La post-vérité consiste à s'appuyer non sur le constat des faits, mais sur des préjugés et sur les intérêts particuliers qu'ils reflètent : l'orateur tend à son public un miroir dans lequel celui-ci se reconnaît avec ravissement (Robert Escarpit a décrit cela dans Le ministricule).
Rencontrant ainsi des agriculteurs au Salon de l’Agriculture en 2010, Nicolas Sarkozy leur a dit : « Toutes ces questions d’environnement, ça commence à bien faire ! ». Ils ont exulté.
« Ça commence à bien faire » est une expression révélatrice. Il ne s'agit pas de savoir si l'écologie est importante ou non, mais de savoir si l'on a ou non envie de zapper. Ce n'est pas la réalité qui importe, mais l'image qui s'en forme dans un cerveau versatile.
Sarkozy a récemment ajouté : « Cela fait quatre milliards d’années que le climat change. Le Sahara est devenu un désert, ce n’est pas à cause de l’industrie. Il faut être arrogant comme l’Homme pour penser que c’est nous qui avons changé le climat ». Il se range donc parmi ceux qui, comme Claude Allègre, nient l'origine humaine du réchauffement climatique.
J'ai participé voici quelques années à un déjeuner avec Sarkozy organisé par L'Expansion. Il était alors ministre de l'intérieur. Quelqu'un lui a demandé s'il pensait « que la France aurait bientôt pour président un fils d'immigré » (sic). Il a répondu : « Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt : la seule chose qui compte, en politique, c'est de gagner les élections ». Et les convives de rire, complices...
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La post-vérité est l'outil de la victoire électorale. Cet outil se paie par la versatilité et l'incohérence du propos, car d'un auditoire à l'autre les opinions changent, mais qu'importe si l'on récolte à chaque fois des applaudissements !
Il se peut que le praticien de la post-vérité, se prenant au jeu, estime que plus rien n'existe en dehors du miroir que sa parole tend à l'opinion : « la réalité, cela n'existe pas », dira-t-il alors.
Chacun gère sa propre santé mentale : celle d'un Trump ou d'un Sarkozy, c'est leur affaire. Celle de la population est plus préoccupante.
On croyait au XIXe siècle qu'il suffirait de généraliser l'accès aux études pour que la démocratie s'épanouisse : cela n'a pas empêché l'Allemagne de céder dans les années 1930 aux séductions que l'on sait, alors qu'elle était un des pays les plus éduqués.
Le démagogue séduit, l'irresponsable plaît. Si notre population adhère à ce point à leur discours, c'est sans doute aussi parce que l'establishment obéit à des rites qui simulent le sérieux : il porte donc une part de responsabilité dans le succès des farceurs.
Considérons la science. Le critère du sérieux, dit-on, c'est de publier dans des revues à comité de lecture. « Publish or perish » : ceux qui n'adhèrent pas à ce rite sont inaudibles. Et voilà que l'on croule sous le nombre d'articles fallacieux, que les affaires de trucage s'accumulent...
Il y a quelque chose de pourri dans le royaume du conformisme.