Ce texte fait partie de la série "Un peu de lecture pendant les vacances"
Extrait des Mémoires de Saint-Simon, vol. 1, p. 569-570.
(J'aime beaucoup, dans cette anecdote, la façon dont Saint-Simon utilise le mot "bonté".)
Breteuil se fourroit fort chez M. de Pontchartrain, où Caumartin, son ami et son parent, l’avoit introduit. Il faisoit volontiers le capable quoique respectueux, et on se plaisoit à le tourmenter. Un jour, à dîner chez M. de Pontchartrain, où il y avoit toujours grand monde, il se mit à parler et à décider fort hasardeusement. Mme de Pontchartrain le disputa, et pour fin lui dit qu’avec tout son savoir elle parioit qu’il ne savoit pas qui avoit fait le Pater.
Voilà Breteuil à rire et à plaisanter, Mme de Pontchartrain à pousser sa pointe, et toujours à le défier et à le ramener au fait. Il se défendit toujours comme il put, et gagna ainsi la sortie de table.
Caumartin, qui vit son embarras, le suit en rentrant dans la chambre, et avec bonté lui souffle « Moïse ». Le baron, qui ne savoit plus où il en étoit, se trouva bien fort, et au café remet le Pater sur le tapis, et triomphe. Mme de Pontchartrain alors n’eut plus de peine à le pousser à bout, et Breteuil, après beaucoup de reproches du doute qu’elle affectoit, et de la honte qu’il avoit d’être obligé à dire une chose si triviale, prononça magistralement que c’étoit Moïse qui avoit fait le Pater. L’éclat de rire fut universel. Le pauvre baron confondu ne trouvoit plus la porte pour sortir. Chacun lui dit son mot sur sa rare suffisance. Il en fut brouillé longtemps avec Caumartin, et ce Pater lui fut longtemps reproché.
samedi 27 octobre 2018
samedi 20 octobre 2018
Transition numérique : quelles valeurs pour quelle civilisation ?
Voici la vidéo d'un entretien avec Jean-Philippe Denis consacré au livre Valeurs de la transition numérique.
On trouve ce livre sur Amazon. Si vous préférez lire à l'écran, vous pouvez aussi le télécharger gratuitement au format .pdf.
La transition numérique provoque dans les esprits un désarroi qui incite à s'interroger : que voulons-nous faire, qui voulons-nous être ? Cela conduit à s'interroger sur les valeurs que nous entendons promouvoir.
La réflexion sur les valeurs est cependant souvent confuse, car elle est difficile et parfois polluée par l'homonymie entre "valeurs" et "valeur".
J'ai donc tenté d'esquisser (notamment dans les chapitres 6 et 7) une "théorie des valeurs" qui puisse répondre aux exigences de la situation présente.
Cette esquisse me semble pouvoir être féconde : elle propose une définition, décrit comment les valeurs se forment, présente et commente des exemples, indique comment on peut évaluer les valeurs, évoque leur rôle dans la vie en société. Ces éléments de théorie peuvent et doivent être discutés et critiqués.
J'aimerais donc beaucoup que des philosophes lisent cette esquisse, prennent le temps de la méditer et me disent ce qu'ils en auront pensé. Francis Jacq, d'abord prudemment réticent, y avait finalement adhéré au terme d'un long échange : cela m'a encouragé à la publier.
On trouve ce livre sur Amazon. Si vous préférez lire à l'écran, vous pouvez aussi le télécharger gratuitement au format .pdf.
* *
La transition numérique provoque dans les esprits un désarroi qui incite à s'interroger : que voulons-nous faire, qui voulons-nous être ? Cela conduit à s'interroger sur les valeurs que nous entendons promouvoir.
La réflexion sur les valeurs est cependant souvent confuse, car elle est difficile et parfois polluée par l'homonymie entre "valeurs" et "valeur".
J'ai donc tenté d'esquisser (notamment dans les chapitres 6 et 7) une "théorie des valeurs" qui puisse répondre aux exigences de la situation présente.
Cette esquisse me semble pouvoir être féconde : elle propose une définition, décrit comment les valeurs se forment, présente et commente des exemples, indique comment on peut évaluer les valeurs, évoque leur rôle dans la vie en société. Ces éléments de théorie peuvent et doivent être discutés et critiqués.
