Lorsque nous parlons aujourd'hui de la neutralité du Net, nous avons en tête la relation entre un utilisateur individuel et les ressources offertes sur le Web : il s'agit de savoir si, et comment, cet utilisateur pourra accéder à ces ressources sans limitation de débit ni de contenu, et aussi de savoir comment pourront être utilisées les possibilités qu'offrent le protocole IPv6, l'examen approfondi des paquets et autres outils techniques.
A ces questions s'ajoute naturellement une réflexion sur le partage des rôles entre les Nations dans la gouvernance de l'Internet.
La prospective fait cependant surgir d'autres interrogations. L'individu qu'est chacun de nous n'est pas en effet le seul qui soit concerné par la neutralité du Net : elle concerne aussi l'activité organisée, et donc collective, au sein des entreprises et plus généralement des institutions.
Celles-ci agissent dans une nature qu'aménage et transforme l'émergence progressive de l'automate programmable doué d'ubiquité que constitue l'ensemble des logiciels, mémoires, processeurs et réseaux qui, supprimant les effets de la distance géographique, condense le monde en un espace de dimension nulle.
Nos ordinateurs de bureau, téléphones intelligents et autres iPad ne sont en effet que des interfaces reliées à haut débit à l'automate qui réside dans le cloud computing. Cela va loin : le téléphone « intelligent » et géolocalisé étant le nœud d'un réseau de prothèses, le corps humain lui-même s'informatise en relation avec le système de santé.
Tout cela pose d'évidentes questions de confidentialité et de sécurité pour les données personnelles comme pour les secrets de l'entreprise.
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Nous nommons « iconomie » l'économie et la société qui sont en train d'émerger. Décrivons les.
L'Internet des objets franchit la frontière entre le virtuel et le réel : la conception et la fabrication, mais aussi la logistique et la traçabilité des biens matériels s'appuient sur l'automate programmable ubiquitaire. La production est assurée par un réseau d'entreprises partenaires. L'imprimante 3D révolutionne l'atelier, économise la matière première et fabrique des objets d'une solidité et d'une légèreté inconnues jusqu'alors.
Les tâches répétitives physiques ou mentales sont automatisées et les produits sont des assemblages de biens et de services, un système d'information assurant et la cohésion de cet assemblage, et l'interopérabilité du partenariat. L'emploi se concentre dans la conception des produits et l'ingénierie de leur production, ainsi que dans les services qui les accompagnent jusque chez le consommateur : la « main d’œuvre » d'autrefois fait place à un « cerveau d’œuvre » qu'il convient de traiter avec considération.
Dans cette iconomie les ouvriers ont été remplacés par des robots : le plein emploi ne peut donc s'obtenir qu'en multipliant le nombre des entreprises, tandis que la compétitivité s'obtient par la qualité des produits, l'innovation et la maîtrise de la confidentialité.
L'entreprise est ainsi fermement ramenée à sa mission fondamentale, qui est de produire efficacement des choses utiles et non de « produire de l'argent » comme certains ont semblé le croire après 1980. L'entrepreneur agit en liaison avec les scientifiques, ingénieurs et organisateurs qui l'aident à concrétiser l'orientation stratégique de l'entreprise : il supplante ainsi le prédateur et le mondain qui avaient trop souvent usurpé la fonction de dirigeant.
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Tout ce que nous venons de dire n'est que la manifestation de tendances d'ores et déjà à l’œuvre, mais on voit clairement l'intensité de l'effort demandé au législateur et au système judiciaire. On entrevoit aussi les outils que les régulateurs pourront utiliser sur l'Internet pour définir et gérer l'écheveau des relations contractuelles entre partenaires, assurer comme il se doit la transparence des transactions et garantir leur sécurité, encourager enfin la conquête de monopoles temporaires par les entreprises.
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Tout cela n'est qu'un début. Certes, des économistes comme Robert Gordon et Nicholas Carr prétendent que l’informatisation n'a plus rien à apporter. Jeremy Rifkin estime que s'il y a une troisième révolution industrielle, c'est celle des énergies renouvelables. Jean-Marc Jancovici appelle de ses vœux la décroissance pour limiter le réchauffement climatique. D'autres enfin ne voient le futur que dans les biotechnologies...
Mais personne ne savait, vers 1850, que la lampe électrique, le moteur électrique et le moteur à essence allaient bientôt changer l'organisation des entreprises, le rapport à l'espace et la vie quotidienne ! De même, au-delà d'une perspective de quelques années nous ne pouvons rien dire de précis sur les apports ultérieurs de l'informatisation et de l'Internet.
Nous pouvons toutefois anticiper leur importance. Brynjolfsson et McAffee, du MIT, disent en évoquant une légende indienne que « nous ne sommes qu'à la moitié de l'échiquier ». Si l'on met un grain de riz sur la première case, deux sur la seconde puis continue en doublant à chaque fois, on obtient à la moitié de l'échiquier la récolte annuelle d'une exploitation de 40 hectares : nous en sommes là. A la fin de l’échiquier, par contre, la quantité de riz équivaudra à mille ans de la production mondiale : c'est là que nous serons vers 2080, lorsque l'iconomie se sera pleinement déployée.
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Quand le possible est transformé de la sorte, l'action humaine peut l'utiliser pour le Mal comme pour le Bien. Le cyberespace offre déjà un terrain à l'affrontement militaire entre les nations et par ailleurs des prédateurs utilisent déjà l'informatique, avec la complicité intéressée de certaines banques et de certains pays, pour s'emparer du pouvoir économique et politique en camouflant et organisant la fraude fiscale, la corruption et le blanchiment. L’entrepreneur, l'État de droit et la démocratie se trouvent ainsi menacés par une résurgence de la féodalité et par des formes inédites de violence.
L'effort du législateur et du régulateur, sollicité aujourd'hui par la neutralité du Net, devra donc se poursuivre pour répondre à des enjeux d'une très grande portée. Les risques sont en effet à la mesure des possibilités : si nous ratons cette troisième révolution industrielle aux plans du droit comme de la compétitivité, notre République sera détruite en même temps que notre économie.
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