mardi 18 décembre 2012

L'iconomie et le système éducatif

Intervention de Vincent Peillon, lors de la présentation de la stratégie pour le numérique à l'École, le jeudi 13 décembre 2012 à la Gaîté lyrique (toute l'information sur www.education.gouv.fr/EcoleNumerique).


La stratégie que Peillon présente me semble exemplaire : claire, volontaire, bien orientée. Il faudrait avoir l'équivalent pour chacun des grands systèmes de la nation, notamment le système de santé et le système judiciaire.

Le succès dépendra bien sûr de la façon dont cette stratégie sera appliquée : tout l'art réside dans l'exécution.

vendredi 14 décembre 2012

De l'économie à l'iconomie : opportunités et défis de la transition

(Intervention au 28e rendez-vous de la mondialisation organisé par le Centre d'analyse stratégique le 12 décembre 2012).


Nota Bene : Cette intervention a été résumée dans « L'iconomie, une autre façon de produire », Les Échos, 13 décembre 2012.

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L'importance de l'informatisation est controversée. Nathalie Kosciusko-Morizet m'a dit un jour1 qu'« informatisation », c'était « ringard » ! Elle estime peut-être que le « numérique », que l'on confine si souvent dans le médiatique et le culturel, c'est « super »...

Elle n'est pas la seule. Des économistes comme Robert Gordon2, l'élève de Robert Solow, et l'écrivain Nicholas Carr3 s'évertuent à démontrer que l’informatique et l'Internet n'ont plus rien à apporter depuis que la bulle des années 90 s'est dégonflée. Jeremy Rifkin4 estime que s'il y a une troisième révolution industrielle, c'est celle de la transition énergétique. Jean-Marc Jancovici5 dit que la pénurie prochaine d'énergie fossile rend une décroissance inévitable, et qu'elle sera d'ailleurs nécessaire pour limiter le réchauffement climatique : il refuse de considérer l'informatisation alors même qu'elle est une des clés des économies d'énergie.

Pour que l'on puisse parler de « révolution industrielle » il ne suffit pourtant pas d'évoquer un secteur particulier comme les énergies vertes ou la biotechnologie, et moins encore la décroissance : il faut que la fonction de production de tous les secteurs soit transformée. C'est bien ce qui s'est produit avec la mécanisation au XIXe siècle puis la maîtrise de l'énergie au XXe.

Or c'est exactement ce que provoque l'informatisation : on le voit bien si l'on observe ce qui se passe dans les entreprises. L'informatisation bouleverse depuis 1975 le système productif en faisant émerger une « iconomie » qui, s'appuyant sur les rendements d'échelle croissants qui se diffusent à partir de la microélectronique, du logiciel et de l'Internet, transforme la nature des produits, la façon de produire et de commercialiser, les compétences, les organisations, la structure du marché, la forme de la concurrence et jusqu'aux préférences des consommateurs.

dimanche 9 décembre 2012

Jérôme Cazes, 555, jeudi rouge, Editions du Parc, 2011

Jérôme Cazes est un banquier qui a quitté la banque : il la connaît, il l'a jugée.

555 vous fera pénétrer la psychologie des financiers. Leurs valeurs se résument en deux expressions : « produire de l'argent » et « pas vu, pas pris ».

Certains, parmi les économistes, pensent que le seul but de l'entrepreneur est de faire du profit : il n'y aurait donc rien à redire aux valeurs de la finance.

Mais l'argent n'est pas un produit : c'est un moyen. Le profit permet à l'entrepreneur véritable d'investir pour concevoir de meilleurs produits et améliorer l'efficacité de la production.

Pour « produire de l'argent », par contre, la méthode la plus facile consiste non à produire efficacement des choses utiles - cela demanderait un effort pénible et coûteux - mais à s'emparer d'un patrimoine mal protégé pour le revendre après l'avoir éventuellement découpé en petits morceaux. On peut aussi installer un péage et prélever une part d'un flux de revenu. L'une comme l'autre de ces méthodes relèvent de la prédation.

samedi 8 décembre 2012

L'emploi face aux robots


Le mot « iconomie » désigne, rappelons-le, une économie et une société parvenues à la maturité en regard des possibilités qu'apporte l'informatisation comme des dangers qui les accompagnent.

Dans l'iconomie les tâches répétitives sont automatisées, qu'elles soient physiques ou mentales. La marche vers l'iconomie s'accompagne donc de l'automatisation. Faut-il pour défendre l'emploi taxer les robots, comme cela a été proposé dans un forum sur l'Internet ?

La production, en France, est moins automatisée qu'en Allemagne ou en Italie : taxer les robots ne ferait qu'aggraver ce retard. La mission de l'entreprise est d'ailleurs de produire efficacement des choses utiles et non de gérer une garderie de salariés. Il ne convient pas pour maintenir l'emploi de la contraindre à utiliser des techniques obsolètes : il faut plutôt multiplier le nombre des entreprises efficaces.

samedi 24 novembre 2012

Le chemin vers l'« iconomie »

(Tribune dans L'Expansion, février 2013)

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Nous nommons « iconomie » la société que font émerger l'informatisation et l'Internet. Cette formidable mutation n'est pas seulement numérique ni économique : elle embrasse toutes les dimensions de notre vie.

Considérons ce qui se passe dans les entreprises. Les tâches répétitives mentales et physiques étant automatisées, les usines sont remplies de robots. La « main d’œuvre » a été remplacée par un « cerveau d’œuvre » qui assure la conception des produits ainsi que les services qui procureront au consommateur des « effets utiles ».

Les produits sont des assemblages de biens et de services élaborés par des partenariats. La cohésion de ces assemblages et l'interopérabilité des partenariats sont assurées par un système d'information. La concurrence étant rude, la stratégie vise à conquérir et renouveler un monopole temporaire sur un segment des besoins. Le secret de l'efficacité réside dans le couple que forment l'informatique et le cerveau humain : il convient d'automatiser ni trop, ni trop peu.

Certaines entreprises vivent déjà dans l'iconomie : Axon', Asteelflash, Otis, Lippi etc. Ce sont pour la plupart des ETI en forte croissance. On y rencontre souvent la même structure : les usines sont automatisées, un centre de recherche travaille à proximité de la plus importante et les autres sont dispersées dans le monde pour être proches des clients. Les services sont assurés pour partie via le téléphone et l'Internet, pour partie sur le terrain et là encore au plus près des clients.

Lorsque l'iconomie sera parvenue à maturité, elle connaîtra le plein emploi comme toute économie mûre. Cela suppose un système éducatif orienté vers la formation des compétences et aussi, chez les individus, la capacité de se former continuellement.

L'iconomie, l'élan du nouveau « système technique » pour reconquérir la compétitivité

(Intervention à la Journée nationale de l'intelligence économique d'entreprise à l’École polytechnique le 20 novembre 2012)

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L'émergence d'un nouveau système technique est comme le Big Bang : il donne naissance à un monde nouveau, il nous fait pénétrer un continent étrange où ni les possibilités, ni les dangers ne ressemblent à ce que nous avions connu jusqu'alors.

C'est comme si quelqu'un qui n'a jamais vu la mer embarquait sur un petit voilier pour faire une croisière. Le vent fait gonfler la houle, le sol bouge sous ses pieds ! Il est déconcerté, il lui faudra du temps pour surmonter le mal de mer...

Or nous vivons depuis 1975 dans un système technique qui s'appuie sur la synergie de la microélectronique, du logiciel puis de l'Internet. Il en a supplanté un autre, celui qui s'appuyait sur la synergie de la mécanique, de la chimie et de l'énergie. Le sort de la mécanique, aujourd'hui, c'est de s'informatiser – tout comme celui de l'agriculture, au XIXe siècle, a été de se mécaniser et de se « chimiser ».

