vendredi 31 mai 2013

Le monde de la nature est ultra-fractal

English version : The world of nature is ultra fractal.

Quelle que soit l'échelle à laquelle on les considère, les fractales ont le même degré de complexité. C'est par exemple le cas de la côte de la Bretagne : quelle que soit l'échelle de la carte, elle est aussi déchiquetée. Grossir le détail d'une fractale fait apparaître un dessin analogue à celui de l'ensemble.

L'examen d'un objet naturel – qu'il s'agisse de l'univers entier ou d'un grain de poussière – fait lui aussi apparaître, quand on change d'échelle, une succession de vues de même complexité mais contrairement aux fractales elles ne sont pas analogues.

La géométrie du Cosmos est non-euclidienne (courbure de l'espace). A l'échelle de notre expérience quotidienne, la géométrie est euclidienne. Nous trouvons dans le grain de poussière des amas de molécules. Plus loin nous rencontrerons des atomes, puis les ondes probabilistes de la mécanique quantique. Plus loin encore les particules apparaissent. Nous pourrions continuer, nous aurions pu aussi sélectionner d'autres échelles...

Dans le moindre détail de la nature se rencontre ainsi, comme dans une fractale, une complexité équivalente à celle de l'ensemble. Cependant chacune des échelles obéit à une géométrie qui lui est particulière. A la complexité de la fractale s'ajoute ainsi un autre type de complexité. La nature, essentiellement complexe, est « ultra-fractale ».

dimanche 19 mai 2013

Rapport de l'académie des sciences sur l'enseignement de l'informatique

On trouvera ce rapport à l'adresse suivante : http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/rads_0513.pdf.

Ce rapport est intéressant et utile mais il ignore l'iconomie : alors que l'informatisation transforme l'ensemble du système productif et des institutions, il se limite à la science informatique et ne considère ni les dimensions sémantique et procédurale de sa mise en oeuvre dans l'action, ni la délicate articulation du cerveau humain et de l'automate. L'expression "système d'information" est absente, ainsi que le mot "informatisation", et ces absences ne sont pas fortuites : elles sont délibérées.

En effet les académiciens n'ont pas voulu tenir compte de la critique que Maurice Nivat et moi leur avons adressée lors d'une audition à l'INRIA. Ils semblent enclins à cultiver une "science pure" de l'informatique semblable aux "mathématiques pures", et aussi méprisante envers les "applications" qu'elles ne le sont dès lors que ces applications sortent du domaine de l'automatisme et de l'algorithmique. Ils confondent incidemment "information" et "données", ce qui est sans doute conforme à l'usage des techniciens mais révèle chez des académiciens un étonnant manque de réflexion.

Il faut pourtant souhaiter que ce rapport soit entendu car l'enseignement de l'art de la programmation, la maîtrise des algorithmes, sont conditions nécessaires de l'informatisation même si elles ne sont pas suffisantes. Le slogan "apprendre à lire, écrire, compter, raisonner et programmer" est judicieux, ainsi que l'exigence d'un "bon sens informatique" chez les métiers d'une entreprise - exigence dont l'évocation aurait dû conduire à celle de la maîtrise d'ouvrage d'un système d'information.

Des risques restent cependant ouverts. Lorsque l'on confond "information" et "données", lorsque l'on n'est pas sensible au préalable sémantique de toute informatisation ni à la nécessité d'articuler les ressources du cerveau humain à celles de l'automate programmable, on ne peut être qu'un médiocre informaticien. Les bons informaticiens que je rencontre dans les entreprises sont avertis de l'importance de ces questions-là, ils savent les traiter intelligemment et elles occupent une part importante de leur temps de travail.

Il est regrettable qu'un rapport consacré à l'enseignement de l'informatique les ignore délibérément.

vendredi 17 mai 2013

Une récession pour rien



En voulant ménager la chèvre et le chou, le gouvernement a perdu sur tous les tableaux. L’austérité light n’a servi à rien : ni à rétablir l’équilibre des finances publiques, ni à retrouver la compétitivité, ni à préserver le pouvoir d’achat et l’emploi.

