L'informatisation a changé la nature à laquelle les intentions et les actions humaines sont confrontées. Pour en prendre une exacte mesure, l'expérience que fait chacun avec l'Internet et le téléphone « intelligent » ne suffit pas : il importe de percevoir ce qui se passe dans le système productif car la mondialisation et la financiarisation sont, pour le meilleur et pour le pire, des conséquences de l'informatisation. Elle a transformé la nature des produits, la façon de les produire, la définition des compétences et des emplois, la forme de la concurrence, l'équilibre du marché, la relation entre les nations tout comme la perspective qui s'offre au destin des individus. Comme les autres révolutions industrielles, celle-ci provoque d'abord naturellement le désarroi. Les habitudes et comportements jadis raisonnables se trouvant inadéquats, les institutions tâtonnent à la recherche de nouvelles règles. L'économie informatisée, automatisée, requiert d'ailleurs des investissements importants : elle est donc ultra-capitalistique et cela implique des risques élevés. Il en résulte qu'elle est tentée par la violence, par une prédation à laquelle l'informatique offre des instruments aussi puissants que commodes. C'est là le principal danger qui guette notre société. |
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Certains des phénomènes que l'informatique provoque sont évidents pour tous, d'autres sont moins visibles et ce sont les plus importants. Ce qui est évident, c'est ce que chacun expérimente lorsqu'il utilise un téléphone « intelligent » ou se trouve à son domicile devant l'écran-clavier d'un ordinateur connecté à l'Internet : ce sont autant d'interfaces vers une ressource informatique composée de processeurs, programmes et documents accessibles depuis partout grâce à l'Internet. Elle constitue un gigantesque automate programmable ubiquitaire1 dont la mise à disposition se concrétise par la messagerie, le Web, les réseaux sociaux, etc. et le déploiement d'usages qui ont des conséquences psychologiques, cognitives, sociologiques, culturelles, etc.
Ces phénomènes invitent à la réflexion : n'existe-t-il pas par exemple un rapport entre l'ubiquité de la ressource informatique et la globalisation de l'économie ? Pour répondre à une telle question il faut quitter la sphère de l'usage personnel et examiner ce qui se passe dans le système productif. La réflexion sur les usages reste d'ailleurs partielle si elle se limite aux conséquences de l'informatisation sans voir ce qui les a rendus possibles : pour être complet le raisonnement doit considérer, en même temps que les usages, leur cause matérielle. Derrière la messagerie, le Web, les réseaux sociaux, se trouvent des institutions qui légifèrent, régulent et normalisent, des entreprises qui construisent et programment des plates-formes informatiques et s'appuient, pour rentabiliser leur investissement, sur des modèles d'affaire (business model) d'un nouveau type.
Si l'informatique n'avaient pas supprimé nombre des effets de la distance, les entreprises auraient hésité à délocaliser leur production car elles n'auraient pas pu aussi aisément partager la documentation, recevoir des comptes rendus, former les agents, traiter les incidents, etc. C'est encore l'informatique qui rend possible la logistique des containers avec l'automatisation des chargements et déchargements : le coût du transport ayant été divisé par un facteur de l'ordre de cinquante, la globalisation du marché des biens en est résultée. L'informatique a été enfin la cause matérielle de la financiarisation : son ubiquité a ouvert aux banques l'accès simultané à toutes les places financières, les salles de marché se sont équipées d'algorithmes qui automatisent les transactions. Les risques que présentent la globalisation et la financiarisation sont la contrepartie des possibilités qu'offre l'informatisation : elle a transplanté la société sur un continent où elle rencontre des possibilités et des dangers nouveaux. Pour comprendre la situation actuelle il faut donc ouvrir la boîte noire de l'entreprise2 et observer comment elle s'y déploie. Cette observation ne doit pas arrêter la flèche du temps : on ne peut comprendre la situation actuelle que si on la situe sur une trajectoire dont on peut, tout en donnant sa place à l'incertitude, anticiper le futur.
Une dynamique
Certains des phénomènes que provoque l'informatisation sont communs à toute « révolution industrielle ». Celles qui l'ont précédée ont été abondamment décrites3. Bertrand Gille4 a par exemple découpé l'histoire en périodes caractérisées chacune par un « système technique » fondé sur la synergie de quelques techniques fondamentales. Pour qu'une société puisse passer d'un système technique à l'autre il faut que plusieurs conditions anthropologiques soient réunies : que l'évolution historique ait modifié les rapports de pouvoir, légitimé les schèmes qui représentent des choses nouvelles, bousculé l'architecture des valeurs, déstabilisé enfin les institutions de sorte qu'elles puissent se résoudre à entendre les inventeurs puis à innover5. Le nouveau système technique fait alors émerger6 un monde dans lequel la nature à laquelle les intentions et les actions humaines sont confrontées n'est plus la même, et où se déploient des conséquences anthropologiques auparavant imprévisibles.
La première révolution industrielle fait naître vers 1775 le « système technique moderne » avec la synergie de la mécanique et de la chimie ; la deuxième, qui leur ajoute l'énergie (électricité et pétrole), fait naître vers 1875 le « système technique moderne développé » et la grande entreprise. Chacune de ces révolutions transforme la nature, chacune est la cause matérielle de nouveaux possibles et de nouveaux dangers, chacune provoque d'abord une crise de transition et un épisode de désarroi. L'éventail de leurs conséquences se déploie par la suite dans l'économie, la délimitation des classes sociales, la façon dont chacun se représente son destin. La troisième révolution industrielle fait naître vers 1975 le « système technique contemporain » avec la synergie de la microélectronique, du logiciel et de l'Internet. Elle ne supprime pas la mécanique, la chimie et l'énergie, mais elle les informatise comme la première révolution industrielle a mécanisé et « chimisé » l'agriculture.
L'informatique, née dans les années 1940, ne s'est véritablement déployée dans le système productif que lorsqu'il est devenu possible de la sortir des mains jalouses des informaticiens en ouvrant son accès aux utilisateurs grâce à la dissémination de terminaux dans les années 1970, puis avec les micro-ordinateurs et les réseaux locaux dans les années 1980. Dans les années 1960 les entreprises avaient commencé à informatiser des opérations administratives : la comptabilité, la paie, la gestion des stocks, etc., s'étaient équipées d'« applications » mutuellement indépendantes. Pour les fédérer, le « système d'information » apparaît au début des années 1970. Une entreprise, dit alors Jacques Mélèse7, doit être analysée en distinguant ses règles de gestion et de comportement (système de décision), les procédés qu'elle met en œuvre (système de production) et son utilisation du langage (système d'information) : ces trois systèmes ont chacun une logique propre mais ils communiquent entre eux. Cette théorie a permis de mettre de l’ordre dans les applications en les articulant toutes à un même référentiel8 (catalogue des concepts qui définissent la grille selon laquelle l'entreprise observe le monde réel) et en les organisant autour de bases de données. Dans les années 1990 l'informatisation, tirant parti du déploiement de l'informatique de communication, s'est éloignée des applications pour donner la priorité aux « processus9 ». Ce mot désigne un processus de production qui, partant d'un événement extérieur à l'action productive (commande d'un client, constat du faible niveau des stocks), aboutit à un événement qui lui réponde (livraison et facturation du produit, alimentation du stock). Dans un tel processus la décision, la production et l'information s'entrelacent de façon intime et même si l'expression « système d'information » désigne l'architecture des données, traitements et interfaces qui résulte de l'informatisation des processus, sa définition ne se sépare pas de la dynamique de l'action productive.