Pour désigner le monde qui est en train d'émerger, nous utilisons des mots malheureusement accompagnés de connotations fallacieuses : « numérique » connote avec les nombres et le calcul, « informatique » est associé à des images purement techniques. Pour éviter ces pièges, nous avons à l'institut Xerfi choisi de créer un néologisme dépourvu de connotations, « iconomie ».

Ce mot désigne et rassemble les changements que le système technique nouveau suscite, y compris au plan anthropologique. Dans le système productif, par exemple, l'iconomie transforme la nature des produits, la façon de produire, les formes que prend la concurrence, la structure des marchés. L'ubiquité de l'Internet, à elle seule, a supprimé les effets de la distance géographique.

Pour décrire tout cela il faudrait énumérer une liste et rien n'est plus ennuyeux qu'une liste. Je vais donc me concentrer sur un seul aspect de l'iconomie, l'évolution du travail.

samedi 17 novembre 2012

Culture, technique et Saint-Simon

Les œuvres complètes de Saint-Simon (1760-1825) viennent d'être éditées par Juliette Grange, Pierre Musso, Philippe Régnier et Frank Yonnet. À la lecture il m'apparaît que malgré la distance chronologique Saint-Simon est notre contemporain et qu'il nous apporte des enseignements utiles. Je m'en explique.

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Chaque changement de système technique est précédé par une évolution culturelle et politique : l'innovation qui procure les technologies fondamentales d'un nouveau système n'est en effet possible que si les institutions et les esprits ont été préparés à l'accepter. En l'absence d'une telle préparation les idées nouvelles qui naissent dans le cerveau des inventeurs ne peuvent avoir aucune audience, donc aucune conséquence en termes d'innovation.

Ainsi la première révolution industrielle a été précédée, au plan politique, par les révolutions politiques anglaises qui ont aux XVIe et XVIIe siècles liquidé les institutions féodales avec la suppression des monastères par le protestantisme et l'extermination presque totale de la noblesse lors des conflits dynastiques. Au plan culturel, cette crise politique a été corrélative des réflexions de Bacon et de Newton. Elle a été accélérée et en quelque sorte catalysée par le mouvement de pensée des « lumières écossaises » qui s'est épanoui après la création de la Grande-Bretagne en 1707 et qu'ont illustré les noms de Hume, Smith et Watt.

mercredi 7 novembre 2012

Jean-François Gayraud, La grande fraude, Odile Jacob, 2011


La dérégulation a été criminogène, dit Jean-François Gayraud ; son livre décrit la dérive criminelle du secteur financier à partir des années 80. Mais une question évidente se pose, à laquelle il ne répond pas. Qu'est-ce qui a déclenché la dérégulation, pourquoi la politique économique a-t-elle cédé depuis les années 70 à des illusions dont elle peine à s'affranchir : le caractère autorégulateur des marchés, la justesse de l'évaluation des entreprises par la Bourse et la priorité qu'il convient en conséquence d'accorder à la « création de valeur pour l'actionnaire » etc. ?

Pour répondre à cette question, il faut revenir à ce qui s'est passé dans les années 70 pour dénouer un ensemble de phénomènes : la suppression de la convertibilité du dollar en or par Nixon en 1971, la crise pétrolière déclenchée par la guerre du Kippour en octobre 1973, le prix Nobel d'économie accordé à Milton Friedman en 1976, l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en 1979 et celle de Ronald Reagan en 1980...

Voici mon hypothèse : dans les années 70, le système technique qui s'appuyait sur la mécanique, la chimie et l'énergie s'est essoufflé et a été remplacé - certes progressivement - par le système technique qui s'appuie sur le microprocesseur, le logiciel et le réseau.

Le socle physique, pratique, de l'économie et des institutions était ainsi transformé. On pouvait anticiper d'immenses conséquences anthropologiques, il fallait s'y préparer. Mais cette anticipation était alors très lointaine et imprécise.

Les politiques et les économistes choisirent alors d'ôter leurs mains du volant pour laisser la voiture, si l'on peut dire, se guider toute seule. Il n'était que trop naturel qu'elle aille dans le fossé...

Pourquoi le mot « informatique » est maudit

Le mot « informatique » est entouré de connotations négatives, il est jugé « ringard ». On préfère le remplacer par « numérique » ou par « intelligent ».

Un missile « intelligent » est doté de capteurs, logiciels et actionneurs qui le guident vers sa cible ; un produit « numérique » est doté d'une interface et de logiciels. Il s'agit donc en fait d'un missile informatisé, d'un produit informatisé. Dire « numérique » ou « intelligent », c'est cependant plus chic.

Mais ces mots si chics sont de faux amis. « Numérique » oriente l'intuition vers un codage sous forme de nombres et vers le calcul : or cela ne représente qu'une partie, d'ailleurs très technique, de ce que fait l'informatique et cela détourne l'attention de sa dimension anthropologique. « Intelligent » est encore plus dévastateur : en attribuant l'intelligence à un automate, on se détourne du cerveau humain où elle réside exclusivement, on néglige l'articulation du cerveau humain et de l'automate alors qu'elle est la clé d'une informatisation réussie.

« Numérique » et « intelligent » égarent donc l'intuition, la rendent vague et l'empêchent de se préciser efficacement, notamment celle des dirigeants : se conformant à la mode qui conforte une opinion trop répandue dans leur milieu, ils veulent bien entendre parler de « numérique » et d'« intelligence » mais méprisent l'informatique qui en constitue pourtant la réalité. Cela les condamne à rester les porteurs velléitaires d'un rêve qui sera indéfiniment frustré tandis que notre économie, négligeant l'informatisation, piétine ou s'effondre.

jeudi 1 novembre 2012

Géopolitique du cyberespace

Article destiné à la revue Questions internationales publiée par la documentation française.

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Le rôle des réseaux sociaux lors des révolutions survenues dans divers pays a été abondamment commenté, de même que les manipulations dont ces mêmes réseaux ont été l'objet de la part de pouvoirs qui se sentaient menacés. Après la presse et la télévision, le cyberespace se trouve ainsi investi par le combat politique et, comme tout autre média, se révèle porteur à la fois d’information et de désinformation, de démocratisation et d'encadrement, de liberté et d'oppression.

Ces contrastes illustrent la nature d'un phénomène qui apporte autant de risques que de possibilités. Comme tout territoire, le cyberespace peut être aussi bien le théâtre d'une barbarie que d'une civilisation : contrairement à ce qu'ont cru les pionniers des années 60 (Levy) il n'est pas libérateur par nature et, contrairement à ce que prétendent d’autres (Virilio) il n'est pas oppresseur par nature : il sera ce que nous ferons de lui.

lundi 24 septembre 2012

L'Iconomie, l'élan du nouveau « système technique » pour reconquérir la compétitivité

Texte de l'exposé de Michel Volle à la conférence de l'Institut Xerfi le 19 septembre 2012.

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Lors d'une « révolution industrielle » le rapport entre la nature et la société change. Il en résulte des conséquences économiques mais aussi psychologiques, sociologiques, culturelles, géopolitiques etc.

La première de ces révolutions s'est produite vers 1775 avec la mécanisation. Les progrès de la métallurgie ayant permis de construire des machines plus puissantes et plus précises que les machines en bois utilisées jusqu'alors, la machine à vapeur a pu transformer l'énergie calorique en énergie motrice.

La deuxième s'est produite vers 1875 avec la maîtrise de deux formes nouvelles d'énergie, l'électricité et le pétrole. Le moteur électrique a été inventé en 1873, la lampe électrique en 1879, le moteur à essence en 1884. Ces inventions ont complètement transformé l'économie – et aussi la société.

La troisième révolution s'est produite vers 1975 avec l'informatisation. L'évolution exponentielle de la capacité des processeurs et des mémoires, ainsi que du débit des réseaux, a alors lancé une dynamique puissante. L'économie s'est orientée vers la structure que nous nommons iconomie et qui présente des possibilités immenses accompagnées de dangers immenses eux aussi.

