samedi 14 mars 2009

Mille Madoffs

When I began the Ponzi scheme, I believed it would end shortly and I would be able to extricate myself and my clients.” (Bernard Madoff [1]).

On s'interroge sur la psychologie de Bernard Madoff. Certains disent que c'est un psychopathe et ils le comparent à un tueur en série.

La citation ci-dessus donne du personnage une autre idée, que je crois plus véridique : c'est un faible qui, s'étant piégé lui-même, ne pouvait rien faire d'autre que d'attendre le jour où tout s'écroulerait. Pour surmonter une difficulté passagère il a amorcé une pyramide de Ponzi, puis il a été incapable de s'en sortir : "finding an exit proved difficult, and ultimately impossible."


C'est là un schéma familier. Rappelons nous l'époque (1993-1997) où Jean-Marie Descarpentries, entouré de l'équipe où brillait Thierry Breton, se faisait fort de redresser Bull. Il améliora le résultat comptable en comprimant la R&D : ainsi l'entreprise retrouva une apparence de la santé mais en hypothéquant le futur, comme l'a montré son évolution ultérieure. C'est qu'il existe plusieurs sortes de pyramide de Ponzi, où l'on paie avec le montant de nouveaux emprunts les intérêts sur les emprunts passés.

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José Luis Duran a lancé Carrefour dans une stratégie de baisse des prix (dont le corollaire, que l'on n'énonce jamais, est la baisse de la qualité). Cette stratégie n'a pas réussi. "Il faut un changement de paradigme ! ", proclame Lars Olofsson, nouveau DG qui vient de succéder à Duran.

Et que décide-t-il alors ? De baisser plus encore les prix, de mettre davantage en rayon de produits estampillés Carrefour qui sont moins chers (et aussi moins bons, faites-en l'essai) que les produits de marque. Ainsi Carrefour, engagé dans une impasse, ne voit pas d'autre issue que la fuite en avant.

Au passage Olofsson remarque que l'entreprise est incapable d'exploiter les données qu'elle collecte sur les achats de douze millions de clients détenteurs d'une carte de fidélité : le désarroi stratégique s'accompagne toujours d'une déficience du système d'information... [2].

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Jack Welch s'est forgé à General Electric la réputation de "Manager of the Century" en menant une stratégie qui a rapporté gros dans un premier temps, mais qui a orienté l'entreprise vers des récifs qui risquent maintenant de la couler.

Alors que GE avait placé les consommateurs et les salariés fidèles au coeur de ses préoccupations, Welch l'a convertie à la satisfaction prioritaire de l'actionnaire et au primat du résultat trimestriel, et il a rogné les dépenses "superflues" de R&D [3].

Il a par ailleurs lancé GE Capital (GEC), structure financière dont la part dans le chiffre d'affaires est passée en vingt ans de 10 à 35 %. Aujourd'hui, GEC "plombe" GE par des pertes que l'entreprise évalue à 4 milliards de dollars, tandis que des experts indépendants les situent entre 21 et 54 milliards.

Ils doivent être bien contents, aujourd'hui, les actionnaires pour lesquels Welch ambitionnait de "créer de la valeur" ! Le cours de l'action est passé de 50 $ en juillet 200 à 10 $ aujourd'hui. Il est vrai que GE n'est pas la seule entreprise qui subisse ce sort-là : prendre pour boussole le cours de l'action les a toutes conduites dans le fossé, leurs chers actionnaires avec elles.

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A.I.G. est le plus grand assureur du monde. Il emploie 130 000 personnes.

Une petite équipe de 400 personnes, la Financial Product Division située dans le Connecticut et à Londres et dirigée par Joseph Cassano, s'est spécialisée dans les "credit default swaps" (CDS), produit financier que l'on peut interpréter comme une assurance souscrite par un créancier : moyennant le paiement d'une prime mensuelle, l'assureur paiera le montant de la dette en cas de défaut de l'emprunteur. Mais, contrairement à une véritable assurance, il n'est pas obligatoire de constituer des réserves pour se prémunir contre le risque.

