Cette banque s'est spécialisée dans le conseil en fusions et acquisitions. Elle a aussi quelques autres activités (gestion de fonds, immobilier etc.) : mais son image reste accolée à sa spécialité principale.
Lorsqu'une entreprise veut croître elle a deux solutions : la croissance interne, ou la croissance externe par achat d'une autre entreprise ou fusion avec elle.
La deuxième solution semble souvent plus facile, plus rapide pour obtenir la "taille critique" jugée nécessaire à la survie, pour accroître la part de marché, réaliser des économies d'échelle etc.
Les moyens utilisés varient. Les deux entreprises peuvent négocier et s'entendre sur les conditions de l'achat, mais souvent la cible résiste. L'acheteur peut alors tenter de rassembler la majorité des actions en faisant au besoin une offre publique d'achat (OPA). Pour obtenir les moyens financiers nécessaires il peut faire un LBO (leveraged buyout), emprunt qui sera par la suite porté au passif de l'entreprise achetée et qu'elle devra rembourser.
La négociation porte sur le prix des actions de la cible, sur le sort futur de ses managers, sur le montage financier etc. L'argumentation porte sur l'efficacité de la synergie attendue de la conjonction des deux entreprises, sur la plus-value que les actionnaires peuvent en attendre etc.
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Chaque cas particulier présente sa propre complexité et nécessite des études approfondies, ainsi qu'une adaptation à la personnalité des interlocuteurs en présence : le conseil en fusions et acquisitions est donc un art et sa rémunération est très élevée.
Cette rémunération est le but essentiel des conseillers financiers. Une fois leur chèque encaissé, ils laissent les entreprises faire face aux suites inévitables d'une fusion-acquisition : conflit entre équipes de managers, fermetures de sites et conflits sociaux, redéfinition de la gamme de produits, réajustement des circuits de distribution etc.
Souvent la synergie que l'on espérait ne se manifeste pas. Il arrive que le prix auquel la cible a été achetée soit trop élevé, qu'elle ne soit pas capable de rembourser le LBO : alors elle fait faillite, entraînant avec elle l'entreprise qui l'avait achetée. Mais le conseiller est loin. Il a eu son heure de gloire au moment de l'achat et ce n'est pas sa faute si ensuite les entreprises n'ont pas su se débrouiller... Il peut ainsi prospérer en laissant derrière lui, à côté de synergies réussies, des faillites.
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Le livre de Cohan décrit succinctement les méthodes utilisées pour les fusions et acquisitions. Il est surtout consacré à une galerie de portraits - André Meyer, Michel David-Weill, Steven Rattner, Bruce Wasserstein, Felix Rohatyn etc. - et aux conflits entre ces personnes.
Lazard, qui vendait du conseil aux autres entreprises, était cependant délibérément mal organisée en tant qu'entreprise : c'était moins une entreprise qu'une collection de fortes personnalités soumise à l'autorité monarchique d'un propriétaire. Ce qui assurait sa cohésion, c'était le partage du profit entre partenaires.
Dans ce monde-là, en effet, on ne pense qu'à faire fortune. L'argent accumulé sert à acheter des appartements et des maisons, des oeuvres d'art et des femmes, que l'on exhibe comme autant de trophées. Ces négociateurs redoutables adhèrent ainsi à une échelle de valeurs étonnamment puérile.
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Ce livre démonte comme une horloge le mécanisme intime d'une des entreprises financières les plus prestigieuses. Il révèle un monde à la fois implacable et fade, un idéal à la fois dur et creux. Seul parmi ces hommes Steven Rattner semble un entrepreneur - mais il finit par quitter Lazard.
Vers la fin du livre le récit du conflit entre Bruce Wasserstein et Michel David-Weill à propos de l'introduction de Lazard en Bourse est un morceau d'anthologie. Après cette ouverture en mai 2005 Lazard est une entreprise "normale" et non plus une monarchie : elle change donc de style et de culture.
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