J'aimerais donc beaucoup que des philosophes lisent cette esquisse, prennent le temps de la méditer et me disent ce qu'ils en auront pensé. Francis Jacq, d'abord prudemment réticent, y avait finalement adhéré au terme d'un long échange : cela m'a encouragé à la publier.
mercredi 17 octobre 2018
À propos de l’économie des plates-formes
(Intervention au séminaire du Centre Cournot le 8 octobre 2018)
On nomme « plates-formes » les entreprises de commerce électronique qui se sont créées sur le Web à partir de 1995. Elles s’appuient sur les ressources techniques qu’offre l’informatique et l’Internet, leurs algorithmes sont solidement fondés sur des propriétés mathématiques.
On peut considérer ce phénomène tel qu’il se présente à nous aujourd’hui, avec ses propriétés économiques (intermédiation, diversification, marchés bifaces, etc.) et avec les problèmes qu’il suscite (confidentialité des données personnelles, positions de monopole, accumulation de richesse et de pouvoir par certaines entreprises, etc.).
Nous proposons ici de considérer ce phénomène dans sa dynamique, manifestation particulière de la dynamique de l’informatisation : cela permet de le percevoir dans sa généralité et d’anticiper dans une certaine mesure sa prospective.
Lorsque le réseau télécoms est dans les années 1970 devenu capable de transporter non plus seulement le signal vocal, mais des données, il était évident pour tout observateur attentif qu’il pourrait devenir une « place de marché » analogue sous certains rapports aux places des villages, lieux d’échange pour la conversation et la « passeggiàta » autant que pour le commerce, ou encore aux « bourses » des grandes villes, mais différent sous d’autres rapports : une « place de marché » d’un nouveau type.
Le commerce qui s’est construit autour du Minitel dans les années 1980, avec les catégories d’agents économiques qui ont émergé à cette occasion (opérateur du réseau, exploitant de serveurs, fournisseur de contenus), en a été une première illustration.
L’Internet et le Web ont dans les années 1990 offert au « commerce électronique » une plate-forme technique plus favorable encore1. Comme tout commerce, celui-ci offrait une « intermédiation » entre les entreprises qui produisent des biens et services et les consommateurs de ces produits. Les opérateurs de cette intermédiation étaient semblables en un sens à des magasins à grande surface où le consommateur est confronté à une grande diversité de produits parmi lesquels il peut trouver ceux dont il a besoin en se faisant éventuellement aider par des vendeurs. Mais ils se distinguaient de ces magasins par deux caractéristiques : l’ubiquité et l’informatisation.
On nomme « plates-formes » les entreprises de commerce électronique qui se sont créées sur le Web à partir de 1995. Elles s’appuient sur les ressources techniques qu’offre l’informatique et l’Internet, leurs algorithmes sont solidement fondés sur des propriétés mathématiques.
On peut considérer ce phénomène tel qu’il se présente à nous aujourd’hui, avec ses propriétés économiques (intermédiation, diversification, marchés bifaces, etc.) et avec les problèmes qu’il suscite (confidentialité des données personnelles, positions de monopole, accumulation de richesse et de pouvoir par certaines entreprises, etc.).
Nous proposons ici de considérer ce phénomène dans sa dynamique, manifestation particulière de la dynamique de l’informatisation : cela permet de le percevoir dans sa généralité et d’anticiper dans une certaine mesure sa prospective.
* *
Lorsque le réseau télécoms est dans les années 1970 devenu capable de transporter non plus seulement le signal vocal, mais des données, il était évident pour tout observateur attentif qu’il pourrait devenir une « place de marché » analogue sous certains rapports aux places des villages, lieux d’échange pour la conversation et la « passeggiàta » autant que pour le commerce, ou encore aux « bourses » des grandes villes, mais différent sous d’autres rapports : une « place de marché » d’un nouveau type.
Le commerce qui s’est construit autour du Minitel dans les années 1980, avec les catégories d’agents économiques qui ont émergé à cette occasion (opérateur du réseau, exploitant de serveurs, fournisseur de contenus), en a été une première illustration.
L’Internet et le Web ont dans les années 1990 offert au « commerce électronique » une plate-forme technique plus favorable encore1. Comme tout commerce, celui-ci offrait une « intermédiation » entre les entreprises qui produisent des biens et services et les consommateurs de ces produits. Les opérateurs de cette intermédiation étaient semblables en un sens à des magasins à grande surface où le consommateur est confronté à une grande diversité de produits parmi lesquels il peut trouver ceux dont il a besoin en se faisant éventuellement aider par des vendeurs. Mais ils se distinguaient de ces magasins par deux caractéristiques : l’ubiquité et l’informatisation.