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La Russie vit une période où la densité et l’ampleur des événements sociaux et politiques qui peuvent avoir des conséquences imprévisibles approchent le niveau « révolutionnaire » : cet adjectif est celui qui convient, même si certains peuvent le juger trop emphatique.
La fin de la maladie du sommeil
Après l'émergence d'une classe criminelle et perverse dans les années 1990 on voit émerger maintenant une classe de gens qui, appréciant la liberté individuelle, s’appuient sur leur propre force et leur savoir-faire sans attendre de cadeaux ni de punitions venant d'un « État-Père ».
Parmi eux se trouvent ceux qui ont réussi à monter leur propre affaire dans le commerce et les services (restauration, hôtellerie, tourisme, construction, médecine, éducation etc.), ceux aussi qui travaillent comme managers ou spécialistes de haut niveau dans de grandes entreprises (commerce, informatique, secteurs bancaire et juridique, consulting, automobile avec Toyota, Ford ou Renault etc.).
Le pouvoir et la société on pendant la première décennie du XXIe siècle respecté l'accord suivant :
a) prospérité et sécurité plus ou moins garantie pour les grands fortunes,
b) vie plus ou moins aisée pour les classes moyennes,
c) vie au seuil de la pauvreté mais sans risque de misère pour le reste de la population,
le tout en échange d'un soutien actif ou passif du pouvoir par la société, voire d'une indifférence totale aux affaires politiques et donc en échange de l’absence de ce que l'on nomme « société civile ».
Pour respecter cet accord la population cultivée – celle qui peut grâce à l'Internet résister à la propagande officielle – a dû avaler d'énormes couleuvres. En voici quelques-unes :
1. La mort de centaines de personnes en 1999 dans l'explosion de plusieurs HLM à Moscou et à Volgodonsk. C'est une affaire ténébreuse : les coupables ne sont toujours pas identifiés mais les pistes de l'enquête mènent à l’état-major de campagne de Vladimir Poutine pour les présidentielles.
2. La mort de plusieurs milliers de militaires russes et de centaines de milliers d'indépendantistes et civils tchétchènes lors de la deuxième guerre de Tchétchénie.
3. Le sacrifice des survivants du sous-marin Koursk sous prétexte de « secret d’État » mais en fait pour permettre à quelques officiers généraux de conserver leurs épaulettes.
4. La mort de 200 spectateurs du spectacle « Nord-Ost » à Moscou en octobre 2002, victimes d'un assaut mal organisé après que le pouvoir ait refusé de négocier avec les preneurs d'otage : ces personnes ont été asphyxiées par un gaz dont l’antidote n’a pas été fourni aux médecins sous prétexte de « secret militaire ».
5. La mort en 2004 de centaines d’enfants sacrifiés à la « raison d’État » lors d'une prise d'otage à l’école secondaire de Beslan en Ossétie du nord : l'attaque a été menée au canon et au lance-flammes après que la médiation d'Aslan Maskhadov, qui avait toutes les chances de réussir, ait été refusée parce qu'il était considéré comme un « ennemi de la Russie ».
6. L'assassinat de dizaines de personnalités politiques et journalistes qui avaient osé faire face au pouvoir (Galina Starovoïtova, Sergueï Youchenkov et Anna Politkovskaïa par arme à feu, Alexandre Litvinenko par du polonium 210, etc.).
7. Les attentats terroristes répétés au Caucase et à Moscou (bombes dans le métro, les rues, les aéroports etc.).
8. La guerre de 2008 contre la Géorgie, suivie de la sécession de certains de ses territoires (Abkhazie et Ossétie du Sud).
9. Le racket des grandes et moyennes entreprises par les « forces » (c'est ainsi que l'on nomme les services de sécurité et notamment le FSB, nouvelle appellation du KGB) : ce racket n'est jamais sanctionné par la justice car elle est subordonnée aux « forces ».
Cette liste des crimes commis par le pouvoir et les « siloviki » (« gens des forces ») n'est pas exhaustive.
