mercredi 23 décembre 2009

C. G.Jung, The Red Book, Norton & C°, 2009

Ce livre de grand format est une petite merveille éditoriale. Ce sera sans doute une de ces raretés que les bibliophiles s'arrachent et que l'on est fier d'avoir dans sa bibliothèque.

Il comporte d'abord la reproduction fac simile d'un manuscrit dans lequel Jung a consigné sa démarche la plus intime mais qu'il n'a jamais publié car il craignait de ne pas être compris.

Ce manuscrit est resté longtemps dans un coffre-fort et seuls quelques très rares initiés ont été autorisés à le consulter. De tels livres maudits sont souvent les plus intéressants : que l'on pense aux Mémoires de Casanova et au Manuscrit trouvé à Saragosse de Potocki !

Le texte, en allemand, est écrit dans une calligraphie aussi soignée que celle des copistes du moyen-âge et en usant d'abréviations auxquelles on s'habitue assez vite. Il est orné d'enluminures et de miniatures qui illustrent les visions de Jung et où se déploie son talent de dessinateur.

dimanche 20 décembre 2009

Mésaventures d’un client lambda de France Telecom

Je publie ici le témoignage que Jean Kott m'a aimablement autorisé à reproduire. Ce grand expert des systèmes d'information est aussi, devant une grande entreprise comme France Telecom, un client lambda comme vous ou moi. Son témoignage illustre le degré de dégradation où est parvenu cette entreprise suicidaire.

Je communique assidûment mon analyse et mes craintes aux politiques et dirigeants que je rencontre. Pour le moment, je n'en ai trouvé aucun qui se sente en position d'agir mais je continue : même si France Telecom a désormais le statut d'une entreprise privée, la qualité du réseau et du service est un enjeu national.

Il faudra bien que le citoyen se réveille un jour, fût-ce un peu tard !
Ne s'est-on pas fait des illusions sur les vertus du privé et de la concurrence ?
La qualité du service que produit cette entreprise conditionne l'efficacité de notre économie : ne serons-nous pas contraints, un jour, de la re-nationaliser pour la reprendre à des actionnaires prédateurs ?

Vous croyez peut-être que dire cela, c'est ringard ? J'estime, moi, qu'il est ringard de persister, malgré l'expérience, à croire en des dogmes venant d'un mauvais cours d'économie et à prétendre que l'efficacité serait conditionnée par la concurrence pure et parfaite, la privatisation des services publics, l'ouverture totale du marché, la maximisation du profit et la création de valeur pour l'actionnaire.

Mais voici le témoignage de Jean Kott :

samedi 12 décembre 2009

Le Parador

Le Parador est terminé !

Ce roman a été publié sur volle.com à partir de mars 2008 sous la forme d'un feuilleton. Il s'agissait de mettre en scène les émotions et les drames que comporte la vie dans une grande entreprise. Mes intentions initiales étaient décrites dans Pourquoi un feuilleton ?, elles n'ont pas varié pendant sa rédaction.

J'espère que cette lecture vous intéressera, ou mieux qu'elle vous amusera. Il suffit de cliquer sur Le Parador. Le fichier pdf que vous téléchargerez alors est de 996 Koctets. Le livre a 270 pages. Je l'ai composé avec LaTeX pour obtenir une typographie de qualité convenable.

samedi 28 novembre 2009

Efficacité de l’entreprise contemporaine (série)

Ce texte est le premier d'une série qui se poursuit par les textes suivants :
L'économie quaternaire
Les « petits mondes »
Le mythe de la carrière
Le rendement sociologique de l'entreprise
Une réalité que l'on ne veut pas voir
Pour un « commerce de la considération »

*     *
L’entreprise efficace est celle qui produit des choses utiles sans gaspiller de ressources.

Cette définition de l’efficacité s’écarte du point de vue des parties prenantes : actionnaires, salariés, dirigeants etc. Elle considère le rapport entre d’une part la société, à qui l’entreprise offre ses produits, d’autre part la nature où l’entreprise puise ses ressources.

vendredi 27 novembre 2009

L’économie quaternaire

Nota Bene : ce texte fait partie de la série Efficacité de l'entreprise contemporaine.

L’entreprise type d’autrefois était une entreprise industrielle comportant des usines où travaillaient de nombreux ouvriers ; la conception des produits, l’organisation du travail étaient réalisées par des bureaux d’étude occupant un nombre plus réduit de personnes ; les services de commercialisation et de distribution avaient également des effectifs relativement modestes.

L’informatisation de l’économie a conféré à l’entreprise contemporaine une tout autre structure. La production des biens étant automatisée, les effectifs qui lui sont consacrés ont fondu. Les produits sont devenus des assemblages de biens et de services et l’emploi est majoritairement consacré d’une part à la conception des produits, d’autre part aux services qu’ils comportent. Cette économie-là n’est plus dominée par l’industrie, par le secteur secondaire, et elle ne se réduit pas non plus au seul secteur tertiaire : on peut la qualifier de « quaternaire ».

jeudi 26 novembre 2009

Les « petits mondes »

Nota Bene : ce texte fait partie de la série Efficacité de l'entreprise contemporaine.

La ressource humaine, mentale, de l’entreprise se découpe en spécialités. A l’intérieur d’un même métier plusieurs spécialités cohabitent : on trouve à la DRH des spécialistes de la paie et des spécialistes de la formation ; à la direction informatique, des spécialistes des réseaux, de l’exploitation, de la programmation, de l’architecture etc.

Certes les ouvriers de l’entreprise industrielle étaient des spécialistes (mécanos, électriciens, soudeurs etc.) mais dans l’entreprise du quaternaire, composée principalement de cadres, les spécialités sont devenues « pointues » : elles exigent des compétences dont l’acquisition suppose une formation longue. Chaque spécialité constitue par ailleurs un « petit monde » où l’on parle un langage spécifique, où l’on partage une culture et des valeurs particulières.

Les dirigeants forment une spécialité parmi les autres. Sa fonction est d’orienter l’entreprise en définissant ses priorités et en arbitrant entre ses projets, de gérer aussi l’incertitude propre à l’action stratégique. Cette spécialité, certes utile, n’est contrairement à l’étymologie du mot « hiérarchie » pas plus « sacrée » qu’une autre.

mercredi 25 novembre 2009

Le mythe de la carrière

Nota Bene : ce texte fait partie de la série Efficacité de l'entreprise contemporaine.

Observons une promotion à la sortie d’une école d’ingénieurs. Les individus sont encore des camarades qui échangent volontiers leurs impressions sur l’entreprise. Mais bientôt ils deviennent des concurrents : chacun surveille les autres pour s’assurer que personne ne le dépasse, qu’il ne prend pas de retard dans la chasse aux responsabilités. Ceux qui trouvent des raccourcis (le « piston ») sont enviés et détestés.

L’image qui s’impose est celle de naufragés dont les têtes dépassent la surface de la mer ; un cargo s’approche, une large échelle est lancée le long de son flanc, chacun s’y agrippe et s’emploie à grimper. Certains malins, ayant trouvé chemin faisant l’ouverture d’un hublot, arrivent sur le pont plus vite que les autres…

La course à la carrière fait naturellement suite à une scolarité elle-même orientée par le classement : elle prolonge l’adolescence et recule d’autant la maturité.

mardi 24 novembre 2009

Le rendement sociologique de l’entreprise

Nota Bene : ce texte fait partie de la série Efficacité de l'entreprise contemporaine.

La sociologie de l’entreprise s’explique, pour une part prédominante, par le conflit entre corporations et par la concurrence pour la carrière au sein de la corporation. Une proportion de l’énergie mentale des cadres est dépensée dans ces batailles et c’est autant de perdu pour l’efficacité : il serait trop optimiste de croire que celle-ci puisse résulter, par miracle, de comportements qui ont un tout autre but. Le pourcentage de l’énergie ainsi dissipée varie d’une entreprise à l’autre et il est bien sûr difficile de l’évaluer. Est-il de 30 %, 40 %, 50 % ?

