samedi 1 juin 2013

L'entreprise dans l'appareil statistique de l’État

(Exposé du 24 mai 2013 au colloque de Cerisy "A qui appartiennent les entreprises ?")

Résumé

Les priorités de la politique économique se sont reflétées dans les nomenclatures : au XVIIIe siècle les activités industrielles sont classées selon la matière première employée ; lors des débats sur le libre-échange au milieu du XIXe siècle, selon la nature des produits ; lors de la phase d'investissement à la fin du XIXe siècle, selon les équipements utilisés. La nomenclature actuelle est conçue de façon à rapprocher données financières et données physiques.
L'évolution de l'observation est révélatrice : au début du XIXe siècle la monographie est préférée à la statistique ; quand prévaut le libéralisme seuls les prix sont observés ; sous le régime dirigiste de Vichy l'observation s'étend aux quantités produites.
L'observation est encore l'enjeu d'un conflit entre des orientations politiques opposées. Après l'abandon de la monographie ni la statistique, ni la théorie économique n'ont observé l'intérieur de l'entreprise (organisation, processus de production, système d'information, relations de travail etc.), considéré comme le champ clos du management et de la sociologie.


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La première opération statistique portant sur les entreprises est lancée par Colbert en 1669 qui prescrit de « constater, par des termes numériques, la situation des fabriques du royaume » [1]. Cette opération ne réussit que dans l'industrie textile, qui est de loin la plus importante. Il s'agit en fait moins de connaître les entreprises – qui, à l'époque, sont des négoces de produits fabriqués par des artisans à domicile – que d'évaluer la capacité productive de la France, celle de son « système productif ».

Ce point de vue va s'imposer longtemps : les entreprises et les établissements sont des points de collecte de l'information, et non des êtres que l'on observe et que l'on dénombre. Comme il faut évaluer la production, il faut savoir décrire la diversité des produits en définissant des agrégats sur lesquels le raisonnement puisse porter.

La première classification, celle de Tolosan, intendant général du commerce en 1788, sera utilisée jusqu'en 1847. « Il dresse un tableau des principales industries de la France en complétant ses propres études au moyen des archives des différents départements ministériels » [1]. Il classe les activités économiques selon la matière première utilisée : le niveau le plus élevé de la nomenclature distingue la fabrication de produits d'origine végétale, d'origine animale et d'origine minérale [2]. Elle n'autorise donc pas le concept d'industrie textile puisqu'elle sépare le coton (d'origine végétale) et la laine (d'origine animale). On devine l'influence des physiocrates, donnaient plus d'importance à la fécondité de la nature qu'à l'action productive humaine et s'inscrivaient dans un système technique dominé par l'agriculture et les mines.

Avec l'industrialisation s'installe le débat entre le protectionnisme et le libre-échange. La nomenclature évolue en conséquence : les activités économiques sont en 1861 classées selon la destination des produits, ce qui facilite l'application des taxes douanières.

A la fin du XIXe siècle, la deuxième révolution industrielle suscite une phase d'investissement intense : les activités seront alors classées selon la technique mise en œuvre.

Ainsi chacune des trois composantes de l'activité – intrant, technique, extrant – a servi à tour de rôle de critère pour la nomenclature des activités. Après la deuxième guerre mondiale émergera un quatrième critère, le « critère d'association », qui classe ensemble les activités qui se trouvent fréquemment associées dans une même entreprise et assure en quelque sorte la synthèse des critères antérieurs. Nous verrons ci-dessous pourquoi ce quatrième critère a émergé.

L'observation, avons-nous dit, portait sur le système productif dans son ensemble, non sur les entreprises et les établissements qui n'étaient que des points de collecte de données destinées à une totalisation qui, seule, était jugée intéressante. Une exception remarquable est cependant fournie par l'enquête de 1833, qui donne une description détaillée des établissements, de leurs produits, des effectifs employés et des machines utilisées. Cela s'explique : vers cette date la mécanisation est en cours et les performances des entreprises sont diverses, selon qu'elles sont ou non convenablement mécanisées. La statistique est alors moins intéressante que la monographie, qui permet de repérer les méthodes les plus efficaces.

