Dans l'iconomie la plupart des produits seront donc élaborés par un réseau d'entreprises partenaires car cela permet de réduire le risque que supporte chaque entreprise. Une autre raison milite pour le partenariat : chaque produit étant un assemblage de biens et de services, les « effets utiles » qu'il procure au client nécessitent l'intervention d'acteurs aux compétences diverses.
Au cœur du partenariat se trouve une plate-forme d'intermédiation qui a pour rôle:
- d'assurer l'interopérabilité du processus de production en introduisant, entre les systèmes d'information des partenaires, la passerelle qui assure une fonction de traduction et de commutation ;
- d'assurer le traitement des « effets de commerce » qui circulent entre les partenaires en procurant au partage des dépenses et recettes la transparence qui garantit son honnêteté.
Mais comment faire pour que le partenariat soit équitable ?
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La réponse intuitive est simple : un partenariat sera équitable s'il est également rentable pour chaque partenaire. Il faut donc que le partage des dépenses et des recettes soit tel que le taux de rentabilité soit le même pour tous.
Mais pour pouvoir appliquer cette règle il faut surmonter deux difficultés.
1) Le taux de rentabilité s'évalue, dans le cas simple où la variation annuelle de la trésorerie disponible VTD que procure le projet est constante et où la durée du projet est infinie, par le quotient VTD/K où K est le coût de l'investissement initial (ou autrement dit la valeur du capital engagé dans le projet).
Nota Bene : la VTD est la somme du flux net de trésorerie, ou cash-flow, et de la VBFR (variation du besoin de fonds de roulement).
Ce capital sera cependant souvent un capital de compétence que la comptabilité actuelle ne sait pas évaluer. Il faut donc pour le connaître faire un effort d'évaluation.
2) L'échec du projet entraînerait pour certains partenaires une perte qu'ils peuvent supporter, tandis que pour d'autres elle entraînerait la faillite. Le risque n'est donc pas le même : le taux de rentabilité doit comporter pour chaque partenaire la prime de risque qui corresponde au risque qu'il encourt.
C'est donc le taux de rentabilité hors prime de risque qui doit être égal entre les partenaires ; le taux de rentabilité, qui comprend la prime de risque, sera différent. L'évaluation de la prime de risque qui doit être attribuée à chaque partenaire est évidemment délicate.
Quoi qu'il en soit des difficultés pratiques, la règle qui définit un partenariat équitable est claire : le taux de rentabilité hors prime de risque doit être égal pour tous les partenaires. Il reste à se mettre d'accord sur l'évaluation du capital que chacun engage dans le projet et sur celle du risque que chacun encourt : cela se tranche lors de la négociation du contrat de partenariat.
Mais il reste encore une difficulté autour de la plate-forme d'intermédiation.
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Celui des partenaires qui maîtrise cette plate-forme n'est pas en effet dans la même position que les autres. Il occupe au cœur du réseau de partenaires une position centrale qui est aussi une position de pouvoir. Il se trouve qu'il sera d'ailleurs aussi souvent celui qui est à l'initiative du design du produit, de l'organisation du partenariat et de l'ingénierie d'affaire.
Un partenariat est cependant, par principe, une relation d'égal à égal : c'est ce qui le différencie de la relation entre donneur d'ordre et sous-traitant. Or cette égalité de principe semble contradictoire avec le rôle de l'organisateur du partenariat, qui se trouve en position de sur-traitant par rapport aux autres partenaires.
Pour surmonter le paradoxe qui résulte de cette contradiction on peut s'inspirer de l'organisation qui prévaut dans le logiciel libre, où les projets ne peuvent réussir qu'à condition d'être pilotés par un « dictateur bienveillant » - expression qui est elle-même d'apparence paradoxale. Voyons comment cela fonctionne.
Les contributions des programmeurs sont d'importance diverse : cela va de l'écriture d'une part essentielle du code à la correction d'une faute d'orthographe dans un commentaire. Leur qualité est diverse aussi : certaines sont précieuses, d'autres inutiles, quelques-unes nocives.
Il faut que quelqu'un de bien informé, et donc placé dans une position centrale, trie ces contributions pour choisir celles qui seront retenues et décider de rejeter les autres : c'est la fonction du « dictateur ».
Mais il faut que ce dictateur soit « bienveillant » car sinon le flux des contributions bénévoles se tarirait. Il doit donc remercier chaque contributeur et l'encourager à continuer, quelles que soient l'importance et la qualité de sa contribution et même (ou surtout) si celle-ci est rejetée. Il se peut en effet que le même programmeur, qui a proposé hier une contribution nocive ou inutile, aie demain une idée lumineuse et très utile.
Le « dictateur bienveillant » est donc un praticien du « commerce de la considération », d'une écoute attentive qui manifeste le respect accordé à chaque contributeur en lui répondant de façon obligeante.
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Il en est de même dans un partenariat. Celui qui exploite la plate-forme d'intermédiation est certes en position de force, mais il doit pratiquer le « commerce de la considération » envers les autres partenaires – ce qui implique, en particulier, qu'il mette à leur disposition de façon transparente les indicateurs que procure le fonctionnement de la plate-forme.
Cette transparence est d'ailleurs nécessaire pour que chaque partenaire puisse être sûr que le contrat de partenariat est respecté, que le partage des recettes et dépenses est honnête, qu'il ne se fait pas gruger par les autres partenaires. Si ce partage n'est pas transparent le soupçon naîtra inévitablement, même s'il n'a aucune raison d'être, et le partenariat dérapera vers un divorce.
Il va par ailleurs de soi que la rentabilité hors prime de risque de celui qui exploite la plate-forme doit être égale à celle des autres partenaires.
