Beaucoup de personnes refusent de prendre en considération les raisonnements qui ne s’appuient pas sur des données quantitatives. Jean-Marc Jancovici a commenté ainsi un article de l’Institut de l’iconomie1 : « j'essaie d'être sur un terrain quantitatif, ce texte est essentiellement qualitatif, je n'ai donc pas d'avis sur la question ». L’économiste néerlandais Bart van Ark, qui a participé avec moi à la rédaction d’un ouvrage2, refusait lui aussi d’entendre un raisonnement s’il n’était pas fondé sur des statistiques.
Nombre d’articles contiennent des tableaux de nombres et des calculs économétriques impressionnants, censés fournir la preuve de l’objectivité du travail et de la solidité de ses conclusions. Mais la publication statistique, quand elle est sérieuse, vise à éclairer le lecteur et non à l’impressionner3 : elle s’applique donc à présenter les résultats les plus significatifs sous une forme lisible (petits tableaux, graphiques sélectifs), à les commenter, à les expliquer enfin en se référant à la théorie du domaine observé et en recourant avec prudence à l’économétrie pour l'analyse les corrélations.
Le raisonnement s’appuie alors sur des ordres de grandeur car la précision des nombres est illusoire : la population de la France au 1er janvier 2019 est ainsi selon l’INSEE4 de 66 992 699 personnes mais cette estimation est entourée d’un flou d’au moins 1 %, soit 600 000 personnes5 : il faut ne retenir que son ordre de grandeur, 67 millions.
Il arrive que l’ordre de grandeur soit lui-même douteux : nombre des données des comptes nationaux sont estimées, en l’absence d’une observation, selon des méthodes qui introduisent un biais (solde, règle de trois, arbitrage, etc.) et ceux qui appuient sans précautions un travail économétrique sur une telle source risquent d’en tirer des conclusions erronées.
La plupart des conclusions qui s’imposent à l’issue d’un travail quantitatif sont en outre qualitatives : tel projet est rentable, ou ne l’est pas ; le chômage croît, ou diminue ; la croissance accélère, ou ralentit ; telle couche de la population est plus ou moins à l’aise qu’une autre, etc.
Enfin le raisonnement qui s’enferme dans le cercle que la statistique éclaire ignorera ce qui se trouve à l’extérieur. On connaît la fable de l’homme qui cherche son trousseau de clés sous un réverbère : « est-ce par ici que vous l’avez perdu ? », lui dit-on. « Non, répond-il, mais au moins ici j’y vois clair ».
Il ne convient donc pas de refuser le rapport qualitatif des explorateurs qui sont sortis de ce cercle pour observer des phénomènes importants, mais que la statistique n’observe pas.