Certains penseront que la perte d’efficacité n’est pas si forte que cela. Mais dans une entreprise où le travail, essentiellement mental, est accompli principalement par des cadres, croit-on qu’il puisse être indifférent qu’ils aient l’esprit ailleurs au lieu de concentrer leur attention sur la qualité des produits, la satisfaction des clients, l’efficacité de la production ? L’indifférence à la finalité de l’entreprise n’est-elle pas à l’origine de ces absurdités que l’on rencontre si souvent ? N’est-elle pas la cause de ces injonctions contradictoires qui provoquent chez les salariés le stress, la dépression dont on a tant de témoignages ? Ne met-elle pas les cerveaux à la torture ?

lundi 23 novembre 2009

Une réalité que l’on ne veut pas voir

Nota Bene : ce texte fait partie de la série Efficacité de l'entreprise contemporaine.

« Y penser toujours, n’en parler jamais », disait Gambetta à propos de l’Alsace-Lorraine. C’est ainsi que les cadres se comportent envers la carrière : la préoccupation tourne dans leur cervelle en tâche de fond mais ils n’en parlent presque jamais.

Dans les rapports entre personnes, entre corporations, une prime est donnée à une brutalité que l’on interprète comme un signe d’énergie. « Ses dents rayent le parquet, c’est un tueur », dit-on avec une admiration craintive, et les plus peureux ont tôt fait de comprendre qu’il faut prendre un air féroce pour se faire respecter.

Le « réalisme », ainsi conçu, exige que l’on se comporte en brigand. Les salariés sont maltraités, les sous-traitants réduits à quelque chose qui ressemble à de l’esclavage, les clients grugés, les partenaires volés.

dimanche 22 novembre 2009

Pour un « commerce de la considération »

Nota Bene : ce texte fait partie de la série Efficacité de l'entreprise contemporaine.

Pour améliorer le rendement de l’entreprise, la première étape est de prendre conscience du phénomène sociologique. Comme celui-ci est collectif il faut que cette conscience soit elle-même collective. Plutôt que de constater ses effets et de se lamenter, il faut remonter à leur cause, l’identifier et l’attaquer hardiment.

Les réseaux d’allégeance, par exemple, se confortent par la corruption. Or l’intensité de celle-ci dépend de la possibilité de blanchir des liquidités illicites. Lutter contre le blanchiment permet de réduire la virulence de ces réseaux, sinon de les supprimer.

Il sera difficile de dissiper le mythe de la carrière, mais l’entreprise pourrait être plus attentive qu’elle ne l’est au rôle des animateurs.

dimanche 15 novembre 2009

L'informatisation et la souffrance au travail

Le texte ci-dessous est celui de mon exposé le 17 novembre 2009 devant le groupe de travail TIC de la commission « Souffrance au travail » de l’Assemblée nationale.

*     *

Je vous remercie de m’avoir invité à cette audition. Quelques mots pour me présenter : je suis administrateur de l’INSEE, donc statisticien et économiste de formation. Je suis en outre docteur en histoire économique.

Dans les années 80, j’ai monté une mission économique au CNET, le centre de recherche de France Telecom. Cela m’a fait découvrir ce qui se préparait en informatique. J’ai créé dans les années 90 des entreprises de conseil et j’ai travaillé pour plusieurs grandes entreprises : France Télécom, Air France, l’ANPE notamment.

Depuis 1998 je publie mes travaux sur le site www.volle.com, qui a été l’un des premiers blogs. J’ai publié trois ouvrages : e-conomie, en 2000, décrit l’équilibre de l’économie informatisée ; De l’informatique, en 2006, est consacré au phénomène de l’informatisation ; Prédation et prédateurs, en 2008, se focalise sur les risques que comporte l’économie contemporaine.

Aujourd’hui je préside le groupe de travail « Informatisation » de l’Institut Montaigne. Je vais vous présenter notre point de vue sur ce thème tout en mettant en perspective le sujet qui préoccupe votre commission, c’est-à-dire la souffrance au travail.

mardi 10 novembre 2009

Muhammad Yunus, Vers un nouveau capitalisme, JC Lattès, 2008

Voici un grand livre d’économie, un livre créatif.

Je classe les livres d’économie en deux catégorie : les scolaires et les créatifs. Les scolaires s’appuient sur des acquis de la théorie dont ils exagèrent la portée (ils posent par exemple que « l’entreprise maximise le profit » ou que « le prix est égal au coût marginal »), ils abondent souvent en équations qui font savant.

Les livres créatifs partent non de ces acquis fragiles mais des fondations de la pensée économique, sur lesquelles ils édifient une architecture solide mais que la théorie avait jusqu’alors ignorée. S'ils recourent aux mathématiques, c'est avec sobriété : un créateur a d’autres priorités que de faire le singe savant. Yunus est un créateur.

*     *

Les habitants du Bangladesh sont pauvres alors qu’ils travaillent intensément. Comment cela peut-il se faire ? Yunus va sur le terrain avec ses étudiants, enquête, interroge, réfléchit et enfin trouve l’explication : les pauvres manquent du petit capital qui les sortirait de la griffe des usuriers. Mais au Bangladesh comme ailleurs les banques ne prêtent qu’aux riches…

Pierre-Jean Benghozi et alii, L’Internet des objets, MSH, 2009

Ce petit livre clair, dense et rigoureux décrit le monde en train de se construire autour des RFID (Radio Frequency Identification), en français « puces rayonnantes ».

On les connaît depuis longtemps : je me rappelle mes conversations avec Benoît Eymard au CNET dans les années 80. Elles sont présentes dans le passe Navigo de la RATP, dans les systèmes de télé-péage etc.

Leur utilisation se diversifie, bientôt on les trouvera partout. Mais elles ne constituent qu’une pièce d’un système, ou plutôt d’un système de systèmes. Pour illustrer cela, je condense ici un passage du livre (p. 20) : « Le cas de la grande distribution illustre les potentialités et la complexité de l’Internet des objets : il faut (1) un système local dans les entrepôts et magasins du distributeur ; (2) une intégration des données à son système d’information afin de pouvoir les traiter et les analyser ; (3) un système chez les fournisseurs, interopérable avec celui des distributeurs ; (4) un système chez les consommateurs, permettant de repérer les produits périmés et de lancer le réapprovisionnement ».

lundi 9 novembre 2009

Taylor, The Principles of Scientific Management, 1911

Le mot « taylorisme » évoque l’ouvrier dont le corps et le cerveau sont assujettis à la machine et la silhouette de Charlie Chaplin dans Les temps modernes : alors que l’inventeur du travail à la chaîne est Henry Ford (1863-1947) et non Frederick Winslow Taylor (1856-1915), on confond dans une même réprobation le taylorisme et le fordisme.
Mais si l’on prend la peine de lire Taylor on découvre des choses qui n’ont rien à voir avec ce qui a été mis sous le mot « taylorisme ». Même si l’entreprise industrielle de l’époque de Taylor n’est pas l’entreprise informatisée d’aujourd’hui, on trouve donc des leçons utiles dans ses travaux.

*    *

Taylor a observé attentivement, et dans le détail, le processus de travail dans les usines. Il constate alors que laissés à eux-mêmes les ouvriers mettent au point des « règles de pouce » souvent inefficaces, et que par ailleurs le travail en équipe les incite à « ne pas faire de zèle » car celui qui travaille mieux que les autres en est vite dissuadé.

dimanche 8 novembre 2009

À propos de Lévi-Strauss

Sur la couverture de La pensée sauvage, de Claude Lévi-Strauss, on voit l'image d'une fleur, la pensée sauvage viola tricolor.


Associer ainsi la pensée, activité du cerveau, à la plante homonyme, c'est exactement un calembour. Ce procédé rhétorique provoque la confusion des idées mais certains intellectuels français semblent croire qu'il procure de la profondeur à leur propos.

Que pouvais-je attendre d'un auteur qui, dès le porche de son ouvrage, confond dans un même symbole le monde de la pensée et celui des végétaux ? Le calembour qui orne la couverture de La pensée sauvage, loin de me faire sourire, m'a fermé l'accès à la pensée de Claude Lévi-Strauss : il m'a inspiré une telle répugnance que je n'ai jamais pu lire ne serait-ce qu'une ligne de lui (et que celui qui a tout lu me jette la première pierre !).

Comme j'ignore tout de cette pensée, je n'en dirai rien mais ce que j'en lis dans certains commentaires me semble étrange. Ainsi J.M.G. Le Clézio a écrit, dans un article du New York Times daté d'hier, "(Lévi-Strauss shows the) “primitive” people as the equals of those in the most elevated cultures of the civilized world".

