mardi 5 août 2014

L'apport du judaïsme

Mon père, chrétien fidèle, respectait le judaïsme. Cela m'avait préparé à manifester ma curiosité lorsqu'une collègue m'a dit que son mari était rabin : je lui ai demandé de me prêter des textes du Talmud.

Cette lecture m'a libéré du carcan de l'hellénisme. Alors que la pensée de Platon, où nous voyons le point culminant de la philosophie, part de concepts généraux (le Vrai, le Bien, le Beau, etc.), le Talmud part de situations particulières qu'il tente d'éclairer à la lumière de la Torah.

Ainsi tandis que Platon descend, si je puis me permettre cette image, de quelques centimètres à partir du plafond de l'abstraction, le Talmud monte de quelques centimètres à partir du plancher du concret : il respecte la complexité du monde réel.

J'ai rencontré quelques années plus tard un prêtre, ami d'ami qui avait fait ses études à Jérusalem. « Le principe du judaïsme, me dit-il, c'est que Dieu est inconnaissable ». Il en résulte qu'aucune connaissance ne peut atteindre l'absolu : c'est là un principe révolutionnaire, car toute vie sociale s'appuie sur l'adhésion commune à des valeurs que l'on croit absolues.

« C'est pourquoi, dit cet ami, les juifs se sont donné une Loi purement formelle, donc dépourvue de toute justification pratique ou logique mais faite pour procurer la cohésion à une société qui sinon exploserait. Le risque est bien sûr que cette Loi devienne en fait un absolu, une idole : cela fait chez les juifs l'objet d'une dispute sans fin ».

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Prétendre connaître Dieu, n'est-ce pas blasphématoire alors que nous ne pouvons pas connaître pleinement le moindre des objets auxquels l'expérience nous confronte car, même si nous savons l'utiliser, nous ne savons rien de son origine, de son histoire, des molécules qui le composent, etc. ?

Ce qui existe (« se tient debout à l'extérieur ») se présente devant notre pensée, mais elle ne peut pas se l'assimiler autrement que de façon pratique. Il en est de même pour Dieu, l'Existant.

J'ai lu par la suite Le guide des égarés de Maïmonide, Israël et l'humanité d’Élie Benamozegh, des livres de Gershom Scholem et de Yeshayahou Leibowitz, etc. J'ai calé, comme beaucoup d'autres, devant le Sefer Zohar (« livre lumineux » ainsi nommé, dit Jean Potocki, « parce que l'on n'y comprend rien du tout, tant la clarté qu'il répand éblouit les yeux de l'entendement »).

Ce « retour au substrat hébreu », comme dit Claude Tresmontant, m'a permis d'entendre les paroles du Seigneur Jésus, puis de lire aussi le message de Mahomet dans le Coran.

Ces lectures n'ont certes pas fait de moi un expert en judaïsme. Comme toutes les grandes cultures – chinoise, indienne, arabe, latine, etc. – celle-ci est d'une complexité insondable : nombreux sont ceux qui, beaucoup plus savants que moi, sont assez sages pour se reconnaître ignorants.

Je n'ai d'ailleurs pas l'honneur d'être juif et je n'envisage pas plus de me convertir au judaïsme que de devenir chinois, car je ne renie pas ce que je suis – mais je trouve chez les autres de quoi le nourrir et l'approfondir.

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« Toutes les religions ont été inventées par le diable », ai-je lu dans un livre d'Amin Malouf.

Si nombre de religieux sont de saintes gens, c'est parmi eux que l'on rencontre les pires blasphémateurs, ceux qui détournent le langage de la foi pour en habiller le Mal : « les prêtres pédophiles célèbrent une messe noire », a dit le pape François.