L'informatisation des processus a fait naître le couple que forment le cerveau humain et l'automate programmable ubiquitaire. Les tâches répétitives que demande la production sont en effet pour l'essentiel automatisées, qu'elles soient physiques ou mentales : dans les usines des robots remplacent la main d’œuvre, dans les bureaux et les laboratoires des automates effectuent les tests et recherches documentaires. L'action humaine n'est plus alors sollicitée que pour concevoir des choses nouvelles, traiter des cas particuliers, répondre à des imprévus, accomplir enfin les tâches qui exigent du discernement et du jugement : le travail étant essentiellement mental, la main d’œuvre est remplacée par le cerveau d’œuvre. Le couple du cerveau d’œuvre et de l'automate est exactement désigné par le mot « informatique » ou, mieux, par « informatisation » qui connote une dynamique : ces mots associent en effet à l'automate l'information qui, donnant une « forme intérieure » au cerveau humain, lui confère une capacité d'action10. Le mot « numérique », qui souligne l'universalité du codage binaire des documents, est utilisé par certains pour désigner la diversité des usages de l'ordinateur, mais son étymologie semble cependant trop pauvre pour porter l'ensemble du phénomène. L'informatisation, qui fait obéir les choses à la parole inscrite dans un programme, accomplit certaines des promesses de la magie : le pilote automatique maintient un avion de ligne dans la position qui permet d'économiser le carburant et qui, étant très instable, serait aussi difficile pour un pilote humain que de tenir une assiette en équilibre sur la pointe d'une épingle.
L'articulation du cerveau humain et de l'automate suppose un art subtil. Si par exemple l'on automatisait à fond une centrale nucléaire il se produirait quand même des incidents imprévisibles, car la nature est plus complexe que ce que l'on peut prévoir : les experts d'EDF estiment qu'un tel incident se produirait une fois tous les trois ans environ. Mais si les opérateurs de la salle de contrôle n'ont rien à faire pendant trois ans ils seront incapables de réagir lorsqu'un incident se produira. La solution est donc de sous-automatiser la centrale afin qu'ils aient de temps à autre un incident à traiter. Celui qui modélise un processus, puis programme les automatismes, doit donc être à la fois le logicien qui conçoit des algorithmes corrects, le physicien qui tient compte du dimensionnement des processeurs, mémoires et réseaux, le sociologue qui anticipe le comportement des opérateurs humains. C'est difficile et les errements sont fréquents. Certaines directions générales postulent par exemple que l'agent opérationnel est incompétent et utilisent l'informatique pour l'empêcher de prendre des initiatives qui, croient-elles, ne pourraient être que néfastes. Le client rencontrera alors dans les agences, derrière les guichets, des agents auquel « l'ordinateur » interdit de traiter les cas particuliers avec bon sens. Les concepts que propose le vocabulaire courant contribuent d'ailleurs à égarer l'intuition : « numérique », qui est utilisé malgré son étymologie pour désigner des usages, obscurcit leur rapport avec la cause matérielle qui les rend possibles ; « intelligence artificielle », qui suggère que les aptitudes du cerveau humain et celles de l'automate sont identiques, invite à ne pas considérer leur articulation. Examiner de près un processus informatisé aide à classer les errements et à dégager quelques règles.
L'informatisation d'un processus
Un processus est constitué par la succession des « activités » qui aboutissent à un produit, bien ou service élaboré par une entreprise ou, plus généralement, par une institution. Une activité est le triplet que forment des inputs (matières premières et produits intermédiaires), une technique (équipements et compétences) et un output (produit fini ou intermédiaire) : ainsi des caisses sont produites à partir de planches et de clous qu'un ouvrier soumet à la scie et au marteau. Les processus sont aussi anciens que la production : ce qui est nouveau, c'est l'élucidation qu'exige leur informatisation. Celle-ci commence par deux questions : « que produisons-nous ? », puis « comment produisons-nous ? ». La première est parfois étonnamment difficile : que produit l'état-major des armées ? que produit l'éducation nationale ? que produit la direction des achats d'une entreprise ? Ces entités produisent assurément quelque chose, mais il arrive que l'on peine à préciser en quoi elle consiste11.
Une fois le produit défini on peut examiner l'enchaînement des activités qui contribuent à sa production ou, plus précisément, l'enchaînement des « tâches » accomplies chacune par un être humain et qui regroupent quelques activités élémentaires. Cet examen fait souvent apparaître les défauts que le processus comporte : erreur d'aiguillage lorsqu'un dossier est envoyé à une personne qu'il ne concerne pas ; redondance quand une même tâche est accomplie parallèlement par deux personnes différentes ; bras morts dans lesquels les dossiers se perdent ; piles LIFO (last in, first out) des dossiers posés sur un bureau et qui provoquent des délais aléatoires car le dossier le plus ancien, placé sous la pile, risque de n'être jamais traité (c'est une des causes des « bras morts ») ; erreur de traduction lorsque le dossier passe d'une entité à une autre dont le vocabulaire est différent, etc. L'informatisation corrige ces défauts et programme l’enchaînement des tâches que les agents doivent accomplir, le format des documents qu'ils consultent et alimentent, les traitements qu'ils lancent, les tables d'adressage qui balisent le parcours des dossiers, les alertes qui annoncent leur arrivée, les horloges qui permettent de s'assurer qu'ils sont traités dans un délai raisonnable, leur reroutage vers un autre agent en cas de dépassement de ce délai, enfin les indicateurs de délai, qualité et charge de travail qui permettent à l'administrateur du processus de vérifier son efficacité et d'animer le travail des agents.
Il faut souvent redéfinir les êtres que l'entreprise observe (clients, produits, matières premières, entités de l'organisation, agents, etc.), la façon dont ils sont identifiés et les attributs observés sur chacun d'entre eux, ainsi que les nomenclatures utilisées pour le codage. Cette ingénierie sémantique, qui conçoit la grille conceptuelle de l'entreprise, suppose une pratique de l'abstraction car elle fait abstraction des êtres et des attributs qui ne seront pas observés. Dans une première étape, formelle, elle supprime les synonymes et les homonymes et combat les jargons qui, entourant chaque spécialité d'une muraille protectrice, s'opposent à la communication et à la coopération. Puis elle définit des concepts qui doivent être pertinents en regard des exigences de l'action et qui, résultant d'une sélection dans la complexité du monde réel, focalisent l'attention des agents sur un nombre fini de phénomènes tout comme la personne qui conduit une automobile sélectionne, dans l'image qui s'imprime sur sa rétine, la représentation des voies, obstacles et signaux qui seule est utile à son action. Cette abstraction à finalité pratique concrétise, dans l'entreprise, l'articulation de la pensée et de l'action mais celle-ci conduit à d'autres réflexions. Si les concepts sont pertinents en regard de l'action, comment s'assurer que celle-ci soit judicieuse en regard de l'intention, plus générale et moins précise, qui l'oriente ? Cette intention est-elle elle-même fidèle aux valeurs souvent implicites qui animent l'entreprise et qui, à travers ce qu'elle dit vouloir faire, indiquent ce qu'elle veut être ? De telles interrogations ne s'expriment jamais clairement mais elles opèrent comme le soc d'une charrue qui, retournant le sol, travaille sourdement les esprits en faisant apparaître au grand jour l'incohérence des habitudes, l'arbitraire des préjugés, le cloisonnement des spécialités. L'inquiétude qui en résulte contrarie naturellement ceux pour qui la pérennité de l'organisation importe plus que tout : l'ingénierie sémantique n'est pas toujours la bienvenue.