Quelle drôle de phrase ! le signe "égale" (equals) est à faible distance du signe "supérieur à" (most elevated), "primitive" est entre guillemets alors que "civilized" en est dépourvu... Mais on voit bien la cible que vise la flèche : il s'agit de suggérer que toutes les cultures se valent, que toutes les civilisations se valent ; c'est d'ailleurs bien cette idée que l'on retrouve, associée à des éloges, dans plusieurs des commentaires sur Lévi-Strauss.

mercredi 4 novembre 2009

Arnaud Teyssier, Lyautey, Perrin, 2004

En lisant cette passionnante biographie le lecteur voyage dans le temps : il découvre à travers Lyautey ce que furent les préoccupations des personnes nées vers le milieu du XIXe siècle – ou du moins de celles qui, comme Lyautey, étaient nées dans une famille française aisée, cultivée et où l’on se mettait au service de la nation.

A la suite d’un accident Lyautey passera au lit une partie de son enfance, entouré des soins affectueux de plusieurs femmes. Il y prendra le goût de la lecture et de l’introspection, le goût aussi d’un intérieur douillet.

Il parle et écrit fort bien, son regard est vif et précis, il dessine à merveille. Sa sensibilité esthétique, enrichie par une solide culture historique et une lecture abondante et choisie, alimente un excellent jugement stratégique : plus tôt et plus nettement que d’autres il anticipera les catastrophes que préparent la conduite de la guerre de 14-18, la révolution russe, le traité de Versailles.

lundi 26 octobre 2009

A propos du "Kindle"

Comme les Québécois, je préfère penser et parler dans ma langue maternelle. Je dis donc non pas "mon Kindle" mais "ma liseuse".

Depuis longtemps, je souhaitais posséder cette liseuse dont parlaient tant de comptes rendus, le plus souvent enthousiastes, sur le New York Times. J'ai acheté une liseuse dès qu'Amazon a annoncé qu'enfin elle pouvait être livrée dans d'autres pays que les États-Unis et le Canada.

Ayant passé commande le dimanche 18 octobre, je l'ai reçue via UPS le mercredi 21 octobre : bravo pour la rapidité. Elle m'a coûté 256 € (je laisse de côté les centimes), dont 29 € pour le transport et 43 € de "Import fees deposit", autrement dit de frais de douane.

La liseuse est livrée sans housse de protection. Amazon conseille de la protéger en l'enveloppant dans une couverture de livre ; on peut aussi acheter une housse, mais je m'en passerai.

samedi 10 octobre 2009

Un groupe de travail sur l'informatisation

Le texte ci-dessous reproduit mon exposé du 30 septembre 2009 au dîner inaugural du Groupe de travail sur l'Informatisation que vient de mettre en place l'Institut Montaigne.

*    *
Pourquoi l’informatisation ?

L’informatisation transforme en douceur l’économie, les organisations, la société. Cette transformation est aussi importante que celle qu’a entraînée la mécanisation : il est utile de les comparer pour anticiper l’ampleur des changements qui nous attendent, et pour évaluer les enjeux à leur juste portée.

Elle diffère cependant de la mécanisation, car l’automate assiste notre cerveau alors que la machine remplaçait nos muscles et nos mains. Elle touche ainsi à notre organe le plus précieux, le plus sensible…

Qu'est-ce que l'informatisation ?

L’industrialisation s’est fondée sur un alliage entre la machine et l’organisation du travail humain. Cet alliage a fait émerger l’économie de marché, il a transformé les modes de vie et les rapports entre les nations.

Le mot informatisation désigne (1) le processus selon lequel une personne, ou une institution, forment un alliage avec le réseau de la ressource informatique, (2) l'émergence des conséquences de ce processus.

L'informatisation fait en effet émerger un être nouveau, à la fois individuel et institutionnel : l’être humain informatisé qui, conjuguant l’intelligence humaine à la puissance de l’informatique en réseau, présente des possibilités jusqu’alors inconnues et aussi des risques inédits.

L’informatique est pour l’informatisation ce que la mécanique est pour la mécanisation : une condition absolument nécessaire mais non suffisante.

vendredi 9 octobre 2009

Le suicide d'une entreprise

Après la publication de A propos de la crise chez France Telecom, qui contenait des liens vers les chroniques que j'avais au fil du temps consacrées à France Telecom, j'ai reçu plusieurs messages de lecteurs qui demandaient des précisions.

J'aurais préféré me taire : j'ai beaucoup aimé cette entreprise où j'ai rencontré tant de personnes admirables de tous les grades et niveaux, où j'ai tant appris, où je compte encore de nombreux amis - et ce qui lui arrive me fait souffrir, tout comme cela fait souffrir ses salariés et ses dirigeants.

Mais puisque l'on a demandé des précisions, il faut répondre. J'ai donc rédigé un complément à mes chroniques anciennes. Je ne reprends pas l'historique déjà donné ailleurs, ni l'analyse des stratégies qui se sont succédées dans le désarroi, ni le portrait des DG et présidents successifs que j'ai tous connus et vu agir de près.

La catastrophe symbolique

Nota Bene : Ce texte fait suite à France Telecom et la divestiture.

Toute entreprise, qu'elle soit grande ou petite, constitue une petite société dont la sociologie, spécifique, est marquée par son histoire. Cette histoire a déposé dans les mémoires l'image de certains événements marquants et autour de cette image se sont formés des réflexes collectifs, se sont coagulées des valeurs.

Ainsi toute entreprise vit dans un monde de symboles qui diffère des mondes technique et économique, s'articule à eux et les influence.

Tout entrepreneur véritable, tout stratège, sait que la source de l'énergie collective se trouve dans le monde des symboles et que c'est là qu'il doit poser le levier de son action.

Ce fait, depuis toujours évident pour quiconque ne porte pas d'œillères, l'est devenu plus encore avec l'informatisation. Mais les généraux ne sont pas tous des stratèges et les dirigeants ne sont pas tous des entrepreneurs.

France Telecom et la divestiture

Nota Bene : Ce texte fait suite à Les effets de la concurrence.

Il ne faut pas idéaliser le passé : comme toute institution, France Telecom avait des défauts au temps du monopole ; elle avait aussi des vertus.

Le sérieux professionnel de ses salariés m'a frappé lorsque je suis entré au CNET en 1983 : du haut en bas de la hiérarchie, tous connaissaient et même aimaient le réseau, tous étaient fiers d'être utiles à la Nation. Fidèles à la tradition saint-simonienne de l'École polytechnique (voir Pierre Musso, Télécommunications et philosophie des réseaux, la postérité paradoxale de Saint-Simon, PUF, 1997), ils veillaient à la qualité du service, à l'équipement du territoire, au perfectionnement des techniques, à la satisfaction des clients.

Ce sérieux s'accompagnait de quelque étroitesse : l'humour était une denrée rare à la direction générale. Le prestige de chacun se mesurant « objectivement » selon le montant du budget qu'il maîtrisait - ce budget fût-il consacré à creuser des tranchées - la subtilité intellectuelle n'était guère prisée en dehors du domaine technique. Les comportements admis, d'une brusquerie rustique, masquaient la ruse très fine nécessaire au pilotage de la carrière.

Les effets de la concurrence

Nota Bene : Ce texte fait suite à "Les télécoms sont-elles un monopole naturel ?".

Certains affirment que la concurrence est, pour tout secteur de l’économie, le seul régime efficace. Cette croyance étant pour eux un dogme, ils en oublient que le seul but légitime de l’économie est la satisfaction du consommateur.

Si l’efficacité de la concurrence est effectivement démontrée au début d’un cours d’économie, cette démonstration suppose des conditions que l’économie réelle ne respecte pas souvent : les développements les plus féconds de la théorie explorent les situations de concurrence imparfaite (monopole, concurrence monopoliste, régulation etc. : voir par exemple Jean Tirole, Théorie de l'organisation industrielle, Economica, 1993).

Mais sans doute beaucoup de personnes ne gardent en mémoire que le début du cours... S'appuyant en outre sur un passage d'Adam Smith qu’elles interprètent à contre sens (la fameuse main invisible), elles pensent que la recherche exclusive du profit est la condition du bien-être collectif : c’est leur deuxième dogme.

