samedi 25 mai 2024

L’essentiel du modèle de l’iconomie

Je vous propose ici un survol rapide du modèle de l’iconomie.

Avec l’informatisation tout a été transformé : techniques, produits, marchés, organisations. Pour évaluer la portée de ce phénomène il faut se rappeler ce que furent les conséquences de la mécanisation.

Elle a apporté des techniques nouvelles, occasionné une prise du pouvoir par la bourgeoisie, fait émerger le capitalisme et la classe ouvrière, suscité des guerres pour la conquête des marchés et des ressources naturelles.

Les succès de la mécanique ont été considérés comme une preuve de la valeur universelle de la pensée rationnelle. Les qualités de la machine, qui est puissante, efficace, infatigable et dépourvue de sensibilité, ont été données en exemple aux humains : Lénine a cultivé une conception mécanique de l’histoire et les nazis ont voulu être impitoyables, « unbarmherzig ».

Avec l’informatisation apparaissent une nouvelle organisation de la production et de nouveaux produits. Toutes les techniques s’informatisent : mécanique, chimie, énergie, biologie, etc. La pensée s’informatise elle aussi avec les moteurs de recherche, l’intelligence artificielle et l’ubiquité de la ressource documentaire : derrière l’ordinateur individuel se trouve la « ressource informatique » à laquelle l’Internet donne accès, faite de processeurs, mémoires, documents et programmes.

L’exemple de l’ordinateur s’imposant aux esprits après celui de la machine, on va jusqu’à croire que son intelligence va surpasser celle de l’être humain et que les humains doivent se comporter comme des ordinateurs.

Que se passe-t-il au juste ? Quelles sont les lignes de force, les piliers structurants de la situation que l’informatisation fait émerger ? Le modèle de l’iconomie en a identifié quelques-uns.

1) d’abord, l’automatisation : l’informatisation s’appuie sur des automates qui exécutent un programme. Ce qui est programmable, c’est ce qui est prévisible : on ne peut pas programmer ce qui est imprévisible.

Or ce qui est prévisible dans l’économie, c’est ce qui est répétitif : si un travail est répétitif, on peut prévoir qu’il faudra bientôt faire la même chose que maintenant. L’automate va donc s’emparer du travail répétitif qui occupait la quasi-totalité de la main-d’œuvre dans l’économie mécanisée.

Nota Bene : on peut prévoir que le programme obéira exactement à la liste des instructions qu’il contient, et non ce qui résultera de leur application aux données imprévisibles que saisissent des individus ou que fournissent des capteurs.

Le travail répétitif étant réalisé par les ordinateurs, reste à l’être humain le travail non répétitif (conception et programmation des automates, conception des produits) ainsi que tout ce qui exige une compétence relationnelle (coopération entre les agents dans l’entreprise, relation de service avec les clients, relation avec les partenaires et les fournisseurs).

2) lorsque les humains ont commencé à se doter d’outils ils ont formé un être nouveau, l’ouvrier. Alors que l’outil sert une action individuelle, la machine sert une action collective : la mécanisation a organisé le couple que forment l’humain et la machine, formant ainsi un autre être nouveau, la main-d’œuvre.

Avec l’informatisation le couple que forme l’humain et l’ordinateur donne naissance au « cerveau-d’œuvre » : « humain + ordinateur » succède ainsi, comme cellule élémentaire de l’action productive, aux couples « humain + outil » et « humain + machine ».

L’écologie, les écolos et nous

On trouve dans la vallée de Grenoble un écosystème de 40 000 personnes travaillant dans la micro-électronique :

- STMicro fabrique des microprocesseurs, son chiffre d’affaires annuel est de l’ordre de 12 milliards d’euros. C’est sans doute le site industriel le plus capitalistique de France : STMicro utilise les machines d'ASML dont chacune coûte entre 100 et 200 millions d’euros, il en faut une trentaine pour monter une chaîne de production (une par couche du circuit que l’on construit). La fabrication est automatisée mais la conception et le réglage des processus est un travail délicat fait par des ingénieurs et des techniciens de haute compétence ;

- Soitec produit les tranches de semi-conducteur (wafers) sur lesquelles sont gravés les composants de microélectronique ;

- d’autres entreprises sont actives dans la préparation, la conception et le conditionnement en collaboration avec le LETI, laboratoire du CEA.