La démarche de modélisation aboutit, entre autres résultats, à une représentation du processus selon un « diagramme d'activité » comportant des cases (une par tâche) que des flèches relient dans l'ordre de leur enchaînement12. Il est souvent utile de l'illustrer aussi par un dessin animé qui montre des agents au travail : l'accueil et le traitement d'un patient dans un hôpital, l'instruction d'un prêt immobilier dans une banque, le recrutement d'une personne, la maintenance d'un gros équipement sont ainsi rendus visibles par autant de scénarios qui, consultables sur l'Intranet de l'entreprise, facilitent la compréhension du processus par le comité de direction comme par les agents et servent de support à l'autoformation de ces derniers. Un processus ainsi modélisé est élucidé : chacun des agents connaît le produit auquel le processus aboutit, identifie sa propre contribution et connaît aussi celle de ceux qui le précèdent et le suivent dans l'enchaînement des tâches.
L'élucidation des processus fait apparaître l'entreprise comme une interface entre le monde de la nature, dans laquelle elle puise ses ressources et injecte ses déchets, et une société à laquelle elle fournit des artefacts qui contribuent au bien-être matériel de la population, but ultime de l'activité productive13. Cette représentation entre en conflit avec d'autres conceptions de la mission de l'entreprise : celles qui donnent la priorité à la « création de valeur pour l'actionnaire », à la « création d'emplois », etc. Cela explique pour une part les résistances que l'informatisation rencontre ; d'autres résistances s'expliquent par de fréquentes erreurs, car si l'informatisation est un art celui-ci est très difficile et il ne suffit pas de suivre une « méthodologie14 » pour se prémunir contre les errements courants : croire que « tout est processus » alors que nombre des actions de l'entreprise (les négociations par exemple) ne s'insèrent pas dans ce cadre ; suivre à la lettre la demande des utilisateurs, alors qu'elle n'est que la traduction maladroite de leurs besoins ; graver dans le marbre les erreurs que le processus comporte ; transcrire tel quel dans le système d'information le vocabulaire et les habitudes des directions, partenaires et filiales ; automatiser le traitement de tous les cas particuliers imaginables ; définir des indicateurs fallacieux ; utiliser enfin les indicateurs pour surveiller les agents et les contraindre à une croissance continue de la « productivité ». Le cerveau d’œuvre, à qui il est demandé de faire preuve d'initiative et de discernement, ne peut être d'ailleurs efficace que si l'entreprise lui attribue une légitimité (c'est-à-dire un droit à l'erreur et un droit à l'écoute) qui soit bien proportionnée aux responsabilités qu'elle lui délègue : cela suppose de rompre avec la sacralisation de la fonction de commandement, qui semblait s'imposer lorsque l'entreprise employait une main d’œuvre dont seule importait l'exécution réflexe d'une action répétitive15. Il faut que l'entreprise sache pratiquer avec les agents, nous y reviendrons, un « commerce de la considération ». De telles nouveautés ne sont ni immédiatement comprises, ni facilement acceptées.
Comme tous les arts l'informatisation demande du bon sens, une intuition exacte et un sens esthétique : plutôt que de rechercher un optimum ou de prétendre respecter une rationalité formelle il s'agit d'être raisonnable, ce qui répond d'ailleurs à une exigence supérieure de rationalité. Le système d'information doit être sobre car sa complexité et son coût, ainsi que celui de sa maintenance, sont approximativement proportionnels au carré de sa taille que celle-ci soit évaluée selon le nombre de lignes de code, de données ou de traitements16. Le couple qu'il forme avec le cerveau humain ne sera par ailleurs efficace que si on laisse à celui-ci sa part d'initiative. Il ne convient donc pas d'exiger que l'informatique traite automatiquement tous les cas particuliers qui peuvent se présenter : mieux vaut confier les plus rares d'entre eux à la sagacité de l'agent opérationnel, qui ne doit pas être contraint dans sa réponse aux clients ni dans son évaluation des situations. Ce qui précède permet d'entrevoir à quel point l'entreprise informatisée diffère de l'entreprise mécanisée de naguère, autour de laquelle les intuitions et représentations restent cependant encore figées : nous allons tenter de les assouplir.
L'entreprise informatisée
L'entreprise, désormais informatisée, est confrontée à deux faits qui contraignent son organisation et son fonctionnement : (1) l'automatisation irrésistible des tâches répétitives, (2) l'extension progressive, mais elle aussi irrésistible, du domaine du possible.
Quand la production répétitive est automatisée, le coût de production se condense dans la phase d'investissement, de conception, organisation et programmation. Le travail se concentrant ainsi dans l'accumulation d'un capital, l'entreprise informatisée est hyper-capitalistique. Cela saute aux yeux dans les industries fondamentales : le coût de production d'un microprocesseur ou d'un système d'exploitation est pratiquement le même quel que soit le nombre de puces produites ou de CD pressés. Cette forme de la fonction de coût s'impose, de proche en proche, aux produits qui s'informatisent : ordinateurs d'abord, puis téléphones, avions, automobiles, équipements ménagers, tous les biens enfin qui sont ou seront connectés par l'Internet des objets17. Les économistes disent dans leur langage que « le coût marginal est négligeable » (ou nul, cela revient au même pour leur raisonnement), certains disent que « la fonction de production est à coût fixe ».
Il en résulte plusieurs conséquences. Lorsque le coût marginal est nul on ne peut pas supposer que le marché obéisse au régime de la concurrence parfaite, car celui-ci implique la tarification au coût marginal : l'entreprise ne peut pas survivre si le prix de son produit est nul. Le régime du marché sera celui du monopole ou celui de la concurrence monopolistique18 selon lequel chaque produit se diversifie en variétés. Ce dernier permet aux entreprises d'échapper à l'emprise d'un monopole en conquérant sur un segment des besoins un monopole local à la frontière duquel elles sont en concurrence par le prix avec les monopoles locaux voisins : il concernera les produits qui répondent à des besoins diversifiés, c'est-à-dire en fait la plupart des produits.
Il en résulte aussi que l'économie informatisée est l'économie du risque maximum car l'essentiel du coût de production est dépensé avant que l'entreprise n'ait vendu la première unité du produit : il se peut qu'elle perde sa mise à cause de l'initiative d'un concurrent. Ce coût est d'ailleurs élevé car il faut concevoir non seulement le produit mais aussi l'ingénierie de sa production, les automates et leur programmation, le dimensionnement et l'organisation des services que le produit comporte. Cette économie du risque maximum présente un potentiel de violence plus élevé que celui de l'économie mécanisée, qui n'était pourtant pas paisible : corrompre les acheteurs, espionner les concurrents etc. sont des tentations d'autant plus fortes que l'informatique, habilement utilisée, aide à dissimuler les pratiques illicites sous un voile de complexité.
