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Un de mes amis respecte tellement la liberté d'expression qu'il s'estime libre, dit-il, de penser et de dire que la Terre est plate.
Mais penser et dire n'importe quoi, c'est tourner le dos à la science expérimentale. Je doute d'ailleurs qu'il dise que la Terre et plate lorsqu'il parle à ses enfants : ce serait de bien mauvaise pédagogie.
La liberté de pensée ne peut s'exercer que si elle respecte les exigences intimes du réalisme, de la pertinence et de la cohérence. Nier ces exigences, c'est supprimer la colonne vertébrale qui assure la tenue de la personne : c'est du laisser-aller.
Un laisser-aller apparent a pu être courageux dans des époques où la société était corsetée par un conformisme étroit, où il fallait aller à la messe chaque dimanche pour appartenir au bon milieu, où chacun devait s'habiller conformément à son statut social : on peut comprendre la rage qui a animé les surréalistes.
Mais nous n'en sommes plus là. Ce qui était naguère l'attitude courageuse d'un petit nombre de révoltés est devenu un nouveau conformisme : les conformistes d'aujourd'hui prennent la pose du rebelle alors que tout risque de réprobation a disparu.
Un de mes amis parle ainsi de la « grandeur de la folie » : il ignore certainement la profonde misère du malade mental, mais il juge élégant de se ranger parmi les personnes « cultivées » qui croient à la lettre tout ce qu'ont écrit les surréalistes. La même tournure d'esprit inspire le spectacle intitulé « c'est assez bien d'être fou » qui tourne ces jours-ci dans nos provinces. Dans les revues de mode des adjectifs « détraqué », « déjanté » sont autant d'éloges, l'admiration va à des « créateurs » manifestement déséquilibrés comme John Galliano.
La révolte antérieure est devenue un conformisme tellement pesant qu'il appelle une nouvelle révolte. Il faut se révolter aujourd'hui contre le laisser-aller, il faut un retour aux vertus que recommandait Epictète : dignité, réserve, droiture. Il faut cultiver l'exigence intime d'une tenue de la pensée et du corps.
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Lorsqu'un Dieudonné chante les louanges de Pétain, promeut des négationnistes et tourne en dérision l'extermination des juifs par les nazis, il réveille une des hontes de notre nation : la loi du 3 octobre 1940 portant statut des juifs et ce qui s'en est suivi. Notre nation porte aussi d'autres hontes : participation à la traite des noirs, colonialisme, pratique de la torture pendant la guerre d'Algérie, excès du nationalisme, etc.
Aucune de ces hontes ne prête à rire, aucune ne peut donner matière aux plaisanteries d'un chansonnier : il faut plutôt s'appliquer à comprendre leurs causes et à les méditer de sorte que nous puissions dans le futur contenir celles de nos tendances qui les ont suscitées.
Les avocats, toujours soucieux de défendre la liberté de leurs clients, protestent contre la circulaire de Manuel Valls et la décision du conseil d'Etat. N'étant pas avocat mais simple citoyen, j'approuve que le pouvoir exécutif se soit engagé pour défendre notre République, que Dieudonné tentait de blesser.