« Pour qu'une entreprise réussisse son informatisation ou, comme on dit, sa transformation numérique, cela dépend essentiellement de son dirigeant, or les dirigeants n'y comprennent rien », dit un autre.
« La créativité ne se rencontre que dans les startups, les PME, les grandes entreprises sont toutes des cas désespérés, dans vingt ans la plupart d'entre elles n'existeront plus », dit un troisième.
J'éprouve, comme tout le monde, de la sympathie pour les startups, PME et autres ETI en croissance, mais n'a-t-on pas tort de renoncer à l'amélioration des grandes entreprises ? Certes, ce sont des cas difficiles : elles sont emmaillotées dans leur histoire, leurs traditions, il leur est difficile de redéfinir leur mission, de remodeler leur organisation. Mais envisageons-nous vraiment de laisser sombrer Total, Carrefour, Axa, PSA, EDF, Orange etc., avec tous les dégâts qui en résulteront ? N'y a-t-il donc rien à faire pour les sauver ?
Le classement habituel des entreprises selon le chiffre d'affaires ou le nombre de salariés ne rend d'ailleurs pas un compte exact de leur complexité. Une entreprise de « matière grise » qui emploie 200 personnes est classée parmi les PME alors que la complexité qu'elle présente à son dirigeant équivaut à celle d'une entreprise de main d’œuvre qui emploie au moins 10 000 personne : son dirigeant possède une expérience, une intuition, dont une grande entreprise pourrait bénéficier.
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Si la réussite d'une grande entreprise dépend essentiellement de son dirigeant et s'il se trouve que les dirigeants ne comprennent rien à l'informatisation, il faut se demander comment ils ont été choisis.
Tout se passe comme si les conseils d'administration formaient un milieu spécial dont l'homogénéité se conforte par la cooptation. Pour entrer dans ce milieu il faut présenter certaines caractéristiques sociales : s'habiller, parler, se tenir à table, de la façon qui convient. Appartenir à quelque « grand corps » de l’État, y avoir tissé des relations utiles aide aussi. Rien de tout cela ne garantit cependant que l'on possède le « coup d’œil » du stratège, ni moins encore une intuition exacte du phénomène de l'informatisation.
Il est étonnant de voir avec quelle absence de scrupule les spécialistes du droit administratif que forme l'ENA, et de façon générale ceux qui peuplent les « grands corps », s'installent à la tête d'une grande entreprise alors qu'ils ne savent même pas ce qu'est une entreprise : il ne faut pas s'étonner si cela ne donne pas de bons résultats.
Mais cela ouvre la perspective d'une relève de notre classe dirigeante. Les patrons de startups, de PME innovantes, forment un vivier de compétences. Ils ont appris, à la dure, ce qu'est une entreprise. On objectera, certes, qu'ils n'ont connu que la petite entreprise et que cela ne les prépare pas à diriger une grande entreprise, mais pourquoi y seraient-ils moins bien préparés que ne l'est un inspecteur des finances qui attend, dans un bureau de Bercy, qu'on le propulse à la tête d'une grande entreprise dont il ne connaît rien ?
Puiser dans le vivier des dirigeants de startups et de PME innovantes est d'autant plus judicieux que ceux-là, au moins, ont une connaissance intuitive de l'informatisation dans toutes ses dimensions techniques et sociologiques, et qu'ils seront donc capables d'orienter la grande entreprise vers l'iconomie malgré le poids de ses habitudes et de ses traditions.
La première étape sera de faire entrer ces dirigeants-là dans les conseils d'administration où ils pourront apporter leur expérience : il paraît qu'elle est déjà entamée. La deuxième, cruciale, sera de les nommer à la tête des grandes entreprises, d'organiser une grande relève dans le milieu des dirigeants.
Ne laissons pas en place une classe dirigeante dont tout le monde sait que l'on ne peut rien attendre !
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