samedi 19 décembre 2015

L'Action et les Valeurs

(Ceci est l'introduction de la première version d'un ouvrage (107 pages, 517 Ko) que l'on peut ouvrir au format pdf en cliquant sur ce lien).

Le destin humain est à toutes les époques, en tout lieu, pour chaque individu, un drame qui place la personne entre le monde de la pensée où résident ses intentions, représentations et valeurs, et le monde de la nature, des choses qui existent hic et nunc et se présentent devant ses intentions comme obstacle ou comme outil. Ce lieu intermédiaire, c'est celui de l'action.

Or voici que les mondes de la pensée et de la nature viennent d'être bouleversés par une révolution industrielle, celle de l'informatisation, qui a fait naître un nouveau système technique et fait se déployer les potentialités de l'alliage que forment le cerveau humain et l'automate programmable : cet alliage présente des qualités, des propriétés et des possibilités que n'avaient ni l'une, ni l'autre des composantes qu'il fond ensemble :
« Les composés constituent une forme nouvelle, toute différente de la somme de leurs parties, et dont aucune formule ne peut prévoir la physionomie. L'eau est de l'eau et rien autre chose, ce n'est pas de l'oxygène ni de l'hydrogène »
(Maurice Blondel, L'Action, 1893, p. 70).
Cet alliage n'est pas sans précédents : que l'on pense par exemple à celui qu'a formé le cerveau humain avec l'écriture, puis avec le livre imprimé. L'humanité a ainsi dans son histoire été déjà plusieurs fois « augmentée ». Il en est résulté à chaque fois une transformation des conditions pratiques de l'action et un changement des repères sur lesquels elle peut s'orienter.

La crise actuelle est une crise de transition causée par l'incohérence et l'illogisme des comportements dans une société que cette transformation a, au sens précis du mot, déboussolée. Une société ne peut atteindre la maturité que lorsque les valeurs, le langage et les savoir-faire des personnes et des institutions sont devenus compatibles avec la nature à laquelle l'histoire la confronte.

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Notre destin nous place aujourd'hui à un carrefour à partir duquel se dessinent diverses orientations entre lesquelles il nous faut choisir.

Pour pouvoir s'orienter, il faut y voir clair : nous devrons donc préciser ici ce que nous entendons par pensée, nature, action, puis examiner les changements que leur a apportés l'informatisation.

Une société qui évolue à l'intérieur d'un même système technique se trouve confrontée de façon continue à une même nature. Son action devient alors routinière et habituelle, et on oublie qu'elle est l'expression de valeurs car celles-ci sont implicites.

Lorsque la nature change, les individus et les institutions sont transplantés sur un continent qui présente des ressources nouvelles et des dangers nouveaux. Pour pouvoir redéfinir l'action, il faut revenir aux valeurs et les expliciter en répondant à la question « que voulons-nous faire ? » et, plus profondément encore, à la question « que voulons-nous être ? ».

Cela nous contraint à prendre le risque de pénétrer sur le terrain périlleux des controverses philosophiques. Il se peut pourtant qu'une telle démarche, même si elle mérite la critique de ceux qui sont plus érudits que nous ne le sommes, puisse procurer au regard la clarté qu'il réclame.

Les mots « action », « pensée » et « nature » sont dans le langage courant des concepts-valise qui servent de fourre-tout. Nous leur donnerons un sens technique qui permet de penser notre situation, et proposerons ce sens précis au lecteur que nous supposons attentif.

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Il faudra contourner plusieurs obstacles : la complexité de l'objet que nous considérons ne pourra être surmontée que si nous acceptons un schématisme certes discutable, mais qui procurera une vue et un itinéraire dans la broussaille des faits.

Un autre obstacle réside dans les représentations les plus courantes, et aussi dans un vocabulaire usuel qui semble fait pour gêner la compréhension de notre situation.

Nous savons bien, par exemple, que le mot « informatisation » que nous venons d'écrire est jugé ringard par l'opinion commune. La recherche de la clarté nous interdit cependant toute concession à des usages qui tournent le dos à l'exactitude : nous n'utiliserons donc pas des mots comme « numérique » ou « digital » que la mode affectionne.

Le dernier obstacle réside dans l'incertitude du futur. Nous pouvons certes, dans une modeste mesure, faire apparaître certaines des conditions nécessaires de l'efficacité en éclairant les conséquences inévitables de l'informatisation. Cela suffit sans doute pour poser un repère à l'horizon des volontés et des stratégies, mais non pour prévoir toutes les opportunités ni toutes les embuches qui se trouvent sur le chemin que ce repère indique.

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