(Contribution au colloque de Cerisy « Qu'est-ce qu'un régime de travail réellement humain ? », 10 juillet 2017.)
Résumé
L'informatisation a suscité l'automatisation des tâches répétitives autrefois accomplies par une main d’œuvre dont les entreprises laissaient les facultés mentales en jachère. L'action productive se partage entre l'automate et l'être humain, ce dernier possédant pour interpréter les cas particuliers et répondre à des incidents imprévisibles un discernement que l'automate ne peut pas exercer.
Le « cerveau d’œuvre » remplace ainsi la main d’œuvre.
Cela implique une transformation des organisations, dont la qualité dépend désormais de la synergie des compétences individuelles : un « commerce de la considération » doit se substituer à la relation hiérarchique. La plupart des entreprises refusent cette transformation qui bouscule leurs habitudes. L'inefficacité massive qui en résulte est l'une des causes de la crise actuelle.
L'entreprise aujourd'hui
Ouvrons les yeux et regardons ce qui se passe. Dans les bureaux le temps de travail des agents se partage entre « l'ordinateur » et les réunions. Dans les usines des robots s’activent et l’essentiel de l'emploi est consacré à leur supervision et à leur maintenance.
Les ordinateurs de bureau, robots et téléphones mobiles (ces derniers étant en fait des ordinateurs mobiles) sont des automates programmables, conçus pour exécuter automatiquement tout ce qu'il est possible de programmer.
La plupart des ménages sont équipés de plusieurs automates : leur ordinateur est relié à l’Internet, parents et enfants possèdent chacun un téléphone mobile, les équipements ménagers – réfrigérateur, machine à laver, aspirateur, cuisinière, téléviseur, chaîne haute-fidélité, etc. – sont informatisés.
L'utilisateur d’un ordinateur accède, sous la seule contrainte de ses habilitations, à la ressource informatique mondiale composée de processeurs, mémoires, logiciels et documents (données, textes, images, vidéos, etc.). L’ensemble des ordinateurs en réseau forme ainsi un automate accessible sans délai perceptible depuis n’importe où, l’automate programmable ubiquitaire (APU).
L'informatisation a ainsi pénétré la vie personnelle comme la vie au travail : elle impose de « savoir vivre avec l'automate1 ». Dans les institutions, dans les entreprises, cette exigence se condense en deux mots : symbiose et synergie.
dimanche 20 août 2017
De la main d'œuvre au cerveau d'œuvre
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dimanche 6 août 2017
L’« intelligence artificielle » : option métaphysique, réalité pratique, projet politique
Une « chose qui pense » ?
L'expression « intelligence artificielle » évoque l'image d'une « chose qui pense » : le silicium dans lequel sont gravés processeurs et mémoires, muni d'un programme ad hoc, serait capable de « penser comme un être humain » ou même mieux que lui. Affirmer la possibilité ou la possibilité d’une telle « chose », c’est poser une option que l’on peut qualifier de métaphysique car elle concerne la conception de l’être.
Nombre de personnes insouciantes sautent d’un bond léger le gouffre qui sépare cette option de celles qui, jusqu'alors, donnaient un socle à la représentation du monde. Parmi les êtres vivants, disions-nous en effet, seuls les animaux pensent, et parmi les animaux seuls les humains possèdent une pensée élaborée. Et voilà que surgirait une « chose qui pense » et qui n’est pas même vivante !
S’il est facile de l’imaginer – des œuvres de fiction nous y invitent – il se peut qu’elle soit une chimère, un être que le langage évoque sans que rien de réel ne puisse lui correspondre. Il ne faut pas en effet confondre la réalité d’une image avec la réalité physique et pratique de l’objet qu’elle évoque.
Mais certains agissent et parlent comme s’ils posaient une option métaphysique plus radicale encore que la précédente : rien ne séparerait selon eux l’imaginaire du possible ni le possible du réel : « si je peux imaginer une chose, semblent-ils dire, c’est qu’elle est réelle ».
Les options métaphysiques sont rarement aussi explicites que cela. Elles n’en résistent que mieux à la réfutation et tout en étant implicites elles animent et orientent l’action : elles ont donc des conséquences politiques.
Avant d’en venir à ces conséquences il est salubre d’examiner ce qu’est pratiquement et réellement l’intelligence artificielle aujourd'hui, et de considérer ce que cet examen indique comme possible dans le futur.
L'expression « intelligence artificielle » évoque l'image d'une « chose qui pense » : le silicium dans lequel sont gravés processeurs et mémoires, muni d'un programme ad hoc, serait capable de « penser comme un être humain » ou même mieux que lui. Affirmer la possibilité ou la possibilité d’une telle « chose », c’est poser une option que l’on peut qualifier de métaphysique car elle concerne la conception de l’être.
Nombre de personnes insouciantes sautent d’un bond léger le gouffre qui sépare cette option de celles qui, jusqu'alors, donnaient un socle à la représentation du monde. Parmi les êtres vivants, disions-nous en effet, seuls les animaux pensent, et parmi les animaux seuls les humains possèdent une pensée élaborée. Et voilà que surgirait une « chose qui pense » et qui n’est pas même vivante !
S’il est facile de l’imaginer – des œuvres de fiction nous y invitent – il se peut qu’elle soit une chimère, un être que le langage évoque sans que rien de réel ne puisse lui correspondre. Il ne faut pas en effet confondre la réalité d’une image avec la réalité physique et pratique de l’objet qu’elle évoque.
Mais certains agissent et parlent comme s’ils posaient une option métaphysique plus radicale encore que la précédente : rien ne séparerait selon eux l’imaginaire du possible ni le possible du réel : « si je peux imaginer une chose, semblent-ils dire, c’est qu’elle est réelle ».
Les options métaphysiques sont rarement aussi explicites que cela. Elles n’en résistent que mieux à la réfutation et tout en étant implicites elles animent et orientent l’action : elles ont donc des conséquences politiques.
Avant d’en venir à ces conséquences il est salubre d’examiner ce qu’est pratiquement et réellement l’intelligence artificielle aujourd'hui, et de considérer ce que cet examen indique comme possible dans le futur.
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