Une société, une culture, se mirent dans leurs « vedettes ». Les mages prétendaient autrefois lire le futur dans les étoiles : nous pouvons lire notre présent dans nos stars.
Michael Jackson, avec la face de squelette qu’il s’était sculptée, nous tend ainsi un miroir. Qui sommes-nous donc, nous qui avons choisi d’adorer cette « idole » ? Que nous révèle ce culte sur nous-mêmes ?
Un journaliste américain l’a, me semble-t-il, clairement décrit (Bob Herbert, « Behind the Facade », The New York Times, 3 juillet 2009). Je traduis librement ici des passages de son article :
« Michael Jackson s'efforçait, de tout son être, à sortir de la réalité et à la laisser derrière lui. Sa vie est un exemple de l’extrême immaturité et de l’irresponsabilité grotesque qui ont émergé dans les années 80 aux Etats-Unis :
« Ronald Reagan faisait, sur les impôts et les déficits, des promesses qu’il ne pouvait pas tenir et confiait à un astrologue de la côte ouest le soin de définir son agenda. Le film Wall Street allait refléter la complaisance de la nation envers l’avidité sans limite des riches et des puissants. Dans les quartiers noirs le crack avait des effets dévastateurs, les jeunes criminels se dotaient d’armes de plus en plus puissantes et la mode suivait le style des prisons. Le hip-hop allait apparaître, suivi par la violence et la misogynie du rap.
« Toutes les contraintes étaient levées : on aurait dit que les adultes se cachaient. La dérégulation, que l'on disait bonne pour l’économie, était appliquée à l’ensemble de la culture. On pouvait de nouveau considérer les femmes comme des objets sexuels (regardez la télévision, écoutez la radio !). Beaucoup d’hommes abandonnaient leurs enfants impunément et la nation était d’accord pour partir en guerre sans savoir pourquoi et sans lever d’impôts.
« Notre société devenait un fantasyland oublieux des limites, contraintes et conséquences du monde réel. Les politiciens ne pensaient plus aux pauvres. Nous accumulions des dettes et appelions cela le boom économique. Nous expédiions les emplois à l’étranger par millions sans nous soucier de les remplacer.
« Jackson, talentueux mais déséquilibré au point d'être un danger pour lui-même et pour les autres, incarnait l'imaginaire en folie : il était la star parfaite pour une telle époque. Sa façade de megastar multimillionnaire masquait l’horreur de la pédophilie – chez lui c’était considéré comme une excentricité et des parents lui livraient leurs petits enfants pour qu'ils passent la nuit au lit avec lui.
« La Michael-mania qui a explosé après sa mort ne reflète pas seulement de l'admiration pour sa musique : c’est aussi une célébration de sa vie, le spasme d’une culture qui préfère l’imaginaire au réel. »
Ce que dit là Bob Herbert s’applique aux États-Unis, mais aussi à nous qui les admirons servilement et les suivons dans tous leurs errements. Nous ne les admirons pas parce qu’ils représentent la justice, la raison et la culture, mais parce qu’ils sont riches et puissants. La force, fût-elle imbécile, le succès, fût-il de mauvais aloi : voilà nos idoles.
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J’ai participé un jour à un déjeuner avec ce garçon talentueux et agité qui fut par la suite élu à ce que nous appelons la « magistrature suprême ». « Il ne faut pas, a-t-il dit alors, se cacher derrière son petit doigt : le but, en politique, c’est de gagner les élections ».
Il ne se débrouille pas mal dans cette spécialité. Mais moi, naïf que je suis, je crois que le but en politique est d’œuvrer pour le bien du pays, et la phrase de Nicolas Sarkozy m’a paru lourde de catastrophes futures.
Comme nous les aimons, ces gens qui ont du talent ! Comme nous admirons ceux qui ont le don de repartie, qui savent clouer le bec à l’interlocuteur ! Daniel Cohn-Bendit est un as de la provocation souriante, de la dérision qui dynamite tout sérieux, toute institution. Sans doute le sérieux est souvent empesé et le formalisme des institutions pesant… Pourtant nous avons besoin d’eux, car sans sérieux, sans institutions nous mourrions de faim. Mais voyez : enthousiasmés par le jeu de massacre, nous avons voté en nombre pour un histrion...
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Dans certaine petite ville des Cévennes de braves jeunes gens s’habillent à la mode des délinquants : tatouages, piercing, crâne rasé, body-building etc. ; de braves jeunes femmes se déguisent en prostituées : jupe ultra-courte, décolleté profond, teinture multicolore et, sur elles encore, tatouages et piercing. Dès qu’on leur parle on voit que ces apparences sauvages recouvrent des cœurs innocents. Elles n’en expriment pas moins ce désir de fuite devant le réel, de refuge dans l’imaginaire que Bob Herbert a décrit.
