dimanche 30 avril 2017

Quatre techniques pour innover

Si vous examinez les projets informatiques présentés par des start-ups qui sollicitent aujourd'hui un capital, un crédit ou une subvention, vous verrez qu'ils s'appuient souvent, dans des proportions diverses, sur une combinaison des quatre techniques suivantes :
  • l'intelligence artificielle ;
  • le big data ;
  • la blockchain ;
  • et, plus rarement, l'Internet des objets.
Ces techniques sont-elles vraiment celles qui offrent aujourd'hui à l'innovation les meilleures perspectives, ou bien s'agit-il d'un phénomène de mode ? Les deux à la fois, sans doute.

Quoiqu'il en soit, j'ai cherché à les connaître. Voici donc des liens vers quatre études qui présentent ce que j'en ai compris, leur lecture aidera à "se mettre dans le coup" certains de ceux qui n'y sont pas déjà :
  1. L'intelligence artificielle ;
  2. Le big data ;
  3. La blockchain ;
  4. L'Internet des objets.
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Comprendre l'intelligence artificielle

L'intelligence artificielle fait exécuter par l'informatique des opérations que l'être humain réalise naturellement : reconnaître un visage, transcrire une parole vocale en parole écrite1, jouer aux échecs, trier des messages2, détecter des comportements suspects ou des fraudes, etc. La puissance de l'ordinateur (mémoire, rapidité) lui permet de les accomplir avec une performance hors de la portée de l'intelligence humaine.

Chacune de ces opérations consiste en un classement : un visage est classé sous l'identité d'une personne ; un message est classé dans le dossier des spams ; une parole vocale est classée sous un mot écrit ; le prochain coup, aux échecs, est classé comme « meilleur coup possible », etc.

Il faut, pour pouvoir classer un être, disposer a priori d'une nomenclature3 qui définisse des classes. Dans la vie courante chacun de nous utilise plusieurs nomenclatures : lorsque nous rencontrons une personne, nous nous comportons envers elle en fonction de la catégorie psychosociologique dans laquelle nous la rangeons selon son âge, son habillement, son langage, etc. Lorsque nous sommes au volant nous inférons le comportement prévisible des autres conducteurs selon leur apparence et celle de leur voiture, etc. : nous interprétons ainsi des symptômes pour parvenir à un diagnostic.

L'ensemble des nomenclatures présentes dans l'intellect d'une personne constitue la grille conceptuelle (ou « grille » tout court) à travers laquelle elle se représente le monde tel qu'elle le voit4.

Dans le langage courant, « classement » et « classification » sont parfois synonymes et il en est de même pour « nomenclature » et « classification ». Pour la clarté des idées nous donnons ici à chacun de ces mots un sens précis :
  • une nomenclature est la partition d'un domaine de connaissance en « classes » à chacune desquelles est associé un nom ou un code : « nomenclature des activités industrielles », « nomenclature des êtres vivants », etc. ;
  • le classement est l'opération qui range un individu dans une classe d'une nomenclature existante : la personne qui dit « cet arbre-là est un mélèze » range un arbre dans la classe « mélèze » d'une nomenclature des arbres ;
  • la classification est l'opération qui crée la nomenclature d'un domaine de connaissance.

Intelligence artificielle = analyse discriminante

La statistique a systématisé cette démarche de classement avec diverses méthodes d'analyse discriminante:
  • l'analyse factorielle discriminante5 procure les combinaisons linéaires de symptômes qui distinguent au mieux les diagnostics ;
  • une machine à vecteurs de support (Support Vector Machines, SVM) indique la frontière, éventuellement sinueuse, qui sépare au mieux les diagnostics dans le nuage de points représentant les individus dans l'espace des symptômes ;
  • un réseau neuronal est un ensemble d'algorithmes communiquant par des liaisons, nommées « synapses », dont la pondération non linéaire tâtonne jusqu'à ce que l'interprétation des symptômes soit conforme au diagnostic.

Un réseau neuronal est une « boîte noire » : personne ne peut expliquer pourquoi il est arrivé à telle ou telle conclusion. Cela contrarie les esprits logiques et certains praticiens jugent d'ailleurs les SVM plus efficaces que les réseaux neuronaux. D'autres ont l'opinion contraire, d'autres encore estiment que la meilleure méthode s'appuie sur une combinaison des deux6.