Conférence de l'institut Xerfi

Voici les exposés lors de la conférence de l'institut Xerfi le 19 septembre 2012 :

Laurent Faibis, "Introduction : passer de l'économie à l'Iconomie, pour la renaissance de la France" :

Alexandre Mirlicourtois, "L'état des lieux : les chiffres-clés d'une révolution productive manquée" :

Michel Volle, "L'Iconomie, l'élan du nouveau « système technique » pour reconquérir la compétitivité" :

4) Philippe Moati, "La fourniture d’effets-utiles et l’émergence d'un modèle économique serviciel" :

5) Alain Marbach, "Investir massivement dans l'Iconomie pour créer les conditions d'une nouvelle compétitivité" :

6) Jean-Pierre Corniou, "Comment l'Iconomie va provoquer une nouvelle organisation productive plus performante" :

7) Christian Saint-Etienne, "Pour le retour d’un Etat stratège,
pour une reconstruction du tissu productif
" :

Pour le retour d’un État stratège, pour une reconstruction du tissu productif

Intervention de Christian Saint-Etienne à la conférence de l'institut Xerfi le 19 septembre 2012.

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Nous assistons donc à un bouleversement profond du système productif et concurrentiel mondial par l’essor de l’Iconomie. Les tâches répétitives, qu’elles soient physiques ou mentales, sont automatisées. La valeur ajoutée et l’emploi qualifié se concentrent dans la conception des produits et des systèmes automatisés qui vont les fabriquer ainsi que dans les systèmes de marketing d’image et de réseaux qui vont rendre le produit désirable et accessible. Compte tenu des coûts fixes de conception des produits et des systèmes qui leur donnent vie et attractivité, on est face à des rendements d’échelle croissants pour les produits qui réussissent et à des provisions pour pertes considérables en cas d’échec.

L’Iconomie est donc une sorte de « loterie professionnalisée » qui génère beaucoup de stress managérial et actionnarial compte tenu des risques et des enjeux et qui ne peut réussir que dans un contexte institutionnel à la fois stable dans ses règles et flexible dans sa mise en œuvre pour ne pas doubler les coûts fixes économiques par des coûts institutionnels et sociaux élevés.

L’Iconomie exige une grande réactivité des acteurs économiques et une profitabilité de l’activité productive comparable à celle des compétiteurs, ce qui proscrit tout excès de fiscalité et de contraintes sociales par rapport aux pays et entreprises compétiteurs.

Or, depuis trente ans que se développe l’Iconomie, la France a fait une lecture fausse des mutations en cours tandis que l’Europe est devenue un handicap supplémentaire dans la compétition mondiale. Toutefois, les systèmes politiques européens décentralisés contournent mieux l’obstacle européen que les systèmes centralisés. Développons ces deux thèmes.

Rétablir la profitabilité des entreprises

La France a continuellement privilégié le consommateur face au producteur car le modèle intellectuel dominant des élites était marqué par une conception keynésienne simpliste. La consommation est supposée être le véritable moteur économique et doit être servie par la production la moins chère. On sait, en fait, que Keynes ne mentionnait l’importance de la consommation qu’à court terme pour régler les désajustements production – consommation mais que toute son analyse fait la part belle aux entrepreneurs et à l’investissement.

En faisant à tort de la seule consommation le moteur de la croissance, on a sous-estimé les dangers de la consommation à crédit, notamment de la consommation financée par la dette publique. Et l’on a surtout négligé la capacité et la profitabilité productives, ce qui n’a pas permis l’essor des milliers d’ETI qui nous manque si cruellement aujourd’hui. La faiblesse de la profitabilité n’a pas permis les investissements de montée en gamme qui donnent un rapport qualité – prix attrayant pour le consommateur et des marges élevées et durables aux producteurs grâce à la constitution de niches par la segmentation de l’offre.

Provoquer un choc de compétitivité

Le secteur productif français est aujourd’hui exsangue, le déficit extérieur signalant tout à la fois l’erreur stratégique du modèle français de croissance par la consommation et l’incapacité des entreprises françaises d’offrir des produits manufacturés attrayants et rentables.

Il faut donc provoquer un choc de compétitivité immédiat par la baisse des charges grâce à la CSG sociale et à la TVA sociale. Compte tenu de la dégradation compétitive française, la baisse des charges doit être de l’ordre de 40 milliards d’euros en deux ans, au moment même où nous devons produire un effort majeur de réduction des déficits publics. Mais reporter ce choc de compétitivité ne peut qu’aggraver la situation économique et donc la capacité à réduire les déficits.

On comprend alors que la stratégie de la rigueur sans vision actuellement suivie ne permet pas de gagner du temps mais détruit nos dernières marges de manœuvre. La seule réduction du déficit public, sans reconstruction de notre compétitivité par l’innovation et la baisse des coûts, ne peut conduire qu’à une baisse profonde de l’activité. Il faut d’urgence une opération vérité expliquant l’ampleur du désastre stratégique vers lequel nous progressons à bonne vitesse et surtout substituer à la non décision actuelle une stratégie volontariste faisant appel à un Etat stratège négociant avec les forces vives du pays et les décideurs régionaux pour mettre en place d’ici le printemps 2013 une stratégie gagnante visant à mailler nos régions avec un puissant réseau d’ETI tout en facilitant l’essor d’un réseau différencié de métropoles constituant des aimants pour la production.

La stratégie nationale doit passer par les régions

Les autorités européennes, qui cassent systématiquement toute tentative de conduire des politiques stratégiques nationales revendiquées, qu’elles voient comme une menace pour leur propre pouvoir, sont en revanche favorables à des politiques régionales de développement économique. Il faut donc mettre ce biais à profit en déclinant aux niveaux régional et métropolitain des politiques de compétitivité globale.

L’adoption d’une stratégie nationale ambitieuse, mise en œuvre localement, n’est pas une option servant à l’amusement intellectuel de quelques experts ou politiques clairvoyants, mais une nécessité de survie à court terme. L’Institut Xerfi se donne pour vocation de fédérer les énergies qui voudront « fabriquer » cette stratégie de rebond.

Comment l'Iconomie va provoquer une nouvelle organisation productive plus performante

Texte de l'exposé de Jean-Pierre Corniou lors de la conférence de l'Institut Xerfi le 19 septembre 2012.

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En ce début de XXIe siècle, notre conception du travail n’a pas encore fondamentalement changé. Nous sommes marqués par une vision traditionnelle, celle des manufactures, où on rassemble à heures fixes des gens, sous le même statut, pour effectuer de façon répétitive des tâches pré-définies. Depuis cinquante ans, nous avons pourtant inventé des outils surpuissants pour nous aider à concevoir, produire, distribuer, analyser, mesurer. Avec l’informatique et la robotisation, nous avons commencé à apprendre à faire plus, mieux, plus rapidement tout en minimisant la pénibilité du travail et l’impact environnemental. Mais le système hiérarchique et pyramidal régit encore notre modèle d’organisation du travail.

Désormais, nous devons dépasser ces performances associées à des outils et à des organisations déjà anciennes. Le PC existe depuis 1981 ! Nous avons appris en 250 ans à décupler l’énergie musculaire des hommes en les dotant de prothèses efficaces, les machines. Nous devons apprendre maintenant à passer de la main-d’œuvre au cerveau d’œuvre pour faire jaillir de la complémentarité entre l’esprit humain et ces prothèses intellectuelles que sont les processeurs et les programmes des sources nouvelles de créativité.

Imaginer le travail au XXIe siècle, c’est reconnaître et orchestrer cette révolution ! Le travail n’est plus un stock où les nouveaux venus remplacent à l’identique ceux qui partent. C’est un flux constant d’adaptations, de transformations continues, d’innovations mais aussi de remises en cause profondes. Le monde est devenu global, plat, l’information nous connecte en permanence à toutes les idées, tous les produits de la planète. En douze ans, 5,2 milliards de terriens ont accédé au téléphone mobile et 2,2 milliards aux services du web. Nous savons tout et tout de suite, le champ des opportunités individuelles s’élargit, les disciplines scientifiques se décloisonnent et chacun peut désormais accéder en quelques clics à toute la connaissance scientifique et technique.

