jeudi 29 janvier 2015

Schéma économique de l'iconomie

On hésite toujours à partager une intuition, ne serait-ce que par peur du ridicule. C'est pourtant la façon la plus efficace de communiquer. J'ai donc décidé de jeter ma timidité par dessus les moulins et de partager mon intuition de « l'économie de l'iconomie ».

L'iconomie, je le rappelle, c'est la représentation d'une économie et d'une société informatisées parvenues par hypothèse à une efficacité raisonnable. L'économie et la société actuelles sont informatisées mais ne sont pas efficaces puisque le chômage de masse gaspille une grande part de la force productive. L'iconomie est donc un modèle, un schéma, dont le but est de faire apparaître les conditions nécessaires de l'efficacité.

L'informatisation est un phénomène historique dont les dimensions s'empilent comme les couches d'un mille-feuilles : physique et logique de l'informatique, psychologie des êtres humains, sociologie des organisations, démarches de la pensée, mission et valeurs des institutions. Ici nous considérons la seule dimension économique de l'informatisation, elle projette un éclairage sur les autres.

Les économistes construisent des schémas qu'ils nomment « modèles » et qui, comme des caricatures, simplifient la réalité pour en révéler un aspect essentiel. Nous allons suivre leur démarche. Elle comporte trois étapes que l'on peut représenter selon le dessin d'un sablier.


Il s'agit d'abord de constater des faits jugés importants : ce constat sélectif est guidé par le flair de l'économiste.

L'étape suivante consiste à trouver, dans la boîte à outils de la science économique, la synthèse qui permettra de déduire les conséquences des faits constatés : cette synthèse forme le nœud du sablier.

La troisième étape consiste à déployer l'éventail des conséquences de cette synthèse et à les comparer avec la situation réelle. Cette comparaison permet de vérifier que l'observation ne contredit ni la sélection des faits constatés, ni le raisonnement qui a suivi.

Le schéma ainsi obtenu ne décrit pas la situation dans toute sa complexité mais il met de l'ordre dans la réflexion et attire l'attention sur des conséquences auxquelles on n'aurait pas pensé auparavant. C'est ainsi d'ailleurs que fonctionne toujours notre pensée, car toute représentation simplifie le monde réel. Il faut assumer cette simplicité : elle conditionne l'efficacité de l'action.

dimanche 25 janvier 2015

Comprendre l'informatisation

(Article destiné à la revue Cahiers philosophiques, n° 141, mai 2015).

L'informatisation a changé la nature à laquelle les intentions et les actions humaines sont confrontées. Pour en prendre une exacte mesure, l'expérience que fait chacun avec l'Internet et le téléphone « intelligent » ne suffit pas : il importe de percevoir ce qui se passe dans le système productif car la mondialisation et la financiarisation sont, pour le meilleur et pour le pire, des conséquences de l'informatisation. Elle a transformé la nature des produits, la façon de les produire, la définition des compétences et des emplois, la forme de la concurrence, l'équilibre du marché, la relation entre les nations tout comme la perspective qui s'offre au destin des individus. 

Comme les autres révolutions industrielles, celle-ci provoque d'abord naturellement le désarroi. Les habitudes et comportements jadis raisonnables se trouvant inadéquats, les institutions tâtonnent à la recherche de nouvelles règles. 

L'économie informatisée, automatisée, requiert d'ailleurs des investissements importants : elle est donc ultra-capitalistique et cela implique des risques élevés. Il en résulte qu'elle est tentée par la violence, par une prédation à laquelle l'informatique offre des instruments aussi puissants que commodes. C'est là le principal danger qui guette notre société.

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Certains des phénomènes que l'informatique provoque sont évidents pour tous, d'autres sont moins visibles et ce sont les plus importants. Ce qui est évident, c'est ce que chacun expérimente lorsqu'il utilise un téléphone « intelligent » ou se trouve à son domicile devant l'écran-clavier d'un ordinateur connecté à l'Internet : ce sont autant d'interfaces vers une ressource informatique composée de processeurs, programmes et documents accessibles depuis partout grâce à l'Internet. Elle constitue un gigantesque automate programmable ubiquitaire1 dont la mise à disposition se concrétise par la messagerie, le Web, les réseaux sociaux, etc. et le déploiement d'usages qui ont des conséquences psychologiques, cognitives, sociologiques, culturelles, etc.