Nous laisserons les experts à leurs controverses pour retenir que ce que l'on nomme « intelligence artificielle » est essentiellement l'application d'une technique statistique, l'analyse discriminante : quelle que soit la méthode qu'elle emploie, elle s'appuie en effet sur la théorie statistique et sur l'informatique complétées (et parfois compliquées) par l'ingéniosité et l'empirisme des praticiens.

Dire que « l'intelligence artificielle, c'est de l'analyse discriminante » suffit, semble-t-il, pour la situer du point de vue des intentions confrontées aux possibilités techniques et aux risques éventuels qui les accompagnent, et aussi pour éviter les analogies hasardeuses que l'expression « intelligence artificielle » a suggérées à certains penseurs.

jeudi 27 avril 2017

Diverses formes de trahison

Il existe plusieurs façons de trahir son pays.

On pense immédiatement aux profiteurs et aux prédateurs : aux dirigeants qui, comme Carlos Ghosn, s'octroient des rémunérations dont le montant annuel est celui d'un bon patrimoine ; aux politiques qui, fascinés par le niveau de vie de ces dirigeants, se procurent des rémunérations annexes en tirant parti de leur fonction et en cédant aux lobbys ; aux entreprises qui, pratiquant l'évasion fiscale nommée pudiquement « optimisation », profitent de la qualité des équipements et services publics sans vouloir contribuer à leur financement ; aux aventuriers qui, comme Patrick Drahi, empruntent pour s'emparer d'entreprises auxquelles ils font porter ensuite le poids de la dette ; aux banques enfin, qui pratiquent à grande échelle une prédation sur le système productif et vendent aux fraudeurs le service de blanchiment de leurs gains.

Mais il existe d'autres formes de trahison. Des intellectuels et gens des médias, cultivant un désespoir à la mode, parlent de notre prétendue « décadence », de notre prétendue « insécurité », alors que l'histoire montre que la France n'a jamais connu une telle sécurité et que si le PIB croît plus lentement que naguère, il ne recule pas. Des économistes et des philosophes militent contre le « capitalisme » et pour une « décroissance » dont les conséquences personnelles les contrariraient à coup sûr. Des « penseurs » comme les auteurs de L'insurrection qui vient et autres partisans de la « Nuit debout » militent pour la destruction du « système », c'est-à-dire de nos institutions et de notre Etat. Le respect dû à l'être humain quel que soit son sexe est caricaturé par des nouveautés linguistiques grimaçantes (« celles et ceux », etc.) qui déteriorent notre langue maternelle, le français. Cette langue, des universitaires et des chercheurs l'abandonnent pour ne plus parler et écrire qu'en mauvais anglais au détriment de la qualité de leur pensée.

Le « peuple », que certains semblent vouloir diviniser, trahit lui aussi à sa façon. Dans mon coin de province des personnes qui vont consulter à l'hôpital, et qui seraient parfaitement capables de conduire leur voiture, prennent le taxi remboursé par la sécurité sociale « parce qu'elles y ont droit » : notre République, œuvre de notre histoire, est considérée comme une vache à lait et non comme le patrimoine commun des citoyens. Un gamin sympathique à qui je demande « ce qu'il compte faire quand il sera grand » répond « je serai chômeur ». Je vois dans les cafés des affiches de films, C'est assez bien d'être fou et Vorem rien foutre al pais : ces films sont peut-être excellents mais leurs titres, accompagnés d'autres affiches qui proclament « non au nucléaire », « non au gaz de schiste », etc., deviennent les slogans d'un programme destructeur.

mardi 25 avril 2017

La blockchain dans l'iconomie

L'iconomie est le schéma, ou modèle, d'une société et d'une économie qui, par hypothèse, s'appuient efficacement sur la ressource informatique. Ce modèle, qui met en évidence les conditions nécessaires de l'efficacité, pose à l'horizon du futur un repère propre à orienter la stratégie des entreprises et des institutions.

La perspective de l'iconomie peut éclairer celle de la blockchain elle-même, tout en offrant un point de vue qui permet de faire abstraction des débats techniques actuels (sur la taille optimale des blocs, sur le choix entre « preuve de travail » (prof of work) et « preuve d'enjeu » (proof of stake) pour la rémunération des « mineurs » (miners) ou des « forgeurs » (minters), sur le contenu et le fonctionnement des « contrats intelligents » (smart contracts), etc.).