Pour chaque établissement sont mentionnés :
  • la nature de l'établissement, c'est-à-dire son activité ; on ne dit pas comment elle est déterminée ;
  •  
  • la commune où il est situé ;
  • le nom du fabricant ou manufacturier ; 
  • la valeur locative ;
  • le montant de la patente ;
  • la valeur des matières premières utilisées annuellement ;
  • la valeur des produits fabriqués annuellement ;
  • le nombre d'ouvriers (hommes, femmes, enfants) ; 
  • les salaires moyens (hommes, femmes, enfants) ;
  • les moteurs : moulins (à vent, à eau, à manège), machines à vapeur, chevaux et mulets, bœufs ;
  •  
  • les feux : fourneaux, forges, fours ;
  • les machines, dont la liste montre la domination du textile : métiers, autres, broches.

A partir de 1840 le conflit entre libre-échangistes et protectionnistes conduit les entreprises à se rassembler par familles de produit : les premiers groupements patronaux naissent, et la nomenclature utilisée pour le recensement industriel de 1861 classe les activités selon la destination des produits. Les résultats ne sont plus présentés établissement par établissement, mais par totalisation au niveau de l'arrondissement. Il s'agit toujours d'évaluer les performances :

« La seconde partie est affectée à l'étude de la situation économique des principales industries ; elle a pour objet de déterminer, dans la valeur d'un produit fabriqué quelconque, la part des capitaux engagés, celle des salaires, celle de la matière première et celle des frais généraux comprenant les frais de régie et d'administration, les impôts, les assurances et enfin les bénéfices.
« On examine, dans la troisième section, d'après les éléments fournis par l'enquête, les rapports existant entre la matière première et les produits fabriqués et, entre autres faits, la quantité et la valeur du travail fourni par un ouvrier, une machine ou un métier. Cette section constitue une sorte de statistique technologique de l'industrie »
[3]

Après la victoire des libre-échangistes en 1860 un un fossé de méfiance s'est creusé entre l’État et le patronat. Des entreprises de plus en plus nombreuses refusent de répondre aux enquêtes. L'information ne peut plus être obtenue que par des voies indirectes, par exemple en regroupant par établissement les questionnaires recueillis lors du recensement de population de 1895 de façon à pouvoir déterminer son activité principale et évaluer les effectifs qu'il occupe :

« Si l'on connaît, d'une part, l'importance du personnel d'une industrie, d'autre part, le salaire annuel moyen des ouvriers de cette industrie, on calcule aisément le total des salaires distribués. On possède alors un chiffre qui peut servir d'indice pour caractériser l'accroissement de valeur qu'ont acquis les matières premières dans telle ou telle industrie, sans avoir besoin de poser aux chefs d'entreprise des questions auxquelles beaucoup, sans aucun doute, refuseraient de répondre » [4].

La nomenclature classe cette fois les activités selon la technique utilisée : « les industries voisines sur la nomenclature se rapprochent aussi par l'analogie des procédés industriels » [4].

Jusqu'en 1940 la théorie et la pratique des gouvernements, des fonctionnaires et des hommes d'affaire sont rigoureusement libérales [5]. Les interventions de l’État n'étaient admises « que lorsqu'elles préservaient l'équilibre économique, soit par des lois (notamment sur les tarifs douaniers et les impôts), soit par des mesures administratives de détail » [6]. La notion même de production était absente des esprits, obnubilés par les aspects financiers de la « marche des affaires ». Les seuls indicateurs jugés utiles étaient les cours de Bourse et les prix de gros, qui étaient régulièrement publiés. Seules quelques industries faisaient connaître leur production (mines, forges et aciéries), l'indice de la production industrielle ne couvrait qu'un petit nombre de branches et employait pour la plupart des informations indirectes comme les importations de matières premières.