Pour limiter les risques la plupart des produits seront élaborés par un réseau de partenaires organisé selon un contrat qui précise le partage des responsabilités, dépenses et recettes, et autour d'une plate-forme informatique qui assure l'interopérabilité des processus et la transparence de l'exécution du contrat. L'opérateur de la plate-forme sera souvent celui qui a organisé le partenariat et il occupe une position centrale. Il faut pour que le partenariat puisse être pérenne qu'il se comporte en « dictateur bienveillant », comme le font ceux qui animent la production d'un logiciel libre19. La véritable entreprise est alors en fait, sur le plan technique, le réseau de partenaires qui coordonne l'investissement et la production. Une même entreprise juridique peut adhérer à plusieurs entreprises techniques et varier dans le temps les partenariats auxquels elle participe. L'organisation autour d'une plate-forme se retrouve aussi dans les réseaux sociaux qui assurent une intermédiation entre personnes et documents (Google, etc.), personnes et produits (Amazon, etc.), personne et personne (Facebook, Linkedin, etc.).
Pour satisfaire des besoins divers les produits doivent être diversifiés selon leurs attributs qualitatifs. C'est le cas depuis longtemps sur le marché des livres, de la musique, des automobiles, où chaque produit vise un segment particulier. Ce qui est nouveau, c'est que cette diversification s'impose désormais à la plupart des produits. Elle est obtenue soit en différenciant un bien, objet doté d'une masse et qui occupe un volume dans l'espace, soit plus souvent en différenciant les services qui l'accompagnent : conseil avant-vente, formule tarifaire, financement d'un prêt, garantie, assurance, location, maintenance, remplacement et recyclage en fin de durée de vie, etc. Les services étant dimensionnés selon l'anticipation des besoins (taille d'un réseau d'agence, effectifs de la maintenance, etc.), leur coût est fixe, comme celui de la production automatisée des biens, tant que les besoins n'excèdent pas leur dimensionnement. Les entreprises qui fournissent des machines se font ainsi concurrence par la rapidité des dépannages, la qualité des concessionnaires est un argument essentiel de la concurrence entre les constructeurs automobiles, etc. Chaque produit est ainsi dans l'économie informatisée soit un service, « mise à disposition temporaire d'un bien ou d'une compétence20 », (consultation médicale, chambre d'hôtel, voyage en avion, etc.), soit l'assemblage d'un bien et de services (automobile, équipement ménager, ascenseur, moteur d'un avion de ligne, etc. ). L'informatisation assure et l'interopérabilité du partenariat, et la cohésion de l'assemblage des biens et services qui composent le produit.
L'autre fait qui contraint l'entreprise informatisée est l'extension progressive du domaine du possible. Elle n'est pas due à la seule « loi de Moore21 », selon laquelle la performance des circuits intégrés double tous les dix-huit mois depuis 1959 : la transformation du téléphone mobile en ordinateur (smartphone) a fait émerger de nouveaux usages à partir de 2000 ; l'informatique en nuage (cloud computing) favorise l'ubiquité de la ressource ; les processeurs multicoeurs, associés à la programmation parallèle, procurent un bond de performance ; l'Internet des objets transforme les produits (traçabilité, maintenance, recyclage, etc.) ; l'impression 3D remplace les machines outils à cinq axes et améliore les performances (solidité, légèreté) de la mécanique ; toutes les techniques d'avenir enfin s'appuient sur l'informatique : biologie, nouveaux matériaux, nanotechnologies, etc.
Cette extension du possible est relayée dans les entreprises par une maturation qui aide à tirer parti de l'informatisation. Elle est aiguillonnée par la concurrence : le monopole que l'entreprise conquiert sur un segment des besoins, et qui procure le surprofit nécessaire pour rentabiliser le coût fixe de l'innovation, est en effet temporaire. Les concurrents imitent bientôt le procédé qui a permis d'abaisser les coûts, les fonctionnalités nouvelles qu'offre le produit. La baisse du prix qui en résulte transmet au consommateur le bénéfice de l'innovation et l'entreprise doit innover de nouveau : le moteur de l'innovation tourne ainsi à plein régime. Le découpage du marché en segments, soumis à une dynamique intense, ressemble à la surface d'un liquide bouillonnant où des cellules se forment, se bousculent, croissent, éclatent et se forment de nouveau. La stratégie de l'entrepreneur consiste à anticiper les besoins pour définir, par un effort qui combine le design, l'ingénierie de la production et l'ingénierie d'affaire, un produit qui sera présenté avec emphase au public : Steve Jobs22 a été un des maîtres de la stratégie de conception, d'ingénierie et de communication qui a entouré d'une auréole de prestige les ordinateurs d'Apple puis la famille de produits qui, amorcée par l'iPod (2001), s'est poursuivie par l'iPhone (2007) et l'iPad (2010). Après avoir procuré à son entreprise un énorme surprofit elle a cependant été bientôt concurrencée par Samsung, Huawei, Lenovo, etc.
La diversification des produits et l'avalanche des innovations peuvent désorienter le consommateur, d'où la nécessité de la communication dans laquelle Steve Jobs excellait, des plates-formes d'intermédiation qui aident le consommateur à trouver la variété qui lui convient, ainsi que des services qui lui permettent de bénéficier d'« effets utiles23 » grâce à la maintenance du produit, à son remplacement en fin de durée de vie (laquelle peut être raccourcie par l'obsolescence) et à un recyclage qui réponde à ses préoccupations écologiques tout en limitant le volume des déchets que la production injecte dans la nature : tout cela compose un programme ambitieux que les entreprises atteignent difficilement, mais qui du moins leur indique une orientation.
Nous avons parlé des entreprises mais les institutions non marchandes n'échappent pas à l'exigence d'efficacité : l'informatisation concerne donc aussi les grands systèmes d'une nation (éducation, santé, défense, justice, etc.) et l'État lui-même, « institution des institutions24 ». Elle est impliquée dans toutes les dialectiques qui agitent la vie d'une institution : entre son organisation et sa mission, entre son organisation et les agents humains, entre son organisation et le marché, etc. Plutôt que d'en faire la théorie nous nous contenterons ici de les éclairer par quelques coups de sonde. Une question en particulier se pose avec insistance : que devient le travail dans l'économie informatisée ?
L'économie de la compétence
Quand les tâches répétitives sont automatisées le travail réside, avons-nous dit, dans ce qui n'est pas répétitif : la conception de nouveaux produits, les services que les produits comportent. Tandis que l'automatisation élimine pratiquement le « travail vivant », la conception accumule un capital fixe ou, comme disent les économistes, du « travail mort ». Cependant comme l'innovation se répète en raison de l'extension du possible le flux de travail qui alimente la conception est constant : contrairement à l'entreprise mécanisée qui investit dans des machines puis les utilise tout au long de leur cycle de vie, l'investissement ne cesse jamais dans l'entreprise informatisée. Les services, obéissant à un dimensionnement qui, comme l'investissement initial, répond à une anticipation des besoins, remplissent pour leur part des fonctions qui elles aussi exigent un flux de travail : conforter la qualité du produit en contribuant à la satisfaction des utilisateurs ; reporter les incidents pour améliorer la définition des produits ; apporter des informations utiles à l'anticipation des besoins futurs, etc.
