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La Russie vit une période où la densité et l’ampleur des événements sociaux et politiques qui peuvent avoir des conséquences imprévisibles approchent le niveau « révolutionnaire » : cet adjectif est celui qui convient, même si certains peuvent le juger trop emphatique.
La fin de la maladie du sommeil
Après l'émergence d'une classe criminelle et perverse dans les années 1990 on voit émerger maintenant une classe de gens qui, appréciant la liberté individuelle, s’appuient sur leur propre force et leur savoir-faire sans attendre de cadeaux ni de punitions venant d'un « État-Père ».
Parmi eux se trouvent ceux qui ont réussi à monter leur propre affaire dans le commerce et les services (restauration, hôtellerie, tourisme, construction, médecine, éducation etc.), ceux aussi qui travaillent comme managers ou spécialistes de haut niveau dans de grandes entreprises (commerce, informatique, secteurs bancaire et juridique, consulting, automobile avec Toyota, Ford ou Renault etc.).
Le pouvoir et la société on pendant la première décennie du XXIe siècle respecté l'accord suivant :
a) prospérité et sécurité plus ou moins garantie pour les grands fortunes,
b) vie plus ou moins aisée pour les classes moyennes,
c) vie au seuil de la pauvreté mais sans risque de misère pour le reste de la population,
le tout en échange d'un soutien actif ou passif du pouvoir par la société, voire d'une indifférence totale aux affaires politiques et donc en échange de l’absence de ce que l'on nomme « société civile ».
Pour respecter cet accord la population cultivée – celle qui peut grâce à l'Internet résister à la propagande officielle – a dû avaler d'énormes couleuvres. En voici quelques-unes :
1. La mort de centaines de personnes en 1999 dans l'explosion de plusieurs HLM à Moscou et à Volgodonsk. C'est une affaire ténébreuse : les coupables ne sont toujours pas identifiés mais les pistes de l'enquête mènent à l’état-major de campagne de Vladimir Poutine pour les présidentielles.
2. La mort de plusieurs milliers de militaires russes et de centaines de milliers d'indépendantistes et civils tchétchènes lors de la deuxième guerre de Tchétchénie.
3. Le sacrifice des survivants du sous-marin Koursk sous prétexte de « secret d’État » mais en fait pour permettre à quelques officiers généraux de conserver leurs épaulettes.
4. La mort de 200 spectateurs du spectacle « Nord-Ost » à Moscou en octobre 2002, victimes d'un assaut mal organisé après que le pouvoir ait refusé de négocier avec les preneurs d'otage : ces personnes ont été asphyxiées par un gaz dont l’antidote n’a pas été fourni aux médecins sous prétexte de « secret militaire ».
5. La mort en 2004 de centaines d’enfants sacrifiés à la « raison d’État » lors d'une prise d'otage à l’école secondaire de Beslan en Ossétie du nord : l'attaque a été menée au canon et au lance-flammes après que la médiation d'Aslan Maskhadov, qui avait toutes les chances de réussir, ait été refusée parce qu'il était considéré comme un « ennemi de la Russie ».
6. L'assassinat de dizaines de personnalités politiques et journalistes qui avaient osé faire face au pouvoir (Galina Starovoïtova, Sergueï Youchenkov et Anna Politkovskaïa par arme à feu, Alexandre Litvinenko par du polonium 210, etc.).
7. Les attentats terroristes répétés au Caucase et à Moscou (bombes dans le métro, les rues, les aéroports etc.).
8. La guerre de 2008 contre la Géorgie, suivie de la sécession de certains de ses territoires (Abkhazie et Ossétie du Sud).
9. Le racket des grandes et moyennes entreprises par les « forces » (c'est ainsi que l'on nomme les services de sécurité et notamment le FSB, nouvelle appellation du KGB) : ce racket n'est jamais sanctionné par la justice car elle est subordonnée aux « forces ».