Ils votent pour le NPA parce qu’étant des adolescents prolongés ils trouvent sympathique la bonne tête adolescente d’Olivier Besancenot et sont séduits par le nom de son parti : quand on n’aime pas ce qui existe on préfère le nouveau ; et quand on ne sait pas pour quoi l’on est, on se dit « anticapitaliste ».
Youssouf Fofana, organisateur d’un assassinat sordide, se pavane en insultant la famille de sa victime : c’est qu’on parle de lui à la télévision, qu’il est tout faraud d'être devenu une vedette, qu'il existe enfin ! Car ceux qui fuient le monde où les choses pèsent et résistent croient que seul existe ce que les médias représentent - et celui-ci, dans sa fuite, est allé jusqu’à sortir de l’humanité elle-même.
Les tags dessinés sur tant de nos murs sont autant de cris inarticulés et insignifiants. C'est l’écriture du monde imaginaire : elle ne dit rien et pointe vers un ailleurs inexistant. Ceux qui craignent avant tout d’être démodés disent que c’est de l’art : je me fais une autre idée de ses exigences.
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Tandis que nous gâchons nos admirations et complaisances les forces qui ont toujours détesté notre République poursuivent sa démolition : notre État, privatisé par morceaux ouverts à la concurrence, oublie l’impératif de qualité du service public pour se confiner à la maîtrise des coûts, pour se livrer à l’ivresse du profit. En tournant le dos au citoyen français, il trahit sa mission.
Les inflexions de la mode passent l’Atlantique avec un délai : alors nous imitons ce que les Américains ont fait naguère de plus bête. Ainsi nous sommes, comme ce garçon à la crête multicolore que j'ai croisé l’autre jour à Brioude, les derniers des Iroquois.
Bonjour,
RépondreSupprimerQuelques réflexions après cette lecture :
1. Pourquoi les journalistes se croient-ils obligés de pondre des analyses sur tous les sujets, sans les connaître ? Lisez le texte sur les séries télévisées américaines dans le dernier numéro de la revue Commentaire : voilà quelqu'un qui se renseigne sérieusement et honnêtement avant d'écrire. Quelle différence avec Bob Herbert !
2. Les hommes ont-ils attendu Mickael Jackson pour fuir la triste réalité d'une vie subie et admirer des surhommes tels que Hercule, ce gros boeuf pas très fûté mais fortiche ? ou Jupiter, macho, malhonnête et j'en passe ?
3. N'oublions pas que tandis que quelques "happy few", pas nécessairement riches mais heureux, parviennent à matérialiser leurs désirs, une majorité est en permanence frustrée et s'évade avec l'aide de quelques héros et demi-dieux pas toujours recommandables.
4. Il se trouve que Daniel Cohn Bendit appartient à la première catégorie alors que Mickael Jackson n'était qu'une pauvre marionnette, un produit frelaté, il me paraît donc un peu rapide de les placer sur le même plan.
5. Notre société est en pleine mutation, comme cela a déjà été souvent le cas, mais bien plus vite, et je pense que le TFCisme (TFC : tout fout le camp) n'est pas une attitude constructive, et nous ramène à Boileau contre Molière, à la bataille d'Hernani . Or, qui a gagné ?
@Françoise Courivaud-Hamsa
RépondreSupprimerMerci pour ce commentaire soigneusement rédigé !
1. Il me semble que Bob Herbert connaissait fort bien le sujet de son article.
2. et 3. La fuite dans l'imaginaire est de tous les temps, c'est vrai. A-t-elle toujours été majoritaire ?
4. J'ignore si Cohn-Bendit est heureux : s'agissant d'un homme politique, seule m'importe la qualité de son action. Là-dessus j'ai mon opinion.
5. Le "TFC" est en effet une erreur. Au passage : Boileau et Molière n'ont jamais été en conflit, que je sache.
Comme Bob Herbert vous partez d'un fait pour le globaliser dans une critique sociale qui condamne l'immaturisme et la fuite. Critique de moeurs, de l'art, de la politique, de l'économie. Ces jeunes croient et sont actifs dans l'utopie : 'Un autre monde est possible'. Pourquoi les caricaturer et leur opposer le sérieux du passé comme solution.
RépondreSupprimer@nicocerise
RépondreSupprimerCertains faits éclairent, et révèlent à la réflexion, des pans entiers de notre vie : ici, la fuite dans l'imaginaire comme phénomène de masse contemporain.
Et qu'est-ce qui vous fait croire que le sérieux relève nécessairement du passé ?