C'est périlleux mais ça rapporte beaucoup... tant que les faillites ne sont pas trop nombreuses. En outre les CDS sont devenus, dans les dernières et folles années, des produits spéculatifs : on pouvait, sans détenir aucune créance, parier sur la mort d'une entreprise. On estime que 80 % des 62 000 milliards de dollars de CDS étaient spéculatifs [4].

Et les 485 milliards de dollars de CDS souscrits par cette petite division ont fait tomber A.I.G. dans un puits sans fond. Pour la sauver, le gouvernement américain a dû lui donner 180 milliards de dollars à ce jour - et ce n'est pas fini [5].

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Les entreprises américaines ne sont pas les seules qui se soient plantées en faisant de la finance. Rappelons-nous le Crédit Lyonnais, dont la politique était de prêter à tout le monde, sans se soucier du risque (voir Cinq ans au Crédit Lyonnais) ; et France Telecom, où Jean-Louis Vinciguerra était considéré comme un "Mozart de la Finance" (voir "Grandeurs et misères de France Telecom"), où Michel Bon passait pour un entrepreneur de génie (voir France Telecom : sortir du gouffre) - jusqu'à la catastrophe exclusivement, dont elle ne s'est toujours pas remise.

* *

Madoff n'est pas le seul qui ait bâti une pyramide de Ponzi. Ce mécanisme conduit fatalement à l'échec, mais il en est de même des stratégies qui, pour présenter un résultat séduisant à court terme, détruisent le futur de l'entreprise - par exemple en supprimant la R&D.

Ceux qui ont exigé des entreprises un rendement de 15 % les ont poussées à liquider des actifs, à supprimer la R&D (on retrouve toujours cette mesure désastreuse, très significative) : c'était encore une pyramide de Ponzi.

Lorsque Nicolas Sarkozy dénigre la recherche et se moque grossièrement des chercheurs, il bâtit lui aussi sa pyramide de Ponzi en flattant la part la moins intelligente de la population et en obérant le futur de notre économie.

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Comme ils étaient arrogants, comme ils étaient sûrs d'eux, nos Madoffs, lorsqu'ils affirmaient que le seul but de l'entreprise est de "créer de la valeur pour l'actionnaire" !

Ils le sont un peu moins maintenant, mais ils n'ont pas perdu le moral : on les écoute, on les respecte encore. Quand Cassano a quitté A.I.G. en mars 2008, il a reçu 315 millions de dollars. Depuis 2006, Welch enseigne le leadership au MIT [6]. Bon a présidé le jury du prix Turgot 2008 qui récompense le meilleur livre d'économie de l'année. Descarpentries préside la Fondation Nationale pour l'Enseignement de la Gestion (FNEGE).

Madoff, lui, ne pourra cependant dispenser ses cours de gestion qu'aux autres prisonniers...

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[1] Diana B. Henriques et Jack Healy dans "Madoff Goes to Jail After Guilty Pleas", The New York Times, 12 mars 2009

[2] Rachel Sanderson, "Days of Reckoning", breakingviews.com, 12 mars 2009.

[3] Sylvain Cypel, "Le scepticisme sur la santé financière de General Electric grandit", Le Monde, 14 mars 2009.

[4] "Following the A.I.G. Money", Éditorial du New York Times, 14 mars 2009.

[5] Robert Dowling, "Analysis: The AIG Fiasco", Caijing, 17 mars 2009.

[6] C'est Jack Welch qui a lancé, lors d'un discours à l'hôtel Pierre de New York en 1981, la mode de la "shareholder value". La crise actuelle l'a incité à changer radicalement d'avis : "Shareholder value is the dumbest idea in the world. Shareholder value is a result, not a strategy... your main constituencies are your employees, your customers and your products.” (Francesco Guerrera, "Welch condemns share price focus", Financial Times, 12 mars 2009).

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