La statistique industrielle restera un sous-produit des recensements. En 1931 une enquête industrielle annexe au recensement contiendra pour la première fois des résultats sur les productions mais leur qualité décevra en raison de la faiblesse du taux de réponse [7]. En 1938 Sauvy obtient l'instauration par décret d'une obligation de réponse et réalise une enquête ambitieuse mais avec des moyens artisanaux : cette expérience, qui aboutit à un échec, est interrompue par la guerre [8].

Tout change pendant l'occupation. La CGPF (confédération générale de la production française) est supprimée tout comme les syndicats ouvriers, mais une « technocratie » prend le pouvoir, « alliance stratégique, en vue de la rationalisation et de la modernisation de l'appareil économique et contre la révolution sociale, entre le patronat et les grands commis de l'Etat » [9].

En raison de la pénurie des matières premières, une lourde administration est mise en place, l'OCRPI (office central de répartition des matières premières) qui emploie plusieurs milliers de personnes au sein d'un secrétariat d’État à la production industrielle. Il répartit les dotations entre les branches d'activité et la répartition entre les entreprises, dite « sous-répartition », est réalisée dans chaque branche par des « comités d'organisation » d'apparence corporatiste, en fait d'orientation patronale et financés par une taxe imposée aux entreprises de la branche. Des informations étant nécessaires pour réaliser la répartition et la sous-répartition, des enquêtes sont mises en place et les entreprises répondent assidûment car cela conditionne la dotation qu'elles reçoivent.

Ce système autoritaire, dont l'inspiration est proche de celle du système allemand mis en place par le régime nazi, accorde un grand pouvoir à l'OCRPI et aux comités d'organisation qui, selon les principes du corporatisme, sont considérés comme des organes administratifs. Les répartiteurs qui travaillaient à l'OCRPI étaient souvent des industriels. On devine les abus et la corruption qui ont pu en résulter : les plaintes abondent, les réponses aux enquêtes statistiques sont souvent faussées par le désir d'obtenir davantage de matières premières.

Après la libération, le CNPF se forme en agrégeant des « organisations professionnelles » qui récupèrent en fait les personnels et les méthodes de travail des comités d'organisation : ces organisations professionnelles garderont longtemps la nostalgie de la période de l'occupation où leur personnel avait eu tant de pouvoir. Progressivement la pénurie se desserre et naturellement les entreprises, de plus en plus nombreuses, cessent de répondre aux enquêtes statistiques. Le CNPF, en la personne de Raymond Lartisien, fait alors des démarches auprès de l'administration pour que les enquêtes soient rendues obligatoires.

Les organisations professionnelles avaient en effet pris l'habitude d'utiliser les statistiques dans leur négociation (sur les taxes, les quota d'importation etc.) avec l'administration ; la collecte, qui était le dernier reste du rôle officiel des comités d'organisation, leur donnait l'occasion d'un contact régulier avec les entreprises de la branche, les résultats étaient diffusés auprès de leurs adhérents.

Cette démarche, soutenue par le BCSI (bureau central de statistique industrielle) qui au sein du ministère de l'industrie avait repris les fonctions statistiques de l'OCRPI, aboutit à la loi du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques. La réponse aux enquêtes statistiques officielles sera obligatoire, mais protégée par le secret statistique. L'exécution des enquêtes pourra être confiée à des organismes agréés par l'administration : cela permet de laisser la collecte entre les mains des organisations professionnelles. Une entreprise peut cependant opter pour une réponse directe à l'administration.

Ces enquêtes, dites « enquêtes de branche », portent non sur l'entreprise entière mais sur la fraction d'entreprise, ou d'établissement, consacrée à une activité professionnelle. Une entreprise reçoit donc, en principe, autant de questionnaires qu'elle a d'activités différentes. Les questions portent essentiellement sur le volume et la valeur de la production, ainsi que sur les effectifs employés.

Ce sont ces enquêtes qui, jusqu'à la fin des années 60, vont fournir l'essentiel de l'information sur l'activité des entreprises, mais en les découpant en fractions : l'entreprise n'est pas véritablement observée et la priorité est donnée à l'obtention d'une évaluation de la production totale de chaque branche.