Agité sûrement, talentueux en êtes-vous convaincu ? Concernant la jeunesse de notre pays, vous négligez, il me semble, dans votre analyse l'impact sur celle-ci du retard de son intégration dans le monde du travail, ce monde peu reluisant des adultes dépourvu de tout système de valeurs collectives. Seuls règnent en ce moment la cupidité, l'appat du gain facile et l'individualisme effréné (et au passage qu'on n'arrête de nous faire prendre des vessies pour des lanternes avec ces histoires de développement durable et de purge du système bancaire). D'où cette fuite en avant et cette recherche d'un ailleurs que vous mentionnez.
RépondreSupprimer@Anonyme
RépondreSupprimerQu'on soit ou non d'accord avec NS, force est de lui reconnaître un certain talent ! Mais le talent n'est pas la profondeur.
Je déplore moi aussi le retard de l'intégration de la jeunesse dans le monde du travail. Celui-ci est cependant plus complexe que vous ne le dites : si seuls y régnaient la cupidité etc., il ne produirait rien qui vaille. Heureusement on y trouve de ces gens que j'appelle les animateurs (voir "Le coeur secret de la France").
Talentueux mais à quel poste. Si on fait le bilan des réformes qu'il a mené alors qu'il avait les mains libres et énormément de pouvoirs. A-t-il "libéré" la France? Peut-on trouvé l'équivalent dans son action des réformes libérales du code civil de VGE - des réformes libérales du droit du travail de Seguin - des réformes institutionnels de la gauche ?
RépondreSupprimerNon rien - le vide. Pour quelqu'un de talentueux vraiment je pleure.
Je partage votre avis mais régner ne signifiait pas qu'il n'y ait pas de contre-courants productifs et j'avais effectivement lu votre note sur le "Le coeur secret de la France" que je trouvais très pertinente. Mais encore une fois ce ne sont pas dans le monde du travail ces gens qui sont valorisés et reconnus...d'où l'égarement de notre jeunesse en manque de repères. Une société qui néglige sa jeunesse perd son âme.
RépondreSupprimerDans la société du spectacle, Guy Debord prévoyait la trajectoire: "de l'être à l'avoir, de l'avoir au paraître".
RépondreSupprimerNS, BTapie, MJackson et tant d'autres balisent cette voie que nous indiquait Mr Debord.
Cette évolution affaiblit inéluctablement la "chose publique" et la conception de la vie en société.
En France, notre ciment social et notre culture étant historiquement plus durs que dans d'autres sociétés nous entendons des craquements plus forts que les sociétés "américaines".
Mais ce qui semble le plus évident désormais c'est le rôle joué par internet dans cette évolution.
Un rôle d'accélérateur d'une part qui provoque inévitablement des ruptures faute de temps pour l'adaptation et la synthèse. Dans ce contexte notre système est certainement plus fragile que les systèmes anglo saxons: c'est la fable du chêne et du réseau. Les observateurs qui dénoncent cela ne sont pas réactionnaires; ils sont lucides.
C'est dans ce sens que je comprends et partage votre message.
Remarque: ce rapprochement, avec l'anticipation de Guy Debord, soulève une interrogation car internet joue aussi un rôle d'amplificateur qui permet désormais à chacun d'emprunter cette trajectoire du paraitre à travers des avatars.
Cet outil ne l'aurait il pas incité à prolonger sa trajectoire?
Bonjour,
RépondreSupprimerPetit commentaire sur la magistrature suprême,
Etre histrion n'est il pas le fait même de la politique, d'un certain militantisme évangélique ou d'une certaine évangélisation militante.
Cetains font le choix de commencer par être leur propre avocat dans leur démarche militante, et savent faire mine d'être avec coeur celui "de la veuve et de l'orphelin", il est des trémolos qui même s'ils ne sont que des trémolos, savent emporter l'adhésion populaire.
Avoir du coeur par l'a priori du don de soi n'est pas donné à tout le monde, et c'est tellement ce qui fait l'étoffe des vrais hommes d'état.
Savoir présider c'est dabord bien choisir les compétences dont on s'entoure, art d'autant plus diffcile que l'on est trop sensible à l'image que l'on donne de soi.
Plaire et agir mais surtout agir pour le bien de tous, c'est le paradoxe auquel est confronté tout homme cherchant à avoir une dimension politique.
Certains cherchent sans doute à trop plaire, d'autres parfois à agir trop vite.
Et encore lorsqu'on le fait n'a t on conscience que d'une tonalité culturelle, la nôtre étant française!
Il faut aussi savoir apporter de nouvelles dimensions et apprendre des états, des pensées, des habitudes, des réflexes de celles que l'on ne connait que peu.