Les traits essentiels de l'iconomie sont les suivants1 :
  • les tâches répétitives physiques et mentales sont automatisées ;
  • chaque produit est diversifié en variétés destinées à un segment des besoins ;
  • chaque variété d'un produit est un assemblage (package) de biens et de services élaboré par un réseau de partenaires ;
  • chaque entreprise vise à conquérir un monopole temporaire.

Cette courte description fait immédiatement apparaître des domaines d'application de la blockchain : coopération au sein d'un réseau de compétences, ingénierie d'affaire autour des partenariats, cohésion de l'assemblage de biens et de services.

S'agissant de prospective il faut considérer ici la génération de blockchain aujourd'hui la plus avancée, dite 3.0, qui est celle des « contrats intelligents » (smart contracts) et englobe les fonctionnalités des générations 1.0 (réalisation et conservation de paiements en devise numérique) et 2.0 (stockage des traces de transactions portant sur des actifs)2. Nous n'imaginons pas ici par anticipation une future génération 4.0.

lundi 24 avril 2017

Lendemain de premier tour

Toute élection présidentielle est un saut dans l'inconnu. Quoique l'on puisse dire, on ne vote pas pour un "projet", car on sait qu'il sera oublié après l'élection. On vote pour un style qui annonce une orientation, une attitude, que l'on espère à la hauteur de la fonction et des défis qu'elle comporte. Cette évaluation intuitive et globale des divers candidats est sans doute plus fiable que celle qui s'appuie sur la lecture de leur "programme".

Les défis sont nombreux. L'un est la "malédiction de l'Elysée", une perte du sens des réalités, du contact avec les choses et les personnes : c'est la rançon du mode de vie qui suit l'accès à la fonction suprême.

L'autre est le ressentiment, la haine, qui s'éveillent dans le cœur des "politiques" envers un nouveau venu qui, loin de se laisser bizuter par les anciens, leur a raflé le prix d'excellence. Ils vont vouloir le lui faire payer en l'assassinant, au moins politiquement et fût-ce en se suicidant eux-mêmes.

Sa victoire face à Marine Le Pen est certaine mais on a tort de faire du Front national un épouvantail : l'orientation qu'il incarne étant une composante de notre histoire, il faut la connaître et la comprendre - ce qui ne veut pas dire qu'on l'approuve !

Cette orientation est, sous le masque d'une adhésion de façade à notre République, celle de la réaction anti-républicaine qui a inspiré la restauration sous Charles X, la collaboration avec l'Allemagne nazie sous Pétain, le putsch des généraux à Alger en 1961, et qui inspire encore une admiration nostalgique pour les régimes de Franco et de Salazar. La diaboliser, dire que l'on en a peur, lui opposer un "non" sans discussion, tout cela ne fait que lui donner plus de prestige.

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En regardant hier soir Emmanuel Macron j'ai pensé à Bonaparte et à Gorbatchev.

dimanche 16 avril 2017

Boycottons les « revues à comité de lecture » !

Je ne me suis jamais soucié de publier dans des revues à comité de lecture et si cela m'arrive, c'est par accident. Mes écrits sont en effet destinés à des lecteurs et non à des algorithmes qui classent les chercheurs selon le nombre de leurs publications dans des revues jugées crédibles.

Ce système pervers encourage la paresse et la fraude. La paresse, puisqu'il permet de classer les chercheurs sans jamais devoir lire leurs textes. La fraude, qui se manifeste dans des tactiques pour multiplier le nombre des articles et obtenir de nombreuses citations, au prix parfois d'une tricherie sur la qualité des résultats présentés : le « publish or perish » incite à la malhonnêteté.

Lorsque j'étais chercheur à l'INSEE un collègue m'a décrit ces tactiques qu'il utilisait habilement. Il m'a semblé impossible de concilier, avec la qualité de la recherche et la liberté de la pensée, le temps et l'attention que ces tactiques exigent, le conformisme aussi auquel il faut se plier pour séduire un de ces fameux « comités de lecture ». J'ai donc décidé de n'avoir aucune complicité, aucune complaisance avec ce système.

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