L'égoïsme étant très répandu, la réaction la plus courante aux horreurs du jour est « cela ne me concerne pas, aucun de mes proches n'habitait les maisons qui ont explosé ni n'était membre de l'équipage du Koursk, les enfants de Beslan ne sont pas les miens, si Mikhaïl Khodorkovski reste en prison je suis libre, je sais comment acheter ou rouler les escrocs du régime en place etc. ».
L'indifférence semble sans limite... et pourtant l'accumulation d'horreurs a fini par laisser une trace dans les consciences. La plupart des gens attendaient un changement au sommet de l’État car Dmitri Medvedev avait éveillé l'espoir d'une évolution. La consternation a donc été générale le 24 septembre 2011 lorsqu'il a annoncé qu'il ne briguerait pas un deuxième mandat : certains ont même prétendu qu'il y avait été contraint un revolver sur la tempe.
Mais le voilà qui arrive tout souriant à la télévision quelques jours après et déclare : « il n'y a pas de quoi s'étonner puisque mon ami Poutine et moi avions planifié cet échange de poste dès ma candidature en 2007 ». Cet aveu cynique, ajouté à la perspective d'un Poutine président à vie, a fait déborder la coupe : l'indignation a alors succédé à la consternation. Les législatives étant proches, les indignés ont décidé de renverser « Russie unie », ce paravent de la « verticale du pouvoir » poutinienne et de la vingtaine d'anciens du FSB et amis personnels de Poutine qui se sont emparés de la Russie.
Comme la commission électorale et le ministère de la Justice avaient refusé en 2010 et 2011 de légitimer les deux partis libéraux et démocratiques, les indignés ont appelé à voter pour n'importe quel autre parti afin d'empêcher « Russie unie » d'atteindre la majorité à la Douma. Finalement « Russie unie » n'a eu que 49,32 % des voix, et encore grâce à une fraude massive : d'après les experts nationaux et internationaux son score réel serait entre 30 et 40 %. Des millions de citoyens ont pu voir sur l'Internet les films tournés par des bénévoles et qui montrent les procédés des fraudeurs.
La dynamique du mouvement
Alors s'est amorcée la dynamique d'un mouvement populaire :
1. le 5 décembre 2011, au lendemain du scrutin, 5 000 manifestants assistent à un meeting de protestation contre la fraude électorale. Une partie d'entre eux se rend après le meeting devant le siège du FSB : quelques leaders sont arrêtés et mis en prison pendant quinze jours, ce qui échauffe davantage les esprits.
2. le10 décembre de 40 à 60 000 personnes participent à un meeting place du Marécage, tout près du Kremlin.
3. le 24 décembre, nouveau meeting avenue Sakharov, avec plus de 100 000 manifestants.
4. le 4 février, les manifestants sont plus nombreux encore place du Marécage.
Tandis que ces manifestations avaient lieu à Moscou d'autres manifestations analogues se déroulaient dans près d'une centaine de villes de Russie.
Le mouvement a été radicalisé par une intervention de Poutine à la télévision pendant quatre heures et demie le 15 décembre. Comme d'habitude, il a répondu à des « questions spontanées de simples citoyens » soigneusement préparées à l'avance. Utilisant un langage aussi vulgaire que celui de la pègre il a dit que les rubans blancs qui servent de badge aux manifestants ressemblaient à des préservatifs, puis il a comparé ces manifestants aux Bandar-Log, les singes stupides du Livre de la jungle de Rudyard Kipling, et il s'est comparé lui-même au python Kaa qui hypnotise les Bandar-Log avant de les avaler. Enfin il a affirmé que chaque manifestant avait été payé 500 roubles (12 €) par les États-Unis.
La colère qui visait « Russie unie » s'est alors tournée contre Poutine. Lui qui bénéficiait au début du siècle du soutien de la majorité a maintenant la mauvaise surprise d'être accueilli par des sifflets et des klaxons lors de ses apparitions en public (voir par exemple ces vidéos : Poutine sifflé quand il apparaît après un match de boxe et aussi Passage du cortège de Poutine dans une rue de Saint-Pétersbourg le 20 janvier 2012).