L’Église n'a-t-elle pas d'ailleurs souvent cédé à l'idolâtrie ? Le culte de la Vierge conforte, de façon très trouble, une haine obsessionnelle de la sexualité héritée du stoïcisme, et Rome s'appuie sur l'autorité héritée de l'Empire pour imposer, contrairement au judaïsme, un savoir sur Dieu qui se solidifie en dogmes et traditions alors même que Jésus avait indiqué une dynamique en disant « je suis le chemin, la vérité et la vie ».

On peut se poser la même question à propos des autres religions. Les « islamistes » sont-ils fidèles à l'Islam ? Ne blasphèment-ils pas le nom d'Allah, quand ils l'invoquent pour appeler au meurtre, au suicide et à la haine de l'Autre ?

L’État d'Israël est-il lui-même fidèle au judaïsme, ou s'en détourne-t-il ? N'a-t-il pas fait de son territoire une idole ? N'est-il pas, comme la France l'a été en Algérie, tenté de nier l'humanité de l'Autre ? Cela ne l'engage-t-il pas sur la voie d'un suicide ?

On ne peut rien bâtir de durable sur un mensonge qui pourrit l'être par sa racine.

Lyautey, qui a aidé le Maroc à construire son État, avait été horrifié par la colonisation de l'Algérie, dont il jugeait la méthode contraire à notre République (il aurait sans doute dit « notre Royaume »).

Puisque nous sommes réconciliés avec l'Allemagne, il nous reste à bâtir avec l'Algérie une réconciliation qui soit respectueuse des deux peuples. C'est là me semble-t-il une tâche plus utile, plus importante que ces « hommages aux victimes » qui, sous le prétexte de partager l'émotion « populaire » qu'allument les médias, ne sont qu'autant d'occasions pour améliorer un score dans les sondages et grappiller quelques électeurs.

7 commentaires:

  1. Ecrit de paix. Merci
    A écouter: "le souci du texte"
    http://www.franceculture.fr/emission-talmudiques-le-souci-du-texte-2014-07-20

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  2. L’État d'Israël est-il lui-même fidèle au judaïsme, ou s'en détourne-t-il ? N'a-t-il pas fait de son territoire une idole ? N'est-il pas, comme la France l'a été en Algérie, tenté de nier l'humanité de l'Autre ? Cela ne l'engage-t-il pas sur la voie d'un suicide ?
    Très bien exprimé...merci..!

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  3. Merci pour ce billet d'unité.

    Je me limiterai à commenter une chose sur la seule religion que je "connais" un tant soit peu, le christianisme (catholique) : le culte de la Vierge.
    "Le culte de la Vierge conforte, de façon très trouble, une haine obsessionnelle de la sexualité héritée du stoïcisme"
    Je ne sais pas si la Vierge l'est restée toute sa vie (je veux bien être traité de naïf, mais qui le sait réellement aujourd'hui ?), mais ce qui semble indiscutable (enfin, si on a la foi chrétienne) c'est qu'elle l'était lorsqu'elle a mis le Christ au monde. Je pense que la conclusion qu'on peut en tirer, ça n'est pas que la sexualité serait dégradante puisque Dieu n'a pas choisi ce mode-là pour faire naître son fils (interprétation négative), mais plutôt que c'est l'Esprit qui commande la matière (par la seule volonté divine), sans contact matériel donc, et que ça n'est pas la matière qui commande la matière (interprétation positive). C'est donc un moyen d'illustrer la (toute-)puissance de l'Esprit sur la matière.

    Si l'on considère que la virginité (avant la naissance de Jésus pourquoi pas, après, ça me semble plus compliqué) de Marie éveille les soupçons vis-à-vis de l'acte sexuel, il faut poser un acte de foi pour croire à l'interprétation positive, que l'Esprit peut féconder la matière, et qu'en réalité, lui seul le peut (même si c'est par personne humaine interposée via l'acte sexuel).