Ces phénomènes invitent à la réflexion : n'existe-t-il pas par exemple un rapport entre l'ubiquité de la ressource informatique et la globalisation de l'économie ? Pour répondre à une telle question il faut quitter la sphère de l'usage personnel et examiner ce qui se passe dans le système productif. La réflexion sur les usages reste d'ailleurs partielle si elle se limite aux conséquences de l'informatisation sans voir ce qui les a rendus possibles : pour être complet le raisonnement doit considérer, en même temps que les usages, leur cause matérielle. Derrière la messagerie, le Web, les réseaux sociaux, se trouvent des institutions qui légifèrent, régulent et normalisent, des entreprises qui construisent et programment des plates-formes informatiques et s'appuient, pour rentabiliser leur investissement, sur des modèles d'affaire (business model) d'un nouveau type.

dimanche 11 janvier 2015

Dominer l'émotion

Nous avons tous été émus par les événements de cette semaine. Il faut cependant dominer cette émotion car elle donne de mauvais conseils. Il ne convient pas de parler de « guerre » quand on a affaire à des assassins : les combattre est la mission de la police et non celle de l'armée. Il ne faut jamais dire que l'on a peur car cela réjouit les terroristes dont le but est précisément de terroriser. Il ne faut d'ailleurs pas avoir peur : certes ils sont odieux, mais ils ne pourront jamais nous tuer autant que ne le font notre laisser-aller dans la consommation d'alcool, de tabac, et notre chère automobile...

Ceux qui, à tort ou à raison, estiment que la société les ignore croient ne pouvoir exister que si l'on parle d'eux dans les médias. Par ailleurs notre culture confond souvent l'énergie avec la violence et accorde à celle-ci une prime de prestige : ne voyons-nous pas des dirigeants proclamer « je suis un tueur » et se comporter en brutes, comme cela s'est passé à France Télécom, comme cela se passe encore dans d'autres grandes entreprises ?

Alors tenir une arme dans ses mains, menacer et tuer des personnes sans défense donne au plus pauvre des imbéciles une illusion de puissance. Il est mal venu de parler du « professionnalisme » des tueurs, de leur « froide efficacité », de leur « savoir-faire » : de telles expressions sont pour ces esprits faibles autant de compliments délicieux. Accumuler des mesures sécuritaires qui bloquent l'économie et entravent la circulation, stigmatiser les Français dont la religion est l'islam, ce serait leur donner la victoire. Relativiser la menace n'empêche pas de les combattre mais permet de « raison garder ».

Cela n'interdit pas de travailler, réfléchir, comprendre. L'islamisme, dit Abdelwahab Meddeb, est la maladie de l'islam et cette maladie est épidémique. Quelle est son origine ? Comment se répand l'épidémie ? Comment la stopper ?

jeudi 1 janvier 2015

A propos de l'« intelligence de l'ordinateur »

L'« intelligence de l'ordinateur » fascine certains, elle fait peur à d'autres. Selon Stephen Hawking, « The development of full artificial intelligence could spell the end of the human race : humans, who are limited by slow biological evolution, couldn't compete and would be superseded1 ». Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee disent que « our skills and institutions will have to work harder and harder to keep up lest more and more of the labor force faces technological unemployment2 ».

Ces auteurs craignent que l'« intelligence artificielle » ne supplante l'intelligence humaine et que l'automatisation ne supprime l'emploi des êtres humains. Cette perspective réjouit d'autres personnes : elles disent qu'il vaut mieux s'en remettre à l'ordinateur parce qu'elles estiment que l'être humain n'est pas fiable. Si toute la production est automatisée, disent-elles d'ailleurs, ce sera tant mieux car l'humanité pourra consacrer son temps aux loisirs3.

L'« ordinateur intelligent », c'est une « chose qui pense ». Ne s'agit-il pas d'une de ces chimères que le langage peut créer (il est facile d'accoler des mots), mais qui ne désignent rien qui puisse exister ? Je soutiens donc une tout autre thèse : le cerveau humain est le lieu exclusif de l'intelligence créative et si le chômage de masse semble une fatalité, c'est parce que notre société n'a pas encore assimilé l'informatisation.

Nous tirerons cela au clair en comparant l'informatique à la mécanique et à l'écriture. Cela nous fournira des analogies et des différences qui feront apparaître les impasses dans lesquelles l'informatisation risque de nous égarer si nous n'y prenons pas garde.