Le couperet est en effet tombé : la France est en récession et vient d’enchaîner deux trimestres consécutifs de baisse, avec un recul de 0,2 % du PIB au 1er trimestre. Mais ce n’est même pas le plus grave. Le détail des chiffres montre clairement les défaillances de l’économie française. Il y d’abord les investissements des entreprises qui plongent pour le 5ème trimestre consécutif. Un investissement dans le rouge qui révèle à la fois l’absence de perspectives mais aussi l’écrasement des marges des entreprises. Fin 2012 ces marges étaient tombées à leur plus bas niveau depuis 1985.

Dans ces conditions, difficile de rester compétitif avec des équipements vieillissants et un coût du travail trop élevé. Le résultat se paie cash, comme le révèle notre contre-performance à l’extérieur. Non seulement, nos exportations ont reculé de 0,5 % mais nos importations ont augmenté de 0,1 % alors même que la demande intérieure, c’est un comble, reculait !

La conclusion est implacable : nos entreprises perdent non seulement des parts de marché à l’international mais cèdent aussi du terrain à l’intérieur. Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que le marché du travail soit bloqué. La montée du chômage est inexorable : on devrait s’approcher de 12 % de la population active fin 2013 selon les prévisions de Xerfi.

D’ailleurs les ménages broient du noir. Certes, le recul de la consommation n’est que de 0,1 % en début d’année. Mais attention : cette résistance doit pour beaucoup au rebond des dépenses exceptionnelles et désagréables d’énergie, conséquence d’un hiver particulièrement rude. Et soyons réalistes, la priorité des ménages, c’est d’épargner, pas de dépenser. C’est bien ce que montre l'écart entre l'opportunité d'épargner et celle de faire des achats qui ne cesse de se creuser pour s'installer à un niveau inédit depuis 1972.

Alors bien sûr, la sortie de crise sur laquelle mise le gouvernement viendra tôt ou tard. Certainement pas en 2013 selon notre scénario, qui prévoit une baisse de 0,5 % du PIB. Probablement en 2014, avec un tout petit +0,3 %. Pour la suite, soyons réalistes : le délitement de notre tissu productif et les pressions sur le pouvoir d’achat ne permettront pas de dépasser 0,5 % en moyenne pour les années à venir, c’est désormais notre croissance potentielle.

Après les erreurs du précédent quinquennat, cette première année ne prépare pas le rebond. Le virage décisif pour mener enfin les réformes indispensables se fait attendre. Il y a des récessions utiles, celles qui s’inscrivent dans une stratégie pour réparer les erreurs du passé et préparer le rebond. Mais il y a aussi, hélas, des récessions pour rien.

*     *

Quelle conclusion tirer de l'exposé d'Alexandre Mirlicourtois ?

Penser que "la reprise finira bien par venir", c'est du fatalisme béât. Face à la crise économique et sociale la seule attitude raisonnable consiste (1) à comprendre que la nature a changé, car elle a été transformée depuis 30 ans par le changement du système technique que provoquent l'informatisation et l'Internet ; (2) à définir en conséquence et l'orientation stratégique, et la tactique qui permet de bousculer, surmonter ou contourner les obstacles.

Tant que l'on ne saura pas faire cela, la crise se prolongera avec tous les dégâts qu'elle entraîne.

La véritable dette de la France

On dit « la dette de la France » (ou « de l'Espagne », « de la Grèce » etc.) alors qu'il s'agit de la dette de l'État français, espagnol, grec. Or la dette d'un État et celle d'un pays sont deux choses différentes : outre l’État, un pays comprend des ménages et des entreprises, et sa dette est la somme de celle de ces trois acteurs.

On évalue par ailleurs le niveau d'endettement d'un État par le ratio « dette brute / PIB », choisi lors des accords de Maastricht. Ce ratio est un monstre conceptuel car il compare un stock d'un acteur (le niveau de la dette brute d'un État) à un flux d'un autre acteur (la valeur de la production annuelle du pays, mesurée par le PIB). La « dette nette », écart entre la valeur des dettes d'un acteur et celle des créances qu'il détient sur d'autres acteurs, est d'ailleurs plus significative que sa dette brute.

