mardi 14 janvier 2014

La parole engage une responsabilité

L'affaire Dieudonné invite à s'interroger sur la liberté d'expression.

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Un de mes amis respecte tellement la liberté d'expression qu'il s'estime libre, dit-il, de penser et de dire que la Terre est plate.

Mais penser et dire n'importe quoi, c'est tourner le dos à la science expérimentale. Je doute d'ailleurs qu'il dise que la Terre et plate lorsqu'il parle à ses enfants : ce serait de bien mauvaise pédagogie.

La liberté de pensée ne peut s'exercer que si elle respecte les exigences intimes du réalisme, de la pertinence et de la cohérence. Nier ces exigences, c'est supprimer la colonne vertébrale qui assure la tenue de la personne : c'est du laisser-aller.

Un laisser-aller apparent a pu être courageux dans des époques où la société était corsetée par un conformisme étroit, où il fallait aller à la messe chaque dimanche pour appartenir au bon milieu, où chacun devait s'habiller conformément à son statut social : on peut comprendre la rage qui a animé les surréalistes.

Mais nous n'en sommes plus là. Ce qui était naguère l'attitude courageuse d'un petit nombre de révoltés est devenu un nouveau conformisme : les conformistes d'aujourd'hui prennent la pose du rebelle alors que tout risque de réprobation a disparu.

Un de mes amis parle ainsi de la « grandeur de la folie » : il ignore certainement la profonde misère du malade mental, mais il juge élégant de se ranger parmi les personnes « cultivées » qui croient à la lettre tout ce qu'ont écrit les surréalistes. La même tournure d'esprit inspire le spectacle intitulé « c'est assez bien d'être fou » qui tourne ces jours-ci dans nos provinces. Dans les revues de mode des adjectifs « détraqué », « déjanté » sont autant d'éloges, l'admiration va à des « créateurs » manifestement déséquilibrés comme John Galliano.

La révolte antérieure est devenue un conformisme tellement pesant qu'il appelle une nouvelle révolte. Il faut se révolter aujourd'hui contre le laisser-aller, il faut un retour aux vertus que recommandait Epictète : dignité, réserve, droiture. Il faut cultiver l'exigence intime d'une tenue de la pensée et du corps.

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Lorsqu'un Dieudonné chante les louanges de Pétain, promeut des négationnistes et tourne en dérision l'extermination des juifs par les nazis, il réveille une des hontes de notre nation : la loi du 3 octobre 1940 portant statut des juifs et ce qui s'en est suivi. Notre nation porte aussi d'autres hontes : participation à la traite des noirs, colonialisme, pratique de la torture pendant la guerre d'Algérie, excès du nationalisme, etc.

Aucune de ces hontes ne prête à rire, aucune ne peut donner matière aux plaisanteries d'un chansonnier : il faut plutôt s'appliquer à comprendre leurs causes et à les méditer de sorte que nous puissions dans le futur contenir celles de nos tendances qui les ont suscitées.

Les avocats, toujours soucieux de défendre la liberté de leurs clients, protestent contre la circulaire de Manuel Valls et la décision du conseil d'Etat. N'étant pas avocat mais simple citoyen, j'approuve que le pouvoir exécutif se soit engagé pour défendre notre République, que Dieudonné tentait de blesser.

9 commentaires:

  1. Bonjour,

    De temps en temps, je lis vos articles avec intérêt, ils sont généralement instructifs et je suis souvent d'accord avec vous... mais pas cette fois-ci.

    Je vous invite à laisser de côté vos préjugés et à vous documenter sérieusement sur Dieudonné (voir par exemple les nombreux articles et commentaires qui traitent de ce sujet sur Agoravox.fr). Vous constaterez que Dieudonné est très loin d'être le "facho" décrit par les médias et le gouvernement (qui ont délibérément et grossièrement déformé les faits) et qu'il est victime d'une répression tout à fait anormale et indigne de "notre République".

    Que l'on aime ou pas son humour satirique et provocateur, que l'on approuve ou non ses positions politiques, il ne mérite absolument pas un tel acharnement. Vous remarquerez que Dieudonné compte parmi ses soutiens dans cette affaire de nombreuses personnes cultivées, réfléchies, modérées, fort bien informées et tout à fait républicaines.

    En espérant que vous suivrez mon conseil...

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    1. Je m'attendais à ce genre de commentaire.
      Je ne conçois pas comment des personnes "cultivées, réfléchies, modérées, bien informées et républicaines" peuvent soutenir quelqu'un qui fait l'apologie du négationnisme et qui trouve dans l'extermination des juifs un sujet de plaisanterie.