    Ce culte conforte donc peut-être cette haine, mais bien involontairement alors, car il s'agit en réalité d'une erreur d'interprétation (bien facile à commettre, je vous l'accorde), tout "simplement". Selon moi, le seul tort réel que l'on peut reprocher à l'Église c'est de ne pas avoir suffisamment et assez tôt mis en garde contre cette potentielle mauvaise interprétation et mis tout en œuvre pour contrer ce dévoiement. Mais aujourd'hui je considère que c'est chose faite avec, notamment, le Catéchisme de l'Église catholique, très cohérent et clair sur ce sujet (l'acte sexuel n'est pas mauvais en soi et n'a pas qu'un objectif reproductif). Je pourrais citer les passages précisément au besoin.

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  4. Merci à Olivier pour cette précision éclairante.

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  5. Je trouve votre propos réducteur à propos du "carcan de l'hellénisme". Je dirais plutôt le carcan d'un certain hellénisme : celui de Platon. Car la philosophie d'Aristote me semble assez proche de votre description du judaïsme : pour simplifier, les raisonnements platoniciens me semblent essentiellement déductifs (du monde général/idéal/intelligible au monde sensible) ; ceux d'Aristote, inductifs (des faits/du particulier au général/à une éventuelle loi immuable). Les deux se complètent peut-être, le premier indiquant par une sorte de vision ou d'extase contemplative la transcendance que doit viser le second par l'action, permettant ainsi à l'humanité de progresser de façon assurée en se fondant sur des faits et pas uniquement sur ces visions qui ne sont que des fragments de vérité captés par certains Hommes, donc potentiellement victimes d'erreurs (victimes car ces erreurs ne sont a priori pas intentionnelles si on suppose toujours la bonne volonté).

    Je pense que des Hommes tentés par être purement spirituels comme Platon, il en a toujours existé : psychologiquement, je pense qu'il s'agit de grands émotifs qui, dotés par la nature de davantage de capteurs sensoriels que les autres Hommes, sont tentés par une contemplation éternelle devant la beauté que leurs nombreux capteurs leur donne à ressentir. À ressentir autant, qui voudrait agir ou aurait encore la force de le faire ? La seule action à laquelle ces personnes ne rechigneront jamais est la réflexion puisqu'elle leur apportera leur contemplation agréable de la Beauté à laquelle elles aspirent tant (car elles croient l'avoir déjà atteinte et n'avoir plus qu'à la contempler éternellement).
    Évidemment, par le jeu des projections, je me trahis certainement en disant tout cela.

    En tout cas, la démarche inductive me semble beaucoup plus exigeante pour atteindre la transcendance, et c'est même la seule qui vaille à mes yeux.

    Et le fait que le nom de Dieu dans le judaïsme soit resté longtemps imprononçable (peut-être dans les deux sens du terme : d'une part car c'était interdit, et d'autre part car ça n'était peut-être qu'une suite de caractères qui n'avait pas d'équivalent phonétique, puisque seules les consonnes étaient écrites) me semble un moyen pédagogique très intelligent pour ne pas tomber dans l'ornière de la contemplation et croire qu'on a trouvé la Beauté. Car la prononciation d'un désignant est une première forme d'appropriation, de possession du désigné et interrompt donc l'action, la recherche qui doit rester inlassable, tant que la vie nous est donnée (la seule chose que je sais étant que je ne sais rien, la seule chose que je sais est qu'il me faut chercher encore et toujours).

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    1. Merci pour cette remarque pertinente.
      L'hellénisme dont il s'agit de se libérer est bien en effet celui de Platon. Il a eu une forte influence sur le christianisme des premiers siècles alors que celle d'Aristote s'est surtout fait sentir à partir du XIIe siècle.

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  6. En suivant quelques liens liés à Claude Tresmontant dont vous parlez dans ce billet, j'ai trouvé des bandes dessinées très bien faites (selon moi) qui abordent le rapport entre science et religions, métaphysiques, philosophies : Les indices pensables, de Brunor, peut-être connaissez-vous déjà. Je sais bien qu'on peut le taxer de concordisme, mais enfin, je trouve ses idées (ou celles de Claude Tresmontant ?) intéressantes.

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