vendredi 9 octobre 2009

Le suicide d'une entreprise

Après la publication de A propos de la crise chez France Telecom, qui contenait des liens vers les chroniques que j'avais au fil du temps consacrées à France Telecom, j'ai reçu plusieurs messages de lecteurs qui demandaient des précisions.

J'aurais préféré me taire : j'ai beaucoup aimé cette entreprise où j'ai rencontré tant de personnes admirables de tous les grades et niveaux, où j'ai tant appris, où je compte encore de nombreux amis - et ce qui lui arrive me fait souffrir, tout comme cela fait souffrir ses salariés et ses dirigeants.

Mais puisque l'on a demandé des précisions, il faut répondre. J'ai donc rédigé un complément à mes chroniques anciennes. Je ne reprends pas l'historique déjà donné ailleurs, ni l'analyse des stratégies qui se sont succédées dans le désarroi, ni le portrait des DG et présidents successifs que j'ai tous connus et vu agir de près.

Je tente de montrer que l'on a violé la nature en instaurant de façon dogmatique la concurrence là où elle crée des inefficacités dommageables. La nature se venge évidemment : alors on tombe sur des obstacles imprévus, tout le monde se sent coincé et les relations humaines se tendent comme dans une armée qui s'est laissé prendre dans un piège stratégique.

On ne peut qu'éprouver de la compassion pour les soldats en déroute - oui, pour tous, y compris pour leur général si vilipendé soit-il. En bon militaire il a tenté de remplir la mission qui lui était confiée : seulement cette mission était impossible.

C'est cette impossibilité que je vais tenter de mettre en scène dans les chroniques suivantes :

- Qu'est-ce qu'un monopole naturel?

- Les télécoms sont-elles un monopole naturel ?

- Les effets de la concurrence

- France Telecom et la divestiture

- La catastrophe symbolique

Je ne prétends pas faire plus que d'exposer un point de vue. Je sais qu'il en existe d'autres, que tout cela peut se discuter, qu'une analyse approfondie demanderait un travail plus lourd etc. Je sais aussi que les objections que l'on peut me faire sont parfois inspirées par la mode, le souci de la carrière etc.

Mon point de vue est celui d'un économiste qui connaît bien cette entreprise et qui a tenté d'interpréter les errements de sa stratégie, ainsi que les événements qui les sanctionnent. Ce point de vue est sincère mais c'est à vous, lecteur, qu'il appartient de l'interpréter puis d'en retenir ce qui vous convient.

Voir L'entreprise suicidaire.

3 commentaires:

  1. alors là, je ne suis pas d'accord

    1. si un monopole est vraiment naturel, il se crée et se maintient de lui-même, et il n'y a aucune raison de le protéger par la loi, bien au contraire. Le seul moyen de vérifier qu'il est bien naturel, c'est de l'ouvrir à la concurrence.

    2. à l'intérieur du "secteur" des télécoms, il y a de très nombreux sous-secteurs correspondant à des produits et des services différents, dont certains peuvent être des monopoles naturels et d'autres non. Là encore, le meilleur moyen de faire le tri est d'ouvrir tous ces secteurs à la concurrence.

    3. quand une entreprise commence à adopter une mauvaise stratégie, ou à négliger ses clients, il est vital que ceux-ci puissent s'adresser à une autre entreprise, donc que même en cas de monopole naturel, le secteur soit concurrentiel.

    4. ce qu'il faut "démanteler", ce n'est pas le service public en tant que tel, mais tous les dispositifs qui le protègent de la concurrence.

    Dans le cas précis de France Telecom, j'ai souvenir du temps où je travaillais dans une de ses filiales. J'avais remarqué que beaucoup de ses dirigeants avaient une image très négative (et admirative pour certains) du management des entreprises privées, qu'ils voyaient comme un milieu sans foi ni loi où les dirigeants se comportaient en brutes sans coeur et sans scrupules, et qu'ils pensaient que ce comportement était indispensable pour réussir sur le marché non protégé. Ca ne m'étonnerait qu'à moitié que cette vision ait perduré et explique en partie les déboires actuels.

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  2. @Gérard Dréan
    Merci pour ce commentaire intéressant.
    1) un monopole naturel n'a pas besoin de la loi pour se défendre, c'est vrai ; mais a contrario une loi peut introduire de force la concurrence là où elle n'a pas lieu d'être, et faire perdre à l'économie les économies d'échelle, d'envergure et d'innovation qui fondent le monopole naturel.
    2) oui, la diversification des services offerts sur le réseau peut être concurrentielle : je pense ici au réseau lui-même, et aux (nombreux) services qui confortent sa qualité.
    3) c'est bien ce qui se passe maintenant : les clients quittent FT...
    4) la concurrence ne garantit pas la qualité du service rendu au client. Exemple : un éditorial du New York Times d'aujourd'hui.

    Sur votre dernier § : j'ai fait la même expérience et je partage votre intuition.

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  3. d'accord sur les quatre points.
    sur le quatrième, l'absence de concurrence la garantit encore moins.

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