Soitec et STMicro sont en croissance. Elles ont donc prévu un extension de leurs sites mais les écologistes de Grenoble ont manifesté pour s’y opposer.

Soitec a donc suspendu son plan d’expansion et on craint que STMicro en fasse autant. Ces deux entreprises ont reçu des offres d’hospitalité américaines alléchantes : elles risquent de devenir des entreprises américaines.

Les manifestations des opposants sont le fait de chercheurs CNRS qui vont en vélo à leur travail et n’ont jamais eu à se soucier de gagner leur vie. Cela ne les ennuie pas de saboter des entreprises qui sont une des dernières chances de la France pour maintenir son rôle industriel. Un de leurs leaders est un docteur en sciences physiques…

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Pourquoi les écolos torpillent-ils la micro-électronique ?

L’écologie est étymologiquement la science des rapports entre les humains et la nature (en grec, oikos est la maison, le foyer, l’être humain vivant dans son environnement). C’est une vraie science. Les écolos sont par contre une secte qui a trouvé, en prenant l’écologie pour prétexte, de quoi s’ériger en donneur de leçons et angoisser l’opinion avec des scénarios de catastrophe.

Cette secte a une longue histoire. Pour Jean-Jacques Rousseau, référence fondamentale, seule est bonne la nature vierge et pure de toute intervention humaine. Jacques Ellul et Ivan Illich, personnages sympathiques, ont eu beaucoup d’influence : Illich a milité pour une relation sobre avec la nature, but louable mais qu’il a poussé à l’extrême ; Ellul a vu dans la technique une déshumanisation, oubliant que la technique est comme l’a dit Georges Simondon une part de la culture humaine. Jean-Marc Jancovici souhaite une décroissance nécessaire selon lui pour limiter le réchauffement climatique.

Au fond de la pensée de ces personnes se trouve l’hostilité envers l’action productive qui consomme des matières premières, émet des déchets et encombre la nature avec ses produits. Cette hostilité vise naturellement aussi les entreprises qui produisent et les institutions dont l’organisation leur semble n'être qu'un artefact.

Ces errements découlent d’un mouvement philosophique ancien, profond, qui postule une cloison étanche entre la pensée et l’action organisée. Parmi les philosophes, seul Raymond Aron a su ce qu’est l’entreprise en tant qu’institution. Sartre n'a jamais pensé l'« entre-deux », les institutions qui se trouvent « entre l'individu et l'humanité » (Raymond Aron, Mémoires, Robert Laffont, 2010, p. 954). Il en est de même des intellectuels médiatiques et de la majorité de nos universitaires (sauf peut-être dans les sciences de la gestion).

Dans le milieu des économistes et des statisticiens personne ne se soucie de l’informatisation des entreprises. Les économistes se focalisent sur le marché. Schumpeter lui-même a mal compris les entrepreneurs, qu’il assimile aux joueurs qui osent prendre des risques. Les instituts statistiques n'observent pas l’organisation des entreprises ni leur système d’information. 

Le thème essentiel de nombre de politiques « de gauche » est la « lutte contre le capitalisme », c’est-à-dire la lutte contre les entreprises. Ils croient que le capital est un monstre qui dévore l’humanité, laquelle dans leur esprit se réduit à l’ensemble des individus : tout ce qui est dirigé et organisé leur semble oppressif.

Or l’entreprise est essentiellement le lieu d’une action collective organisée et dirigée afin de produire (cette définition s’applique aussi aux SCOP, aux « communs », etc.). Une pensée qui ne veut voir que des individus d’une part, et le vaste monde de l’autre, rate l’être organique qu’est l’entreprise et la complexité des relations entre l’individu et l’entreprise, entre la pensée et l’action organisée.

Les mêmes veulent supprimer aussi le libéralisme selon lequel les entreprises sont libres d’agir comme bon leur semble dans le cadre de la loi. Ils agissent comme s’ils lui préféraient le collectivisme qui organise le système productif comme une seule et gigantesque entreprise.

