lundi 12 octobre 2020

Huawei : un entrepreneur et son entreprise

Le livre de Vincent Ducrey, Un succès nommé Huawei, Eyrolles 2019, contient une leçon de stratégie : sa lecture sera utile à ceux pour qui la vie d’un entrepreneur est quelque chose d'énigmatique. J’en cite ici quelques éléments.

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Ren Zhengfei 任正非, le « Steve Jobs chinois », est né en 1944. Comme toutes les familles chinoises à cette époque la sienne a connu la pauvreté, puis les drames de la révolution culturelle (1966-1976).

L’éducation qu’il a reçue de ses parents l’a doté d’un caractère bien trempé. Il s’est donné par la lecture une bonne formation intellectuelle qui sera ensuite confortée par les connaissances techniques acquises d’abord dans une entreprise textile de pointe dont il connaît à fond les équipements, puis dans l’armée où il participe à la conception du réseau militaire de télécoms.

L’armée comprimant ses effectifs, il la quitte en 1983 pour entrer comme directeur-adjoint de la filiale électronique d’un groupe immobilier à Shenzen, ville en croissance rapide où il s’installe avec sa famille. Grugé par un partenaire, il fait perdre à cette entreprise une somme importante qu’il est incapable de rembourser. Il est alors licencié, sa femme divorce : criblé de dettes, il sombre dans la dépression.

Pour s’en sortir il crée en 1987 (à 43 ans) une entreprise d’import-export, Huawei 华为, qui fera commerce de tout et jusqu’à des pilules amaigrissantes.

Huawei importera notamment des PABX, commutateurs téléphoniques qui s’installent dans les entreprises. Ils se vendent bien car le pays s’équipe rapidement. Ren Zhengfei amorce alors une évolution qui ne s’interrompra pas.

dimanche 11 octobre 2020

À propos d’Adam Smith

Un de mes amis, désigné ci-dessous par les initiales JP, dit que l’économie n’est pas une science. Nous en parlons souvent sans jamais tomber d’accord. Je reproduis ici un échange qui m’a donné l’occasion de dire ce que je pense d’Adam Smith.

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JP
 : Ce n'est pas la « main invisible » qui a permis de faire des machines comme la NVIDIA GV 100 et sa puce intégrant 21 milliards de transistors, plus les millions de lignes de code pour son système d'exploitation. Mieux vaut aller regarder du côté de Maxwell, Boltzmann, von Neuman, Turing, Shannon ou Wiener, et de l'ingénierie de système. 

MV : Je suppose que tu n’as pas lu les grands économistes, sinon tu aurais senti ce qui les distingue des esprits étroits qui portent eux aussi le titre d’économiste. 

Les grands économistes se sont employés à produire une représentation schématique et donc simple, mais judicieuse, d’une situation historique dont la complexité défiait l’entendement. Je me suis inspiré de leur exemple pour modéliser l’iconomie. 

Tu évoques la « main invisible » d’Adam Smith. Elle est citée avec trop de complaisance par des personnes qui ne l’ont pas lu, ou pas compris, et qui commettent donc un contresens. 

JP : J'ai quand même lu Adam Smith, car cette histoire de « main invisible » m'intriguait, et même Keynes il y a fort longtemps. Quel est le contresens que tu signales ? 

La littérature sur la complexité ne mentionne rien qui provienne des grands économistes dont tu parles ou alors ça m'a échappé. On peut tout au plus mentionner la théorie des jeux mais c'est un apport de mathématicien. François Dubois (ENS Ulm) avait invité voici quelques années Jean Tirole, avant le prix Nobel, à son séminaire Complexité des systèmes. Il nous a parlé de la théorie des jeux, cela a occasionné un échange intéressant sur la systémique. 

Stiglitz développe des idées intéressantes : son analyse du scandale Enron montre que quand on fait du trading de l'énergie comme du trading boursier, ça se termine par des coupures de courant. Cela illustre les effets de la déconnexion du réel propre à ce type d'économie. Peut-être n'est-il pas lui non plus un grand économiste

jeudi 8 octobre 2020

Platon et le Talmud

Les aventures mentales sont peu visibles mais bouleversantes. Il est difficile de les décrire. J’ai procédé ici par petites touches impressionnistes. J’espère que l’intuition du lecteur comblera les intervalles du récit.

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Mon père a tenté de m’initier à la philosophie alors que j’avais douze ans. Nous nous promenions à la campagne et longions un champ de blé dont le vent faisait onduler les épis. « Seules les idées sont réelles », me dit-il, voulant sans doute prendre la philo dans l’ordre chronologique en commençant par Platon. 

Mais le vent et les épis étaient indéniablement réels eux aussi et ils n’étaient pas des « idées ». J’ai donc fermé mes oreilles à ce que mon père a pu dire ensuite. 

Vers la même époque, le père prieur du couvent où une de mes sœurs était moniale s’est attiré l’admiration des religieuses en s’écriant « Ah, mes sœurs, il n’y a que Dieu ! ». 

Dans les avenues qui se creusent entre les écailles de l’écorce des pins je voyais pourtant s’affairer un peuple de fourmis. « Comment peut-il dire qu’il n’y a que Dieu, me suis-je dit, alors qu’existe le monde des fourmis et que l’écorce des pins, vue de près, porte des dessins d’une complexité infinie ? ». 

Je n’aurais pas pu alors former cette phrase mais c’est ce que je sentais sans pouvoir me le dire. L’écart entre ma petite expérience et ce que disaient des personnes respectables m’a procuré un malaise durable. 

Il s’est heureusement dissipé, beaucoup plus tard, lorsque j’ai lu des extraits du Talmud.