On se représente classiquement l'entreprise comme une cellule vivante qui baigne dans son environnement, le marché, et dont l'intérieur est organisé et non pas marchand25. Elle est entourée par une membrane qui assure sa relation avec le monde extérieur de la nature physique et psychosociale en réalisant un filtrage. Les personnes qui assurent les services travaillent sur cette membrane en remplissant une fonction d'interprétariat : la demande d'un client, une réclamation, les événements constatés lors d'une opération de maintenance doivent être traduits dans le langage de l'entreprise pour pouvoir être traités. Les personnes qui assurent la conception des nouveaux produits travaillent elles aussi sur la membrane, mais leur relation avec le monde extérieur comporte une anticipation et une expérimentation alors que celle des services est immédiate. La direction générale remplit pour sa part la fonction stratégique qui oriente l'entreprise, une fonction d'animation et de communication (système d'information, messagerie, Intranet, etc.) et une fonction de support (gestion des compétences, informatique, etc.) : ces fonctions internes sont qualitativement importantes mais n'occupent que 10 % environ des effectifs.
Les personnes qui travaillent sur la membrane, en relation avec le monde extérieur sont bien placées pour savoir ce qui s'y passe : les clients sont satisfaits ou non, ils aimeraient que le produit possédât telle ou telle qualité, un partenaire ou un fournisseur rencontre des difficultés, etc. Elles traduisent ces événements dans le langage de l'entreprise pour que celle-ci en nourrisse sa stratégie mais cela ne peut se faire que si l'entreprise sait les écouter : c'est pourquoi un « commerce de la considération » s'impose dans l'entreprise informatisée, en prenant « commerce » au sens d'« échange équilibré » et « considération » au sens de « faire un effort sincère pour comprendre ce que veut dire une personne ». Le rapport social du cerveau d’œuvre diffère ainsi fondamentalement de celui de la main d’œuvre : alors que l'entreprise mécanisée ne demandait à cette dernière que la répétition réflexe d'un même geste, il est demandé au cerveau d’œuvre d'exercer une compétence, un savoir orienté vers l'action responsable.
La compétence est un capital personnel que chacun accumule en réfléchissant, se formant, se documentant, etc. Lorsqu'une personne compétente rencontre une des situations auxquelles elle s'est préparée la compétence se condense en une intuition immédiate : le diagnostic s'impose au médecin, le coup d’œil du stratège dicte sa décision, le mathématicien voit la solution d'un problème pendant qu'il en lit l'énoncé. Étant la décharge d'un potentiel, cette intuition a la rapidité d'un éclair : elle n'exige aucun travail autre que celui qui avait été nécessaire pour accumuler la compétence. L'action exige cependant aussi l'intuition méthodique. C'est elle qui guide l'écrivain, le programmeur, l'artisan et de façon générale ceux dont l'action nécessite, outre l'intuition immédiate, une démarche qui passe par le fil d'une exécution. Le travail demande alors un délai mais sa qualité ne se mesure pas selon le temps qui lui a été consacré : la compétence qui se manifeste dans l'intuition immédiate et l'intuition méthodique de deux écrivains, par exemple, provoque un écart immense dans la qualité des textes qu'ils composent. Il en est de même pour les médecins, les programmeurs, etc.
Au total la qualité d'un produit, et donc sa valeur, résulte moins du temps de travail consacré à son élaboration que de la compétence qu'avaient accumulée auparavant les personnes qui l'ont élaboré. A la limite, et pour schématiser comme le font les économistes, on peut supposer que tout le travail du cerveau d’œuvre est consacré à l'accumulation de la compétence, la production proprement dite se faisant dans l'instant : il apparaît alors que l'économie informatisée est une économie de la compétence. On rencontre déjà dans les entreprises des personnes dont l'emploi consiste en l'exercice d'une compétence. On voit dans leur bureau une bibliothèque d'ouvrages de référence et des revues professionnelles, car elles se tiennent au courant de l'état de l'art de leur discipline. Lorsqu'on les consulte la réponse vient presque toujours immédiatement : elles indiquent la solution ou extraient de leur bibliothèque un document qui la contient. Il arrive parfois que la réponse leur demande du temps mais elles savent comment la trouver.
Cette forme d'emploi sera fréquente pour le cerveau d’œuvre. Les conséquences de la division du travail différent alors de celles qu'elle avait chez la main d’œuvre : alors que l'on a pu parler d'aliénation à propos de celle-ci, l'expert compétent et responsable peut, à condition de ne pas s'enfermer dans un corporatisme défensif, accéder à l'universel de la condition humaine en approfondissant sa spécialité : des penseurs, des chercheurs, des artisans partagent cette expérience. Certaines entreprises croient cependant pouvoir employer dans les services des personnes faiblement qualifiées et peu rémunérées. C'est une erreur car la qualité du service requiert des compétences relationnelles élevées qui, amorcées par une formation, se perfectionnent avec l'expérience. Les entreprises qui mettent dans leurs agences, à l'accueil téléphonique ou dans les équipes de maintenance des personnes qui n'ont pas acquis une compétence relationnelle négligent la qualité des services, composante essentielle de la qualité de leurs produits, et cela compromet leur survie.
L'économie informatisée est en effet une économie de la qualité, qu'il s'agisse de celle des produits ou de celle des compétences. Comme il n'est pas possible d'assigner une limite aux besoins lorsqu'ils s'expriment en termes de qualité, cette économie recèle un potentiel de croissance illimité et donc, contrairement à ce qui se manifeste dans la conjoncture actuelle, la possibilité d'un plein emploi de la force productive humaine. Mais ce potentiel ne peut se concrétiser que si les consommateurs répondent au système productif en étant sobres en quantité et exigeants en termes de qualité. C'est là, disent les pessimistes, le point faible de l'économie informatisée car ils estiment que les consommateurs ne s’intéresseront jamais à la qualité et préféreront toujours se gaver de quantité. Cela dépendra de l'évolution de la subjectivité collective, si l'on peut dire, qui détermine la fonction d'utilité du consommateur. Le fait est par exemple que les livres ne sont pas chers : chacun peut pour un budget relativement modique consacrer s'il le souhaite tout son temps à la lecture et celui qui aime à lire peut atteindre ainsi un niveau élevé de « satisfaction », pour parler le langage des économistes. Il en est de même, dans l'économie informatisée, pour le consommateur sensible à la qualité des produits.
Une personne compétente s'intéresse à sa spécialité, l'approfondit par la réflexion et la lecture, recherche la conversation des experts. On ne peut pas séparer, dans ses occupations, un temps de travail et un temps hors travail. Sa rémunération doit donc être détachée de la mesure du temps qu'elle passe dans l'entreprise. Mais comment mesurer la compétence ? Les diplômes ne permettent pas d'évaluer ce que l'expérience et la réflexion apportent, et qui est souvent l'essentiel. Peut-on supposer que le salaire soit forfaitaire, donc indépendant du niveau de compétence qui procurerait une rémunération d'une autre nature (plaisir au travail, prestige professionnel, reconnaissance par les pairs) ? Le modèle économique du logiciel libre donne déjà un exemple de ce phénomène. Si l'on accepte ce raisonnement, il apparaît que l'économie informatisée devrait donner naissance à une société de classe moyenne mais il est trop évident que notre société n'évolue pas aujourd'hui dans cette direction. Il ne convient cependant pas d'anticiper le futur en extrapolant la conjoncture actuelle, qui est celle d'une économie immature et en transition : il faut plutôt élucider la situation présente en montrant les possibilités et les dangers qu'elle recèle et ces derniers ne sont pas ceux auxquels on pense communément.
