"Le rôle stratégique des assembleurs"
Entretien avec Laurent Faibis sur Xerfi Canal.
Transcription de l'entretien :
Laurent Faibis : Vous avez prononcé tout à l'heure le mot « assemblage ». Produire, aujourd'hui, c'est assembler une gigantesque chaîne de production au niveau mondial, c’est assembler les aspects matériels et les aspects serviciels d'un produit. Il y a donc des entreprises qui doivent jouer ce rôle d'assembleur et elles ont parfois un rôle presque féodal par rapport à leurs sous-traitants, dans le meilleur des cas elles sont à la tête d'un réseau de partenaires.
Michel Volle : Effectivement vous avez tout à fait raison. Il y a en fait deux assemblages : l'assemblage des biens et des services qui forment le produit, l'assemblage des partenaires qui coopèrent à l'élaboration de ce produit en apportant chacun la partie qu’il maîtrise.
La cohésion de ces deux assemblages - l'assemblage à l'intérieur du produit et l'assemblage des partenaires pour l'élaborer - est assurée par un système d'information. C'est le système d'information qui permet aux partenaires de coopérer, d'automatiser les transactions qu'ils ont entre eux, d'ailleurs de surveiller aussi la transparence du partage des recettes et dépenses qui est un des éléments très importants de la solidité du partenariat : lorsqu’on n'assure pas cette transparence le partenariat tend à exploser parce qu'il se produira des fraudes, ou en tout cas ils auront l'impression que des fraudes se sont produites et ça mène au divorce. J'ai vu ça quand je travaillais dans le transport aérien, il était extrêmement difficile de maintenir la cohésion d'un partenariat si on n'avait pas assuré la transparence dans les échanges d'informations.
Laurent Faibis : Soit l'information va dans les deux sens, soit un des acteurs a une information privilégiée.
lundi 6 janvier 2020
Réindustrialiser la France par l’informatisation et l’automatisation (2/3)
"Vers une industrie servicielle"
Entretien avec Laurent Faibis sur Xerfi Canal.
Transcription de l'entretien :
Laurent Faibis : L’un des plus grands producteurs de produits électroniques chinois, en l'occurrence Foxconn, annonce qu’en raison de la hausse des salaires il souhaite robotiser et automatiser.
Michel Volle : Il a annoncé effectivement qu'il allait acheter plusieurs dizaines de milliers de robots.
Laurent Faibis : Mais je reviens sur ce qui s'est passé à partir des années 90, dans les années 90 et 2000. Finalement cette possibilité d'utiliser du travail à bon marché au lieu d'investir dans l'automatisation et l'informatisation a conduit à une stratégie de sous-investissement.
Michel Volle : Ça a freiné un mouvement nécessaire. Ce qui est dans la logique de cette évolution du système productif, c'est l'émergence d'une économie ultra-capitalistique.
Les économistes aiment bien utiliser des modèles où il y a une fonction de production avec deux facteurs de production qui sont le capital et le travail, le « capital » étant du travail stocké, du travail accumulé ou comme on dit du « travail mort », et le « travail » étant le flux de « travail vivant » nécessaire pour la production. Eh bien l'automatisation donne une part très importante au capital, non pas au capital financier mais au capital sous la forme de travail stocké : les automates, les robots, les programmes informatiques, l'organisation, enfin tout ce que l'on doit faire avant de produire. L'intervention du travail dans le flux de la production elle-même devient minime puisqu'il se réduit à quelque supervision et à de la maintenance.
Laurent Faibis : Ça ce n’est pas une usine chinoise des années 90 ou 2000.
Michel Volle : Oui mais ça le devient, donc c'est peut-être pas le modèle exact de l'entreprise d'aujourd'hui mais je dirais que c'est la cible, c'est l'horizon de l'entreprise contemporaine, c'est-à-dire de celle qui répond de manière raisonnable, de manière intelligente, au changement de système technique tel qu'il se produit.