Investir massivement dans l'Iconomie pour créer les conditions d'une nouvelle compétitivité

Texte de l'intervention d'Alain Marbach pour la conférence de l'Institut Xerfi le 19 septembre 2012.

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Le positionnement des entreprises, leur compétitivité, sont de plus en plus influencées par la qualité de leur système d'information qui détermine la nature de leurs produits, la façon de les produire et la relation avec leurs partenaires. Le système d'information revêt donc une importance stratégique, il mérite toute l'attention des dirigeants. Or qu'entend-on dire par la plupart des dirigeants français ? « l'informatique, c'est de la technique, je n'y comprends rien, la seule chose que je sais c'est qu'elle coûte trop cher ».

Cette inconscience concerne il est vrai surtout les processus de gestion : chez un opérateur de téléphonie mobile, par exemple, et alors que les automatismes qui assurent l'acheminement du signal vocal sont hautement performante, l'informatique de gestion reste étonnamment négligée.

Il en résulte de graves conséquences. La dépense informatique annuelle des entreprises françaises se situe entre 60 et 80 milliards d'euros dont la moitié pour la production, et une moitié de la production est relative à des équipements en double ou qui ne sont pas au point, à des personnes qui doivent gérer les pannes en courant dans tous les sens. 15 milliards sont ainsi gaspillés chaque année. En outre plusieurs milliards d'euros pourraient être économisés si nos grandes entreprises et nos ETI savaient mieux gérer leurs licences logicielles : mon expérience professionnelle m'en apporte la preuve.

Introduction : passer de l'économie à l'Iconomie, pour la renaissance de la France

Exposé de Laurent Faibis à la conférence de l'institut Xerfi le 19 septembre 2012.

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1- Passer de l’économie à l’Iconomie, c’est construire le système productif du XXIe siècle. Il s’agit de replacer l’économie française au premier rang en jouant le coup d’après et pas celui d’hier. Mais pour cela, il nous faut penser la rupture. Nous sommes en crise, parce que comme le disait Gramsci, « le vieux ne veut pas mourir et que le neuf ne peut pas naître ». Dans cet entre deux surgissent les monstres de la prédation économique et financière, du délitement du système productif, du chômage de masse.

2- On ne reconstruira pas le système productif par de simples mesures macro-économiques. Il ne s’agit pas non plus de copier des pays qui ont su habilement tirer parti des faiblesses des autres. Il faut réviser nos modes de pensée et d’action. Penser la mutation, la rendre intelligible, c’est le but que s’est fixé le groupe de travail de l’association Institut Xerfi. Il s’agit d’impulser le passage de l’économie à l’Iconomie, avec un nouveau modèle de compréhension de l’économie pour penser le monde d’après, la France d’après, éclairer les voies d’une nouvelle compétitivité et d’une nouvelle manière de créer des richesses et des emplois.

3- Or, nous sommes confrontés à un vide, un vide de la pensée et de l’action stratégique. La stratégie, ce n’est pas un ensemble de solutions techniques. Ce n’est pas l’organisation efficace de moyens pour atteindre un but comme on l’enseigne à nos futures élites. En 35 ans de métier, je n’ai jamais vu une grande stratégie sortir d’une analyse stratégique. Je n’ai jamais vu un futur se dessiner dans un modèle économétrique. Non, une stratégie exige une vision, un dessein, une ambition, qui se concrétise dans une orientation. Oui, depuis plusieurs dizaines d’année la France est dans un vide stratégique. L’Iconomie, c’est d’abord la volonté de penser le neuf, c’est aussi une ambition pour la renaissance de la France.

L'état des lieux : les chiffres-clés d'une révolution productive manquée

Exposé d'Alexandre Mirlicourtois lors de la conférence de l'Institut Xerfi le 19 septembre 2012.

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Slide 1 – La France manque de robots

Les robots sont désormais partout. Je veux dire dans les usines occidentales où ils sont largement utilisés. C’est une évidence en Allemagne qui compte environ 150 000 robots, selon l’IFR, la Fédération Internationale de la Robotique. C’est aussi vrai en Italie avec un parc d’environ 62 400 unités. C’est en revanche beaucoup moins vrai en France. Avec près de deux fois moins de robots industriels installés qu’en Italie et quatre fois moins qu’en Allemagne. La France, et ses 34 800 robots a du retard. Et l'écart se creuse par rapport à nos principaux concurrents. Les industriels français ont installé un peu plus de 3 000 nouveaux robots en 2011, les allemands eux 19 500. C’est sept fois plus. Même corrigé des effets de structures, c'est-à-dire corrigé de la puissance relative des différentes industries, le diagnostic reste inchangé : les entreprises françaises ratent le virage de la robotisation et de l’automatisation. Un retard d’autant plus inquiétant que les pays émergents, Chine en tête, s’équipent à vive allure.

Slide 2 – Un parc de robots dépassé

Mais il y a plus grave encore. Notre parc de robots est complètement dépassé. En examinant le parc de robots et les achats annuels de robots pour chaque pays, on peut évaluer le nombre de robots mis au rebut chaque année puis en déduire la durée de vie opérationnelle d’un robot. Nous avons fait ces calculs. Et ces calculs montrent qu’au niveau mondial 8 à 10 % du parc est mis au rebut chaque année, contre 4 % seulement en France. Un robot dure donc plus d’une vingtaine d’année en en France contre 10 ans seulement dans le reste du monde. Non seulement notre parc de robot est plus réduit que celui de nos principaux concurrents, mais il est aussi plus vieux, donc en partie dépassé.

La fourniture d'effets utiles et l'émergence d'un modèle économique serviciel

Texte de l'intervention Philippe Moati à la conférence de l'institut Xerfi le 19 septembre 2012.

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Le redressement productif est donc à l’ordre du jour. Et il y a urgence au vu de la vitesse à laquelle dépérit notre industrie et du caractère abyssal du déficit de la balance commerciale.

Le redressement suppose celui de la compétitivité de notre tissu économique. Pour beaucoup (notamment les représentants du patronat), la question de la compétitivité semble se réduire à celle du coût du travail. Cette conception éculée de la compétitivité nous fait collectivement courir le risque de rater le virage historique de l’entrée dans le nouvel âge de l’économie consistant dans le passage d’un capitalisme industriel à un capitalisme immatériel s’appuyant sur un système technique centré sur l’informatique.

Mobiliser l’intelligence collective

La création de valeur découle de moins en moins de l’efficacité et du coût de la transformation de la matière. Elle réside aujourd’hui dans la capacité de mobilisation de ressources immatérielles en vue de la fourniture d’effets utiles. Expliquons-nous.

samedi 18 août 2012

Une entreprise, plus c'est gros, plus c'est bête

Ce sont les personnes incultes qui dénigrent la France. A l'étranger comme en France les personnes cultivées, elles, respectent notre pays.

Mais ce respect ne doit pas s'opposer à la lucidité, au contraire : il faut dénoncer sans relâche les défauts d'un pays que l'on aime.

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Olivier Berruyer a ainsi publié sur son blog, Les-Crises.fr, un témoignage intitulé « Moi, ingénieur industriel » qui décrit les dangers que présente la sous-traitance en cascade. Guénaël Pépin a publié sur ZDNet.fr un entretien avec Stephan Ramoin, PDG de Gandi, intitulé « Cloud Andromède : un projet "sans avenir" qui déshabille les acteurs en place ».

Ces deux articles pointent vers une triste réalité : plus nos entreprises sont grosses, plus elles sont bêtes.

J'invite les lecteurs de volle.com à les parcourir. Qu'il s'agisse de la sous-traitance, ou de la distribution des crédits de l’État, on retrouve le même mépris envers la compétence, la même ignorance envers les conditions pratiques de l'efficacité.