Ces deux dogmes servent d'argument à une politique qui, sous prétexte d'efficacité, s'applique à démanteler les services publics. Il s'agit aussi sans doute de liquider des institutions dont les syndicats, les corporations professionnelles avaient fait il est vrai des forteresses.

Les télécoms sont-elles un monopole naturel ?

Nota Bene : Ce texte fait suite à "Qu'est-ce qu'un monopole naturel ?".

Le réseau télécoms est un automate qui assure la communication à la demande entre les équipements terminaux - téléphone, ordinateur etc. – de ses utilisateurs, ménages ou entreprises.

La demande qui lui est adressée est une matrice de trafic probabiliste. Pour des raisons historiques elle a une forme approximativement bloc-diagonale, chaque bloc correspondant au territoire d'une nation : le trafic international est en effet moins intense que le trafic interne au pays.

La fonction de coût du réseau recouvre :
- le coût de la boucle locale qui raccorde les utilisateurs à un commutateur local et représente les trois quarts du coût du réseau ;
- le coût du coeur du réseau, qui assure la commutation et le transport.

Qu'est-ce qu'un monopole naturel ? (série)

« La consommation est le seul but de la production, et les intérêts du producteur ne doivent être respectés que dans la mesure où c'est nécessaire pour promouvoir ceux du consommateur. Cette maxime est tellement évidente qu'il serait absurde de tenter de la démontrer » (Adam Smith, La richesse des nations, Livre IV chap. 8)

Partons d'une définition aussi simple que possible : un secteur de l'économie est un monopole naturel lorsque la fonction de coût d'une entreprise typique de ce secteur est à rendement croissant.

Le rendement croissant peut se manifester de plusieurs façons :
- économie d'échelle : le coût moyen de production décroît lorsque le volume produit augmente ;
- économie d'envergure : le coût de la production de divers produits par une même entreprise est inférieur à la somme des coûts lorsque la production est réalisée par plusieurs entreprises.
- économie d'innovation : les résultats d’une R&D restant internes à l'entreprise, l'innovation sera d'autant plus intense (en principe) que l'entreprise est plus importante.

samedi 26 septembre 2009

Un lapsus qui n'en est pas un

On a tort de croire que Nicolas Sarkozy a fait un lapsus lorsqu'il a qualifié de coupables les prévenus de l'affaire Clearstream : avocat de métier, il connaît le sens des mots et il sait ce qu'il dit.

En fait il a exprimé une vérité politique : la vérité de sa politique.

Tout comme le fait Poutine en Russie, il met en place une "verticale du pouvoir", structure institutionnelle qui efface la séparation des pouvoirs que Montesquieu avait théorisée - législatif, exécutif, judiciaire - , au bénéfice du pouvoir au singulier.

Cette concentration vise à affranchir sa parole, comme son action, de toute contrainte. Cette parole a vocation à énoncer la vérité - non la vérité des faits, mais celle pure et simple de l'autorité qu'il incarne et qui doit être supérieure aux faits.

vendredi 25 septembre 2009

Comment Canal+ peut vous voler

En 1994 André Rousselet, fondateur de Canal+ évincé de l'entreprise, a publié dans Le Monde un article intitulé "Edouard m'a tuer". Aujourd'hui c'est Canal+ qui m'a voler.

Lisez attentivement cette chronique : elle vous apprendra des choses sur le fonctionnement des banques et de leurs systèmes d'information. Vous allez aussi découvrir comment une entreprise peut se faire de la trésorerie en prenant de l'argent dans votre poche - oui, exactement comme un pickpocket.

Consultant l'état du compte en banque de mon entreprise, je découvre en mai que Canal+ et Canalsat opèrent des prélèvements automatiques représentant deux abonnements à Canal+ et deux abonnements à Canalsat. Or elle n'est pas abonnée et je n'ai signé aucun ordre de prélèvement.

Je contacte ma banque pour faire opposition. Les prélèvements les plus récents peuvent être bloqués, me dit-on, mais 219,80 € ont été virés au compte de Canal+ : une personne - dont Canal+, selon la banque, ne veut pas révéler le nom - a signé un ordre de prélèvement en indiquant le numéro du compte de mon entreprise.

"Il faut surveiller son compte courant, ajoute mon conseiller, et ne pas y laisser dormir un montant important : il pourrait être siphonné en quelques minutes".

Quand on fait opposition à un prélèvement la banque prélève elle-même des frais. Si le prélèvement a mis le compte à découvert, cela fait d'autres frais qui aggravent encore ce découvert. Le conseiller a réglé le problème, cela n'a demandé qu'un coup de téléphone - mais il a fallu le donner.

"Comment, lui dis-je, récupérer les 219,80 € indument virés à Canal+ ?" - "Il faut, répond-il, que vous leur écriviez".

A qui écrire ? L'affaire révèle un dysfonctionnement assez grave pour le porter à la connaissance d'un dirigeant de l'entreprise - et d'ailleurs, comme disait César, il faut toujours frapper à la tête.

Donc j'écris le 26 juin à M. Bertrand Méheut, le PDG de Canal+, à qui je demande poliment de restituer ce qui m'a été pris et de me faire savoir comment et pourquoi ces prélèvements ont pu être effectués.

Ne recevant ni réponse, ni restitution, j'envoie le 8 août à ce Monsieur une autre lettre au ton plus ferme. Quelques jours après je reçois deux chèques datés du 30 juillet dont le total représente la moitié de ce qui m'a été volé - mais toujours aucune explication.

Je téléphone alors à Canal+. "Il fallait, me dit-on, vous adresser au Service clientèle". Le secrétariat de ce PDG ne transmet donc pas le courrier aux services concernés...

J'ai écrit voici dix jours à ce Service clientèle et depuis, aucune nouvelle.

*       *

Vous croyez que les ordres de virement sont vérifiés par la banque, que l'on authentifie leurs signatures. Point du tout : tout se passe automatiquement. Quelqu'un, chez Canal+, a tapé le numéro de mon compte (à moins qu'il n'ait été saisi par lecture optique), l'ordre a été envoyé automatiquement à la banque qui, automatiquement, a fait les virements. Telle est la productivité que procure l'informatisation - mais les entreprises négligent souvent la supervision qui en est la contrepartie nécessaire.

Vous croyez que l'argent déposé à la banque est en sécurité. Non : n'importe qui peut piquer dans vos comptes et si vous n'y prenez pas garde ils peuvent se vider en un clin d'oeil. Une entreprise en crise de trésorerie peut ainsi se procurer immédiatement des fonds qui ne coûtent rien : il lui suffit de pianoter des numéros de compte...

Vous croyez que la banque, consciente d'avoir commis une erreur, va se démener pour que vous récupériez votre argent. Non, c'est à vous de le faire. Il fallait surveiller votre compte et réagir avant que les virements n'aient été effectués.

Vous croyez que le pickpocket, honteux, vous rendra immédiatement ce qu'il a pris : non ! Il faudra écrire, téléphoner, vous démener, et attendre car il résistera de toute la force de son inertie.

Vous croyez avoir droit à des explications, voire à des excuses pour le désagrément : nenni.

Pendant que vous usez votre salive au téléphone, que vous encombrez la Poste de plis recommandés dont le transport n'est pas gratuit, la salle de marché du pickpocket place habilement ses fonds et tire, de l'argent qu'il vous a pris, un savoureux rendement.

*     *

Ajout du 6 octobre 2009 : Je viens de recevoir un appel d'une aimable dame du service clientèle de Canal+.

Il paraît que de petits malins se présentent chez les distributeurs avec un faux RIB pour prendre des abonnements. Ils partent avec le décodeur - et si la victime ne vérifie pas ses relevés bancaires, ils pompent dans son compte.

"Nous allons, me dit l'aimable dame, dire aux distributeurs qu'il faut demander une pièce d'identité avec le RIB, car cet incident se produit de plus en plus souvent, et Canal+ y perd"...

C'est en effet la moindre des choses.

"Il faut, ajoute-t-elle, que vous déposiez une plainte et me télécopiiez le récépissé pour que Canal+ puisse vous rembourser ce qu'il vous doit."

Une démarche de plus ! Mon temps ne compte pas...

