mercredi 28 avril 2010

Sam Williams, Richard Stallman et la révolution du logiciel libre, Eyrolles, 2010

Lorsque j'ai assisté le 12 janvier 2010 à la conférence donnée par Richard Stallman à la librairie Eyrolles, plusieurs facettes du personnage m'ont fasciné.

Tout d'abord, et contrairement à l'habitude des Américains, il a prononcé cette conférence en français - indice de courtoisie envers son auditoire.

Puis son propos, d'une clarté et d'une rigueur rares, m'a permis de bien comprendre le personnage - du moins j'en ai eu l'impression.

(Nota Bene : Richard Stallman m'a envoyé le 1er mai un commentaire qui m'a permis de préciser le texte et de corriger certaines erreurs).

Avant de vous dire ce que j'en ai compris, quelques mots sur le logiciel libre dont le pivot est la licence GNU GPL (cette même licence que j'utilise pour les textes que publie volle.com).

En bref, le code source d'un logiciel libre est disponible et l'utilisateur peut librement le copier, le distribuer, le modifier et distribuer la version modifiée à condition que celle-ci soit également soumise à la licence GNU GPL. Stallman l'a créée pour réagir contre les logiciels dits "privateurs" dont le code source n'est pas disponible et qui sont comme des boîtes noires pour l'utilisateur.

(Commentaire de Richard Stallman : Vous avez bien donné la definition brève de logiciel libre, avec les 4 libertés, mais il faut noter que « être logiciel libre » et « être sous la GPL de GNU » ne sont pas équivalents. Pas tous les programmes libres portent la GPL de GNU, seulement 2/3 d'eux. Regardez http://www.gnu.org/licenses/license-list.html pour quelques dizaines de licences libres. Regardez aussi http://www.gnu.org/philosophy/categories.fr.html.)

Un logiciel libre pourra être corrigé et enrichi par des contributeurs agissant eux-mêmes librement. La formule est donc féconde, mais elle n'obéit pas seulement à une exigence pratique : Stallman entend aussi promouvoir une éthique de la liberté.

Comme free signifie à la fois "libre" et "gratuit" en anglais, ce terme a provoqué des contresens. C'est pourquoi d'autres personnes ont inventé l'expression open source que Stallman a refusée après réflexion. Elle a le défaut, estime-t-il, de ne pas souligner assez l'exigence de liberté et en outre les promoteurs de l'open source, gens pressés que Stallman qualifie d'opportunistes, n'hésitent pas quand ils le croient utile à mêler leur code à du logiciel privateur.

Pour une analyse plus complète du logiciel libre, voir le commentaire de Laurent Bloch : je vais passer à la personne de Stallman, telle du moins que je la comprends, car cela permet me semble-t-il de bien évaluer les enjeux qu'il considère.

Il suffit en effet de voir Stallman, de l'entendre, pour que le mot « autiste » vienne à l'esprit - même s'il est exagéré de le qualifier ainsi.

*     *

Certains autistes développent un talent extraordinaire fondé sur une sensibilité extrême dans un domaine précis. Stallman est extrêmement sensible à la logique.

Si quelqu'un fait devant nous une erreur de logique que nous percevons, cela nous contrarie. Chez Stallman la même expérience provoque non la contrariété mais une souffrance intense. En juste contrepartie, la beauté d'une construction logique ingénieuse lui procurera un plaisir tout aussi intense.

Dès lors le monde des idées, concepts et déductions a pour lui un fort relief. Là où notre esprit paresseux ne voit qu'uniformité et platitude, le sien discerne gouffres et sommets : c'est pourquoi il a été un mathématicien prodige. L'énoncé d'une erreur l'atteignant comme une blessure, celle-ci le fait réagir. Il corrigeait à haute voix ses professeurs, certains d'entre eux n'ont pas aimé cela. Un tel caractère est comme entouré par une muraille qui le sépare des autres.

(Commentaire de Richard Stallman : Ce que vous dîtes auprès de ma réponse à la logique a quelque chose de vérité. Vous avez vu quelque chose d'intéressant dans moi que je ne savais pas.)

Son attachement à la liberté est une affaire de logique autant que d'éthique. N'est-il pas en effet illogique que cette liberté que la société tout entière prétend souhaiter et proclamer soit si souvent niée en pratique ?

(Brève parenthèse : avez-vous vu la devise de notre République, LIBERTÉ ÉGALITÉ FRATERNITÉ, inscrite au fronton de nos prisons ?)

Un être non seulement épris de logique, mais qui porte la logique à vif dans son corps même, et qu'oriente le désir de la graver dans une société qui en est profondément dépourvue, pourrait être un monstre s'il n'éprouvait pas tout autant le désir d'aimer et d'être aimé, de donner, recevoir, partager, s'il n'était pas aussi affectif qu'il est logique.

C'est cette conjonction de logique et de générosité qui me semble caractériser Stallman. Ceux qui ne perçoivent que la raideur prophétique avec laquelle il défend son idéal de liberté l'accusent d'être dévoré par son ego : ils font un contresens.

Je ne sous-estime certes pas Bill Gates mais je crois que Stallman aura en définitive joué un rôle plus important pour l'évolution de notre société.

5 commentaires:

  1. Merci de faire un article sur Richard Stallman.

    Cet homme et les valeurs qu'il défend et tente de transmettre est selon moi à mettre avant Bill Gates si on doit faire une préséance.

    J'ai eu l'occasion de le rencontrer et je partage votre admiration...

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  2. Pour signaler une vidéo issue d'une grande chaine dans cet article avec transcript:

    http://www.framablog.org/index.php/post/2010/04/26/video-logiciel-libre

    Donc vraiment pas réservé aux geek !!!

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  3. COUDERT Florent3 mai 2010 à 15:22

    Bravo pour votre article.

    Il était grand temps que vous parliez de Richard STALLMAN.

    Mais au delà des logiciels libres, ce pose aussi le problème de l'INTEROPERABILITÉ des systèmes.

    Nous sommes nombreux à nous plaindre des brevets abusifs portant sur les interfaces logiciels et sur les formats propriétaires de fichiers.

    Il me semble que c'est un domaine où on aurait besoin de gens de talent pour dénoncer ces entraves à la liberté d'entreprendre.

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  4. @Florent Coudert
    En effet, l'abus de la propriété est une entrave à la liberté.
    J'avais abordé cette question dans "Faut-il breveter les logiciels ?" - mais c'était avant la rencontre avec Stallman, qui m'a permis de mieux comprendre la différence entre logiciel libre et logiciel ouvert.

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  5. Merci pour cet article sur ce grand homme !

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