif intitulé Élucider l'intelligence artificielle.
Voici le texte de la préface :
Le rapport de mission de Cédric Villani1 commence par la phrase suivante : définir l'intelligence artificielle n'est pas chose facile. Nous estimons au contraire qu'il n'est pas difficile de définir l'IA, de concevoir ce qu'elle est et ce qu'elle n'est pas, puis d'en tirer les conséquences.
Les expressions « réseau neuronal », « apprentissage profond » et « intelligence artificielle » invitent l'imagination à se forger des êtres qui, comme le griffon ou la licorne, n'existent pas dans le monde réel : il faut faire un effort pour s'affranchir de la science-fiction et concevoir la réalité pratique de l'IA.
L'hypothèse d'une « intelligence de l'ordinateur » a été formulée par Alan Turing2. Elle est pratiquement aussi ancienne que l'informatique et en un sens large on peut dire que l'intelligence artificielle, c'est l'informatique.
Les programmeurs déposent en effet dans leurs algorithmes une « intelligence à effet différé » qui assistera l'« intelligence à effet immédiat » des êtres humains en exécutant inlassablement des tâches répétitives : un pilote automatique assiste les aviateurs, des robots s'activent dans les usines, des moteurs de recherche facilitent la gestion documentaire, etc.
L'expression « intelligence artificielle » a cependant pris depuis quelque temps un sens plus étroit pour désigner l'informatisation de l'analyse des données3 : ses applications actuelles sont l'analyse discriminante, la classification automatique et la régression.
Ces méthodes sont pratiquées depuis des décennies, mais leur performance a connu dans les dernières années un essor stimulé par la puissance des moyens de calcul, le volume des données devenues accessibles et les progrès des algorithmes.
En ce sens étroit on peut dire que l'intelligence artificielle, c'est l'informatique associée à la statistique.
Les membres de l'Institut de l'iconomie ont voulu contribuer à une élucidation de l'IA en rédigeant les essais que rassemble le présent ouvrage.
Certains de ces essais sont un peu techniques, d'autres sont des textes d'humeur ou d'humour : pour signaler ces derniers nous avons utilisé des caractères de couleur bleue.
Nous espérons que ce travail sera utile au lecteur de bonne foi et nous nous tenons prêts à répondre à ses éventuelles remarques et questions.
____
1 Cédric Villani, Donner un sens à l'intelligence artificielle, 2018.
2 Alan Turing, Computing machinery and intelligence, Mind, 1950.
3 Gérard Dreyfus et alii, Apprentissage statistique, Eyrolles, 2008.
Voici le texte de la préface :
Le rapport de mission de Cédric Villani1 commence par la phrase suivante : définir l'intelligence artificielle n'est pas chose facile. Nous estimons au contraire qu'il n'est pas difficile de définir l'IA, de concevoir ce qu'elle est et ce qu'elle n'est pas, puis d'en tirer les conséquences.
Les expressions « réseau neuronal », « apprentissage profond » et « intelligence artificielle » invitent l'imagination à se forger des êtres qui, comme le griffon ou la licorne, n'existent pas dans le monde réel : il faut faire un effort pour s'affranchir de la science-fiction et concevoir la réalité pratique de l'IA.
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L'hypothèse d'une « intelligence de l'ordinateur » a été formulée par Alan Turing2. Elle est pratiquement aussi ancienne que l'informatique et en un sens large on peut dire que l'intelligence artificielle, c'est l'informatique.
Les programmeurs déposent en effet dans leurs algorithmes une « intelligence à effet différé » qui assistera l'« intelligence à effet immédiat » des êtres humains en exécutant inlassablement des tâches répétitives : un pilote automatique assiste les aviateurs, des robots s'activent dans les usines, des moteurs de recherche facilitent la gestion documentaire, etc.
L'expression « intelligence artificielle » a cependant pris depuis quelque temps un sens plus étroit pour désigner l'informatisation de l'analyse des données3 : ses applications actuelles sont l'analyse discriminante, la classification automatique et la régression.
Ces méthodes sont pratiquées depuis des décennies, mais leur performance a connu dans les dernières années un essor stimulé par la puissance des moyens de calcul, le volume des données devenues accessibles et les progrès des algorithmes.
En ce sens étroit on peut dire que l'intelligence artificielle, c'est l'informatique associée à la statistique.
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Les membres de l'Institut de l'iconomie ont voulu contribuer à une élucidation de l'IA en rédigeant les essais que rassemble le présent ouvrage.
Certains de ces essais sont un peu techniques, d'autres sont des textes d'humeur ou d'humour : pour signaler ces derniers nous avons utilisé des caractères de couleur bleue.
Nous espérons que ce travail sera utile au lecteur de bonne foi et nous nous tenons prêts à répondre à ses éventuelles remarques et questions.
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1 Cédric Villani, Donner un sens à l'intelligence artificielle, 2018.
2 Alan Turing, Computing machinery and intelligence, Mind, 1950.
3 Gérard Dreyfus et alii, Apprentissage statistique, Eyrolles, 2008.