Tristan
L'extraordinaire dans l'ordinaire, la sainteté au quotidien, peut renouveler en profondeur nos façons de penser et d'agir.
RépondreSupprimerConsacrer du temps à expérimenter ce qu'apportent les activités fréquentes : éveil, lever, repas, activités de première nécessité, prière, jeux, lectures, dialogues, loisir, projets, ... quand elles sont accomplies dans l'intensité amoureuse nous guérit de la tentation de fuir la source des dons qui coule en permanence près de nous.
Pour découvrir les trésors qui se trouvent ainsi à portée de main, être convaincu du bien fondé d'une attitude contemplative et décider de prendre des résolutions ne suffisent pas : il est nécessaire d'avoir goûté et senti,comme le recommande St Ignace de Loyola,la profondeur des mystères saints qui nous entourent.
Comment goûter et sentir ? Comment faire l'expérience qui transformera radicalement nos perceptions, nos réflexions et nos attentes, qui modifiera durablement nos comportements ?
Certainement pas dans le flot continu des agitations mondaines : impossible alors de voir au-delà de l'écran de fumée. Tous ceux qui ont décidé de changer de vie (avant de vouloir apporter une contribution vraiment positive autour d'eux) ont toujours pris le temps de vivre un moment assez long à l'écart du monde ET bien entouré, dans un lieu dépouillé et sobre afin de n'être pas tiraillé par le désordre et l'appel d'appâts multiples.
Quand nous prendrons le temps de vivre un temps de retraite sainte en bonne compagnie, nous serons non seulement transformés mais nous aurons aussi un regard plus aiguisé et plus miséricordieux sur les réalités présentes. Un regard qui ne désespère jamais d'autrui ou de soi-même. Un regard qui ne condamne pas sans appel. Un regard devenu capable de vivifier ce qui paraît le plus atteint par la mort.
@Avicenne
RépondreSupprimerAyant reçu une éducation catholique je comprends bien ce que vous dites. Mais je préfère l'action à la contemplation : l'existence du monde de la nature, avec la résistance qu'il oppose à nos caprices, nourrit me semble-t-il une expérience qui peut être féconde.
NB : Par "monde de la nature", je n'entends évidemment pas ce que vous nommez "agitations mondaines" !
NB2 : L'action n'exclut ni la réflexion, ni les moments où l'on se pose pour faire calmement le point.
En effet, il n'y a pas lieu d'opposer action et contemplation : les plus grands mystiques ont été très actifs. Père Jérôme qui enseignait la philosophie à Septfons consacrait chaque jour du temps aux travaux manuels requis par le verger de la Trappe pour garder ce contact salutaire avec la résistance de la vie et de la matière. La perte des contacts offerts par les travaux manuels et le travail en plein champs est certainement l'une des causes de désordre pour nos sociétés urbaines.
RépondreSupprimerLa pointe de mon argumentation soulignait simplement la grande nécessité de prendre plus que des pauses quotidiennes de réflexion, de méditation et de prière. Si nous ne prenons pas le temps d'aller au désert, de manière prolongée, nous nous privons de la possibilité de dépasser les apparences. Vivre plusieurs jours de retraite renouvelle et rajeunit comme le remarquait avec joie Marthe Robin à propos des retraitants du Foyer de Charité de Chateauneuf de Galaure.
Nul n'est au dessus des lois, nul n'est censé ignorer la Loi, aussi biscornue et tarabiscotée soit-elle.
RépondreSupprimerCher Ami, vous parlez de pédophilie au sujet de Michael Jackson: ce n'est pas une accusation que l'on peut faire à la légère...voir "Le plus beau métier du monde"; vos sources sont-elles donc avérées?
Par ailleurs je vous invite à découvrir le graffiti, forme artistique d'expression "urbaine" autrement plus riche que le "tag" qui n'est qu'une façon adolescente de marquer son "territoire".
@Guillaume Volle
RépondreSupprimerC'est Bob Herbert qui, dans son article du New York Times, parle de pédophilie à propos de Michael Jackson. Cliquez sur le lien, vous verrez : je n'ai fait que traduire en abrégeant.
Oui, le graffiti est une forme d'expression mais elle est rarement artistique. Le tag, lui, n'exprime rien d'autre que le besoin (pas seulement adolescent) de marquer un territoire.
@Michel
RépondreSupprimerLe journalisme américain me semble être d'une autre trempe que le français. Esprit de corps quand tu nous tiens...
A votre avis, existe-t-il en France des "Intouchables"?
Je ne parle pas là des castes indiennes, mais de ces "grands, prospères,
fiers, puissants, ou cachés dans d'immondes repaires"?