Le pouvoir personnel de Poutine a donc perdu son prestige dans les grandes villes. Il n'est plus respecté que par l'électoral rural et par la population de petites villes qui dépendent d'une entreprise contrôlée par les autorités et sont à la merci du pouvoir soit en tout 30 à 40 % des électeurs, peu atteints par l'Internet et spectateurs assidus des trois chaînes publiques de télévision qui sous couvert d'information diffusent la propagande officielle.
Les slogans des manifestants sont devenus de plus en plus politiques. Ils réclament l'indépendance de la justice, des médias et de la commission électorale, la libération des prisonniers politiques et détenus économiques victimes du racket, dont Khodorkovski, l'autorisation des partis politiques auxquels un statut officiel a été refusé, l'annulation des résultats de l'élection législative suivie d'une nouvelle élection dans le courant de 2012, ainsi que l'engagement des candidats à l'élection présidentielle à limiter la durée de leur mandat à deux ans.
Les indignés
Qui sont ces indignés ?
Malgré l'émigration de nombreuses personnes bien formées qui ne voyaient aucune perspective en Russie (plus de deux millions en deux ans), l’automne 2011 a montré qu’il en reste beaucoup et qu'elles sont décidées à faire face à la situation du pays. Lilia Shevtsova le dit avec d'autres experts : « le mouvement a été lancé par une classe créative, jeune et instruite qui redécouvre les valeurs d'honneur, devoir et dignité. Il a un style particulier : son contenu est éthique et moral ».
Cette classe moyenne a des idées libérales qu'elle ne peut pas faire valoir parce que le pouvoir a éliminé de l'échiquier politique les partis qui les exprimeraient. Elle a été rejointe dans les manifestations par des mouvements dont l'inspiration est très différente de la sienne, notamment par des partis politiques représentés à la Douma mais eux aussi victimes de la fraude électorale.
Le plus fort d'entre eux est le PCFR (parti communiste de la fédération de Russie) dont le soutien électoral réel est d'environ 20 % et qui est composé de nostalgiques de l'URSS et même de l'époque de Staline (le stalinisme jouit malheureusement d'un regain de prestige, y compris parmi les dirigeants actuels).
Une autre composante gênante des manifestations est le mouvement nationaliste et raciste qui se développe depuis quelques années en réaction à la vague d'immigration provenant des anciennes républiques soviétiques de l'Asie et du Caucase. Enfin viennent des mouvements minoritaires (extrême gauche, écologistes etc.) qui passent des alliances temporaires avec les partis existants.
Un sondage réalisé par l'institut indépendant Levada-Centre pendant le meeting de l'avenue Sakharov a donné les proportions suivantes : 70 % des participants ont des convictions libérales et démocratiques, 23 % sont de gauche ou d'extrême-gauche, 7 % sont nationalistes.
Tandis que les nationalistes forment une minorité active et agressive d'ailleurs souvent manipulée par les siloviki, les 70 % de libéraux-démocrates n'appartiennent pour la plupart à aucun parti : ils sont plutôt dépolitisés et ce qui les unit est l'aspiration à une société plus équitable et plus honnête.
Le même sondage fait apparaître la composition sociale des manifestants : elle contient selon les meetings 37 à 45 % de spécialistes hautement qualifiés, 15 à 16 % de managers des entreprises, 7 % d'ouvriers, 11 à 13 % d'étudiants, le reste étant composé d'enseignants, de personnel médical etc.
Pour le moment ce mouvement composite n'a produit aucun leader. Cependant les meetings avec artistes, musiciens, techniciens du son et écrans géants exigent une infrastructure et une organisation, donc un investissement coûteux qui est financé de façon transparente avec des outils de paiement électronique. En utilisant les réseaux sociaux, un Comité d'organisation a été créé (15 personnes, parmi lesquelles des hommes politiques et des anciens ministres) ainsi qu'une Ligue d'électeurs (15 personnes sans parti : intellectuels, écrivains, artistes et journalistes connus). Ces organisations se réunissent périodiquement et leurs débats sont diffusés en direct sur l'Internet.