La toile de fond individualiste de notre formation intellectuelle s’oppose ainsi à tout ce qui est organisé et institutionnel, sauf paradoxalement si l’organisation est le fait d’un pôle institutionnel unique, d’un Gosplan source de toutes les décisions. Dans l’attente d’une réalisation de cet idéal qui élimine le personnage de l’entrepreneur il est excitant, romanesque et romantique de détruire les institutions « capitalistes et libérales ». Cette orientation séduit de jeunes adultes vigoureux et immatures.

Consolation, cela ne se passe pas qu’en France. Les universités américaines sont aujourd'hui débordées par des manifestants qui, sous le prétexte légitime de la compassion envers les Gazaouis, se livrent au blocage des routes et au saccage des universités afin de prendre la défense du Hamas.

Les écolos rêvent poétiquement d’un retour à la civilisation des chasseurs-cueilleurs mais ils ne supporteraient certainement pas qu’on leur coupe le téléphone, l’électricité ou qu’on les prive des autres apports de la société moderne. Leur inconséquence est évidente mais ils sont éloquents, influents et capables de remporter un succès lors des élections : les thèmes écolos sont médiatiquement porteurs.

Il se trouve ainsi en France nombre de traîtres qui veulent détruire les institutions pour lesquelles les Français se sont tant battus dans le passé. Il est donc logique qu’ils s’attaquent à ce qui est aujourd’hui le plus productif et le plus efficace, en l’occurrence la microélectronique. D’autres pays, ayant une autre culture, ne sombrent pas dans ce délire et vont de l’avant.

mardi 14 mai 2024

Valeurs, Situation et Action

Pour nommer « tout ce qui existe », tout ce qui « se tient debout à l’extérieur » (ex-sistere) de la pensée et de la volonté d’un humain, le mot « monde » serait impropre car notre langage admet une pluralité de mondes : le monde de la nature, le monde politique, le monde des idées, etc.

« Tout ce qui existe », nous le nommerons donc « Existant » : ce mot englobe la nature physique et biologique, mais aussi les édifices, institutions, idées et autres artefacts que des humains ont construits naguère et dont la présence se manifeste devant eux.

Le détail de la description d’un objet concret (une tasse de café, un fauteuil, etc.) n’a aucune limite logique : chaque objet possédant donc une liste illimitée d’attributs, il est impossible d’en avoir une connaissance absolue et complète. Chaque objet est à cet égard « complexe » et il en est a fortiori de même de l’Existant. La plus grande des difficultés que rencontrent la communication et la coopération entre les individus résulte du fait qu’ils ne considèrent pas les mêmes objets ni, dans les objets, les mêmes attributs.

Alors que la nature évolue selon ses lois, l’être humain exerce en face de l’Existant une volonté qui oppose la néguentropie de l’action à l’entropie de la nature et choisit pour agir, dans la complexité de l’Existant, les objets qu’il lui convient de considérer et les attributs qu’il lui convient d’observer. Nous voulons éclairer cette volonté et pour cela il faut entrer dans quelque détail.

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Un individu n’est pas directement confronté à l’Existant mais à une facette que celui-ci lui présente, la situation dont il constate l’existence et dans laquelle il est invité à agir ou à subir. Cette situation s’exprime en termes de lieux dans l’espace et de moments dans le temps, et selon la part de l’Existant que l’individu rencontre dans ces lieux et ces moments : une part des autres individus, une part de la nature, une part des institutions et des édifices, etc. Cette situation n’est qu’une partie de l’Existant mais elle est, comme lui, d’une complexité illimitée (un infini peut se nicher dans un autre infini comme les nombres pairs parmi les nombres entiers).

L’individu lui-même est porteur de ce que lui ont apporté son éducation, sa formation, les expériences et péripéties de sa vie, fatras dans lequel il a choisi les valeurs qu’expriment ses goûts, dégoûts, habitudes et préférences.

Ce choix ne l’a pas nécessairement conduit à des valeurs qu’une société juge moralement positives (bonté, dignité, honnêteté, loyauté, etc.), mais elles se trouvent au cœur de sa personnalité et sa vie a pour but de graver leur image dans le monde.

Entre ces valeurs et la situation existe en effet éventuellement un écart, une « contradiction » qui éveille chez l’individu l’intention de résorber cet écart. Si cette intention peut se saisir de moyens d’agir, il en résulte une action volontaire.