Faux-semblant de la transition énergétique
Pendant que s'approfondissent cette crise et le désarroi qu'elle suscite, l'attention des politiques et du public est attirée avec insistance sur la transition énergétique. Certes, il faut contenir le réchauffement du climat mais on fait comme si l'énergie était encore une composante essentielle du système technique, comme si la société était encore prisonnière des lois de la thermodynamique.
On ne voit pas que l'informatisation a transformé le travail : la main d’œuvre fait place à un cerveau d’œuvre et cela a fait apparaître une ressource naturelle inépuisable et jusqu'alors négligée : le cerveau humain.
Cette ressource est renouvelée à chaque génération et on ne peut assigner aucune limite a priori à son potentiel pour peu qu'elle soit convenablement instruite, éduquée et formée1. L'histoire montre qu'elle est capable de remonter le cours de l'entropie, de mettre de l'ordre dans les idées et les valeurs afin de construire une civilisation. Elle est capable aussi il est vrai de se mettre au service du Mal pour aboutir au pire : l'éventail du possible est en permanence ouvert devant ses choix.
Jeremy Rifkin est l'un de ceux qui contribuent à masquer ce qu'apporte l'informatisation. Il prétend en effet que c'est la transition énergétique qui constitue la troisième révolution industrielle.
Sa thèse a suscité des espoirs et encouragé à investir dans les énergies renouvelables, mais elle est manifestement erronée. La transition énergétique n'est en effet que la réponse à une contrainte. Elle n'apporte pas une nouvelle synergie entre des techniques fondamentales même si elle nécessite des innovations – celles-ci vont d'ailleurs s'appuyer sur l'informatique (« smart grid », compteurs « intelligents », etc.).
Faux-semblant de l'équilibre budgétaire
La compression de la dette de l'État est l'autre priorité assignée au politique2 : c'est mettre un pansement sur un symptôme et non soigner la maladie. Le déficit du budget n'est en effet qu'un symptôme de la crise de transition : si l'économie informatisée était efficace l'État percevrait suffisamment de recettes fiscales pour ne pas avoir à s'endetter.
Faux-semblant du « numérique »
Par ailleurs la « stratégie numérique » du gouvernement, le programme de la « transition numérique » et le texte de la « loi numérique » évoquent bien une « nouvelle révolution industrielle et sociétale » mais l'informatisation du système productif n'y apparaît qu'à travers les startups, PME, TPE et commerces.
Ainsi le politique semble supposer que les grandes entreprises sont raisonnablement informatisées, ce qui est évidemment faux. Il se peut aussi qu'il estime qu'elles en sont incapables et qu'il faut les abandonner à leur sort, mais cela équivaudrait à laisser se détruire une part importante du patrimoine de la nation.
Faux-semblant de la macro-économie
Enfin les raisonnements macro-économiques qu'affectionnent « Bercy » et « Bruxelles » n'accordent aucune place aux phénomènes que provoque l'informatisation ni aux conditions de son efficacité, de sorte que les « mesures de relance » qu'ils prennent ou préconisent, et qui manipulent tel ou tel taux de taxe ou de subvention, tombent inévitablement dans le vide.
La macro-économie est en effet aveugle à l'informatisation alors que celle-ci modifie le fonctionnement du système productif, la nature des produits, la forme de la concurrence, la place des nations dans l'équilibre des puissances et jusqu'à la vie quotidienne de chacun : la transformation du téléphone mobile en ordinateur a modifié dans les années 2000 la vie quotidienne de millions de personnes, mais cela n'a laissé aucune trace dans le PIB dont on se sert pour évaluer la « croissance ».
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Ni la transition énergétique, ni la réduction de la dette de l'État, ni ce que l'on fait dans le « numérique », ni les « mesures » macro-économiques ne peuvent mettre un terme à la crise de transition : les volontés, les priorités sont orientées sur de fausses pistes car elles ignorent les ressources dont la société dispose désormais ainsi que les dangers qui les accompagnent.
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1 Ceci n'est pas contradictoire avec le fait qu'un individu ne puisse réaliser qu'une partie de son potentiel : il en est de même pour toute ressource naturelle. Par ailleurs le caractère inépuisable de cette ressource n'est pas contredit par le fait qu'un individu puisse être « épuisé » à certains moments.
2 Le langage courant confond la dette de l’État avec la dette de la France, déficit cumulé de la balance des paiements.
Oui, immenses ressources disponibles et dangers accrus, en particulier les addictions de plus en plus graves suscitées par une augmentation du stress (voir à ce propos le livre : "L'intelligence du stress") et favorisées par l'apparition de nouveaux produits pouvant entraîner des phénomènes de dépendance. Avec le téléphone mobile, une rame de métro ne ressemble plus du tout aujourd'hui à une rame sans cette invention !
RépondreSupprimerImmenses ressources qui permettent entre autres aux informations excellentes, médiocres ou nocives de circuler à grande vitesse ...
Oui, il nous faudra de nouveaux indicateurs de développement pour éviter de prendre des décisions contre productives et, surtout, afin de profiter à plein de la transition en cours : l'informatique et pas seulement le numérique a des répercussions immenses sur le fonctionnement de chacun, des corps intermédiaires et de la société tout entière.
Merci Michel pour votre analyse percutante, stimulante et d'une grande finesse.
Très intéressant billet, notamment sur le cerveau d’œuvre.
RépondreSupprimerJ'aimerais assister à un débat entre toi et des détracteurs partisans de la transition énergétique ou de la réduction de la dette publique.
La transition énergétique est nécessaire. Je dis seulement qu'elle n'est pas une révolution industrielle mais la réponse à une contrainte.
SupprimerLa priorité devrait être non de réduire la dette publique, mais de réduire la dette de la France en visant l'équilibre de la balance des paiements (cf. La véritable dette de la France).
Oui, j'avais bien compris. Mais le débat sur la digitalisation pousse surtout à développer la statut de travail de l'indépendant. C'est un sujet important qui devrait émerger dans les débat sur la question.
SupprimerLe statut de l'indépendant permet de développer des activités parcellaires, à la demande, discontinues etc., éventuellement hautement qualifiées. Il faudra trouver le juste compromis entre le principe individualiste qui sous-tend un tel statut et le fait qu'il faille, pour l'efficacité de l'action productive, une relation personnelle assez prolongée entre les personnes qui forment une même équipe.
SupprimerL'informatisation ne change pas grand chose au problème de l'alimentation en énergie. En fait, elle augmente plutôt les besoins en énergie puisqu'à la production ,aux déplacements et au chauffage il faut ajouter l'alimentation des machines. Peut-être y a-t-il en partie une réduction sur le besoin de déplacements, mais en tout cas les besoins en énergie ne vont pas disparaitre. Donc cela reste et restera un sujet important.
RépondreSupprimerQu'appelez-vous la transition énergétique ? Il y a dans le discours médiatique (et dans celui de Rikfin) une confusion entre la nécessité de réduire les émissions de CO2 d'une part, et celle de se débarrasser du nucléaire civil d'autre part.
Comme le nucléaire civil est un atout important de la France, plutôt mal traité par ses politiques et média, la précision qui consiste à parler de "réduction des émissions de CO2" plutôt que de "transition énergétique" n'est pas inutile.
Le bilan énergétique de l'informatisation doit considérer les effets prévisibles de la ressource mentale qu'elle libère, et non la seule consommation électrique des ordinateurs.
SupprimerPar "transition énergétique", j'entends comme vous la réduction des émissions de gaz à effet de serre.