Le mouvement fonctionne ainsi sans leader. Les manifestants se disent heureux d'entrer en contact avec des personnes dont les opinions politiques diffèrent des leurs, mais qui partagent la même aspiration à la justice, la vérité, l'honnêteté et la dignité humaine, et sont également désireuses de voir mettre un terme à la fraude électorale.
Une réalité déplaisante
Ainsi les yeux se sont ouverts, mais ce qu'ils voient est déplaisant.
En dehors de la « verticale du pouvoir » les diverses institutions de l’État n'existent guère : le législatif, la justice, le système électoral et les médias sont subordonnés au pouvoir exécutif fédéral, régional ou municipal dont ils exécutent les directives.
L'économie est fondée sur l'exploitation des ressources naturelles, principalement le pétrole et le gaz, et elle dépend donc de leur prix sur le marché mondial. Il se trouve que ce prix est resté élevé pendant les dix premières années du siècle : c'est cela qui a permis d'assurer la stabilité intérieure du pays tandis que les membres de l'équipe dirigeante s'enrichissaient prodigieusement.
Les siloviki et les hauts fonctionnaires se sont entremêlés avec le crime organisé de telle sorte qu'il ne s'agit même plus d'une alliance mais d'une symbiose, d'une pénétration mutuelle. Les « forces », mélange d'anciens du KGB et du PC de l'époque soviétique, organisent et protègent les institutions criminalisées de l’État.
Le nombre réel de Russes milliardaires en dollars est inconnu parce que la plupart d'entre eux sont des siloviki ou de hauts fonctionnaires qui cachent leur fortune dans des comptes multiples enregistrés au nom de tiers (parents, amis, entreprises réelles ou fictives). Leur richesse provient :
- de détournements du budget de l’État (entreprises nationales dans le pétrole et le gaz, fonds de retraite, système de santé, construction, dépenses militaires etc.) ;
- de la confiscation d'entreprises prospères sous des prétextes toujours faux mais toujours confirmés par des tribunaux qui sont aux ordres du pouvoir exécutif.
Cette dernière pratique est devenue courante après l'affaire Ioukos : plus de 10 000 chefs de grandes entreprises attendent leur procès en prison et on estime que le nombre des chefs de PME qui subissent le même sort se situe entre 100 000 et 400 000.
Le schéma de la manœuvre est simple : les fonctionnaires exigent d'un chef d'entreprise le versement d'une part de son chiffre d'affaires. En cas de refus les ennuis s'accumulent : incendies inexplicables, inspections fiscales ou sanitaires brutales etc. Si cela ne suffit pas on propose au dirigeant de lui acheter son entreprise à moitié prix, et s'il refuse on l'arrête sous des prétextes fallacieux. Placé en détention préventive, il attend longuement le procès. S'il ne cède toujours pas, un procès à grand spectacle est organisé et il se conclut par une lourde condamnation. S'il cède enfin, il vend l'entreprise à ses persécuteurs au prix qu'ils ont fixé puis en général il émigre.
On estime que les hauts fonctionnaires se sont appropriés ainsi depuis 2000 une richesse équivalente au tiers du budget annuel de l’État. On connaît les plus grands bénéficiaires du régime en place mais faute de preuve il est impossible de les accuser formellement car des financiers experts les aident à cacher leur fortune. Certains cependant n'ont pas pu se dissimuler entièrement. Voici donc quelques cas bien connus :
- La compagnie Gunvor, qui gère 40% des exportations du pétrole russe, est contrôlée par un ami proche de Poutine et ancien des « forces », Gennady Timchenko. Il a pris la nationalité finlandaise et vit en Suisse où il paie ses impôts. On estime qu'il possède six milliards de dollars.
- Arkadi Rotenberg, ancien sportif professionnel, s’entraînait dans le même club de judo que Poutine dont il est devenu un ami proche. Il est le principal propriétaire du fonds de construction de Gazprom ainsi que de l’industrie des boissons alcoolisées.