Ajout du 26 octobre 2009 : Après avoir dûment déposé une plainte auprès de la gendarmerie de Génolhac, puis télécopié cette plainte à Canal+, je viens de recevoir deux chèques qui parachèvent le remboursement de ce qui avait été prélevé sur mon compte - mais, faut-il le dire, aucune lettre d'excuse ou d'explication ne les accompagnait.

jeudi 17 septembre 2009

A propos de la crise chez France Telecom

On peut expliquer la crise du secteur des télécommunications, et notamment celle de France Telecom, par une erreur stratégique fondamentale.

Nota Bene : Pour répondre aux questions de certains lecteurs, j'ai développé l'analyse de cette crise dans Le suicide d'une entreprise.

Quand on introduit de force la concurrence dans un secteur qui, pour des raisons techniques et physiques (cohérence des protocoles de communication et des investissements), constitue un monopole naturel, on viole la nature. Elle se venge en provoquant des catastrophes dont on voudra expliquer chacune, ensuite, par des mécanismes sociologiques et des erreurs humaines - mais ces mécanismes n'auraient pas joué, ces erreurs ne se seraient pas produites (ou du moins leur probabilité aurait été fortement réduite) si, au départ, l'erreur stratégique n'avait pas été commise aux États-Unis, puis en Europe, enfin en France.

mardi 8 septembre 2009

La planche de Platon

Platon avait des esclaves pour accomplir les tâches matérielles : l’écriture était le seul travail qu’il fît de ses mains. Un jour il dut pourtant les utiliser, car l’étagère sur laquelle étaient posés ses livres s’était effondrée sous leur poids alors que ses esclaves étaient aux champs pour récolter les fruits de son domaine.

Il fallut donc que le sage Platon, qui disait que seules les idées sont réelles, transportât lui-même une longue planche pour remplacer l’étagère. Il fit alors une expérience troublante.

Cette planche, qu’il serrait dans ses bras contre son flanc tout en marchant comme un canard, avait comme il se doit deux bouts. Il voyait bien le bout de devant mais, tandis qu’il pilotait celui-ci pour guider la planche dans les pièces et couloirs tortueux de sa maison, le bout arrière, caché à sa vue, cognait un chambranle, brisait une lampe à huile, écaillait un plafond, renversait un vase et causait force autres dégâts.

lundi 7 septembre 2009

Maîtriser le conflit des modèles

On peut assigner divers buts à la philosophie – contemplation de la vérité, esthétique des idées etc. – mais elle a aussi un but pratique : nous aider à acquérir le savoir-faire du penseur, les techniques de la pensée, fussent-elles implicites.

La formation, l’expérience équipent chacun de nous de « modèles », schémas préfabriqués qui rendent le raisonnement rapide et le structurent, mais qui parfois aussi l’emprisonnent.

Ainsi les mathématiques sont bâties sur des ensembles, la statistique sur des classifications, l’ingénierie sur un modèle organique, la finance et la médecine sur une représentation probabiliste, la production sur un schéma dynamique, le conflit sur une dialectique.

Chacun de ces modèles est utile dans son domaine. On risque cependant – par paresse, déformation professionnelle ou habitude – d’étendre la portée d'un modèle hors de son domaine légitime.

samedi 5 septembre 2009

Un article du Nouvel économiste

Pierre-Antoine Merlin m'a consacré un article dans Le nouvel économiste du 9 juillet 2009. Vous pourrez le lire en cliquant sur son titre : "L'homme triptyque".

Comme moi, vous le jugerez sans doute excessivement louangeur, mais c'est la règle du genre...

NB : Voir aussi Pierre-Antoine Merlin, "Le facteur X de la crise", Le nouvel économiste, 21 mai 2009.

lundi 24 août 2009

Le Parador, chapitres 20 (Canon) et 21 (Fugue)

Pour lire Le Parador en format .pdf, cliquer sur Le Parador.

Résumé des chapitres précédents :

Hande est une grande entreprise qui vient de frôler la faillite. Le nouveau président, Jean Bonhomme, a demandé à Marc Dutertre de l'aider à en faire une "entreprise-réseau". La DSI est en crise, les utilisateurs du SI ne sont pas satisfaits.

Dutertre prépare avec la directrice de la communication un tableau de bord mensuel pour le comité de direction. Un soir, il découvre grâce à elle les plaisirs de la sensualité ; par la suite elle refuse de le revoir et ça le déconcerte.

Le directeur financier lui demande d'expertiser les salles de marché du groupe. Un collaborateur découvre qu'il était possible de faire gagner des milliards à Hande en rectifiant une erreur.
Dutertre envoie à Bonhomme une note "stratégique" et se réconcilie avec la dircom'. Dutertre approfondit sa compréhension de l'entreprise et de son propre rôle de consultant. Mais il apprend que le directeur financier veut "avoir sa peau"...

... et il doit se défendre, Hande préfère finalement ne pas corriger son erreur mais il sauve sa peau. La réflexion sur la stratégie en matière de SI se poursuit en s'approfondissant.

Un de ses collaborateurs est tué dans un accident de voiture. Certains se demandent s'il n'y a pas eu un complot, mais il s'avère que cet accident était dû au hasard.

Dutertre envoie à Bonhomme une note qui l'alerte sur les risques que prend Costar, le grand projet informatique de Hande. Mais malgré la catastrophe prévisible il n'est pas écouté. Il prend goût au calvados, un peu trop peut-être

* *

En cliquant sur Le Parador vous téléchargerez une version à jour, comprenant tous les chapitres publiés jusqu'ici ainsi que les chapitres 20 et 21, qui sont nouveaux.

Il m'a semblé en effet préférable de publier Le Parador au format pdf seulement et de ne plus le publier en HTML : il m'arrive en effet de corriger les chapitres précédents et il est pénible de maintenir la cohérence entre les deux versions.

Je vous souhaite une bonne lecture !

mercredi 19 août 2009

Jonathan Littell, Les Bienveillantes, Gallimard, 2006

Sur ce gros livre mon commentaire sera court.

L'auteur a sans doute beaucoup travaillé pour se documenter mais il applique exactement, fût-ce avec talent, les recettes du Story Writing qui s'enseignent dans les universités américaines. Ses ficelles se voient trop.

L'opprobre déversée sur son livre par des bien-pensants n'a qu'une faible portée, car comme disait Pascal "la vraie morale se moque de la morale". Pour rester sur le terrain technique de l'écriture, voici les astuces de Story Writing que j'ai repérées :

mardi 11 août 2009

Comité invisible, L'insurrection qui vient, La fabrique, 2007

Alain Bauer avait signalé ce petit livre anonyme, attribué à des personnes qui avaient installé une épicerie à Tarnac et déjà surveillées par la police. Après la pose de fers à béton sur les caténaires d’un TGV dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 cette surveillance a abouti à des arrestations, des déclarations ministérielles et une instruction judiciaire dont on attend les conclusions.

A vrai dire, je n’ai pas trouvé ce livre plus inquiétant que ces conversations qui se terminent par « il nous faudrait une bonne guerre », « il faut tout foutre en l’air, après ça ira mieux » ou autre phrase du même tonneau.

Mais sa lecture est étonnamment fatigante : elle oblige le lecteur à naviguer entre des affirmations péremptoires, des constats partiels, des jugements et recommandations qu’il doit soupeser.

La première phrase est un aphorisme dont le style hautain imite celui de Guy Debord : « Sous quelque angle qu’on le prenne, le présent est sans issue ». C’est fort bien écrit mais cela ne veut rien dire : coincé entre le passé énigmatique que l’histoire tente d’explorer et un futur essentiellement incertain, le présent semble toujours proche d’une catastrophe – et parfois elle se produit en effet.

Les faits évoqués sont incontestables mais partiels : s’il est vrai que les organisations « s’occupent d’abord de leur survie » (p. 88) une institution ne se réduit pas à son organisation. Et si pour le comité invisible « devenir autonome » c’est « apprendre à se battre dans la rue, à s’accaparer les maisons vides, à ne pas travailler, à s’aimer follement et à voler dans les magasins » (p. 26), eh bien on peut avoir une autre idée de l’autonomie.

vendredi 31 juillet 2009

Clarisse Herrenschmidt, Les trois écritures : langue, nombre, code, Gallimard, 2007

Ce livre décrit la naissance de l'écriture au moyen-orient voici cinq millénaires, puis celle plus récente de la numération (ici rattachée à la création de la monnaie), enfin celle proche de nous du codage informatique. Chacune de ces innovations est présentée sur sa toile de fond symbolique - c'est-à-dire métaphysique, religieuse et liturgique bien avant d'être politique ou économique.

