lundi 30 août 2010

Eloge de l'autodidacte

Le mot « autodidacte » est le plus souvent péjoratif. S'étant formé lui-même et sans passer par les écoles, l'autodidacte, pense-t-on, n'a pas pu acquérir les méthodes qui confèrent sa rigueur à la pensée. Il va donc s'enticher de conceptions loufoques dont il fera des idées fixes...
Mais c'est oublier que ceux qui ont suivi une filière que sanctionne un diplôme ont parfois eux aussi des défauts : conformisme, manque de courage intellectuel et d'imagination... et il leur arrive d'avoir des idées fixes.

La recherche, appliquant l'activité de la pensée à des domaines auparavant inconnus du monde de la nature, est toujours le fait d'un autodidacte puisqu'elle doit inventer, au moins pour partie, les méthodes nécessaires et se créer le vocabulaire qui permette d'arpenter un terrain nouveau.

Le mépris envers l'autodidacte révèle donc une échelle qui de valeurs qui, au rebours de la démarche de recherche, exige un tampon administratif et respecte exclusivement le caractère officiel des programmes scolaires.

Je discutais un jour avec un économiste qui, à bout d'arguments, s'est écrié « mais enfin, tu n'es pas docteur ! ». Que pouvais-je répondre à ce cuistre ? J'ai, par la suite, acquis cette peau d'âne et cela ne m'a pas rendu plus savant...

*     *

La plupart des experts en informatique sont des autodidactes : rares sont en effet ceux qui ont pu recevoir une formation initiale solide. Le cours de Fortran que j'ai subi en 1964 était de nature à m'écœurer.

On devient informaticien en lisant, en écoutant des personnes plus compétentes qu'on ne l'est, en programmant, en faisant des erreurs que l'on corrige ensuite. C'est une tâche sans fin car l'informatique possède de nombreuses facettes, chacune aussi vaste qu'un continent.

Ainsi, je conseille la lecture du livre de Randall Hyde à ceux qui, tout en utilisant l'ordinateur ou même en programmant dans des langages « de haut niveau », n'ont jamais pu savoir comment leurs programmes sont traduits en binaire (et donc, comme on dit, « numérisés »), comment sont exécutés les calculs en virgule flottante, comment s'articulent les diverses mémoires (caches, virtuelles etc.), comment sont bâtis les processeurs et jeux d'instructions...

*     *

J'ai séjourné récemment en Dordogne chez un Monsieur qui a dû quitter l'école à quatorze ans pour travailler dans la ferme de son père. Depuis lors, et tout en travaillant la terre, il n'a pas cessé de se former et de se cultiver. La curiosité pour la « petite histoire » l'a conduit à la grande histoire, qui seule permet de comprendre la petite. La pratique de l'agriculture l'a conduit à l'agronomie, la biologie, la chimie. Ainsi, dit-il, « si d'autres sont bac + 5, je suis certificat d'études primaires + 50 ».

Il forme les stagiaires que lui envoient les écoles d'agriculture et s'occupe activement de sa commune, de l'économie et de l'archéologie locales. Il recherche, en se rendant dans les pays d'origine, des plantes utiles peu cultivées en France et donc a priori rentables : il a introduit dans sa région la culture du Kiwi, qui vient de Chine ; il expérimente celle de la baie de Goji, qui vient elle aussi de Chine, et de la Stevia qui vient du Paraguay ; après avoir cultivé plusieurs variétés d'Epiphyllum il se prépare à commercialiser les boutures sur l'Internet.

Oui, il faut oser être autodidacte, n'en déplaise aux cuistres que leurs diplômes recouvrent de la tête aux pieds.

4 commentaires:

  1. Il semble manquer un mot dans cette phrase.

    "C'est une tâche sans fin car l'informatique possède de nombreuses, chacune aussi vaste qu'un continent."

    Par ailleurs, c'est toujours un plaisir de vous lire !

    Cordialement,

    RépondreSupprimer
  2. Merci Michel (ou M. VOLLE, quelles sont les convenances ? :-)), vous lire est toujours un agréable moment d'évasion et de remise en perspective.

    Moi-même autodidacte, j'ai souvent eu affaire à des personnes diplômées d'écoles supérieures plus ou moins prestigieuses, certaines très intéressantes, d'autres moins. De manière générale, les personnes les plus intéressantes que je connais n'ont en commun que le fait d'être curieuses de nature et de se remettre en permanence en question.

    A tout autre propos :

    "De l'informatique" est mon livre de chevet depuis 1 an et je ne cesse de le re-feuilleter et je m'en sors chaque fois grandi.

    Au plaisir de vous lire à nouveau.

    RépondreSupprimer
  3. Courageux billet de la part d'une personne aussi diplômée que Michel Volle qui, contrairement à beaucoup d'autres, ne se sert pas de ses diplômes comme d'un mécanisme de défense.
    Personnellement, je pense qu'il y a une corrélation entre diplômes et compétences, mais qu'il s'agit d'une corrélation faible. Je ne sais pas si Michel Volle, statisticien de métier, a des données sur le sujet.
    Quoi qu'il en soit, et contrairement à ce que pense beaucoup de monde dans notre pays, les diplômes ne font pas l'homme. Le temps est venu de les considérer à nouveau pour ce qu'ils sont : un indicateur, et non une mesure absolue.
    Car de plus en plus, dans notre monde, nous avons besoin de compétences non mesurables, j'entends par là non sanctionnées par un diplôme : empathie, réactivité, sens du service, capacité à innover....

    RépondreSupprimer
  4. Bonsoir,

    Merci pour ce billet et pour l'indication de l'ouvrage de Randall Hyde.
    Je suis moi-même autodidacte en informatique, et si je sens assez bien comment fonctionnent les choses dans ce domaine, il est toujours très bénéfique de les rationaliser et par là, d'approfondir ses connaissances.
    Je n'ai pas terminé la lecture de cet ouvrage mais, même si je trouve le reste de l'ouvrage remarquable de clarté, je regrette l'explication de l'auteur sur le codage des entiers négatifs: il n'aborde le problème que par une voie purement technique et aucunement "mathématique" alors que cela s'avérerait nécessaire: il n'explique ainsi tout simplement pas l'intérêt et l'ingéniosité du codage en complément à 2(^n).
    La page Wikipédia (très claire) vient heureusement à notre rescousse:
    Lien

    Bien à vous.

    Olivier

    RépondreSupprimer