dimanche 26 juin 2011

Le théorème du complot

Les « complotistes », c'est-à-dire ceux qui adhèrent à la « théorie du complot », n'ont pas bonne presse. Ils exagèrent, dit-on : ils voient des complots partout, ils expliquent tout par des complots.

Il est vrai que leurs « théories » sont parfois loufoques : comment prendre au sérieux, par exemple, ceux qui disent que l'attentat du 11 septembre 2001 a été organisé par le gouvernement américain qui voulait un prétexte pour attaquer l'Irak ?

Il ne suffit cependant pas de hausser dédaigneusement les épaules, comme le font Philippe Val ou Edwy Plenel, lorsque quelqu'un évoque la possibilité d'un complot. Pour en rester au 11 septembre et à ses suites, l'administration Bush n'a-t-elle pas comploté pour faire croire à la présence d'armes de destruction massive en Irak ?

Tout n'est pas complot, tout ne s'explique pas par des complots, mais il ne faut pas en déduire que les complots n'existent pas. Ils existent bel et bien, en voici la démonstration en quelques étapes :

1 - « S'il se présente une occasion de se procurer un plaisir ou de gagner beaucoup d'argent de façon illégale ou immorale, mais avec un risque négligeable de se faire prendre, il se trouvera toujours quelqu'un pour en tirer parti ».

Il est en effet raisonnable de penser que dans une population quelconque 10 % environ des personnes sont parfaitement honnêtes, 10 % parfaitement malhonnêtes et 80 % susceptibles de céder à une tentation forte. Il est déraisonnable de croire que 100 % puissent être capables de résister à la tentation.

Comme la loi ne sanctionne pas tous les comportements immoraux il faut bien dire « de façon illégale ou immorale » : la plupart des abus de pouvoir restent impunis car il est difficile ou impossible d'en apporter la preuve – et ils sont d'autant plus tentants qu'ils obéissent à la règle « pas vu, pas pris ».

2 - « Certains gains illicites sont à la portée d'un individu seul mais d'autres nécessitent l'organisation collective que l'on qualifie de complot ».

Les comploteurs s'unissent pour obtenir chacun un gain supérieur à celui qu'ils auraient en agissant isolés. Leur solidarité les protège, ou du moins leur donne un sentiment de sécurité qui réduit le risque anticipé. Le plus souvent, c'est la rupture de cette solidarité qui permettra la découverte du complot.

Un individu seul peut réussir un coup isolé mais une récidive l'expose au risque d'une dénonciation. Seul le secret qu'assure un complot peut permettre la réussite d'une succession de coups.

3 - « Les personnes dont la profession ou le statut social inspire confiance, et qui entretiennent des relations assidues, sont plus que d'autres tentées de former un complot ».

En effet le prestige ou la considération qui les entoure les protège contre le risque de se faire prendre : elles seront les dernières que l'on pense à soupçonner. Une profession comme la Banque, qui fait commerce de la confiance dans la manipulation de l'argent, est ainsi soumise à de fortes tentations.

Les relations assidues qui se tissent dans les corporations facilitent par ailleurs la formation des complots : les comploteurs se recruteront souvent parmi les officiers, les ecclésiastiques, et de façon générale parmi les notables.

Des mafieux ont utilisé pour blanchir leurs profits la banque du Vatican (l'« IOR », Istituto per le Opere di Religione), institution des plus honorables. En laissant à l’Église une commission de 15 % [1], ils pensaient peut-être faire coup double en achetant par la même occasion l'absolution de leurs crimes...

Si vous admettez le raisonnement ci-dessus et la validité des exemples qui l'illustrent, vous devrez admettre aussi la conclusion suivante : les complots existent bel et bien et il est vraisemblable que la plupart d'entre eux ne sont jamais découverts. Ceux qui dénoncent en toute occasion la « théorie du complot » contribuent, sans le vouloir bien sûr, à la sécurité des comploteurs.

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[1] Ferdinando Imposimato, Un Juge en Italie, de Fallois, 2000, cité dans Denis Robert, Révélation$, Les Arènes, 2001, p. 75.

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