La lecture de ce livre n'est pas facile. Mais il possède une qualité rare qui fait de lui une exception : il se situe exactement au bon niveau de profondeur, à celui qui permettra au lecteur sérieux de méditer les phénomènes qu'il évoque et notamment, pour ce qui concerne la période actuelle, de prendre conscience de ce qu'implique l'informatisation.
J'ai beaucoup aimé les passages consacrés aux implications anthropologiques du mode d'écriture (idéographique, consonantique etc.), à l'articulation des divers rôles conférés à l'écriture (liturgie, gestion, commerce etc.), aux relations enfin entre le mode d'écriture et le mode de pensée, ce dernier déterminant le rapport avec les choses et avec les Dieux.

mercredi 22 juillet 2009

Les derniers des Iroquois

Une société, une culture, se mirent dans leurs « vedettes ». Les mages prétendaient autrefois lire le futur dans les étoiles : nous pouvons lire notre présent dans nos stars

Michael Jackson, avec la face de squelette qu’il s’était sculptée, nous tend ainsi un miroir. Qui sommes-nous donc, nous qui avons choisi d’adorer cette « idole » ? Que nous révèle ce culte sur nous-mêmes ?

Un journaliste américain l’a, me semble-t-il, clairement décrit (Bob Herbert, « Behind the Facade », The New York Times, 3 juillet 2009). Je traduis librement ici des passages de son article :


« Michael Jackson s'efforçait, de tout son être, à sortir de la réalité et à la laisser derrière lui. Sa vie est un exemple de l’extrême immaturité et de l’irresponsabilité grotesque qui ont émergé dans les années 80 aux Etats-Unis : 

« Ronald Reagan faisait, sur les impôts et les déficits, des promesses qu’il ne pouvait pas tenir et confiait à un astrologue de la côte ouest le soin de définir son agenda. Le film Wall Street allait refléter la complaisance de la nation envers l’avidité sans limite des riches et des puissants. Dans les quartiers noirs le crack avait des effets dévastateurs, les jeunes criminels se dotaient d’armes de plus en plus puissantes et la mode suivait le style des prisons. Le hip-hop allait apparaître, suivi par la violence et la misogynie du rap. 

samedi 18 juillet 2009

Le Parador, chapitre 19 : Pizzicati

Pour lire Le Parador en format .pdf, cliquer sur Le Parador.

Résumé des chapitres précédents :

Hande est une grande entreprise qui vient de frôler la faillite. Le nouveau président, Jean Bonhomme, a demandé à Marc Dutertre de l'aider à en faire une "entreprise-réseau". La DSI est en crise, les utilisateurs du SI ne sont pas satisfaits.

Dutertre prépare avec la directrice de la communication un tableau de bord mensuel pour le comité de direction. Un soir, il découvre grâce à elle les plaisirs de la sensualité ; par la suite elle refuse de le revoir et ça le déconcerte.

Le directeur financier lui demande d'expertiser les salles de marché du groupe. Un collaborateur découvre qu'il était possible de faire gagner des milliards à Hande en rectifiant une erreur.
Dutertre envoie à Bonhomme une note "stratégique" et se réconcilie avec la dircom'. Dutertre approfondit sa compréhension de l'entreprise et de son propre rôle de consultant. Mais il apprend que le directeur financier veut "avoir sa peau"...

... et il doit se défendre, Hande préfère finalement ne pas corriger son erreur mais il sauve sa peau. La réflexion sur la stratégie en matière de SI se poursuit en s'approfondissant.

Un de ses collaborateurs est tué dans un accident de voiture. Certains se demandent s'il n'y a pas eu un complot, mais il s'avère que cet accident était dû au hasard.

Dutertre envoie à Bonhomme une note qui l'alerte sur les risques que prend Costar, le grand projet informatique de Hande. Mais malgré la catastrophe prévisible il n'est pas écouté.

* *

En cliquant sur Le Parador vous téléchargerez une version à jour, comprenant tous les chapitres publiés jusqu'ici ainsi que le chapitre 19, qui est nouveau.

Il m'a semblé en effet préférable de publier Le Parador au format pdf seulement et de ne plus le publier en HTML : il m'arrive en effet de corriger les chapitres précédents et il est pénible de maintenir la cohérence entre les deux versions.

Je vous souhaite une bonne lecture !

mercredi 15 juillet 2009

Daniel Cordier, Alias Caracalla, Gallimard, 2009

C'est le journal (rétrospectif) d'un soldat de la France libre. Daniel Cordier a été l'un des premiers qui aient rejoint De Gaulle en Angleterre ; il a été parachuté en France et a servi de secrétaire à Jean Moulin.

Le livre entrelace plusieurs histoires : celle d'un garçon d'extrême droite dont les opinions changeront du tout au tout ; celle d'une formation militaire intensive ; celle du conflit institutionnel entre la France libre, autour de De Gaulle, et les chefs de la Résistance ; celle, enfin, de deux personnages qui ont servi de père de substitution à ce jeune homme et qu'il admirera profondément : De Gaulle et surtout Jean Moulin.

* *

L'éducation de Daniel Cordier lui avait inculqué la haine de la République et de la démocratie, l'antisémitisme et l'admiration pour Maurras. Ces opinions, prises telles quelles dans son milieu et adoptées, seront bousculées par l'expérience de la guerre et de la vie.

La défaite et l'armistice révoltent ce jeune nationaliste. Au grand scandale des gens de son milieu, il estime que Pétain est un "vieux con" et il s'éloigne de Maurras lorsque celui-ci se rallie au Maréchal. Puis, alors qu'il avait détesté les juifs sans les connaître, il estimera ceux qu'il rencontre ; enfin, dans le sillage de l'esprit républicain de De Gaulle, il finira par voir dans le monarchisme une illusion.

mardi 14 juillet 2009

Notre République

La révolution française a blessé notre histoire : elle a massacré une partie de l'élite de la nation, détruit une partie de son patrimoine architectural et l'essentiel de ses archives. Elle a ainsi coupé nos racines, déstabilisé nos valeurs et introduit dans notre culture une duplicité, une complexité qui traverse chaque Français : nous sommes tous nostalgiques de la distinction aristocratique et en même temps soucieux d'égalité ; nous sommes à la fois conservateurs et anarchistes...

Mais la Révolution a aussi construit notre République : ainsi elle a créé le ressort d'une nouvelle histoire en nous offrant la synthèse étonnante de l'ancien et du nouveau, de la distinction aristocratique et de l'égalité.

Cette synthèse est à la fois simple et subtile : c'est pourquoi elle est souvent mal comprise, déformée, détournée et finalement détestée. Si tant de personnes dans le monde aiment la France, c'est parce qu'elles ont compris ou du moins senti cette synthèse. Si tant de personnes détestent et méprisent la France, c'est parce que cette synthèse contrarie leur vision du monde et leurs valeurs. En France même, nombreux sont ceux qui rejettent notre République et qui sont d'accord avec ceux des étrangers qui détestent la France...

vendredi 3 juillet 2009

Une vidéo

Ma conférence du 22 avril 2009 aux "e-changes" de Xerfi est en ligne, avec une introduction par Laurent Faibis :


Nota Bene : Pour mémoire, deux autres vidéos :

"Savoir vivre avec le système d'information", Intervention d'ouverture des JRES 2007 - Strasbourg, 20 novembre 2007,

"Entrepôts de données, outils d’aide à la décision" : intervention à la Troisième École d'été méditerranéenne d'information en Santé - Corte, 21 juillet 2005.

samedi 27 juin 2009

Une crise peut en cacher une autre

Nota Bene : ce texte a été publié par la revue Le Débat, n° 157, novembre-décembre 2009.

La crise financière accapare l’attention. On l’explique par le comportement des financiers : mais ce comportement, comment l’expliquer ?

Nous développons la thèse suivante : l’informatisation a, depuis 1975, transformé l’économie mais cette transformation n’est ni comprise, ni clairement perçue. Il en résulte un déséquilibre qui suscite une crise plus profonde, plus globale que ce qui apparaît à l’occasion de la crise « financière ».