- Iouri Kovaltchouk, ami de longue date de Poutine, est actionnaire majoritaire des principaux journaux et chaînes de télévision et il préside le comité de direction de la grande banque « Russie » qui gère les sombres affaires des membres de l'équipe dirigeante.
Les scénarios possibles
L'ampleur des manifestations a pris le pouvoir par surprise mais il s'est vite ressaisi et il a adopté une tactique qui associe la ruse, la menace et la confrontation dans la rue.
Poutine a refusé les pourparlers que lui suggérait Alexeï Koudrine, l'ancien ministre des finances récemment limogé. Il a réagi d'abord par des demi-mesures et par des promesses à l'échéance incertaine.
Par ailleurs, et parallèlement au meeting de la nouvelle opposition le 4 février à Moscou, le pouvoir a organisé un « meeting contre la révolution orange » (la « révolution orange », c'est celle des Ukrainiens qui en 2004 ont protesté contre la fraude à l'élection présidentielle puis renversé le pouvoir en place).
L'affaire a été menée selon la méthode soviétique : dans tous les services de l’État (hôpitaux, écoles et universités, services municipaux) les employés ont été forcés de participer au meeting officiel par des menaces de licenciement et de sanctions financières, ceux qui habitaient des villes plus ou moins éloignées de Moscou bénéficiant d'un voyage gratuit, d'un congé payé de 2-3 jours et de quelque argent de poche.
Des centaines d’autobus ont transporté des dizaines de milliers de personnes afin de monter à l’opinion publique que ceux qui soutiennent Poutine sont les plus nombreux, et aussi dans un but plus insidieux et plus dangereux : opposer les « simples gens » qui vivent modestement et sont traditionnellement conservateurs (ruraux et habitants des petites villes, dont la seule source d’information est la télévision) à la population citadine plus aisée, plus libre et plus avancée politiquement.
Lors du meeting officiel la parole a été ainsi donnée aux propagandistes du régime à la télévision officielle (Sergueï Kourguinian, Alexandre Douguine, Maxime Chevchtenko et autres) qui se proclament « vrais patriotes », brûlent de haine contre les libéraux et les démocrates et crient : « gare aux États-Unis, gendarme mondial qui veut anéantir la Russie, gare à l'Occident qui finance les révolutions oranges ! ».
Ainsi Poutine s'appuie pour conserver le pouvoir sur des slogans isolationnistes et anti-occidentaux, et il est prêt à opposer la partie la plus conservatrice de la population à une autre, créative et active. La confrontation dans les rues à Moscou et dans d'autres villes est possible, elle sera peut-être provoquée par des bonzes désireux de conserver leur poste.
Ils n'oseront sans doute pas utiliser la force militaire parce que l'armée et même les « forces » sont travaillées par une scission déjà perceptible : il s'y trouve peu de cadres qui soient résolus à suivre l'équipe de Poutine jusque dans l'abîme. Le clan dirigeant est lui-même divisé car le plus grand souci de ses membres est de préserver la richesse qu'ils ont placée un peu partout dans le monde pour pouvoir en jouir par la suite : d'après certaines estimations, les hauts fonctionnaires et les siloviki détiennent 500 milliards de dollars dans les seules banques américaines.
L'élection présidentielle aura lieu le 4 mars 2012. Poutine ne peut pas se permettre de ne pas redevenir président : pour lui et son équipe c’est une question de survie, et pas seulement de survie politique. On peut donc prévoir que la fraude fonctionnera une fois de plus sans à-coup et que Poutine sera élu après une comédie d'élection.
Mais ce sera une victoire à la Pyrrhus car elle ne fera que retarder un peu la chute de l'équipe de Poutine. Dès sa nouvelle investiture celui-ci sera en effet confronté à une situation très difficile : outre sa perte de légitimité et la pression croissante de la nouvelle opposition des épreuves économiques attendent ce pays qui s’appuie essentiellement sur ses ressources naturelles. Des sommes colossales ont déjà été promises à l’industrie d’armement et aux « forces » (armée, sécurité, police). La fuite des capitaux et des cerveaux s'accélèrera. Les Jeux olympiques et le Mondial de foot exigeront des investissements énormes, dont presque la moitié sera immédiatement volée par des sous-traitants proches de Poutine.