C'est une contrainte physique, notre rapport à la nature a changé, nous n'avons plus la même façon de nous comporter vis-à-vis des ressources naturelles que nous voulons transformer en produits. Le fait de d'utiliser l'informatique, d'utiliser les automatismes, modifie notre façon d'agir, modifie aussi notre façon de penser, ça a énormément de conséquences anthropologiques, ça change réellement les conditions pratiques du système productif.
Il est inconcevable que ce phénomène ne soit pas perçu, ça me paraît incroyable tellement cette évidence crève les yeux : les conditions physiques de la production ont changé, les conditions physiques, pratiques, matérielles. Ce n’est pas de l'idéologie, c'est un constat pur et dur dont il faut tirer les conséquences.
Entretien avec Laurent Faibis sur Xerfi Canal.
Transcription de l'entretien :
Laurent Faibis : L’un des plus grands producteurs de produits électroniques chinois, en l'occurrence Foxconn, annonce qu’en raison de la hausse des salaires il souhaite robotiser et automatiser.
Michel Volle : Il a annoncé effectivement qu'il allait acheter plusieurs dizaines de milliers de robots.
Laurent Faibis : Mais je reviens sur ce qui s'est passé à partir des années 90, dans les années 90 et 2000. Finalement cette possibilité d'utiliser du travail à bon marché au lieu d'investir dans l'automatisation et l'informatisation a conduit à une stratégie de sous-investissement.
Michel Volle : Ça a freiné un mouvement nécessaire. Ce qui est dans la logique de cette évolution du système productif, c'est l'émergence d'une économie ultra-capitalistique.
Les économistes aiment bien utiliser des modèles où il y a une fonction de production avec deux facteurs de production qui sont le capital et le travail, le « capital » étant du travail stocké, du travail accumulé ou comme on dit du « travail mort », et le « travail » étant le flux de « travail vivant » nécessaire pour la production. Eh bien l'automatisation donne une part très importante au capital, non pas au capital financier mais au capital sous la forme de travail stocké : les automates, les robots, les programmes informatiques, l'organisation, enfin tout ce que l'on doit faire avant de produire. L'intervention du travail dans le flux de la production elle-même devient minime puisqu'il se réduit à quelque supervision et à de la maintenance.
Laurent Faibis : Ça ce n’est pas une usine chinoise des années 90 ou 2000.
Michel Volle : Oui mais ça le devient, donc c'est peut-être pas le modèle exact de l'entreprise d'aujourd'hui mais je dirais que c'est la cible, c'est l'horizon de l'entreprise contemporaine, c'est-à-dire de celle qui répond de manière raisonnable, de manière intelligente, au changement de système technique tel qu'il se produit.
C'est une contrainte physique, notre rapport à la nature a changé, nous n'avons plus la même façon de nous comporter vis-à-vis des ressources naturelles que nous voulons transformer en produits. Le fait de d'utiliser l'informatique, d'utiliser les automatismes, modifie notre façon d'agir, modifie aussi notre façon de penser, ça a énormément de conséquences anthropologiques, ça change réellement les conditions pratiques du système productif.
Il est inconcevable que ce phénomène ne soit pas perçu, ça me paraît incroyable tellement cette évidence crève les yeux : les conditions physiques de la production ont changé, les conditions physiques, pratiques, matérielles. Ce n’est pas de l'idéologie, c'est un constat pur et dur dont il faut tirer les conséquences.
Réindustrialiser la France par l'informatisation et l'automatisation (1/3)
"La globalisation a retardé la révolution du système productif"
Entretien avec Laurent Faibis sur Xerfi Canal.
Transcription de l'entretien :
Laurent Faibis : Tous les candidats à l'élection présidentielle ont mis à leur programme la réindustrialisation de la France, voire le retour au « made in France », mais à les écouter on sent bien qu'ils n'ont qu'une idée très vague des réalités de l’usine du XXIe siècle, de la réalité des process de production et de la réalité de ce que c'est qu'un produit aujourd'hui.