Pour en élucider les enjeux il faudra examiner la dimension anthropologique de l’informatisation.

mercredi 17 juin 2009

Appels au meurtre

On se rappelle ce que Maurras disait de Léon Blum : "c'est un homme à fusiller, mais dans le dos". Cet appel au meurtre n'a pas été suivi d'effet en ce qui concerne Blum mais il n'est peut-être pas pour rien dans l'assassinat de Georges Mandel, entre autres.

Si en France de tels excès appartiennent au passé, aux Etats-Unis et en Israël des extrémistes appellent aujourd'hui au meurtre de Barack Obama.

Ainsi en Israël des affiches le montrent coiffé du keffieh que portait naguère Yasser Arafat et accompagné d'une légende en anglais et en hébreu : "Barack Hussein Obama, Antisemitic Jew Hater" [1].

Jamais à ma connaissance Obama n'a manifesté d'antisémitisme ni exprimé de la haine envers les juifs, mais pour les extrémistes la réalité ne compte pas : ce sont des négationnistes [2].

dimanche 14 juin 2009

134 milliards de dollars

La presse a attendu plusieurs jours pour parler de cette affaire surprenante. Je suppose que bientôt tout le monde sera au courant.

Les faits : le 4 juin les douaniers italiens arrêtent à la frontière suisse, à Chiasso, deux Japonais qui tentaient de passer 134,5 milliards de dollars dans le double fond d'une valise : 249 "Federal Reserve bonds" de 500 millions, plus dix "Kennedy bonds" d'un milliard. De tels titres ne peuvent semble-t-il être négociés que par des États. Une liasse de documents bancaires leur était jointe.

samedi 13 juin 2009

Projet de loi

L’heure est au changement, à la réforme, à la rupture ! Alors j'y vais moi aussi de mon petit projet de loi, le voici. Il tient en un seul article (son passage au conseil d’État et sa discussion en commission feront ajouter d’autres articles plus techniques, ainsi ce sera un vrai projet de loi vraiment sérieux) :

Article unique

Le contrôle anti-dopage s’applique à tout candidat à une fonction élective, ainsi qu’à tout élu à une date aléatoire sous une périodicité au moins annuelle, selon les mêmes conditions et procédures que celles ayant cours dans le sport de haut niveau.

Je ne vois pas en effet pourquoi on interdirait à Richard Gasquet de participer aux compétitions de tennis, sous le prétexte que l’on a trouvé un peu de cocaïne dans son urine, alors que nos élus pourraient se bourrer le pif sans mesure.

samedi 6 juin 2009

Le Parador, chapitre 18 : Opéra

Pour lire Le Parador en format .pdf, cliquer sur Le Parador.

Résumé des chapitres précédents :

Hande est une grande entreprise qui vient de frôler la faillite. Le nouveau président, Jean Bonhomme, a demandé à Marc Dutertre de l'aider à en faire une "entreprise-réseau". La DSI est en crise, les utilisateurs du SI ne sont pas satisfaits.

Dutertre prépare avec la directrice de la communication un tableau de bord mensuel pour le comité de direction. Un soir, il découvre grâce à elle les plaisirs de la sensualité ; par la suite elle refuse de le revoir et ça le déconcerte.

Le directeur financier lui demande d'expertiser les salles de marché du groupe. Un collaborateur découvre qu'il était possible de faire gagner des milliards à Hande en rectifiant une erreur.
Dutertre envoie à Bonhomme une note "stratégique" et se réconcilie avec la dircom'. Dutertre approfondit sa compréhension de l'entreprise et de son propre rôle de consultant. Mais il apprend que le directeur financier veut "avoir sa peau"...

... et il doit se défendre, Hande préfère finalement ne pas corriger son erreur mais il sauve sa peau. La réflexion sur la stratégie en matière de SI se poursuit en s'approfondissant.
Un de ses collaborateurs est tué dans un accident de voiture. Certains se demandent s'il n'y a pas eu un complot, mais il s'avère que cet accident était dû au hasard.

Dutertre envoie à Bonhomme une note qui l'alerte sur les risques que prend Costar, le grand projet informatique de Hande.

* *

En cliquant sur Le Parador vous téléchargerez une version à jour, comprenant tous les chapitres publiés jusqu'ici ainsi que le chapitre 18, qui est nouveau.

Il m'a semblé en effet préférable de publier Le Parador au format pdf seulement et de ne plus le publier en HTML : il m'arrive en effet de corriger les chapitres précédents et il est pénible de maintenir la cohérence entre les deux versions.

Je vous souhaite une bonne lecture !

mercredi 3 juin 2009

Critique de la raison corrélative

(In English : Critique of correlative reason).

La statistique fournit des dénombrements, des moyennes, des totaux ; elle fournit aussi une mesure de dispersion pour les variables quantitatives, l'écart-type ; enfin, elle fournit une mesure de la relation entre variables quantitatives, la corrélation (pour les variables qualitatives, l'équivalent de la corrélation est le chi2).

J'épargne au lecteur les expressions mathématiques de ces notions : on les trouve dans les manuels de statistique.

Lorsqu'une relation linéaire (fonction affine Y = aX + b) existe entre deux variables X et Y la valeur absolue de leur coefficient de corrélation est égale à 1 : on dit qu'elles sont "corrélées".

Lorsque aucune relation n'existe, le coefficient de corrélation est égal à 0 : les deux variables ne sont pas corrélées. Lorsque la relation existe, mais qu'elle est floue, la valeur absolue du coefficient de corrélation se trouve quelque part entre 0 et 1.

mardi 2 juin 2009

Michel Goya, La chair et l'acier, Tallandier, 2004

Ce livre d'une rare qualité décrit la façon dont l'armée française a évolué entre 1914 et 1918 en tirant les leçons de l'expérience du combat et en s'appuyant sur les armes nouvelles que fournissait l'industrie.

Il obéit (sans le dire) à un modèle en couches en "quatre composantes : un capital matériel et technique, des structures, des méthodes tactiques et une culture (...), somme des normes de pensée et de comportement communes acquises par apprentissage et imitation réciproque" (p. 143).

Le "capital matériel et technique" évolue et transforme les conditions du combat : la poudre B, explosif puissant et sans fumée (p. 89), permet de mettre au point le fusil Lebel et la mélinite donne une nouvelle puissance à l'artillerie. La puissance de feu interdit désormais les manœuvres à l'ancienne : elle contraint à tirer parti du terrain, suscite la décentralisation du commandement et la délégation de l'initiative à des escouades commandées par un sergent. La coopération entre les diverses armes (infanterie, aviation, artillerie) s'impose.

lundi 18 mai 2009

William D. Cohan, House of cards, Doubleday, 2009

Dans The Last Tycoons, Cohan avait décrit l'histoire de la banque Lazard. Ici il décrit celle de Bear Stearns.

On lit sur la jaquette du livre "Cohan's explanation of seemingly arcane subjects like credit default swaps and fixed-income securities is masterful and crystal-clear". Pourtant je n'ai pas trouvé de telles explications dans ce livre. Il faut les chercher ailleurs.

Alors que The Last Tycoons donnait un peu de place à la description des opérations de fusion-acquisition, House of Cards est exclusivement consacré à des phénomènes psychologiques - qu'il s'agisse du caractère des personnes, de leurs relations, ou des avatars de la crédibilité d'une entreprise - Bear Stearns en l'occurrence.

Ce n'est pas inintéressant, mais on aimerait en savoir plus. Si, par exemple, les traders utilisent des modèles mathématiques sophistiqués, en quoi ces modèles consistent-ils ? Quelle influence ont-ils sur la façon dont ces traders perçoivent leur métier, se représentent les opportunités ?

mercredi 13 mai 2009

Critique de la raison statistique

Il ne s'agit pas ici de "critiquer la statistique", de la dénigrer - c'est ce que font des ignorants avec une obstination écoeurante - mais de délimiter sa portée légitime et son apport exact.