La qualité de ces enquêtes est très variable. On estime que 50 % des organisation professionnelles travaillent bien, que 30 % travaillent mal. Certaines enquêtes ne portent que sur les entreprises qui adhèrent au syndicat et ignorent les autres. L'exploitation de la plupart des enquêtes se réduit à la publication d'un format de questionnaire dans les cases duquel figurent des totalisations (et donc sans aucune ventilation par taille, par région etc.). Ces totalisations portent sur les seules entreprises qui ont répondu, de sorte que les éventuelles fluctuations résultent des variations du taux de réponse plus que de l'évolution de la production.

La doctrine des statisticiens s'est cependant complexifiée [10]. A la tradition scientifique et artisanale de la Statistique générale de la France, qui comptait 137 personnes en 1939, étaient venues s'ajouter l'apport mécanographique et technique du Service de démographie, monstre administratif créé en 1940 et qui absorbera la SGF en 1941 pour créer le Service national des statistiques, ancêtre de l'INSEE créé en 1946. L'INSEE réalise d'ailleurs en 1947 un des projets du SNS : les établissements puis les entreprises sont identifiée et immatriculés dans un « fichier des établissements » qui donnera naissance en 1975 au répertoire SIRENE.

A ces deux traditions statistiques (intellectuelle puis mécanographique, cette dernière préparant la voie à l'informatique qui se déploiera dans les années 60) s'ajoute celle de la comptabilité nationale, créée en 1951 au SEEF (service des études économiques et financières du ministère des finances) et qui rejoint l'INSEE en 1962 : elle accorde plus d'importance à l'évaluation des postes comptables, fût-ce par des procédés indirects, qu'à l'observation statistique. Enfin – suite logique de la comptabilité nationale et de l'informatisation – la construction de modèles macroéconomiques fournit des projections à court et moyen terme qui tentent d'éclairer le futur.

L'interaction de ces diverses traditions crée de la confusion et suscite des conflits parmi les statisticiens. Ils constatent cependant les incohérences et lacunes de l'observation des entreprises, qui altèrent la qualité de l'indice de la production industrielle et introduisent trop d'incertitude dan les comptes nationaux. Si l'observation des fractions d'entreprise peut fournir des indications physiques qui, à supposer qu'elle soient exactes, répondent à certaines des exigences de la comptabilité nationale (notamment pour remplir les tableaux d'échanges interindustriels de Léontieff), elle ne permettent pas d'éclairer les questions financières ni d'évaluer les investissements, données qui ne peuvent être observées qu'au niveau de l'entreprise entière.

Les statisticiens de l'INSEE réclament donc l'instauration d'enquêtes « de secteur » qui permettraient d'observer les entreprises. Alors que la branche rassemble toutes les fractions d'entreprises consacrées à une même activité, un secteur rassemble toutes les entreprises (entières) classées selon leur activité principale. On conçoit qu'il existe une relation entre ces deux découpages, un secteur contenant en principe l'essentiel (mais non la totalité) de la branche de même dénomination mais aussi des fractions d'entreprise relevant d'autres branches.

C'est cela qui explique l'intervention du « critère d'association » dans la construction de la nomenclature d'activité : si la classification regroupe les activités qui sont fréquemment associées dans les entreprises, la différence entre secteur et branche sera minimisée, le rapprochement entre les données de production et les données concernant la finance et l'investissement sera facilité.

Les enquêtes de secteur n'intéressaient cependant ni le CNPF, ni le ministère de l'industrie. L'INSEE se lança donc tout seul dans la réalisation d'un recensement industriel en 1962 et comme de juste cette tentative aboutit à un échec pitoyable.

Cependant l'INSEE ne renonça pas. Des « principes directeurs de la statistique industrielle » sont négociés avec le BCSI puis présenté au CNPF en 1965, une équipe de statisticiens de l'INSEE s'installa en 1965 au BCSI et, progressivement, les enquêtes de secteur furent lancées sous la forme d'une « enquête annuelle d'entreprise ». Ce singulier s'explique : alors que les enquêtes de branche étaient très particulières, chaque questionnaire présentant pour l'essentiel une liste de produits spécifique à la branche, les enquêtes de secteur comportaient de nombreuses questions standard posées à toutes les entreprises, les questions spécifiques à une branche faisant l'objet de feuilles intercalaires.