Deux de mes amis, très compétents l'un et l'autre, m'ont envoyé des commentaires éclairants. Je les reproduis ci-dessous :

mercredi 8 août 2012

De l'économie à l'iconomie

L’« iconomie » est le système économique qui permet aux consommateurs, aux entreprises, aux institutions et à l’État de tirer pleinement parti du système technique fondé sur l’informatique, l’Internet et l’intelligence partagée. Passer de l’économie à l’iconomie, c’est adopter un nouveau modèle de compréhension de l’économie. Ce modèle permet de définir une orientation stratégique pour la compétitivité, la croissance et la renaissance de la France.

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L'Institut Xerfi s'est donné pour but d'éclairer les voies d'un retour à la compétitivité et à l'équilibre des échanges de la France. Il faut pour cela que notre pays s'oriente vers l'iconomie en adaptant ses entreprises, ses institutions, au monde nouveau qui s'est créé sur le socle physique que fournit le « numérique » avec l'informatisation et la mise en réseau des institutions, du système productif et de la vie personnelle [1].

Si cette adaptation échoue la France perdra son droit à la parole dans le concert des nations : elle sera dominée et colonisée comme le furent au XIXe siècle les pays qui avaient refusé l'industrialisation. Le monde lui-même y perdra l'expression de cet « élitisme pour tous » qui est la marque de notre République et de ses valeurs [2].

lundi 6 août 2012

Bulletin municipal de Sénéchas, juillet 2012

Le nouveau Bulletin municipal de Sénéchas vient de sortir (pour en savoir plus sur Sénéchas, cliquer ici).

Vous pouvez le télécharger au format pdf (451 Ko) en cliquant sur le lien suivant : Bulletin municipal de Sénéchas, juillet 2012.

Vous verrez que la vie culturelle est active dans cette commune de 246 habitants - auxquels s'ajoutent un grand nombre de vacanciers durant l'été.

Si notre commune éveille votre curiosité, voici des liens pour consulter les numéros précédents du Bulletin :

- Bulletin municipal de Sénéchas, juin 2011 ;

- Bulletin municipal de Sénéchas, juin 2010 ;

- Bulletin municipal de Sénéchas, mai 2009 ;

- Bulletin municipal de Sénéchas, août 2008.

lundi 30 juillet 2012

Dynamique et enjeux de l'iconomie

L'iconomie est une économie qui, par hypothèse, serait mûre en regard des possibilités et des risques qu'apporte le « système technique contemporain » bâti sur l'informatique et l'Internet ou, plus fondamentalement, sur la microélectronique, le logiciel et le réseau [1]. L'iconomie est donc une « économie-fiction », mais c'est aussi un but que le politique peut assigner à l'économie actuelle et vers lequel la stratégie des entreprises peut s'orienter.

En quoi l'iconomie diffère-t-elle de l'économie à laquelle nous nous sommes habitués et que des modèles familiers schématisent efficacement ? D'abord par l'automatisation des actes répétitifs que demande la production, qu'ils soient mentaux ou physiques : ce fait a été remarqué dès les débuts de l'informatisation [2]. Puis par la suppression des effets de la distance géographique dans le cyberespace, qui est à la fois le lieu d'une création documentaire affranchie du filtre éditorial, un moyen de communication et un média : c'est une autre évidence.

Il y a là déjà de quoi nourrir une analyse économique originale mais le phénomène essentiel est la forme que prend dans l'iconomie la fonction de coût. Elle comporte en effet des rendements d'échelle croissants et c'est là une nouveauté bouleversante. John Hicks, qui fut sans doute le meilleur économiste du XXe siècle, n'estimait-il pas que renoncer à l'hypothèse des rendements décroissants entraînerait le naufrage de la théorie économique [3] ?

Il est pourtant possible de raisonner en économiste sur l'iconomie, mais à condition d'ajuster certaines hypothèses. L'iconomie n'est pas sous le régime de la concurrence parfaite mais sous celui de la concurrence monopoliste [4], et il s'agit d'une dynamique plus que d'un équilibre. Nous ne sortons donc pas de la théorie économique mais nous inversons l'ordre habituel du cours d'économie, qui place la concurrence parfaite dans le premier chapitre et la concurrence imparfaite dans le dernier. Ce faisant nous changeons la perspective de politiques qui, trop paresseux peut-être, ne semblent avoir étudié que le premier chapitre du cours.

Ce modèle, quand on développe ses implications, explique certains phénomènes qui signalent déjà l'émergence de l'iconomie [5] dans l'économie contemporaine.

dimanche 1 juillet 2012

Objections prévisibles

Un de mes amis, ayant vu la vidéo qui annonce la conférence du 19 septembre, m'a envoyé un message dont j'extrais une phrase : « je suis dubitatif quand je vois quelqu’un dire : nous avons vu le problème, compris ce qui cloche, et savons ce qu’il faut faire ».

J'anticipe les phrases qui, comme celle-là, nous seront opposées pour rejeter notre propos dans l'insignifiance. Pour chacune je propose un diagnostic :

- « Si c'était vrai on le saurait déjà » (objection du théologien)
- « C'est banal, il n'y a rien de nouveau là-dedans, tout le monde le dit déjà » (surdité causée par le bruit médiatique)
- « Ça ne peut pas être aussi simple que vous ne le dites » (le vrai ne peut être que très compliqué)
- « C'est trop compliqué, soyez plus simple » (celui qui n'a plus de dents ne mange que de la bouillie)
- « Vous ramenez tout à la technique : c'est du technicisme » (réaction d'allergie)
- « Vous êtes beaucoup trop terre à terre » (le vrai ne peut être que sublime)
- « Tout ça c'est de la théorie, du blabla » (la parole n'a aucune valeur)
- « C'est bien beau de parler, mais ce qui compte c'est d'agir » (idem)
- « Qu'est-ce qui vous autorise à dire ça ? » (le vrai ne peut s'exprimer qu'en citant les bons auteurs)
- « Vous êtes très prétentieux. Quels sont vos titres universitaires ? Avez-vous publié dans des revues à comité de lecture ? » (défense de penser autrement que la Faculté)
- « Vous exagérez beaucoup, en fait rien n'a changé car il n'y a jamais de rupture dans l'histoire » (nihil novi sub sole)

Cette collection est sûrement incomplète... Chacune de ces objections, notons-le, tourne le dos à la seule bonne méthode, qui consiste à entrer dans un raisonnement pour pouvoir le critiquer de l'intérieur.

J'ai répondu à mon ami : « Faut-il donc se taire quand on a vu, et qu'on sait ce qu'il faut faire ? ».

mardi 26 juin 2012

Christian Araud, La décroissance ou le chaos, Le pédalo ivre, 2012



Nota Bene : les exemplaires en stock chez l'éditeur ayant été détruits par un dégât des eaux, un nouveau tirage est prévu. En raison des vacances le livre ne sera de nouveau disponible en librairie et en ligne qu'au début de septembre.

Christian Araud était élève à l'Ecole polytechnique dans la même promotion que moi - cette X60 où les contestataires étaient nombreux et qui s'est révélée par la suite une exceptionnelle pépinière d'entrepreneurs.

Parmi tous ces contestataires Araud était celui dont l'ironie était la plus mordante : il n'était assurément pas dupe du prestige des institutions ni de celui des prétentieux.

Contrairement à beaucoup d'autres, il est resté fidèle à lui-même tout au long de sa vie. Tel il était à vingt ans, tel il est aujourd'hui, avec le même sourire, le même regard étincelant et narquois qui ont irrité tant de potentats,.

Après avoir éprouvé et rejeté la grande entreprise (n'a-t-elle pas osé lui proposer de devenir un Shellman ?) il a mené la vie nomade de consultant (très) indépendant, parcourant la planète pour produire des études économiques à l'appui de projets de route, de réseau d'eau et de transports en commun dont bon nombre étaient loufoques.

