Un banquier qui assistait à la conférence, et dont le nom importe peu ici, me reprocha de n'y rien entendre : « le patron d'une banque, affirma-t-il, n'a aucune envie de se trouver embarqué dans une affaire de blanchiment ». Il ignorait apparemment qu'un professionnel peut se trouver parfois contraint, pour garder son emploi, de faire des choses qu'il n'a aucune envie de faire...
L'article de Robert Mazur (« Follow the Dirty Money », The New York Times, 12 septembre 2010) apporte des informations précises qui résultent d'une expérience professionnelle peu contestable : lorsqu'il était agent du FBI, Mazur a infiltré l'organisation du blanchiment et participé à de ces négociations qui ne laissent pas de trace écrite et que les enquêteurs ont tant de mal à reconstituer.
Les preuves qu'il a rassemblées on conduit en 1991 à la fermeture de la BCCI, septième banque privée du monde, et permis de comprendre comment Manuel Noriega avait caché la fortune que lui procuraient les cartels colombiens de la drogue.
Il faut lire son témoignage : j'en traduis et condense ci-dessous l'essentiel (on peut lire l'article d'origine en cliquant ici).
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« Les banquiers en tant qu'individus échappent aux poursuites parce que les enquêteurs ne peuvent pas fournir la preuve de leur participation personnelle au blanchiment. Les procureurs passent donc des compromis avec les banques.
« Ainsi Barclays, banque britannique, vient d'être condamnée à payer 298 millions de dollars pour avoir fait pendant dix ans avec Cuba, l'Iran, la Libye et la Birmanie des transactions qui violaient les sanctions commerciales américaines : dans les transferts électroniques, les informations requises par la loi pour identifier les destinataires avaient été systématiquement effacées.
« Pour la même raison ABN Amro (filiale de la Royal Bank of Scotland) a été condamnée en mai à payer 500 millions de dollars et le Crédit Suisse a payé en décembre 536 millions de dollars.
« Dans ces dernières années, Union Bank of California, American Express Bank International, BankAtlantic et Wachovia ont été prises en train de blanchir d'importantes sommes provenant du trafic de drogue. Wachovia, par exemple, a transféré plus de 400 milliards de dollars depuis des comptes au Mexique, dont 14 milliards transportés en liquide vers les Etats-Unis dans des voitures blindées ou par avion. Qui donc, au Mexique, peut détenir de tels montants ?
« Mais les banquiers n'ont pas pu être poursuivis individuellement parce que l'on n'a pas pu prouver qu'ils savaient d'où venait l'argent. Il faudrait donc que les agences de répression puissent prouver ce que les banquiers savaient lorsqu'ils blanchissaient de l'argent sale : ce ne serait pas difficile, mais cela demande du travail.
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« Pendant deux ans et demi, j'ai infiltré un cartel au plus haut niveau et j'ai négocié avec ses banquiers. J'ai enregistré des centaines de conversations discrètes avec des banquiers internationaux.
« Ils m'ont donné sans hésitation accès à tous leurs outils, en commençant par des avocats qui savaient comment créer pour des délinquants des entreprises offshore à Panama, Hong-Kong, les Îles Vierges britanniques et Gibraltar. Ils m'ont fourni des coffres secrets dans des endroits comme Dubaï et Abou Dabi, où l'on ne prend pas note des gros dépôts de liquidité, ainsi que le moyen de transporter de l'argent liquide vers ces coffres. Cet argent pouvait être ensuite rapatrié vers les États-Unis sous le couvert d'un prêt. Les détails étaient chuchotés lors de réunions secrètes de sorte que rien d'écrit ne passe les frontières et que l'on puisse aisément détruire les dossiers qu'un gouvernement pourrait rechercher.
« Le chiffre d'affaires annuel mondial du trafic de drogue, estimé à plus de 400 milliards de dollars, n'est qu'une petite partie du flux d'argent que les criminels cachent : il comporte aussi les produits de la fraude fiscale, du trafic d'armes et du viol des sanctions internationales envers certains pays. Dans beaucoup de banques internationales les services qui s'occupent de la clientèle privée ont développé une compétence sophistiquée pour traiter une part de ce flux énorme en échappant à la vigilance des régulateurs.
« Pour trouver et confisquer la fortune des organisations terroristes, des cartels de la drogue et de la criminalité organisée, il faudrait une petite unité d'élite comprenant des représentant des services de renseignement et des membres expérimentés des agences de répression. Elle identifierait les institutions et les entreprises qui traitent cette masse d'argent sale.
« Une équipe d'au plus cent personnes pourrait, pour commencer, construire une base de données sur les banques qui facilitent le blanchiment. Certaines de ces données pourraient provenir des fichiers détenus par les services de répression. Les centaines de criminels de haut niveau qui sont dans nos prisons pourraient aussi fournir des informations sur les partenaires qu'ils ont dans le système bancaire et le monde des affaires.
« Il faudrait aussi que cette équipe ait accès aux dossiers des banques centrales des divers pays pour identifier les institutions financières qui déposent de gros montants en dollars. En accédant au réseau interbancaire exploité par la Fed, les enquêteurs pourraient détecter les comptes qui transforment des liquidités en virements électroniques. L'analyse de ces données permettrait de repérer les banques et les hommes d'affaire suspects.
« Pour tirer parti de ces informations, il faudrait former et équiper des agents partout dans le monde afin qu'ils infiltrent le système bancaire et le milieu des affaires. On pourrait alors lancer des poursuites contre les criminels et les blanchisseurs, et infliger un coup dévastateur aux fortunes qu'ils ont accumulées ».
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Qu'il se trouve, dans le système bancaire, des personnes qui contribuent au blanchiment, c'est certain : sans elles ce système ne pourrait pas fonctionner.
Grâce à l'informatique le blanchiment est devenu plus puissant et plus opaque. Il faut retourner contre lui l'arme de l'informatique pour trouver des informations et constituer les bases de données dont on extraira des indices.
Je n'ai pas la compétence nécessaire pour évaluer le réalisme de la proposition de Mazur, mais à vue de nez elle semble raisonnable. La décision appartient cependant aux politiques et suppose une coopération internationale.
Une telle coopération est-elle possible ? Les politiques auront-ils la volonté nécessaire pour lutter contre la prédation, eux qui bénéficient parfois de rétrocommissions que des enquêtes poussées feraient apparaître ?
Le résumé est très pertinent. je me pose la question de savoir est ce que les pays sous développés comme le continent africain peuvent résister de ce fort phénomène de blanchiment.
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