L'attitude du « dictateur bienveillant » n'est pas impraticable et l'expérience du logiciel libre montre qu'elle est efficace, mais elle se trouve à l'opposé des mœurs prédatrices qu'inspire l'interprétation erronée mais si répandue de la « main invisible » qu'a évoquée Adam Smith.
Le changement d'habitudes que cela exige n'est certes pas facile, mais il est nécessaire à l'émergence de l'iconomie car celle-ci ne pourra pas fonctionner sans des partenariats équitables.
Celui qui aura acquis l'expertise en ingénierie d'affaire voit d'ailleurs s'ouvrir devant lui la perspective d'une activité plus large.
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Les outils sur lesquels s'appuie cette expertise (formalisation des contrats de partenariat, explicitation des responsabilités, évaluation des investissements et de la prime de risque), ainsi que les services que fournit la plate-forme d'intermédiation (traitement en temps réel et notarisation des transactions, transparence) peuvent en effet servir plusieurs partenariats différents.
Tout comme l'on a défini le « Sofware as a Service », SaaS, on peut concevoir une activité nouvelle qui mette en œuvre cette expertise, le « Business Model as a Service », BMaaS.
Tout comme aujourd'hui Amazon ambitionne de devenir la référence du SaaS, on peut imaginer qu'un sur-sur-traitant ambitionne d'être une référence pour les plates-formes d'intermédiation. Mais ce sur-sur-traitant ne peut réussir qu'en étant au service des plates-formes qu'il outille selon une attitude de « dictateur bienveillant » et avec une pratique exigeante et transparente de l'équité : s'il tentait d'exploiter sa position de force, cela provoquerait une révolte qui ferait exploser son activité.
On peut prévoir que les offres de BMaaS se diversifieront selon le régime de la concurrence monopolistique, chacune adaptée à un contexte culturel, juridique et sociologique particulier. Les pays qui seront à la traîne devront se contenter d'une offre étrangère et éventuellement mal adaptée.
Si je comprend bien ce que vous dites, on peut voir:
RépondreSupprimer-l'App Store d'apple qui rémunère les développeurs avec les revenus de la publicité.
-AdSense de google qui rémunère une vidéo sur youtube.
comme des sortes de BMaaS primitifs.
Et si je comprend toujours ce que vous dites, on peut voir le projet GNU comme le BMaaS du logiciel libre.
Mais comment développer un BMaas quand..
-d'après le rapport présenté par Mme Axelle LEMAIRE et Mr Hervé GAYMARD à la commission des affaires européennes:
"la capitalisation boursière du secteur des technologies numériques est captée à 80 % par des sociétés américaines, tandis que leurs concurrentes européennes doivent se contenter de 3 %..."
http://www.assemblee-nationale.fr/14/europe/rap-info/i1409.asp
- suivant la courbe -percent of degrees that are technical- publié ici :http://brainzooming.com/strategic-insights-much-ado-about-big-data-analytics-by-woody-bendle/18694/ , même les étudiants américains ne semblent pas très attirés par les nouvelles technologies.
Et pourtant, ils sont bien plus favorisés en matière de débats technologiques (tech talks) que nous le sommes.
(j'ai pas trouvé de statistiques pour les étudiants européens...).
Je pense que c'est possible mais il faut au minimum enrichir le contexte culturel.
J'ai indiqué les conditions pour qu'un partenariat soit équitable. Ce n'est sans doute pas le cas de ceux que vous citez.
SupprimerLe lien que vous indiquez pointe vers un article qui déplore le manque de compétences en "Big Data Analytics", c'est-à-dire en statistique. C'est vrai, elles sont trop rares.
L'intérêt des jeunes pour les "nouvelles technologies" (c'est-à-dire pour l'informatique) est un tout autre sujet. Il paraît qu'il est en train de se redresser aux Etats-Unis. Peut-être en sera-t-il bientôt de même en France.
Bonjour,
RépondreSupprimerSi je comprends votre propos, il s'agit de trouver une sorte de tiers de confiance, j'écris une sorte puisque ce dernier peut être impliqué directement dans le projet.
Une telle activité peut être elle même un business.
Au regard de la description que vous en faites - et qui est remarquable -, cette activité nécessite
- un apprentissage dans l'évaluation des risques et des rentabilités - primes et hors primes - de chacun des participants, notamment dans le domaine non financier... Or beaucoup estime que ce qui ne se mesure pas n'existe pas (entendu récemment d'un auditeur interne...)
- une compétence forte en matière d'écriture contractuelle et de suivi
- un doigté et un savoir faire en termes de négociations et de gestion des "égos" - pour faire simple -
- une capacité à renouveler régulièrement son approche en fonction des secteurs d'activités sur lequel se construit le partenariat.
Cette activité apparaît d'autant plus comme un business qu'elle obéit probablement à une logique de rendement croissant : celui qui a réussi la construction et le maintien à terme d'une plate forme d'intermédiation aura nécessairement construit les outils techniques, organisationnels, procéduraux et cognitifs réemployables sur d'autres projets.
Dit autrement, il aura pris de l'avance sur la courbe d'apprentissage.
Effet de réputation aidant, il pourra se voir impliquer, toujours en tant que dictateur bienveillant, dans plusieurs projets et bénéficier ce faisant d'une vision plus large que chacun des acteurs engagés.
Cette vision panoptique pourrait d'ailleurs lui être reprochée si d'aventure il cherchait à en profiter, comme vous le signalez dans votre texte. A l'inverse, elle peut s'avérer créatrice de nouvelles valeurs : le dictateur bienveillant pourrait avoir des idées de partenariats et de travail en commun que n'aurait pas nécessairement eu les participants engagés dans les différents partenariats. Sortant dans ce cas de son seul rôle de professionnel de l'intermédiation pour devenir lui-même acteur d'un projet.
Cordialement,