Cette loufoquerie, il la relevait avec délectation devant des autorités et bailleurs de fond consternés au risque, souvent concrétisé, de compromettre le renouvellement de son contrat et de connaître une de ces longues périodes d'intercontrat qui sont le cauchemar du consultant.

Courts voyages dans le monde de la pensée

J'ai publié voici quelques années un commentaire sur le livre de Jean-François Dars, Voyage avec Stevenson dans les Cévennes. Son style simple et clair, mais très subtil, m'avait intéressé. Par la suite Dars a contribué à un livre, Les déchiffreurs, consacré à des mathématiciens : des photographies et des textes aidaient à entrevoir la vie intime de leur pensée.

Je retrouve ce style chic et sobre dans le site Histoires courtes que Dars édite avec Anne Papillault. En moins de cinq minutes des physiciens, archéologues, géochimistes, historiens, mathématiciens et autres penseurs dévoilent chacun une part de sa recherche pour nous en faire partager l'esprit.

Les écouter, c'est faire autant de plongées dans le monde de la pensée - ce monde qui semble si éloigné de la vie quotidienne et que les médias n'effleurent que très rarement, mais qui recèle les fondations secrètes sur lesquelles notre vie se bâtit.

lundi 25 juin 2012

Création de l'Institut Xerfi


Un groupe de travail composé d'une vingtaine d'économistes, sociologues, philosophes, experts et chefs d'entreprise (voir ci-dessous) vient de donner naissance à l'association Institut Xerfi.

Il s'agit de tirer toutes les conséquences de l'informatisation et de la mise en réseau du système productif comme de la société : l'économie tend à devenir une iconomie, avec toutes les conséquences anthropologiques que cela entraîne.

C'est un enjeu pour nos entreprises et pour notre pays : ceux qui ne sauront pas être présents dans l'iconomie perdront tout.

L'Institut Xerfi organise une conférence le 19 septembre. La vidéo de la "bande annonce" présente son orientation mieux que ne le ferait un long écrit.

Membres du groupe de travail :
Frank Benedic,
Pierre-Jean Benghozi,
Laurent Bloch,
Jean-Pierre Corniou,
Laurent Faibis,
Damien Festor,
Francis Jacq,
Frédéric Lefebvre-Naré,
Alain Marbach,
Laurent Marty,
Alexandre Mirlicourtois,
Philippe Moati,
Pierre Musso,
Olivier Passet,
Sophie Pellat,
Lionel Ploquin,
Jean-Michel Quatrepoint,
Claude Revel,
Christian Saint-Etienne,
Michel Volle.

Le site Web de l'institut Xerfi est à l'adresse institutxerfi.org.

mardi 19 juin 2012

Enjeux de l'enseignement de l'informatique

Article rédigé avec Maurice Nivat et destiné au numéro 113 de la revue Terminal.

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Il y a toujours eu dans l'enseignement une « discipline reine ». Ce fut le latin jusqu'au XIXe siècle, aujourd'hui ce sont les mathématiques.

Certes, tout homme cultivé dira qu'il n'existe pas de discipline reine car il veut les avoir toutes dans sa boîte à outils intellectuels. Cependant la société attend d'une certaine discipline, plus que des autres, qu'elle procure une structure aux élèves, qu'elle les instruise. Cette discipline fournira alors, fût-ce au prix d'une dénaturation, la pierre de touche pour des classements et sélections : les mathématiques servent ainsi, en première année de médecine, de critère pour l'application d'un numerus clausus.

Platon fit graver une inscription célèbre à l'entrée des jardins d'Academos : « Ἀγεωμέτρητος μηδείς εἰσίτω μου τήν στέγνην », « que nul n'entre ici s'il n'est pas mathématicien ». Sa conception de la pensée était en effet celle que cultivent les mathématiques. Mais d'autres conceptions sont possibles : la science expérimentale soumet la pensée au joug de l'expérience, l'action la confronte à la complexité illimitée et aux phénomènes imprévisibles que présente le monde de la nature (physique, sociale et humaine).

mercredi 6 juin 2012

Dévoilement de secrets d'Etat

En quelques jours deux secrets d’État ont été dévoilés. Ces révélations ne peuvent être qu'intentionnelles : quelle en est la raison ?

L'une des deux concerne le rôle des États-Unis dans la cyberguerre et notamment dans la conception du virus Stuxnet pour endommager les centrifugeuses qu'utilisent les Iraniens afin d'enrichir l'uranium et, on le suppose, préparer la construction de bombes atomiques (David E. Sanger, « Obama Order Sped Up Wave of Cyberattacks Against Iran », The New York Times, 1er juin 2012).

L'autre concerne la possession par Israël de sous-marins équipés d'armes nucléaires (Markus Becker, « Angst vor dem zufälligen Atomkrieg », Der Spiegel, 5 juin 2012 ; une traduction en anglais est disponible).

Une entreprise exemplaire


Xerfi Canal a reçu Joseph Puzo, Pdg d'Axon' Cable, fabricant de câbles pour l'électronique (satellites, airbags, prothèses etc.)

Son diplôme d'ingénieur (Insa Lyon) en poche, Joseph Puzo débute comme ingénieur électronicien chez IBM avant de retourner à l'Insead pour décrocher un diplôme de management. Il est alors recruté par un groupe horloger suisse où il reste quatre ans puis il revient en France comme directeur d'Habia, PMI spécialiste du câblage située à Montmirail. En 1985 Joseph Puzo convainc Volvo, alors propriétaire de l'entreprise, de la lui céder dans le cadre d'un rachat d'entreprise par les salariés (RES) récemment autorisé par la loi. Les cent cinquante salariés de l'époque participent à ce rachat grâce à la création d'un fonds commun de placement. La société est rebaptisée Axon' Câble (on trouvera plus de détails sur la saga de la société dans ce document PDF).

Axon' mérite d'être donné en exemple : cette entreprise a connu une forte croissance (de 150 à 1 600 salariés) et exporte 70 % de sa production en misant sur la montée en gamme, l'innovation et l'automatisation.

lundi 14 mai 2012

« Numérique » et « informatisation »

Le mot « numérique » s'impose, dans le langage courant, pour désigner par métonymie tout ce qui touche à l'informatique. Il est préférable à « digital » qui a l'inconvénient d'être un anglicisme et d'évoquer le « doigt », mais il n'est pas sans défaut.

Son étymologie évoque en effet le codage en 0 et 1 qu'exige le traitement informatique des textes, images, sons, programmes et autres documents et cela l'entoure de connotations techniques qui risquent d'égarer l'intuition. Certains, prisonniers des images qui accompagnent les mots, vont même jusqu'à lui associer la froideur supposée des « nombres » et le croient incapable de transmettre la chaleur émotive de la littérature !

On peut à bon droit estimer qu'il aurait mieux valu retenir un terme plus exact, par exemple « informatisation ». Malheureusement le lexique qui dérive d'« informatique » (« informaticien », « informatiser », « informatisation » etc.), dont l'étymologie est saine en effet, éveille aujourd’hui des connotations péjoratives ou, comme on dit, « ringardes », tandis que malgré son étymologie déplorable « numérique » connote « jeune », « nouveau », « créatif », « dynamique » etc. Il est sans doute vain de prétendre lutter contre un usage qui s'est aussi bien installé.

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Étant récent, cet usage n'est d'ailleurs pas stabilisé car chacun entend « numérique » à sa façon. Pour les collectivités territoriales, il s'agit du haut débit de l'accès à l'Internet. Pour les médias et la plupart des politiques, des transformations qu'apporte l'Internet à l'économie de la presse, de l'édition et des droits d'auteur. Enfin les entreprises qui fournissent les matériels, logiciels et compétences nécessaires à l'informatisation sont classées par la statistique dans un secteur des « industries du numérique ».