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  2. Ce qui est en jeux dans la circulaire de Valls c'est la primauté de l'exécutif sur celui de la justice. C'est à la justice de dire si les propos de ce monsieur sont conformes ou non à la loi (il a été condamné plusieurs fois et c'est à la police de faire exécuter les décisions de justice). Je ne pense pas que c'est à la police de dire ce que je dois penser ou plutôt de me dire comment je dois penser.

    Gérard

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    1. La justice s'est prononcée : d'abord au tribunal administratif, puis au conseil d'Etat. La circulaire a été l'amorce de ce processus salubre.

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  3. Vous ne le concevez pas parce que vous estimez qu'on ne peut pas rire de tout, c'est votre opinion, mais d'autres personnes tout à fait sensées aiment l'humour noir et préfèrent rire sur des sujets qui dérangent plutôt que sur le quotidien.

    La vraie question n'est pas qu'on apprécie ou non l'humour de Dieudonné (certains de ses plus farouches défenseurs le trouvent par ailleurs d'un goût douteux), ni qu'on trouve pertinentes ou non ses réflexions politiques (dénonçant notamment l'influence excessive du lobby sioniste, mais ce n'est qu'une facette de sa pensée).

    Ce qui est choquant dans cette affaire, c'est la déformation systématique des propos et des actes de Dieudonné par les médias aux mains de lobbys puissants, l'acharnement du gouvernement qui veut à tout prix le censurer, l'absence totale d'équité de traitement entre Dieudonné et ses détracteurs, l'acharnement sur cette personne tandis qu'on passe sous silence toutes sortes d'actes et de paroles plus que choquants, tant qu'ils ne chatouillent pas les amis du pouvoir.

    Je maintiens que l'affaire Dieudonné est révélatrice d'une dérive inquiétante, profondément anti-républicaine de la part de nos dirigeants politiques et financiers, soutenus par de puissants médias qu'ils contrôlent totalement.

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    1. Vous êtes donc de ceux qui pensent que l'on a le droit de dire n'importe quoi, de rire de n'importe quoi. J'estime pour ma part que la parole et le rire engagent une responsabilité.

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  4. Bonjour,

    D'accord avec vous, on ne peut pas rire de n'importe quoi. Ce qui me semble important c'est de comprendre pourquoi Dieudonné a tant de succès. Si on écoute ceux qui le soutiennent, il y a aussi une forme de sacralisation de la Shoah qui n'est qu'une façon de la nier et d'oublier qu'elle est l'aboutissement extrême d'une idéologie.

    Il y a aussi une impression de deux poids deux mesures : "La Shoah, on en a mangé jusqu'à la terminale. Le génocide rwandais, je n'en ai pas entendu parler". Moi, je suis pour la censure de Dieudonné, à travers une réflexion, pas à travers cette fureur médiatique qui nous impose une vision dogmatique du monde. D'ailleurs, on nous dit que faire une «quenelle», c’est «contraire aux valeurs et principes». Mais montrer ses seins et mimer un avortement sur l’autel de la Madeleine, c’est parfaitement normal et rentre dans le champ de la liberté d’expression. C'est cette dissymétrie qui me surprend !

    Encore une dernière remarque avec le général Aussaresses. On sait que c'est un tortionnaire qui a tué et torturé sans état d’âme. Il a été condamné non pour ce qu’il avait fait mais pour ce qu’il avait osé dire, la vérité sur les méthodes françaises dans la guerre d’Algérie... Allez comprendre...

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  5. Une petite précision : je suis l'Anonyme qui a rédigé les commentaires du 17/01 à 01:21 et du 18/01 à 11:05. A l'avenir, si je poste d'autres commentaires, je préciserai mon prénom : Pierre-Henri.

    Le commentaire ci-dessus du 21/01 à 05:54 provient d'un autre Anonyme... avec lequel je suis d'accord, sauf quand il approuve le principe de la censure de Dieudonné.

    A propos du "deux poids, deux mesures", qui est le point essentiel de cette affaire, parce qu'il est la négation même de la notion de Justice, je pourrais citer de nombreux exemples flagrants, mais je me contenterai d'un seul : aucun officiel ni aucun "grand journaliste" n'a trouvé anormal que Philippe Tesson déclare publiquement à propos de Dieudonné : "Sa mort par exécution par un peloton de soldats me réjouirait profondément. C'est, pour moi, une bête immonde. Donc qu'on le supprime, c'est tout !".

    Pierre-Henri

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    1. Tesson a 85 ans, ça explique peut-être cet excès inexcusable. J'ignore si les journalistes que je lis méritent d'être qualifiés de "grands", mais je vois qu'ils sont tous consternés. Il n'y a donc pas en l'occurrence deux poids et deux mesures.

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