La tentation de la prédation
Nous devons aborder ici un phénomène que beaucoup d'économistes ne veulent pas considérer : ils le jugent négligeable parce que leur théorie, née à la fin du XVIIIe siècle à l'occasion de la première révolution industrielle, ne considère que l'échange marchand. Le constat des faits est cependant significatif.
L'« économie du risque maximum » est, avons-nous dit, inévitablement tentée par la violence : la situation est tellement périlleuse qu'un entrepreneur personnellement honnête peut croire devoir corrompre pour acquérir ou conserver un marché, espionner les concurrents, débaucher leurs collaborateurs les plus compétents, etc26. De façon significative la pensée néolibérale qui s'est déployée à partir des années 1970 a fourni des alibis à ces comportements en prenant pour slogans la « création de valeur pour l'actionnaire », l'autorégulation des marchés, le retrait de l’État27 : tout s'est passé alors comme si le politique, confronté à une nature que l'informatisation transformait et qu'il ne pouvait plus comprendre, avait estimé qu'il fallait ne pas se soucier des risques qu'apporte l'informatisation. Il a ainsi libéré des tendances aujourd'hui évidentes dans la Banque et qui se sont répandues de façon épidémique dans les autres entreprises.
L'ubiquité qu'apporte l'informatique et la puissance des algorithmes ont transformé les conditions pratiques du métier de la Banque en lui permettant de jouer à toute vitesse sur tous les marchés. Il en est résulté un changement de ses priorités : alors que son métier historique était l'intermédiation du crédit fondée sur un arbitrage entre le rendement et le risque, une sensation de puissance a altéré la perception du risque et déchaîné la course au rendement, à la « production d'argent28 ». Ceux des professionnels de la Banque qui étaient attentifs aux risques ont été chassés par des dirigeants qui préféraient promouvoir des personnes moins prudentes. Ni les auteurs des algorithmes, ni moins encore les dirigeants ne peuvent cependant maîtriser intellectuellement les effets de l'empilage de calculs sur lequel s'appuient les automatismes : les incidents sont nombreux, une crise systémique aléatoire est inévitable même s'il est impossible d'en prévoir la date. Cependant les acteurs se rassurent en prélevant des rémunérations très élevées : ils veulent croire que quelqu'un qui gagne beaucoup d'argent ne peut pas avoir tort.
La puissance qu'apporte l'informatisation a fait ainsi déraper la Banque vers la délinquance selon la règle « pas vu, pas pris ». La crise des subprimes résulte d'un abus de confiance massif, le trading de haute fréquence favorise un « délit d'initié systémique29 ». Le marché des devises est manipulé, les profits illicites sont blanchis, des montages combinant abus de biens sociaux, fraude fiscale et blanchiment sont proposés aux chefs d'entreprise. La banque reconnue coupable d'un de ces délits (JP Morgan Chase, Goldman Sachs, BNP Paribas, Bank of America, Société Générale, Crédit Agricole, UBS, Royal Bank of Scotland, HSBC, Rabobank, Deutsche Bank, etc.) passe un compromis (settlement) avec ses victimes, la justice et le régulateur : la publicité d'un procès est alors évitée et l'affaire est classée moyennant le paiement d'une amende qui se chiffre en milliards d'euros.
Le dérapage des valeurs s'est répandu à partir de la Banque, dont l'enrichissement est jugé admirable. Les dirigeants des grandes entreprises réclament eux aussi des rémunérations, parachutes dorés et retraites dont le montant, équivalent à une fortune, représente l'appropriation d'un patrimoine30. Il est à la mode, parmi les cadres et les politiques, de proclamer « je suis un tueur (ou une tueuse) » : ils adhèrent ainsi à l'esthétique de l'adolescent napolitain qu'a cité Saviano31. La commodité que l'informatique procure à la corruption et au blanchiment permet d'ailleurs d'établir un système de vases communicants entre le crime organisé et l'économie marchande : des entreprises légales sont achetées par des familles de la Camorra, de la 'Ndrangheta, de Cosa Nostra, etc. et elles deviennent alors très compétitives car elles n'auront plus jamais de problème de trésorerie32.
Ces phénomènes, tous encouragés par la puissance et la discrétion qu'offre l'informatique, relèvent de la prédation33, comportement qui consiste à s'emparer d'une chose sans rien donner en échange. L'économie de la société féodale était fondé sur l'équilibre approximatif et global entre une prédation guerrière et la charité que motivait la peur de l'enfer34 : « sans cesse je me bats, m'escrime, me défends et me bagarre », disait Bertrand de Born au XIIe siècle, « celui-là sera riche qui prendra de bon cœur ». Dans la société marchande que la première révolution industrielle a fait émerger chaque échange est équilibré car personne n'est contraint par la force à vendre ni à acheter. Cette société n'est certes pas équitable35 mais elle confine en la prédation dans la marge où perdure une rémanence criminelle de la société féodale. Dans le monde des idées, cependant, la féodalité fait l'objet d'une nostalgie romanesque alors que la société marchande, « bourgeoise », est dénigrée. La perspective d'un retour à la féodalité sous une forme ultra-moderne invite aujourd'hui à réévaluer la société marchande car l'informatisation risque de déstabiliser, avec elle, la démocratie et l’État de droit.
Le raisonnement répugne cependant, nous l'avons dit, à considérer la prédation. C'est pour partie parce que l'on préfère ne pas voir la cruauté qui l'accompagne. C'est aussi parce que l'on estime qu'elle a toujours existé, et qu'elle n'a pas plus d'importance aujourd'hui qu'hier : mais s'il est vrai qu'elle répond à une des tendances de la nature humaine cela ne doit pas masquer l'ampleur systémique qu'elle a prise. C'est enfin parce que la science économique, née dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle pour explorer la société marchande, ignore par principe la prédation : aujourd'hui encore les économistes la jugent tout juste bonne à exercer la sagacité de journalistes à l'affût d'anecdotes scandaleuses.
Le déploiement de la prédation place la société devant un choix. Soit elle souhaite maintenir la démocratie et l’État de droit, nés après la première révolution industrielle pour répondre aux besoins de la mécanisation : mais il faut qu'elle fasse l'effort de les reconcevoir pour tenir compte des changements que l'informatisation apporte à la mission des institutions, à leur organisation, aux relations entre les personnes, il faut aussi qu'elle se donne les moyens législatifs et les compétences judiciaires nécessaires pour contenir la prédation. Soit elle se refuse à cet effort, et alors elle accepte implicitement un retour à l'organisation féodale sous une forme ultra-moderne, les institutions se dissolvant, les relations entre personnes obéissant à de purs rapports de force. Ce choix n'est cependant perçu ni par les économistes, ni par des dirigeants qui subissent l'informatisation sans avoir une intuition exacte des possibilités, risques et contraintes qu'elle comporte36, ni par les thuriféraires du « numérique », dont l'attention se focalise sur les seuls « usages coopératifs » dans lesquels ils croient voir un développement de la démocratie. Des dangers évoqués avec complaisance (« trop d'information tue l'information », « l'automatisation tue l'emploi », etc.) masquent le danger véritable.