La diversité de ces usages invite à conférer le sens le plus large à « numérique » : je propose de prendre carrément le contre-pied de son étymologie et de le retenir pour désigner l'ensemble des phénomènes anthropologiques que suscite l'informatisation.

mercredi 25 avril 2012

Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, Refonder l'entreprise, Seuil 2012

Ce petit livre d'une remarquable densité, et d'une qualité unique, éclaire ce qu'est l'entreprise en la considérant à partir des points de vue historique, économique et juridique. Il apporte ainsi une contribution précieuse à la réflexion sur la crise actuelle, qui est dans une large mesure une crise de l'entreprise.

La continuité banale de la vie quotidienne incite à croire que l'entreprise a toujours existé telle que nous la connaissons. Il n'en est rien. Au XVIIIe siècle, le mot entreprise désignait ce que l'on entreprend (« entreprendre un voyage »). Après la révolution industrielle et pendant la plus grande partie du XIXe siècle l'entreprise est restée minuscule : elle employait au plus quelques centaines d'ouvriers qui, étant payés à la pièce, organisaient leur travail comme ils l'entendaient et étaient seuls responsables en cas d'accident.

La grande entreprise, qui emploie plusieurs centaines de milliers de salariés, naît aux États-Unis vers 1880 avec les chemins de fer puis l'industrie du pétrole. Elle organise méthodiquement le travail des salariés et la gestion.

Jusque vers 1970 cette entreprise est dirigée par la « technostructure » que Galbraith a décrite en 1967 dans The New Industrial State : le pouvoir et le prestige social des « managers » dépend de la taille de l'entreprise, qu'ils s'emploient à développer.

La crise des années 70 occasionne la prise de pouvoir par les actionnaires : la « création de valeur pour l'actionnaire » (dividendes, cours de l'action) est désormais le but assigné à l'entreprise. La capitalisation boursière, dont on suppose qu'elle donne à tout moment une évaluation exacte de l'entreprise, est érigée en critère ultime de l'efficacité de sa stratégie.

samedi 21 avril 2012

Technique et institution

Pour éclairer la relation entre les techniques et les institutions, je propose un petit modèle schématique et donc simplificateur mais que j'espère utile à travers sa simplicité.

Trois mondes

Toute société fonctionne à la fois dans deux « mondes » qu'elle articule : d'une part le monde des valeurs, où elle définit à sa façon le « bien » et le « mal », le « sens de la vie » etc. ; d'autre part le monde de la nature, auquel elle est confrontée et qui lui présente à la fois des ressources (eau, énergie, territoire, faune, flore etc.) et des obstacles (intempéries, épidémies, poisons, distance etc.).

Cette société a pour but ultime d'exprimer ses valeurs dans le monde de la nature, de les graver dans l'histoire : ainsi les hommes de la préhistoire dessinaient sur les parois de leurs grottes les symboles de leurs valeurs. Cette expression se réalise par l'action, qui forme un troisième monde intercalé entre celui de la nature et celui des valeurs.

L'action met en œuvre les capacités physiques et mentales des individus mais elle est toujours collective, même quand elle paraît individuelle : l’œuvre que crée un artiste, un écrivain par exemple, ne pourra atteindre son public – et devenir véritablement une œuvre – que relayée par l'édition. L'action est donc toujours le fait d'institutions qui organisent une action collective – et dans lesquelles, de ce fait, se manifestent toutes les dimensions de l'anthropologie : économie, sociologie, psychologie, philosophie - et même métaphysique car l'action incarne les valeurs dans le monde de la nature.

Voici donc les trois mondes qui composent notre modèle : la nature, les institutions, les valeurs.

L'entreprise, par exemple, est l'institution qui assure l'interface entre la nature et la société pour lui procurer le bien-être matériel, celui-ci étant une des valeurs auxquelles notre société accorde le plus d'importance (d'autres sociétés lui sont indifférentes). Le langage, que chaque génération hérite de la précédente et transmet à la suivante après l'avoir enrichi ou appauvri, est une autre institution.

dimanche 18 mars 2012

Innovation et informatisation

Voici la vidéo de la conférence donnée à l'ENST lors de la séance du 15 mars 2012 du séminaire « Imaginaires, industrie et innovation », dans le cadre de la chaire « Modélisation des imaginaires » qu'anime Pierre Musso :


(Cliquer ici si vous voulez télécharger les transparents).

Cette séance comportait deux autres conférences :
- Pierre Musso, Professeur à l’Université de Rennes2 et à Télécom Paris-Tech, « Techno-imaginaire, industrie et innovation »,
- Pascal Daloz, Directeur Général Adjoint de Dassault Systèmes, « L’innovation intensive dans l’industrie contemporaine ».

mardi 28 février 2012

La Russie se réveille

Je publie ici le texte que m'a envoyé un ami moscovite.

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La Russie vit une période où la densité et l’ampleur des événements sociaux et politiques qui peuvent avoir des conséquences imprévisibles approchent le niveau « révolutionnaire » : cet adjectif est celui qui convient, même si certains peuvent le juger trop emphatique.

La fin de la maladie du sommeil

Après l'émergence d'une classe criminelle et perverse dans les années 1990 on voit émerger maintenant une classe de gens qui, appréciant la liberté individuelle, s’appuient sur leur propre force et leur savoir-faire sans attendre de cadeaux ni de punitions venant d'un « État-Père ».

Parmi eux se trouvent ceux qui ont réussi à monter leur propre affaire dans le commerce et les services (restauration, hôtellerie, tourisme, construction, médecine, éducation etc.), ceux aussi qui travaillent comme managers ou spécialistes de haut niveau dans de grandes entreprises (commerce, informatique, secteurs bancaire et juridique, consulting, automobile avec Toyota, Ford ou Renault etc.).

Le pouvoir et la société on pendant la première décennie du XXIe siècle respecté l'accord suivant :
a) prospérité et sécurité plus ou moins garantie pour les grands fortunes,
b) vie plus ou moins aisée pour les classes moyennes,
c) vie au seuil de la pauvreté mais sans risque de misère pour le reste de la population,
le tout en échange d'un soutien actif ou passif du pouvoir par la société, voire d'une indifférence totale aux affaires politiques et donc en échange de l’absence de ce que l'on nomme « société civile ».

Pour respecter cet accord la population cultivée – celle qui peut grâce à l'Internet résister à la propagande officielle – a dû avaler d'énormes couleuvres. En voici quelques-unes :

1. La mort de centaines de personnes en 1999 dans l'explosion de plusieurs HLM à Moscou et à Volgodonsk. C'est une affaire ténébreuse : les coupables ne sont toujours pas identifiés mais les pistes de l'enquête mènent à l’état-major de campagne de Vladimir Poutine pour les présidentielles.

2. La mort de plusieurs milliers de militaires russes et de centaines de milliers d'indépendantistes et civils tchétchènes lors de la deuxième guerre de Tchétchénie.

3. Le sacrifice des survivants du sous-marin Koursk sous prétexte de « secret d’État » mais en fait pour permettre à quelques officiers généraux de conserver leurs épaulettes.

4. La mort de 200 spectateurs du spectacle « Nord-Ost » à Moscou en octobre 2002, victimes d'un assaut mal organisé après que le pouvoir ait refusé de négocier avec les preneurs d'otage : ces personnes ont été asphyxiées par un gaz dont l’antidote n’a pas été fourni aux médecins sous prétexte de « secret militaire ».

5. La mort en 2004 de centaines d’enfants sacrifiés à la « raison d’État » lors d'une prise d'otage à l’école secondaire de Beslan en Ossétie du nord : l'attaque a été menée au canon et au lance-flammes après que la médiation d'Aslan Maskhadov, qui avait toutes les chances de réussir, ait été refusée parce qu'il était considéré comme un « ennemi de la Russie ».