L'enquête annuelle d'entreprise démarre en 1965, elle est généralisée à toute l'industrie en 1970 : pour la première fois, après la tentative du recensement de 1962, les entreprises en tant que telles font l'objet d'une observation statistique. Cette observation sera confortée par une fusion de fichiers entre l'enquête annuelle d'entreprise (qui, partant de l'industrie, sera étendue au BTP, à l'agriculture et aux services) et les déclarations fiscales servant au calcul de l'impôt sur les sociétés.

*     *

Cependant de nombreuses difficultés vont s'élever, et elles perdurent aujourd'hui.

La consistance statistique du secteur d'entreprise est en effet douteuse. L'activité principale d'une entreprise pouvant varier, l'interprétation de son évolution est compliquée par des mouvements « démographiques ». Certains secteurs sont par ailleurs concentrés en un petit nombre d'entreprises puissantes : parfois elles refusent de répondre malgré l'obligation, et si elles répondent le secret statistique interdit de publier les résultats (que l'on pense à Michelin dans le secteur des pneumatiques).

S'il est toujours possible enfin d'observer des quantités, puis de les totaliser et de calculer des moyennes, ces résultats ne peuvent être interprétés que s'ils portent sur une population assez nombreuse pour qu'on puisse la considérer comme un échantillon tiré au hasard dans une population virtuelle, de taille infinie, sur laquelle on puisse estimer des corrélations qui seraient autant d'indices (au sens « policier » du mot) des lois économiques et comportements à l’œuvre. Si la population est de taille trop réduite pour qu'il en soit ainsi – c'est le cas de certains secteurs, et de tous les secteurs si on ne considère que les plus grandes entreprises – l'explication ne peut plus s'appuyer sur la statistique mais sur la monographie.

Ces difficultés se révélèrent progressivement. Elles se sont aggravées avec l'apparition ou la généralisation des groupes d'entreprises [11]. Il est certes possible de regrouper, autour d'une « tête de groupe », l'ensemble des filiales détenues à plus de 50 %. Mais cela convient-il pour définir ce qu'est un groupe ? Comment faire la différence entre les participations à finalité purement financière, et celles qui se concrétisent par une coordination effective des décisions techniques, commerciale et financière des entreprises, de telle sorte que le groupe constitue en fait une seule entreprise au plan économique ?

Comment traiter les situations où une entreprise décide de « filialiser » des activités de service qu'elle assurait jusque là en interne (nettoyage et entretien, transport etc.), puis les invite à courir leur chance sur le marché ? Comment traiter les grandes entreprises françaises dont les activités se sont largement déployées à l'étranger sous la forme d'une délocalisation de la production, ou d'une implantation à finalité commerciale ?

L'INSEE résout ou tente de résoudre ce problème en renonçant en 2008 à une définition purement juridique de l'entreprise. Ce sera désormais « la plus petite combinaison d’unités légales qui constitue une unité organisationnelle de production de biens et services jouissant d’une certaine autonomie de décision, notamment pour l’affectation de ses ressources courantes » [12]. L'utilisation de ce critère n'étant cependant pas facile, l'INSEE continue à se référer à l'unité légale pour la présentation de ses résultats [13]. Quatre catégories d'entreprises sont définies :

  1. Micro-entreprises : occupent moins de 10 personnes et ont un chiffre d'affaires annuel ou un total de bilan n'excédant pas 2 millions d'euros ;
  2. Petites et moyennes entreprises (PME) : occupent moins de 250 personnes et ont un chiffre d'affaires annuel n'excédant pas 50 millions d'euros ou un total de bilan n'excédant pas 43 millions d'euros ;
  3. Entreprises de taille intermédiaire (ETI) : occupent moins de 5 000 personnes et ont un chiffre d'affaires annuel n'excédant pas 1 500 millions d'euros ou un total de bilan n'excédant pas 2 000 millions d'euros ;
  4. Grandes entreprises : entreprises non classées dans les catégories antérieures.