L'« iconomie » comme repère
L'irruption d'un nouveau système technique, la nouvelle nature qu'il fait émerger, provoquent naturellement une crise : les institutions sont prises à contre-pied, le comportement des entreprises, des consommateurs et de l’État ne répond pas aux possibilités ni aux risques nouveaux. Les décisions, prises à chaud, cèdent à la tentation de la violence et la prédation devient un comportement, un style d'action, une mode enfin qui semble irrésistible. Les penseurs ont alors une mission : faire apparaître qu'il s'agit d'une crise de transition en comparant celle-ci aux crises du passé, en démontant son ressort historique, en éclairant le choix auquel la société est confrontée. Cela suppose de faire apparaître la dynamique de notre situation, et donc d'en bâtir la théorie, mais cela répugne à ceux qui prétendent être des « pragmatiques » : « nous n'avons pas besoin d'une grande théorie, disent-ils ; ce qu'il faut, c'est avancer à petits pas dans la bonne direction ». Mais comment trouver « la bonne direction » si l'on n'a pas examiné la situation et tiré au clair des relations de cause à effet, ce qui qu'on le veuille ou non constitue une théorie ?
Il s'agit de placer à l'horizon du futur un repère qui propose une orientation au politique, une stratégie aux institutions, de sorte que la société puisse tirer parti des ressources qu'apporte l'informatisation tout en maîtrisant les dangers qui les accompagnent. Ce repère, nous l'avons nommé « iconomie37 » (eikon, image, et nomos, organisation), mot qui nous semble adéquat pour désigner un monde que son image informatique entoure et renforce comme le fait la doublure d'un vêtement. Il s'agit d'acquérir une claire conscience des possibilités ouvertes, des contraintes physiques et logiques qui les accompagnent, de la dynamique qu'exige le plein développement du couple que forment l'être humain et l'automate programmable ubiquitaire. Cela permet de relativiser des questions qui, étant propres à la crise de transition, ne se posent plus à terme : si l'iconomie est par définition efficace, elle connaît ipso facto le plein emploi car le sous-emploi de la force productive humaine est l'une des manifestations de l'inefficacité – mais ce plein emploi suppose l'émergence de l'économie de la compétence, la transformation de la fonction de commandement et donc le commerce de la considération, une redéfinition de la mission et de l'organisation du système éducatif, toutes choses qui supposent résolues nombre de difficultés que la seule orientation n'indique pas de façon précise.
Il ne faut d'ailleurs pas sous-estimer ce qui nous attend. Brynjolfsson et McAfee, professeurs au MIT, disent que nous n'en sommes qu'« à la moitié de l'échiquier38 ». Il font allusion à une légende indienne : un maharadjah voulant récompenser l'inventeur du jeu d'échecs, celui-ci demande que l'on mette un grain de riz sur la première case, deux sur la deuxième, quatre sur la troisième et ainsi de suite en doublant à chaque étape, puis qu'on lui donne le riz qui se trouvera sur l'échiquier. A la trente-deuxième case l'échiquier contient 140 tonnes de riz, récolte annuelle d'une rizière de quarante hectares : cela reste à l'échelle humaine. Mais si l'on va jusqu'à la soixante-quatrième case l'échiquier contient 600 milliards de tonnes de riz, soit mille fois la production annuelle mondiale : tels sont les effets d'une exponentielle !
Ce que nous connaissons aujourd'hui avec nos iPhones, iPads, systèmes d'information, informatique en nuage, messagerie, Web, etc., n'est pour ainsi dire rien en regard de ce qui arrivera au XXIe siècle. Il ne semble pas que les politiques soient prêts aujourd'hui à comprendre ce phénomène ni à prendre les dispositions qu'il réclame. Par contre les institutions, les entreprises, tâtonnent à l'échelle certes modeste mais concrète de leurs processus, et sous l'aiguillon de la nécessité, à la recherche de l'articulation efficace du couple que forment le cerveau humain et l'automate. Comme l'a fait Saint-Simon au début de la mécanisation39 il s'agit donc, en indiquant l'orientation vers l'iconomie et en la précisant par l'observation puis la dissémination des meilleures pratiques, de trouver la voie qui permettra de sortir de la crise de transition en évitant de retomber dans un régime féodal.
Les penseurs du XIXe siècle ont vu dans l'avenir un carrefour vers deux orientations40 : socialisme ou barbarie pour Marx, libéralisme ou tyrannie pour Tocqueville. Saint-Simon et Auguste Comte cherchaient à restaurer dans la société industrialisée la cohésion des valeurs que procure une religion. L'histoire a par la suite cheminé en oscillant entre ces orientations polaires, non sans connaître des catastrophes et sacrifices humains. Nous anticipons qu'elle connaîtra de telles catastrophes, de tels sacrifices, tandis qu'elle oscillera entre deux pôles : la société raisonnablement efficace sinon pleinement équitable que nous nommons « iconomie », et la société néo-féodale dont l'amorce est aujourd'hui trop évidente pour que l'on puisse refuser de la voir. La mission du penseur, modeste mais cruciale, est alors de limiter la casse.
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1 Alors qu'un automate comme le métier à tisser de Jacquard (1801) n'accomplit qu'une opération spéciale, l'ordinateur exécute automatiquement toute opération qui peut être commandée par un programme informatique. Les ordinateurs que relie l'Internet constituent un automate unique dont l'accès par des terminaux (PC, tablette, téléphone mobile, etc.) est ubiquitaire.
2 B. Segrestin, B. Roger et S. Vernac, L'Entreprise, point aveugle du savoir, Éditions Sciences Humaines, 2014. Nous dirons « entreprise » par souci de simplicité mais le raisonnement concerne, de façon plus générale, les institutions dont l'« Entreprise » est un cas particulier.
3 Par exemple dans les ouvrages d'Eric J. Hobsbawm : L'ère des révolutions, Pluriel, 2011 ; L'ère du Capital, Pluriel, 2010 ; L'ère des empires, Pluriel, 2012 ; L'âge des extrêmes, André Versaille, 2008.
4 Bertrand Gille, Histoire des techniques, Gallimard, La Pléiade, 1978.
5 Michel Volle, iconomie, Economica, 2014, p. 32.
6 Jaegwon Kim, Trois essais sur l'émergence, Ithaque, 2006.
7 Jacques Mélèse, L'analyse modulaire des systèmes de gestion, AMS, Hommes et Techniques 1972 ; Mélèse avait été influencé par Herbert A. Simon, The Sciences of the Artificial, MIT Press 1969.
8 Joël Bizingre, Joseph Paumier et Pascal Rivière, Les référentiels du système d'information, Dunod, 2013.
9 Michel Volle, « Des vieilles applications aux nouveaux processus », in Jean Rohmer, Des tabulatrices aux tablettes, CIGREF et Nuvis, 2014.
10 Alors que la théorie de l'information de Shannon répond aux besoins des télécommunications en considérant la qualité de la transmission des messages, la théorie de l'information de Simondon répond aux besoins de l'informatisation : « l'information n'est pas une chose, mais l'opération d'une chose arrivant dans un système et y produisant une transformation. L'information ne peut pas se définir en dehors de cet acte d'incidence transformatrice et de l'opération de réception » (Gilbert Simondon, Communication et information, Éditions de la transparence, 2010, p, 159).