6. L'assassinat de dizaines de personnalités politiques et journalistes qui avaient osé faire face au pouvoir (Galina Starovoïtova, Sergueï Youchenkov et Anna Politkovskaïa par arme à feu, Alexandre Litvinenko par du polonium 210, etc.).

7. Les attentats terroristes répétés au Caucase et à Moscou (bombes dans le métro, les rues, les aéroports etc.).

8. La guerre de 2008 contre la Géorgie, suivie de la sécession de certains de ses territoires (Abkhazie et Ossétie du Sud).

9. Le racket des grandes et moyennes entreprises par les « forces » (c'est ainsi que l'on nomme les services de sécurité et notamment le FSB, nouvelle appellation du KGB) : ce racket n'est jamais sanctionné par la justice car elle est subordonnée aux « forces ».

mardi 21 février 2012

Dans l'enseignement, l'informatique doit être la discipline reine

Les informaticiens se battent pour que leur discipline soit enseignée au lycée et, pourquoi pas, à l'école primaire aussi (cf. le billet de Laurent Bloch, « Quelle formation intellectuelle pour la troisième révolution industrielle ? »).

Leurs efforts me semblent cependant trop timides.

L'enseignement secondaire s'appuyait naguère sur le latin, censé apporter aux esprits méthode et discipline. Aujourd'hui il s'appuie sur les maths qui, quand elles sont bien enseignées, forment les esprits à la logique, à la rigueur, au goût des démonstrations exactes.

Cependant les maths, qui explorent le monde de la pensée sous la contrainte du principe de non-contradiction, ignorent le monde de la nature physique, humaine et sociale même si elles fournissent de puissants outils à sa compréhension. Par ailleurs elles partent de définitions (axiomes) dont elles déploient les implications (théorèmes) et cela encourage une tournure d'esprit contemplative.

L'informatique, par contre, part comme disent Abelson et Sussman non de définitions (what is ?) mais de questions pratiques (how to ?). Elle peut, tout comme les maths, former les esprits à la logique, la rigueur etc. mais aussi, de surcroît, au savoir-faire, à l'ingénierie, au design, et c'est particulièrement nécessaire aujourd'hui. Elle n'ignore pas le monde de la nature puisqu'elle répond à des questions qu'il pose : elle encourage une tournure d'esprit non pas contemplative, mais active.

J'en conclus qu'il convient non de réclamer une petite place pour l'informatique dans l'enseignement, mais de proposer carrément qu'elle détrône les maths pour prendre leur place comme discipline reine. Cela introduirait dans le secondaire l'esprit pratique, actif, dont il est actuellement privé par la domination des maths.

Cette conclusion sera sans aucun doute mal accueillie mais plus j'y réfléchis, plus elle me paraît exacte.

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Quelques précisions :

1) Il ne s'agit pas de supprimer l'enseignement des maths : l'exploration du monde de la pensée est une gymnastique salubre et sa dimension esthétique est d'ailleurs jubilatoire. Les maths ont donc une place légitime dans l'enseignement : seulement elles ne sont plus légitimes à être la discipline reine.

2) L'informatique qu'il s'agit d'enseigner est l'art de la programmation. Cet art s'acquiert en programmant, tout comme celui d'écrire s'acquiert en écrivant des dissertations. L'écoute du cours doit donc tenir moins de place dans son enseignement que l'écriture de programmes qui marchent et que le professeur corrigera pour indiquer aux élèves la voie de l'efficacité.

3) Pour pouvoir comprendre la programmation il faut acquérir aussi une intuition exacte de ce qui se passe dans les couches basses, physiques, de l'ordinateur et des réseaux, ainsi que dans les systèmes d'exploitation et compilateurs.

Nota Bene : Je découvre l'article de Jenna Wortham, « A Surge in Learning the Language of the Internet », The New York Times, 27 mars 2012. Il montre que l'apprentissage de la programmation redevient à la mode aux Etats-Unis et fournit une liste d'outils pédagogiques : GirlDevelopIt, Udacity, Treehouse, GeneralAssembly, CodeRacer, WomenWhoCode, Rails for Zombies, CoderDojo et enfin celui qui fait le plus parler de lui : Codecademy. Nous en avons aussi en France, notamment l'excellent Site du Zéro.

Nota Bene 2 : Un « manifeste » extrêmement bien argumenté pour l'enseignement de l'informatique dès l'école primaire : John Naugthon, « Why all our kids should be taught how to code », The Guardian, 31 mars 2012.

vendredi 10 février 2012

Pour un État stratège


Depuis une trentaine d'années une politique persévérante a été suivie pour introduire la concurrence dans les réseaux (télécoms, électricité, chemins de fer, poste). Pour renforcer la concurrence, l'exploitation de chaque réseau a en outre été découpée entre plusieurs entreprises chargées respectivement de l'infrastructure, du trafic, du commercial etc.

Cette politique a une apparence, celle de la rationalité et de l'efficacité dont la concurrence est censée être le seul levier. Elle a une réalité : celle d'une décision dogmatique qui, ignorant la nature physique des réseaux, engendre une inefficacité facteur de crise et affaiblit la Nation.

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Chaque réseau étant un système, sa qualité dépend des relations entre les organes qui le composent. Séparer ces organes pour en faire autant d'entreprises, c'est ériger entre eux des barrières comptables, susciter des conflits, créer sur le terrain des situations absurdes, dégrader enfin la qualité du service au consommateur.

mardi 24 janvier 2012

Apple, la délocalisation, l'emploi

L'article de Charles Duhigg et Keith Bradsher (« How U.S. Lost Out on iPhone Work », The New York Times, 21 janvier 2012) explique pourquoi, tandis qu'Apple n'emploie directement que 43 000 personnes aux États-Unis et 20 000 dans d'autres pays, 700 000 autres travaillent principalement en Chine pour produire ses iPhones, iPads etc.

90 % des centaines de composants que contient un iPhone sont produits hors des États-Unis : les semi-conducteurs proviennent d'Allemagne et de Taïwan, les mémoires de Corée et du Japon, les écrans et le câblage de Corée et de Taïwan, les puces d'Europe, les terres rares d'Afrique et d'Asie. L'ensemble est monté en Chine.

Ce ne sont pas les bas salaires qui expliquent la préférence donnée à la Chine car produire l'iPhone aux États-Unis laisserait à Apple une marge bénéficiaire confortable : alors que chaque iPhone lui procure un profit de plusieurs centaines de dollars, le coût de production unitaire ne serait augmenté que de 65 $. Pour les entreprises des TIC le coût du travail est d'ailleurs secondaire en regard du coût des composants, de la capacité des entreprises à accroître et réduire leur taille rapidement et de la souplesse des approvisionnements.

jeudi 19 janvier 2012

samedi 7 janvier 2012

La Mamie du Cantal et les télécoms

Voici ce qu'a dit Stéphane Richard, le PDG de France Télécom : "Bien sûr, c'est une évidence, nous pourrons jouer sur les prix en fonction de ce que Free fera, mais tout ne se résume pas à un prix ! La Mamie du Cantal n'a pas besoin de la même offre qu'un geek à Paris. Free ne va pas rafler tous les clients avec une offre unique. Nous, nous essayons de proposer la meilleure offre pour chaque catégorie d'utilisateur." (Marie-Cécile Renault, "Orange a tout un arsenal pour répondre à Free", Le Figaro, 2 janvier 2012).

On devine ce que M. Richard tente maladroitement d'exprimer : il s'agit de segmenter la population des utilisateurs, de tenir compte de la diversité de leurs besoins afin de pouvoir présenter à chaque segment une offre qui lui convienne. Il n'y a rien à redire à cela.

Mais une segmentation doit être finement judicieuse : or il n'y a pas que des Mamies dans le Cantal, il s'en trouve aussi à Paris. Il y a par ailleurs des geeks dans le Cantal, et il se trouve même quelques geeks parmi les Mamies. Ni l'âge, ni la localisation ne sont des critères pertinents pour une segmentation selon les besoins en télécoms.