« Plus on automatise, plus le besoin de rapports humains se fait sentir » : j'ai dit cela en parlant du secret de l'iconomie. Une amie m'a fait observer que cette affirmation avait besoin d'être argumentée.
Beaucoup d'entreprises sont tentées d'automatiser la relation avec leurs clients. Lorsque nous les appelons au téléphone, nous tombons sur un automate vocal qui invite à appuyer sur diverses touches pour choisir le service avec lequel nous souhaitons parler. Lorsque nous rencontrons un agent derrière un guichet, un conseiller dans une agence, il arrive que sa relation avec nous soit limitée par ce que « l'ordinateur » lui permet de faire : cet être humain n'est plus à ce moment-là, en face de nous, que le porte-voix d'un automate.
Les entreprises qui agissent de la sorte ne surestiment-elles pas l'efficacité de l'informatique, ne ratent-elles pas quelque chose d'essentiel ?
Certes la relation entre un être humain – en l'occurrence, le client – et un automate permet un certain nombre de choses : nous le voyons lorsque nous consultons un site Web, remplissons un formulaire, etc. Mais la relation entre cet être humain et un autre être humain permet d'autres choses, qui complètent utilement sa relation avec l'automate.
Le langage naturel par le canal duquel passe la conversation entre deux êtres humains est puissamment suggestif car il entoure chaque mot d'un halo de connotations. Cela permet aux interlocuteurs de se comprendre à demi-mot, chacun traduisant dans son propre vocabulaire ce que l'autre a dit.
La conversation, si l'on peut dire, entre un être humain et un automate est par contre contrainte par un vocabulaire restreint et dépourvu de connotation : un automate ne comprend rien à demi-mot. Les actions qu'il exécute ont d'ailleurs été programmées par un être humain qui ne pouvait pas prévoir tous les incidents, tous les cas particuliers auxquels la relation avec les clients confronte une entreprise.
L'« intelligence à effet différé » que le programme incorpore doit donc être complétée, pour que l'entreprise puisse répondre à toutes les situations qu'elle rencontre, par l'« intelligence à effet immédiat » d'un être humain responsable, doté de discernement et capable d'initiative. C'est le secret du plein-emploi dans l'économie informatisée : la différenciation des produits (notamment des services) qu'implique la concurrence monopolistique suppose d'enrichir la relation avec les clients.
On comprend cependant pourquoi les entreprises informatisent à outrance : elles supposent que leurs agents ne sont pas capables d'initiative, qu'ils ne sont pas dotés de discernement et qu'il ne convient donc pas de leur déléguer une responsabilité. Elles préfèrent les assujettir à un automate qu'elles jugent plus fiable. Ce faisant elles se privent de la souplesse du langage naturel, de la capacité de comprendre des cas particuliers, de répondre à des incidents imprévisibles.
Tout se passe comme si elles avaient postulé que le monde de la nature, dans lequel ses clients vivent et ses équipements fonctionnent, pouvait être décrit et maîtrisé à l'aide d'un nombre fini de concepts, seul susceptible d'être incorporé dans un programme. Or le monde de la nature est d'une complexité illimitée et l'activité routinière, qui se contente habituellement d'un nombre fini de concepts et qui est programmable, rencontrera tôt ou tard une des surprises que la nature tient en réserve.
Plus on automatise, plus il faut donc être averti du besoin d'une intervention humaine qui assurera l'interface entre l'entreprise et le monde de la nature, sa relation avec ses équipements et ses clients – et aussi d'ailleurs avec ses agents, ses partenaires, ses fournisseurs.
Les entreprises qui, ignorant cela, idéalisent l'automatisation au point de réduire leurs agents au rôle d'un auxiliaire de l'automate, s'exposent à commettre des erreurs et, en particulier, à exaspérer leurs clients. Ils fuiront : elles feront faillite, ce ne sera que justice.
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