Michel Volle : Pourtant il est assez facile si on visite simplement une usine de se rendre compte que tout est fait par des robots à peu de choses près. Il y a quelques superviseurs, quelques équipes de maintenance, mais en fait beaucoup de choses sont automatisées. Toutes les tâches répétitives sont automatisées, qu'il s'agisse d'ailleurs des tâches manuelles ou des tâches intellectuelles, et donc l'entreprise d'aujourd'hui n'a plus grand-chose de commun avec l'image que l'on a conservée de l'entreprise industrielle d'autrefois, où des milliers d'ouvriers accomplissaient à longueur de journée des tâches répétitives. Cette image est celle sans doute qui reste dans la tête des politiques qui ont rarement mis les pieds dans une usine, ou en tout cas s'ils y ont mis les pieds c'était pour des visites officielles assez superficielles, et donc ils n'ont pas vu cette transformation très profonde du système productif qui réside dans l'automatisation des tâches répétitives.
Laurent Faibis : Alors cette révolution du système productif c'est ce que nous allons aborder aujourd'hui de façon approfondie. Michel Volle en quelques mots vous êtes polytechnicien vous êtes aussi, et vous y tenez beaucoup, docteur en histoire, vous êtes un ancien administrateur de l'INSEE vous avez été consultant, chef d'entreprise, auteur de nombreux ouvrages sur la statistique, l'analyse des données, les nouvelles technologies avec iconomie, un ouvrage sur l'informatique, un roman Le parador, et vous êtes blogueur sur le site volle.com. Vous venez d'ailleurs de publier sur votre site volle.com une lettre ouverte aux présidentiables pour les interpeller justement sur ce thème de leur méconnaissance de l'industrie. Selon vous l’informatisation des process de production est le moteur d'une nouvelle révolution industrielle : dans les années soixante dix nous avons véritablement changé de système technique.
Entretien avec Laurent Faibis sur Xerfi Canal.
Transcription de l'entretien :
Laurent Faibis : Tous les candidats à l'élection présidentielle ont mis à leur programme la réindustrialisation de la France, voire le retour au « made in France », mais à les écouter on sent bien qu'ils n'ont qu'une idée très vague des réalités de l’usine du XXIe siècle, de la réalité des process de production et de la réalité de ce que c'est qu'un produit aujourd'hui.
Michel Volle : Pourtant il est assez facile si on visite simplement une usine de se rendre compte que tout est fait par des robots à peu de choses près. Il y a quelques superviseurs, quelques équipes de maintenance, mais en fait beaucoup de choses sont automatisées. Toutes les tâches répétitives sont automatisées, qu'il s'agisse d'ailleurs des tâches manuelles ou des tâches intellectuelles, et donc l'entreprise d'aujourd'hui n'a plus grand-chose de commun avec l'image que l'on a conservée de l'entreprise industrielle d'autrefois, où des milliers d'ouvriers accomplissaient à longueur de journée des tâches répétitives. Cette image est celle sans doute qui reste dans la tête des politiques qui ont rarement mis les pieds dans une usine, ou en tout cas s'ils y ont mis les pieds c'était pour des visites officielles assez superficielles, et donc ils n'ont pas vu cette transformation très profonde du système productif qui réside dans l'automatisation des tâches répétitives.
Laurent Faibis : Alors cette révolution du système productif c'est ce que nous allons aborder aujourd'hui de façon approfondie. Michel Volle en quelques mots vous êtes polytechnicien vous êtes aussi, et vous y tenez beaucoup, docteur en histoire, vous êtes un ancien administrateur de l'INSEE vous avez été consultant, chef d'entreprise, auteur de nombreux ouvrages sur la statistique, l'analyse des données, les nouvelles technologies avec iconomie, un ouvrage sur l'informatique, un roman Le parador, et vous êtes blogueur sur le site volle.com. Vous venez d'ailleurs de publier sur votre site volle.com une lettre ouverte aux présidentiables pour les interpeller justement sur ce thème de leur méconnaissance de l'industrie. Selon vous l’informatisation des process de production est le moteur d'une nouvelle révolution industrielle : dans les années soixante dix nous avons véritablement changé de système technique.