Le singulier du mot « entreprise », la simplicité (d'ailleurs relative) de la forme juridique ou institutionnelle qu'il désigne, la complexité des critères qui permettent de définir un groupe recouvrent une diversité de cas qui va, pour les entreprises les plus importantes, jusqu'à l'exception ou, pourrait-on dire, la monstruosité. Quelle que soit l'orientation de la politique économique l'entreprise ne se prête pas commodément à l'observation statistique.

Celle-ci comporte d'ailleurs une limite. Les statisticiens observent volontiers les flux qui traversent l'entreprise et se reflètent dans son compte d'exploitation, mais ils ont du mal à observer son capital fixe et de façon générale à interpréter les données du bilan (dont la signification économique est d’ailleurs notoirement sujette à caution).

Enfin une sorte de pudeur gêne le statisticien quand il s'agit de regarder l'intérieur de l'entreprise, son organisation, les relations de travail et le système d'information : malgré d'intéressantes tentatives [14] cet intérieur ne fait pas l'objet d'un suivi assidu. Il est certes difficile de définir les concepts nécessaires, mais pas plus difficile que dans d'autres domaines effectivement observés. On dirait que l'intérieur de l'entreprise répugne aux statisticiens tout comme l'intérieur du corps humain a pu répugner, naguère, à ceux qui refusaient les autopsies.

Bibliographie

[1] Industrie 1847, Statistique générale de la France.
[2] Bernard Guibert, Jean Laganier, Michel Volle, « Essai sur les nomenclatures industrielles », Économie et statistique, n° 20, 1971.
[3] Industrie, enquête de 1861-1865, Statistique générale de la France, 1873.
[4] Recensement de 1896, Industrie, Statistique générale de la France.
[5] Michel Volle, Histoire de la statistique industrielle, Economica, 1978.
[6] Stanley Hoffmann, Sur la France, Seuil, 1976.
[7] L. Dugé de Bernonville, Enquête industrielle de 1931, Statistique générale de la France, 1935.
[8] Alfred Sauvy, Statistiques industrielles obligatoires, SNS, 1941.
[9] O. Paxton, La France de Vichy, Seuil, 1973.
[10] Michel Volle, Le métier de statisticien, Economica, 1984.
[11] Jean-Marc Béguin, Vincent Hecquet , Julien Lemasson, « Un tissu productif plus concentré qu’il ne semblait : Nouvelle définition et nouvelles catégories d’entreprises », INSEE Première, n° 1399, mars 2012.
[12] Décret n°2008-1354 du 18 décembre 2008.
[13] Tableaux de l'économie française, INSEE, 2013.
[14] Michel Gollac, Nathalie Greenan et Sylvie Hamon-Cholet, « L’informatisation de l’« ancienne » économie : nouvelles machines, nouvelles organisations et nouveaux travailleurs », Économie et statistique, n° 339-340, 2000.

2 commentaires:

  1. Bravo pour cette très intéressante contribution. Un point me semble par contre absent et mériterait d'être réinscrit selon moi dans l'historique de la stat industrielle, il s'agit de la montée en puissance de dispositif alternatifs privés. Sous l'effet de la financiarisation et de la montée en puissance de l'actionnariat, on voit en effet se mettre en place des ensembles de mesure déployés notamment par les instituts et conseils financiers et comptables, qui constitue des modèles concurrents de référencement des entreprises, et dont on peut s'interroger pour savoir dans quelle mesure ils pèsent, en retour, sur la statistique publique

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  2. Félicitations également. Pour avoir mené ce mois-ci une enquête à visée statistique sur un millier d'entreprises de services, je peux confirmer que cet article recense assez bien les difficultés que j'ai rencontrées ! A croire que la personne physique (salarié) reste l'unité statistique la plus solide, selon la doctrine de 1896. Mais pour cela, il faudrait que le recensement enregistre le nom de l'employeur de façon fiable (par son code SIRET sans erreur), je me demande si c'est bien le cas. Ou alors, les fichiers DADS, mais l'accès y est malaisé à ma connaissance.

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