samedi 26 septembre 2009

Un lapsus qui n'en est pas un

On a tort de croire que Nicolas Sarkozy a fait un lapsus lorsqu'il a qualifié de coupables les prévenus de l'affaire Clearstream : avocat de métier, il connaît le sens des mots et il sait ce qu'il dit.

En fait il a exprimé une vérité politique : la vérité de sa politique.

Tout comme le fait Poutine en Russie, il met en place une "verticale du pouvoir", structure institutionnelle qui efface la séparation des pouvoirs que Montesquieu avait théorisée - législatif, exécutif, judiciaire - , au bénéfice du pouvoir au singulier.

Cette concentration vise à affranchir sa parole, comme son action, de toute contrainte. Cette parole a vocation à énoncer la vérité - non la vérité des faits, mais celle pure et simple de l'autorité qu'il incarne et qui doit être supérieure aux faits.

vendredi 25 septembre 2009

Comment Canal+ peut vous voler

En 1994 André Rousselet, fondateur de Canal+ évincé de l'entreprise, a publié dans Le Monde un article intitulé "Edouard m'a tuer". Aujourd'hui c'est Canal+ qui m'a voler.

Lisez attentivement cette chronique : elle vous apprendra des choses sur le fonctionnement des banques et de leurs systèmes d'information. Vous allez aussi découvrir comment une entreprise peut se faire de la trésorerie en prenant de l'argent dans votre poche - oui, exactement comme un pickpocket.

Consultant l'état du compte en banque de mon entreprise, je découvre en mai que Canal+ et Canalsat opèrent des prélèvements automatiques représentant deux abonnements à Canal+ et deux abonnements à Canalsat. Or elle n'est pas abonnée et je n'ai signé aucun ordre de prélèvement.

Je contacte ma banque pour faire opposition. Les prélèvements les plus récents peuvent être bloqués, me dit-on, mais 219,80 € ont été virés au compte de Canal+ : une personne - dont Canal+, selon la banque, ne veut pas révéler le nom - a signé un ordre de prélèvement en indiquant le numéro du compte de mon entreprise.

"Il faut surveiller son compte courant, ajoute mon conseiller, et ne pas y laisser dormir un montant important : il pourrait être siphonné en quelques minutes".

Quand on fait opposition à un prélèvement la banque prélève elle-même des frais. Si le prélèvement a mis le compte à découvert, cela fait d'autres frais qui aggravent encore ce découvert. Le conseiller a réglé le problème, cela n'a demandé qu'un coup de téléphone - mais il a fallu le donner.

"Comment, lui dis-je, récupérer les 219,80 € indument virés à Canal+ ?" - "Il faut, répond-il, que vous leur écriviez".

A qui écrire ? L'affaire révèle un dysfonctionnement assez grave pour le porter à la connaissance d'un dirigeant de l'entreprise - et d'ailleurs, comme disait César, il faut toujours frapper à la tête.

Donc j'écris le 26 juin à M. Bertrand Méheut, le PDG de Canal+, à qui je demande poliment de restituer ce qui m'a été pris et de me faire savoir comment et pourquoi ces prélèvements ont pu être effectués.

Ne recevant ni réponse, ni restitution, j'envoie le 8 août à ce Monsieur une autre lettre au ton plus ferme. Quelques jours après je reçois deux chèques datés du 30 juillet dont le total représente la moitié de ce qui m'a été volé - mais toujours aucune explication.

Je téléphone alors à Canal+. "Il fallait, me dit-on, vous adresser au Service clientèle". Le secrétariat de ce PDG ne transmet donc pas le courrier aux services concernés...

J'ai écrit voici dix jours à ce Service clientèle et depuis, aucune nouvelle.

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Vous croyez que les ordres de virement sont vérifiés par la banque, que l'on authentifie leurs signatures. Point du tout : tout se passe automatiquement. Quelqu'un, chez Canal+, a tapé le numéro de mon compte (à moins qu'il n'ait été saisi par lecture optique), l'ordre a été envoyé automatiquement à la banque qui, automatiquement, a fait les virements. Telle est la productivité que procure l'informatisation - mais les entreprises négligent souvent la supervision qui en est la contrepartie nécessaire.

Vous croyez que l'argent déposé à la banque est en sécurité. Non : n'importe qui peut piquer dans vos comptes et si vous n'y prenez pas garde ils peuvent se vider en un clin d'oeil. Une entreprise en crise de trésorerie peut ainsi se procurer immédiatement des fonds qui ne coûtent rien : il lui suffit de pianoter des numéros de compte...

Vous croyez que la banque, consciente d'avoir commis une erreur, va se démener pour que vous récupériez votre argent. Non, c'est à vous de le faire. Il fallait surveiller votre compte et réagir avant que les virements n'aient été effectués.

Vous croyez que le pickpocket, honteux, vous rendra immédiatement ce qu'il a pris : non ! Il faudra écrire, téléphoner, vous démener, et attendre car il résistera de toute la force de son inertie.