Le ratio qui permettrait d'évaluer sa crédibilité serait « dette nette / valeur des actifs » car celui qui possède un actif important peut, s'il le faut, vendre pour rembourser. Il faudrait fouiller les comptes nationaux pour évaluer les actifs de la France et ni le citoyen, ni les économistes ne possèdent la technicité requise car certaines données essentielles manquent : comment évaluer, par exemple, cette part de l'actif d'un État qu'est sa capacité à lever de nouveaux impôts ?

Nous allons donc focaliser notre attention sur la dette nette de la France. Dans la dette nette d'un pays les dettes internes s'annulent, puisqu'à une dette d'un acteur correspond une créance d'un autre : seules comptent les dettes et créances avec d'autres pays.

On connaît la dette nette de la France : la Banque de France publie chaque année un « compte des transactions courantes » qui décrit les échanges de biens, de services, de revenus et de transferts courants avec l'extérieur. Le solde de ce compte représente l'écart entre ce que la France a emprunté et prêté chaque année.

Regardons l'évolution de ce solde (comme toujours quand on parle de dette il faut considérer les valeurs nominales : l'image des dettes anciennes est donc comprimée par l'inflation qui a suivi) :

Graphique 1 : solde des transactions courantes 1949-2012 (milliards d'euros)

vendredi 3 mai 2013

Le bal des hypocrites

« La vraie morale se moque de la morale » (Pascal, Pensées)

Le flot d'indignation qui se déverse sur Dominique Strauss-Kahn, Gilles Bernheim, Jérôme Cahuzac, Claude Guéant etc. a quelque chose d'écœurant. Faut-il donc que nous soyons tous vertueux pour que la foule condamne ces personnes !

Apparemment nous sommes tous impeccables : nous avons toujours respecté la foi conjugale, nous sommes des associés loyaux, des amis fidèles, nous remboursons ponctuellement nos dettes, nos déclarations d'impôts sont exactes, nous n'avons jamais fréquenté de prostituée, nous n'avons jamais abusé de notre pouvoir, jamais commis aucune injustice ! Dans le secret de la solitude, nous ne nous sommes même jamais masturbés.

C'est du moins, apparemment, ce que nous pensons de nous-même et c'est du haut de cette vertu impeccable que nous jugeons et condamnons ces personnes.

« Je méprise ton action », a dit Paris de Bollardière à Massu qui organisait la torture lors de la bataille d'Alger. Cette phrase est précise : il ne dit pas « je te méprise », mais « je méprise ce que tu fais ».

Il se peut que les actes de ces personnes soient méprisables, mais pouvons-nous mépriser les personnes elles-mêmes ? Si nous sommes honnêtes, si notre mémoire n'a pas soigneusement effacé tout souvenir gênant, il nous faut pourtant bien reconnaître que nous aussi avons commis des choses dont nous ne sommes pas fiers. « Non, aucune », me dites-vous ? Hypocrite !

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Ce qui nous sépare en fait de ces personnes c'est qu'elles se sont fait « pincer », comme on dit dans les pièces de Labiche, alors que personne ne nous a jamais « pincé ». C'est ce qui surnage lorsque l'on pousse la discussion à fond : « Si Strauss-Kahn (ou Cahuzac, ou Bernheim etc.) s'est fait prendre, me dit-on, c'est qu'il n'était pas digne (ou pas capable) d'occuper ses fonctions ». Autant dire que notre morale se résume à « pas vu, pas pris ».

La faute d'autrui, démasquée et révélée, nous invite à contrôler le Mal qui est à l’œuvre chez chacun et même chez ceux qui prétendent être de petits saints. Plutôt que de condamner – laissons au juge cette tâche pénible – mieux vaut se tourner vers soi-même pour examiner ce que nous faisons.

Je ne peux jamais lire Jean 8,3-11 sans émotion :

Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qui a été surprise en train de commettre l'adultère. Ils la font avancer et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère. Or dans la Loi Moïse a ordonné de lapider ces femmes-là. Qu'en dis-tu ? » Jésus s'était baissé et, du doigt, traçait des traits sur le sol. Comme on persistait à l'interroger il se redressa et dit : « Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre ». Sur cette réponse ils s'en allèrent l'un après l'autre en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme. Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t'a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur ». Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et ne pèche plus ».