samedi 31 décembre 2022

L’ordinateur quantique est-il vraiment une priorité ?

Communications of the ACM, revue dont la qualité est reconnue, a consacré en octobre 2022 à l’ordinateur quantique un article dont la structure paradoxale a attiré mon attention :

Advait Deshpande, « Assessing the Quantum-Computing Landscape ».

Le paradoxe est qu’alors que la tonalité de cet article est positive et optimiste, il est étrangement truffé de phrases qui nient la possibilité réelle et pratique de l’ordinateur quantique ou du moins la repousse dans un futur très lointain (decades away).

Je cite ici quelques-unes de ces phrases en mettant en italique ce qui me semble le plus significatif :

“Existing proposals for building quantum computers focus on using ion traps, nuclear magnetic resonance (NMR), optical/photonic, and solid-state techniques. These approaches all suffer from quantum noise and scaling problems to impede progress beyond tens of qubits and into the hundreds of qubits.

“Experts suggest that for quantum computers to be useful in solving real-world problems, the devices need to scale up to millions of qubits.

“As of 2021, a universal quantum computer capable of performing operations equivalent to current computers, smartphones, and other smart devices remains decades away.

“Google’s Sycamore represents an important step, since it can detect and fix computational errors. However, Sycamore’s current system generates more errors than it solves.

“Due to the hype surrounding the technology, there is a risk that quantum-computing research may suffer the same fate as AI research die in the 1980s, resulting in the quantum equivalent of the AI winter.

“Given the known limitations of the technology in terms of its need for error correction, uncertain quality of qubits, and the challenges in managing decoherence (to name a few), the first market-ready applications of real quantum computers are likely to be discrete, focused on specific uses or outcomes such as verifying random numbers.”

*     *

Ces phrases incitent pour le moins à la prudence. Mais comme on dit que l’ordinateur quantique sera un milliard de fois plus rapide qu’un supercalculateur d’aujourd’hui et qu’il ouvrira tout un continent de nouvelles possibilités, cela fait rêver et l'on est facilement séduit par des promesses que l'on est incapable d’évaluer. Dans le cas particulier de l’ordinateur quantique on ne peut en outre rien comprendre car comme le disait Feynman « si quelqu’un vous dit qu’il a compris la mécanique quantique, c’est qu’il n’y a rien compris ».

Emmanuel Macron a présenté le 21 janvier 2021 une « stratégie nationale d’accélération quantique ». Un programme de recherche a été défini, rassemblant des universités et des entreprises comme Atos et Thales. Un coordinateur national a été nommé, Neil Abroug. Le politique se lance ainsi dans l’aventure, espérant sans doute qu’avec l’ordinateur quantique la France pourra rattraper une bonne fois pour toutes le retard qu'elle a pris dans l'informatique (il ne lui consacre cependant qu’un milliard d’euros, somme minuscule qui indique que peut-être on n'y croit pas vraiment, que ce n'est qu'un rêve dans lequel on se complaît).

Les phénomènes quantiques sont une des dimensions de la nature, il est normal de s'efforcer d'en tirer parti. Mais l’ordinateur quantique ne risque-t-il pas de subir un hiver semblable à celui qu’ont connu les systèmes experts, version inaboutie de l’intelligence artificielle ?

Ne risque-t-il pas de détourner les attentions et les volontés de problèmes plus terre-à-terre mais urgents et sur lesquels il serait possible d’agir immédiatement, comme ceux que posent les défauts des systèmes d’information ? Ces défauts (désordre généralisé dans les données, les processus de production, la plateforme informatique, etc.) dégradent l’organisation des entreprises, donc leur efficacité. Comme le phénomène est massif la compétitivité de l’économie française est elle-même dégradée.

Il ne faut donc pas attendre avant de les corriger “decades away”, mais la place qu’a pris l’ordinateur quantique dans la communication, donc dans l’imaginaire des dirigeants, risque de les inciter à croire qu’il peut leur suffire d’attendre ce qu’il permettra d’accomplir et qu'alors tous les problèmes s'évanouiront. 

2 commentaires:

  1. "la place qu’a pris l’ordinateur quantique dans la communication" me fait penser à celle que la voiture électrique a aussi pris dans la communication de nos politiques ... à croire qu’il peut leur suffire d’attendre 2035 et alors tous les enjeux de nos 10 tonnes de production carbone an/habitant s'évanouiront !

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  2. Merci Michel pour ce billet ! c'est drôle car j'ai lu le livre de Julien Broboff (la nouvelle révolution quantique) pendant les vacances. La mécanique quantique est effectivement fascinante (on n'y comprend pas tout !) et très prometteuse. Comme le dit Broboff dans son livre, il y a énormément de défis avant d'avoir un ordinateur quantique et comme c'est la compétition internationale, on peut au moins se réjouir que la France y participe au moins. Pour les politiques, comme tu dis, ils n'y voient sans doute qu'un jeu compétitif et il faut y participer. Je ne crois pas au rôle des politiques sur la compréhension de l'entreprise (même ceux qui y travaillent ne comprennent pas toujours !!) et de ses problèmes.
    à très bientôt !
    olivier

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