Le but de la statistique est qualitatif

Que retenons-nous après avoir consulté des statistiques ? Qu'en reste-t-il dans notre mémoire, qu'avons-nous appris ?
- des ordres de grandeur ("la population de la France (métropolitaine) est d'environ 62 millions de personnes"),
- des comparaisons ("l'Allemagne est plus peuplée que la France"),
- des évolutions ("la distribution des revenus est devenue plus inégalitaire depuis vingt ans"),
- des impressions ("l'inflation est faible en ce moment").

La statistique nous alimente ainsi en idées, en impressions qualitatives. Quand elles sont quantitatives ("la France est peuplée d'environ 62 millions de personnes") ces idées se satisfont d'un ordre de grandeur qui, même s'il mentionne une quantité, procure une impression qualitative. Les nombres informent d'ailleurs moins par eux-mêmes que par comparaison dans le temps ou dans l'espace : les "62 millions" de la France d'aujourd'hui ne prennent un sens que si on les compare aux "45 millions" de 1960 ou aux "82 millions" de l'Allemagne.

mardi 12 mai 2009

Vers un retour à l'informatique

Une hirondelle annonce-t-elle le printemps ?

Un article du Monde [1] décrit une entreprise qui, me semble-t-il, gère comme il le faut son système d'information : "Petra Friedmann, directrice d'Odopo, numéro deux du voyage en ligne en France, a choisi de gérer directement la relation client et l'informatique".

Les activités qu'un stratège "gère directement" sont celles qu'il considère comme stratégiques. Dans d'autres entreprises les activités stratégiques sont la finance et la communication ; dans celle-ci, c'est la relation client et l'informatique.

Enfin un dirigeant qui pose les pieds par terre, qui se préoccupe de la solidité de son entreprise ! Mme Friedmann décrit ainsi le rôle de son système d'information :

vendredi 8 mai 2009

France Telecom, suite et fin

France Télécom est sauvée ! C'est du moins ce qu'on lit dans Le Monde de ce jour [1]. Mais il faut décoder cet article comme s'il venait de la Pravda : sous les fleurs se cachent les épines, toutes ces phrases complimenteuses se retournent comme un gant.

Didier Lombard, PDG de France Télécom a donc un successeur pressenti : Stéphane Richard, énarque, inspecteur des Finances (donc très intelligent), admirateur de Jean-Marie Messier, directeur de cabinet de notre remarquable ministre des Finances, Mme Lagarde. Il est parfait, ce garçon !

Didier Lombard est parfait lui aussi. Il estime qu'il faut diriger France Télécom "comme une start-up" et son bilan est flatteur : l'opérateur résiste bien à la concurrence. S'il a essuyé récemment quelques revers stratégiques, c'est peu en regard de ce bilan. Le côté "entrepreneur" de Stéphane Richard l'a séduit.

vendredi 1 mai 2009

William D. Cohan, The Last Tycoons, Anchor, 2008

Ce gros livre (742 pages bien denses) raconte l'histoire de la banque Lazard.
Cette banque s'est spécialisée dans le conseil en fusions et acquisitions. Elle a aussi quelques autres activités (gestion de fonds, immobilier etc.) : mais son image reste accolée à sa spécialité principale.

Lorsqu'une entreprise veut croître elle a deux solutions : la croissance interne, ou la croissance externe par achat d'une autre entreprise ou fusion avec elle.
La deuxième solution semble souvent plus facile, plus rapide pour obtenir la "taille critique" jugée nécessaire à la survie, pour accroître la part de marché, réaliser des économies d'échelle etc.

Les moyens utilisés varient. Les deux entreprises peuvent négocier et s'entendre sur les conditions de l'achat, mais souvent la cible résiste. L'acheteur peut alors tenter de rassembler la majorité des actions en faisant au besoin une offre publique d'achat (OPA). Pour obtenir les moyens financiers nécessaires il peut faire un LBO (leveraged buyout), emprunt qui sera par la suite porté au passif de l'entreprise achetée et qu'elle devra rembourser.

Mille Madoffs (suite)

Nota Bene : Ce message fait suite à Mille Madoffs.
J'ai reçu d'un de mes amis le message suivant, daté du 28 avril :

"De passage tout à l’heure dans le quartier de la Bourse, j’ai vu qu’il se tenait au palais Brongniart un colloque financier. Des costume-cravate anglo-saxons entraient et sortaient, certains allant boire un café ou une bière au « Vaudeville ».

"Ayant mes entrées au palais Brongniart je suis allé voir ce qu’il s’y passait. C’était "EuroHedge Summit 2009", congrès des hedge funds européens. A l’intérieur, des stands pour la banque privée suisse, Jersey, l’île de Man, les fiduciaires luxembourgeoises et j’en passe... Il est regrettable que les journalistes n'aient pas été invités ni même autorisés : j'imagine l'article que l'EuroHedge Summit aurait inspiré à Libération...


"Conclusion : ce sont les banques qui ont créé les paradis fiscaux et ces paradis fiscaux procurent aux banques des fonds et des commissions, pour une bonne part de leur résultat. Sur ce point le dernier G20 n’a rien changé : il a au contraire renforcé le système."

vendredi 17 avril 2009

Dangers de l'immatériel

Ci-dessous, ma chronique dans L'Expansion d'avril 2009.

*     *

Supposons que Keynes soit parmi nous et qu'il examine l'économie contemporaine. Que verrait-il, que dirait-il ?

Il verrait une économie aussi déséquilibrée que celle des années 1930, des erreurs d'anticipation, l'inadéquation des comportements des consommateurs et des entreprises. Mais il se les expliquerait autrement.

Le déséquilibre actuel n'est pas provoqué, comme il l'était alors, par la persistance dans une économie industrialisée de comportements, de valeurs, d'un pessimisme hérités d'une économie dominée par l'agriculture. Il n'est pas provoqué par une sous-estimation du potentiel productif de l'industrie.

L'erreur qui domine aujourd'hui, qui bloque l'économie, c'est l'adhésion à des valeurs, des comportements, des lois d'anticipation qui correspondaient au système productif industrialisé mais ne correspondent pas au système productif informatisé et automatisé.

dimanche 15 mars 2009

L'entreprise et Aristote

Dès que le nom d'Aristote est prononcé beaucoup d'oreilles se ferment. Quel ennui ! Que c'est prétentieux ! Et pourtant, pour parler comme au lycée, il n'était pas si con que ça, Aristote.

Considérons les quatre types de cause qu'il a dénombrés : finale, formelle, matérielle, motrice. Longtemps je n'y ai rien compris, mais comme j'avais gardé quelques souvenirs du cours de philo j'ai pu voir que l'informatisation était la cause matérielle de la crise financière (voir Comprendre la crise) : elle a rendu cette crise possible – et si l'on réfléchit un peu on voit que dès que la crise était possible, elle était en fait inévitable.

Je me suis demandé quelle place pouvaient jouer, dans nos entreprises, les trois autres types de cause. J'ai découvert à ma grande surprise qu'elles s'empilent selon un modèle familier.

Si Aristote vivait de nos jours il s'intéresserait certainement à l'entreprise, lieu de l'action dans la biosphère - tandis que nos philosophes, dans leur majorité, préfèrent la dénigrer plutôt que de l'observer.

samedi 14 mars 2009

Mille Madoffs

When I began the Ponzi scheme, I believed it would end shortly and I would be able to extricate myself and my clients.” (Bernard Madoff [1]).

On s'interroge sur la psychologie de Bernard Madoff. Certains disent que c'est un psychopathe et ils le comparent à un tueur en série.

La citation ci-dessus donne du personnage une autre idée, que je crois plus véridique : c'est un faible qui, s'étant piégé lui-même, ne pouvait rien faire d'autre que d'attendre le jour où tout s'écroulerait. Pour surmonter une difficulté passagère il a amorcé une pyramide de Ponzi, puis il a été incapable de s'en sortir : "finding an exit proved difficult, and ultimately impossible."


C'est là un schéma familier. Rappelons nous l'époque (1993-1997) où Jean-Marie Descarpentries, entouré de l'équipe où brillait Thierry Breton, se faisait fort de redresser Bull. Il améliora le résultat comptable en comprimant la R&D : ainsi l'entreprise retrouva une apparence de la santé mais en hypothéquant le futur, comme l'a montré son évolution ultérieure. C'est qu'il existe plusieurs sortes de pyramide de Ponzi, où l'on paie avec le montant de nouveaux emprunts les intérêts sur les emprunts passés.