A ces problèmes viendront s'ajouter les effets d'une crise globale : il sera impossible de maintenir le niveau de vie des employés de l’État, de payer les retraites sans abaisser les pensions ou augmenter l’âge de la retraite. Les économistes - notamment l’ancien ministre des finances Koudrine - estiment qu'une crise de paiement éclatera dans un à deux ans même si le prix du pétrole reste à 120 dollars le baril. Si ce prix tombe en dessous de 90 dollars la chute du régime sera encore plus rapide.
Les alliés de l’équipe dirigeante déserteront alors le camp de Poutine car ils ne voudront pas perdre leurs richesses tandis que par ailleurs de larges couches populaires se rapprocheront de la classe moyenne urbaine. La perte de légitimité s'étendant de la personne de Poutine jusqu'à toutes les branches du pouvoir, la survie du régime sera impossible.
Vladimir Sterkh, Moscou, 23 février 2012
Nota Bene : Lors de son intervention à la manifestation de Saint-Pétersbourg le 25 février (vidéo en russe) Alexeï Navalny a appelé à une « révolution de velours sans violence » et accusé Poutine d'avoir volé dès le début de sa carrière politique en 1992 à Saint-Pétersbourg en profitant du programme « produits d’alimentation contre métaux non ferreux et hydrocarbures ». Cet homme au charisme évident a toutes les chances de devenir une figure de premier plan dans le mouvement d'opposition.
comme d'habitude les représentants de l'orientation zapadniki parlent au nom du peuple, en voulant faire oublier et en oubliant que le peuple russe dans sa majorité veut plus de social et plus de dignité nationale face à l'ingérence économique et politique occidentale. Ce qui explique le soutien à Poutine dans une grande partie du pays, hors Moscou et St Pétersbourg, et le fait que la seule opposition solidement implantée dans le pays ce sont les communistes dont aucun Occidental ne parle autrement que pour les caricaturer. Et les zapadniki russes préfèrent flatter ces Occidentaux plutôt que d'écouter leur pays réel. Au moment où l'Occident tombe en loques les Russes regardent vers le monde émergent d'Asie et ils savent qu'ils sont en Eurasie.
RépondreSupprimer@Anonyme
SupprimerL'opinion que vous exprimez est me semble-t-il celle des partisans de Poutine.
Pour que les autres lecteurs puissent vous comprendre : les "zapadniki" sont ceux des Russes qui, contrairement aux slavophiles, estiment que la Russie devrait adopter les méthodes économiques et la culture de l'Occident.
Il me semble qu'il manque quelque chose dans l'analyse de Vladimir Sterkh : il ne dit pas qui sont ces russes qui manifestent contre Poutine. Rappelons les résultats des élections :
RépondreSupprimer- Russie unie : 49,3%
- le Parti communiste (KPRF) : 19,2%
- le Parti libéral-démocrate (LDPR) 12,0% :
- Russie Juste 13,25%.
Ce qui apparaît, c'est que le parti communiste double ses voix et apparaît comme la force d’opposition la plus crédible par rapport à Poutine. Les deux autres partis qui bénéficient à un degré moindre de l’effondrement de Russie Unie sont LDPR (libéral-démocrate mais très nationaliste) et Russie juste (jusqu’ici proche de Russie unie mais plus à gauche et qui depuis les élections locales s’est rapproché du parti communiste). Ce qu'il faut donc souligner, c'est le coup de barre à gauche. Le mécontentement des Russes est plutôt orienté vers une contestation de l’inégalité et des difficultés sociales. On peut également noter que cette demande d’égalité et de changement constitue aussi un renforcement du patriotisme puisque le parti communiste s’inquiète depuis des années devant la menace des Etats-Unis et l’inertie du pouvoir par rapport à celle-ci. Là nous avons le troisième point important celui d’un contexte international préoccupant dans lequel la Russie s’estime de plus en plus directement menacé par l’OTAN. A la veille de ces élections, il y a eu des déclarations de Medvedev et l’annonce de décisions touchant à la défense qui insistaient sur cette menace et proposait des mesures de Défense pour y faire face. On pourrait penser qu’il y avait là une tentative de rassembler autour du pouvoir mais c’était aussi rejoindre les mises en garde des communistes. Encore une chose que nous ignorons en Occident l’influence des communistes en matière de politique internationale.