11 Il apparaît par exemple qu'une direction des achats produit (1) des contrats avec les fournisseurs, (2) le suivi de l'exécution de ces contrats.
12 Cette démarche, devenue classique dans les entreprises, a fait l'objet d'un effort de normalisation qui a notamment conduit à la définition du langage UML, Unified Modeling Language (Pascal Roques, UML 2 - Modéliser une application Web, Eyrolles, 2007).
13 Dans le langage de la théorie économique, « utilité » ou « satisfaction » désignent le bien-être matériel et il convient de le distinguer du bonheur, « bien-être mental ».
14 Le vocabulaire emphatique des entreprises remplace « méthode », « technique », « problème », par « méthodologie », « technologie », « problématique » etc.
15 Rappelons que « hiérarchie » a pour étymologie « pouvoir sacré » (hieros et archein).
16 Plus un logiciel est gros, plus sont nombreuses toutes choses égales d'ailleurs les relations entre ses diverses parties, et plus une modification risque de créer un incident dans une autre partie du programme.
17 L'« Internet des objets » résulte de l'insertion de puces électroniques dans les « objets » de la vie courante (équipement ménager, bien de consommation, corps humain etc.), associée à un système qui collecte et traite les données. Ses effets dans la traçabilité, la logistique, la maintenance et la médecine (réseau de prothèses) en font une innovations prometteuse (Pierre-Jean Benghozi et alii, L’Internet des objets, MSH, 2009).
18 Robert Solow, Monopolistic Competition and Macroeconomic Theory, Cambridge University Press, 1998.
19 L'exemple le plus couramment cité est celui de Linus Torvalds, qui anime le projet du noyau de Linux.
20 Magali Demotes-Mainard, « La connaissance statistique de l’immatériel », Contribution de l’INSEE au Groupe de Voorburg sur la statistique des services, Tokyo 6-10 octobre 2003.
21 Gordon E. Moore, « Cramming more components into integrated circuits », Electronics, 19 avril 1965.
22 Walter Isaacson, Steve Jobs, Simon & Schuster, 2011.
23 Philippe Moati, La nouvelle révolution commerciale, Odile Jacob, 2011.
24 Maurice Hauriou, Théorie des institutions et de la fondation, 1925.
25 Le salaire se négocie sur le marché du travail, mais une fois le contrat signé le salarié obéit à l'organisation. La comptabilité analytique suppose que les entités de l'entreprise ont des rapports marchands mais comme les échanges internes sont évalués selon des prix d'ordre purement conventionnels il en résulte des effets pervers qui altèrent la cohésion de l'entreprise.
26 De grandes entreprises l'ont fait : EADS, Alstom, Siemens, Man, etc.
27 En 1970 le prix Nobel d'économie est attribué à Milton Friedman, le grand théoricien du néolibéralisme.
28 Parmi les nombreux témoignages, citons celui de Michael Lewis, The Big Short, Penguin Books, 2010.
29 Jean-François Gayraud, Le nouveau capitalisme criminel, Odile Jacob, 2014.
30 Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, Seuil, 2013.
31 Roberto Saviano, Gomorra, Folio, 2009, p. 141. Il faut méditer ce petit texte car il est exemplaire : « je veux devenir un parrain, je veux avoir des centres commerciaux, des boutiques et des usines, je veux avoir des femmes. Je veux trois voitures, je veux que les gens me respectent quand j'entre quelque part, je veux des magasins dans le monde entier. Et puis je veux mourir. Mais comme meurent les vrais, ceux qui commandent pour de bon : je veux mourir assassiné ».
32 Roberto Saviano,.op. cit.
33 Michel Volle, Prédation et prédateurs, Economica, 2008.
34 Marc Bloch, La société féodale, 1939.
35 L'esclavage peut être « pareto-optimal ».
36 « Ils ne lisent pas et ne s'informent pas à fond, ils naviguent dans la totale confiance de l'instinct. » (Carlos Fuentes, La volonté et la fortune, Gallimard, 2012.
37 Michel Volle, op. cit.
38 Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, Race Against the Machine, Digital Frontier Press, 2011.
39 Henri de Saint-Simon, Du système industriel, 1820-1821.
40 Raymond Aron, Dix-huit leçons sur la société industrielle, Gallimard, 1962.
Bonjour,
RépondreSupprimerLes comportements de prédation sont-ils dus aux nouveaux moyens que l'informatisation a mis en oeuvre, ou ceux-ci n'ont-ils été qu'un accélérateur ?
Il me semble qu'un tournant s'est amorcé dans les années 70-80, qui a porté aux postes de décision des grandes entreprises et de l'état des dirigeants de plus en plus illégitimes.
Certains ont consacré leur temps à accaparer le résultat et le mérite du travail d'hommes bien meilleurs qu'eux, et cette "activité" est une jeu que la société rend gagnant depuis une quarantaine d'années. Beaucoup se sont engouffrés dans cette brèche, parfois des gens intelligents et qui auraient pu réaliser beaucoup de choses par eux-mêmes, mais qui ont vite compris qu'il était devenu plus rentable de récupérer le travail des hommes véritablement entreprenants que de l'accomplir soi-même.
J'ai exposé ce phénomène dans un livre décrit ci-après :
http://le-troisieme-homme.blogspot.fr/2014/11/lorque.html
De nombreuses réflexions de ce livre recoupent la votre, notamment les références à Roberto Saviano comme clé d'explication du monde moderne. Mais je vois davantage la première cause de ce phénomène dans une dérive de l'idée que l'on s'est formée de ce qu'est un homme de valeur, ainsi que dans un détournement de l'organisation matricielle en entreprise, qui a permis l'exploitation et le pillage de ses éléments les plus moteurs et les plus innovants. Le phénomène est bien décrit par Saviano dans le chapitre sur le designer de haute couture de "Gomorra".
L'informatisation a sans doute permis de démultiplier les possibilités offertes aux prédateurs, mais la cause de leur émergence me semble se placer encore plus en amont.
Merci pour tous vos écrits qui permettent de redonner beaucoup de repères.
Marc Rameaux
Les causalités sont en effet multiples (cf. L'entreprise et Aristote). La "cause finale" est la rapacité, tendance qui se déploie en prédation effective lorsqu'elle rencontre des conditions favorables. L'informatisation est la "cause matérielle" de la prédation : elle l'a rendue possible, et sans elle la rapacité n'aurait pas pu s'exprimer avec autant de force. On attend encore la régulation qui la contiendra.
Supprimer"Le rapport social du cerveau d’œuvre diffère ainsi fondamentalement de celui de la main d’œuvre : .., il est demandé au cerveau d’œuvre d'exercer une compétence, un savoir orienté vers l'action responsable. la compétence se manifeste dans l'intuition immédiate et l'intuition méthodique .La production proprement dite se faisant dans l'instant : il apparaît alors que l'économie informatisée est une économie de la compétence". Je trouve dans cette articulation entre " compétence et intuition" une première réponse à la question du talent qui va faire l'objet de notre conférence du 3 juin. Michel je pense te "piquer" quelques bonnes idées en la matière pour alimenter un article. Isabelle CTA
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