Vous croyez avoir droit à des explications, voire à des excuses pour le désagrément : nenni.

Pendant que vous usez votre salive au téléphone, que vous encombrez la Poste de plis recommandés dont le transport n'est pas gratuit, la salle de marché du pickpocket place habilement ses fonds et tire, de l'argent qu'il vous a pris, un savoureux rendement.

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Ajout du 6 octobre 2009 : Je viens de recevoir un appel d'une aimable dame du service clientèle de Canal+.

Il paraît que de petits malins se présentent chez les distributeurs avec un faux RIB pour prendre des abonnements. Ils partent avec le décodeur - et si la victime ne vérifie pas ses relevés bancaires, ils pompent dans son compte.

"Nous allons, me dit l'aimable dame, dire aux distributeurs qu'il faut demander une pièce d'identité avec le RIB, car cet incident se produit de plus en plus souvent, et Canal+ y perd"...

C'est en effet la moindre des choses.

"Il faut, ajoute-t-elle, que vous déposiez une plainte et me télécopiiez le récépissé pour que Canal+ puisse vous rembourser ce qu'il vous doit."

Une démarche de plus ! Mon temps ne compte pas...

Ajout du 26 octobre 2009 : Après avoir dûment déposé une plainte auprès de la gendarmerie de Génolhac, puis télécopié cette plainte à Canal+, je viens de recevoir deux chèques qui parachèvent le remboursement de ce qui avait été prélevé sur mon compte - mais, faut-il le dire, aucune lettre d'excuse ou d'explication ne les accompagnait.

jeudi 17 septembre 2009

A propos de la crise chez France Telecom

On peut expliquer la crise du secteur des télécommunications, et notamment celle de France Telecom, par une erreur stratégique fondamentale.

Nota Bene : Pour répondre aux questions de certains lecteurs, j'ai développé l'analyse de cette crise dans Le suicide d'une entreprise.

Quand on introduit de force la concurrence dans un secteur qui, pour des raisons techniques et physiques (cohérence des protocoles de communication et des investissements), constitue un monopole naturel, on viole la nature. Elle se venge en provoquant des catastrophes dont on voudra expliquer chacune, ensuite, par des mécanismes sociologiques et des erreurs humaines - mais ces mécanismes n'auraient pas joué, ces erreurs ne se seraient pas produites (ou du moins leur probabilité aurait été fortement réduite) si, au départ, l'erreur stratégique n'avait pas été commise aux États-Unis, puis en Europe, enfin en France.

mardi 8 septembre 2009

La planche de Platon

Platon avait des esclaves pour accomplir les tâches matérielles : l’écriture était le seul travail qu’il fît de ses mains. Un jour il dut pourtant les utiliser, car l’étagère sur laquelle étaient posés ses livres s’était effondrée sous leur poids alors que ses esclaves étaient aux champs pour récolter les fruits de son domaine.

Il fallut donc que le sage Platon, qui disait que seules les idées sont réelles, transportât lui-même une longue planche pour remplacer l’étagère. Il fit alors une expérience troublante.

Cette planche, qu’il serrait dans ses bras contre son flanc tout en marchant comme un canard, avait comme il se doit deux bouts. Il voyait bien le bout de devant mais, tandis qu’il pilotait celui-ci pour guider la planche dans les pièces et couloirs tortueux de sa maison, le bout arrière, caché à sa vue, cognait un chambranle, brisait une lampe à huile, écaillait un plafond, renversait un vase et causait force autres dégâts.

lundi 7 septembre 2009

Maîtriser le conflit des modèles

On peut assigner divers buts à la philosophie – contemplation de la vérité, esthétique des idées etc. – mais elle a aussi un but pratique : nous aider à acquérir le savoir-faire du penseur, les techniques de la pensée, fussent-elles implicites.

La formation, l’expérience équipent chacun de nous de « modèles », schémas préfabriqués qui rendent le raisonnement rapide et le structurent, mais qui parfois aussi l’emprisonnent.

Ainsi les mathématiques sont bâties sur des ensembles, la statistique sur des classifications, l’ingénierie sur un modèle organique, la finance et la médecine sur une représentation probabiliste, la production sur un schéma dynamique, le conflit sur une dialectique.

Chacun de ces modèles est utile dans son domaine. On risque cependant – par paresse, déformation professionnelle ou habitude – d’étendre la portée d'un modèle hors de son domaine légitime.

samedi 5 septembre 2009

Un article du Nouvel économiste

Pierre-Antoine Merlin m'a consacré un article dans Le nouvel économiste du 9 juillet 2009. Vous pourrez le lire en cliquant sur son titre : "L'homme triptyque".

Comme moi, vous le jugerez sans doute excessivement louangeur, mais c'est la règle du genre...

NB : Voir aussi Pierre-Antoine Merlin, "Le facteur X de la crise", Le nouvel économiste, 21 mai 2009.