Hoang De
@Hoang De
SupprimerN'oubliez pas que les 49,3 % de "Russie unie" ont été obtenus par la fraude, le vrai pourcentage se situant entre 30 et 40 %...
Le mot "communiste" recouvre des comportements très divers. J'ignore ce que sont aujourd'hui les "communistes" russes, mais ils diffèrent certainement de ce que furent les "communistes" du PCUS qui étaient eux-mêmes très différents des "communistes" du PCF. Que l'on se rappelle aussi le conflit entre le PCUS et le PCC !
Pour analyser "l'influence des communistes en matière de politique internationale" il faut tenir compte des différences et conflits entre PC : le "communisme" n'est pas un monolithe...
@Michel Volle,
SupprimerCes élections ont donné lieu à de nombreuses irrégularités, ce qui a minimisé la représentation de l'opposition particulièrement l'opposition communiste. Mais ce n'est pas nouveau, les fraudes électorales ont toujours existé : bourrage des urnes avec de faux électeurs; pressions en tout genre; diffamation; etc. Les Russes sont conscients de ce phénomène, mais préfèrent envisager une évolution par les urnes qu’un "printemps arabe" qui menaçait comme une révolte tant l’exigence d’un changement. Ce qui est nouveau que les Russes n'acceptent pas, c'est la réprobation des dirigeants occidentaux. Mme Clinton a affirmé que ces élections n’étaient “ni libres ni justes”. Réponse de la diplomatie russe : “Les propos de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton sur les élections législatives en Russie, ainsi que les commentaires similaires des représentants de la Maison Blanche et du Département d’Etat américain sont inacceptables”. Les Russes savent bien que les fraudes électorales existent aussi aux Etats-Unis. Le système américain d’élection est tellement fermé qu’il est quasiment impossible d’être élu si vous n’êtes pas désigné par les vrais maîtres (financiers, médias, think-thank, etc). Le pouvoir actuel russe ne fait qu'imiter les Américains.
Sur le communisme, il y a de grande mutation. Electeurs et adhérents ne sont plus seulement des vétérans mais le parti communiste de la fédération de Russie attire une partie de la jeunesse confrontée à une stagnation sans perspective et un mouvement de la société en général et de ceux que l’on définissait comme les couches moyennes vers l’exigence d’une société plus juste. Le fait caractéristique est bien qu’en voulant marquer leur opposition ils ont considéré que le parti communiste était ce qui leur paraissait comme le plus crédible quoiqu’en disent les commentaires occidentaux. il y a eu trés peu de dispersion. Nous avons donc un choix électoral qui s’exerce par rapport à une présence sur le terrain et une perspective. Tous les efforts faits pour déconsidérer le communisme se heurtent à cette réalité.
Hoang De
Votre "ami moscovite" ne s'appelle t-il pas M. McFall, par hasard ?
RépondreSupprimerJe suis une russe, et je vous dis :
On n'en a rien a f... faire de ce que pensent les français de nous, ni de Poutine !
Vos balivernes, vous pouvez vous les mettre là ou je pense !
Nous avons élu et réélu Poutine pour son bilan, qui est excellant !
Avec vos bla-bla bêtes contre Poutine, vous allez vous consoler, quand vous verrez, enfin, dans quel état de m...caca la France se trouve !
ANNA
@ANNA
SupprimerCe commentaire donne une idée de la qualité humaine et du niveau intellectuel des partisans de Vladimir Poutine. Merci.
Ce texte fait réfléchir sur ce qui se passe vraiment en Russie
RépondreSupprimermerci pour ces conseils !
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