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Supposons que Keynes soit parmi nous et qu'il examine l'économie contemporaine. Que verrait-il, que dirait-il ?
Il verrait une économie aussi déséquilibrée que celle des années 1930, des erreurs d'anticipation, l'inadéquation des comportements des consommateurs et des entreprises. Mais il se les expliquerait autrement.
Le déséquilibre actuel n'est pas provoqué, comme il l'était alors, par la persistance dans une économie industrialisée de comportements, de valeurs, d'un pessimisme hérités d'une économie dominée par l'agriculture. Il n'est pas provoqué par une sous-estimation du potentiel productif de l'industrie.
L'erreur qui domine aujourd'hui, qui bloque l'économie, c'est l'adhésion à des valeurs, des comportements, des lois d'anticipation qui correspondaient au système productif industrialisé mais ne correspondent pas au système productif informatisé et automatisé.
Celui-ci s'est mis en place à partir de 1975 et cela a tout transformé : la structure de l'emploi, la fonction de production, le fonctionnement des marchés, la nature des produits.
Ces derniers sont devenus des assemblages de biens et de services élaborés par des entreprises travaillant en partenariat. La part des dépenses de conception dans le coût de production est devenue majoritaire, ce qui a entraîné la montée du risque vers les extrêmes - et aussi la mondialisation, car pour rentabiliser la conception il faut un marché aussi large que possible. La mondialisation, le risque, la puissance des outils informatiques ont suscité enfin une prédation qui ramène cette économie, si moderne, vers une forme nouvelle de féodalité.
L'informatique, les réseaux sont pour beaucoup dans le développement de l'ingénierie financière à partir des années 1970 : ils l'ont affranchie des contraintes de la géographie, ils lui ont fourni des outils puissants. Mais la simplicité que procure l'automate a masqué la complexité des opérations, procuré un sentiment trompeur de sécurité et incité les banques à prendre des risques extrêmes. "The Wall Street titans loved swaps and derivatives because they were totally unregulated by humans. That left nobody but the machines in charge" (Richard Dooling).
Si la cause immédiate de la crise financière réside dans le comportement des financiers, sa cause matérielle réside dans l'informatisation de la finance car elle a rendu ce comportement inévitable : en effet si le risque était (apparemment) supprimé, rien ne devait freiner la course au rendement. Mais alors le risque (réel) ne pouvait que croître ainsi que la probabilité d'une catastrophe et celle-ci serait systémique, globale, en raison de la solidarité qui lie les organismes financiers une fois la géographie supprimée et le marché unifié.
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