mardi 25 janvier 2022

Le piège du « low cost »

Les émissions de télévision et les discussions au café du Commerce sont admiratives pour ceux qui savent « acheter malin » et trouver le magasin qui vend les pommes de terre, les poulets, les tomates, le foie gras, les vêtements, etc. les moins chers.

Mais le foie gras le moins cher, est-ce du foie gras ou un mélange trop astucieux de pâtés divers ? Les tomates les moins chères ont-elles la saveur de la tomate ? La chair des poulets les moins chers est-elle goûteuse ?

Se poser ces questions, c’est considérer non seulement le prix du produit mais aussi sa qualité : celle du tissu, de la coupe, de la couleur et des coutures d’un vêtement ; celle du goût, de la fraîcheur et de la salubrité d’un aliment ; celle de la solidité, du confort et de l’esthétique des chaussures, etc.

Celle aussi des équipements ménagers : à quoi sert d’acheter un aspirateur, une machine à laver, un réfrigérateur, un téléviseur, un ordinateur, un four à micro-ondes, etc., si cet équipement tombe souvent en panne (le réparateur n’est pas gratuit), si sa durée de vie est courte, s’il faut le remplacer souvent ?

Le volume des équipements ménagers mis au rebut excède la capacité des entreprises de recyclage. Ils sont abandonnés dans la nature, jetés dans la mer, transportés vers des pays pauvres où ils s’entasseront. Certains consommateurs le sentent confusément et cela les met mal à l’aise : ils préféreraient donc que les équipements soient de meilleure qualité.

Un peu de raisonnement économique élémentaire. La qualité d’un produit, c’est le niveau de la satisfaction qu’il procure à son consommateur ou son utilisateur : les tomates savoureuses, les poulets goûteux, apportent plus de plaisir que des tomates fades et farineuses, que des poulets secs et fibreux.

Pour les produits durables (vêtements, chaussures, équipements ménagers) la satisfaction est étalée dans le temps. Si l’on savait la chiffrer il faudrait dire que la qualité du produit aujourd’hui, c’est la somme actualisée des satisfactions futures. De ce point de vue un produit dont la durée de vie est courte – des chaussures peu solides, des vêtements qu’il faudra bientôt jeter, des équipements fragiles – est de basse qualité.

Les personnes qui préfèrent que le poulet qu’elles mangent soit savoureux accepteront de payer un prix plus élevé pour un meilleur poulet : elles choisissent donc selon « le rapport qualité/prix », et non selon « le prix le plus bas ».

La qualité est cependant subjective : certains préfèrent les chemises roses, d’autres préfèrent les chemises bleues, etc. La durée de vie d’un équipement ou la finition d’un vêtement, qui sont pourtant des données objectives, seront évaluées de façon différente par des personnes différentes.

Certaines personnes semblent insensibles au goût des aliments : pour elles, un poulet égale un poulet. D’autres, ou les mêmes, ne se soucient pas de la durée de vie des équipements.

Il est normal que ces personnes-là choisissent le poulet le moins cher, la machine à laver la moins chère, etc. Mais les autres, qui sont sans doute les plus nombreuses, choisiront selon le rapport « qualité subjective/prix ». Croire comme on le fait trop souvent que les plus pauvres ne font nécessairement attention qu’au prix, c’est insulter leur discernement.

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La publicité des magasins à grande surface – Lidl, Cora, Carrefour, Auchan, Leclerc, etc. – et la concurrence entre eux se sont cependant focalisées sur « le prix le plus bas », le « low cost ». Le consommateur est ainsi incité à « acheter malin » en ignorant la qualité des produits pour ne considérer que leur prix.

Cette stratégie a plusieurs conséquences négatives.

Pour le commerce la concurrence par les prix est un piège : les magasins se trouvent en permanence à deux doigts de la faillite parce qu’elle exerce une pression sur leur marge ; ils la répercutent sur les fournisseurs, en particulier les agriculteurs, qui sont contraints d’accepter des baisses répétées de leur prix et de leurs revenus.

Cette forme de la concurrence pousse les magasins à se fournir en produits de basse qualité importés de Chine ou d’autres pays où les salaires sont bas au détriment d’une production française, dont les débouchés se trouvent stérilisés.

La publicité qui incite sur le « low cost » incite par ailleurs le consommateur à ne pas se soucier de la qualité, donc à négliger son propre intérêt qui serait de rechercher le meilleur rapport qualité/prix. Il est incité à compenser cela en achetant un volume important de produits de basse qualité, avec les conséquences négatives pour l’environnement que nous avons évoquées

Enfin cette forme de la concurrence oriente les entreprises vers une production de mauvaise qualité : pourquoi feraient-elles en effet l’effort coûteux de la qualité si elles ne parviennent pas à le faire rémunérer ?

Au total, la stratégie « low cost » est mortelle pour l’économie. Elle engage le commerce dans une spirale suicidaire ; elle pousse les producteurs vers la faillite en comprimant toujours plus leurs marges ; elle détruit chez les consommateurs la culture du goût et du choix ; elle inhibe enfin l’effort des entreprises vers la qualité de leurs produits.

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Pour se sortir du piège les magasins à grande surface envisagent de promouvoir une « offre qualitative » mais il leur est difficile de remonter la pente dans laquelle la publicité « low cost » les a enfermés : l’oreille des clients s’y étant habituée, elle n’est pas prête à entendre une offre du « bon rapport qualité/prix ».

Une solution existe cependant : la labellisation. Les labels qui garantissent une qualité – le label « bio », le label AOC pour les vins ou les fromages, le label de consommation d’énergie pour les équipements ménagers – rendent la qualité visible, la garantissent et apportent au consommateur une sécurité dont il accepte de payer le prix. Il faut évidemment que les labels soit contrôlés et que les contrefaçons soient sanctionnées.

Généraliser la labellisation favorisera l’introduction de la qualité dans les critères de choix des consommateurs et des utilisateurs, permettra une rémunération convenable des producteurs et une restauration des marges du commerce. Elle rend possible une publicité qui, portant non sur le prix le plus bas mais sur le meilleur rapport qualité/prix, orientera le consommateur vers une maximisation véritable de sa satisfaction et contribuera ainsi à l’efficacité de l’économie.

1 commentaire:

  1. C'est très bien dit Michel !! c'est clair et net !!
    Tomber dans le low cost, ça amène une spirale négative de compression des coûts !!
    merci pour cet éclairage
    olivier Piuzzi

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