J’ai créé des entreprises de conseil dans les années 1990. J’ai vu alors de grandes entreprises s’informatiser à reculons : la plupart des dirigeants méprisaient l’informatique, les silos de l’organisation hiérarchique s’opposaient à la cohérence des données comme à la cohésion des processus.
C’est encore le cas aujourd’hui. En témoignent l’échec de Louvois aux Armées, de SIRHEN à l’éducation nationale, de l’Opérateur national de paie au Budget. On connaît ces catastrophes-là parce que la Cour des Comptes publie ce qui se passe dans les institutions publiques ; d’autres catastrophes se produisent dans les entreprises privées mais elles préfèrent ne pas en parler.
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Le fait est que l’informatique est devenue la technique dominante de notre époque. Elle fait émerger la société numérique, être organique dont les diverses dimensions (technique, économie, institutions, sociologie des pouvoirs, psychologie des personnes, intentions et valeurs) obéissent chacune à sa logique propre tout en échangeant avec les autres. Cet être, j’ai voulu le comprendre puis l’exposer de la façon la plus claire et la plus simple.
Focaliser son attention sur un être organique oblige à sortir du « petit monde » que délimite une spécialité pour situer la chose que l’on considère dans le « grand monde » où toutes les disciplines se frottent l’une à l’autre. J’ai donc dû sortir de mes spécialités (statistique, histoire, économie) pour acquérir les concepts, le langage et les axiomes d’autres disciplines (télécommunications, informatique, organisation, philosophie, etc.).
Celui qui arrive dans une nouvelle spécialité est naturellement bizuté par les spécialistes : on a beau dire, l’interdisciplinarité n’est jamais la bienvenue. Des personnes exceptionnelles sont cependant bienveillantes envers l’immigré : je dois beaucoup à François du Castel, Pierre Musso, Michèle Debonneuil, Dominique Henriet, Patrick Badillo, Philippe Penny, Christophe Talière, Michel Rambourdin, Francis Jacq, Jacques Printz, Laurent Bloch, Maurice Nivat, Laurent Faibis, Jean-Pierre Corniou, Vincent Lorphelin, et à d’autres trop nombreux pour que je puisse les citer tous. Je dois aussi beaucoup aux auteurs que j’ai étudiés assidûment : Andrew Tanenbaum, Donald Knuth, Harold Abelson et Gerald Sussman, Niklaus Wirth, Gilbert Simondon, etc.
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Ceux dont la pensée se focalise sur une chose qui leur est extérieure n’accordent pas d’importance à leur Ego : la notoriété et la carrière leur étant indifférentes, beaucoup de personnes les trouvent étranges et les jugent incompréhensibles.
Des essayistes superficiels mais habiles à conquérir la notoriété entourent le phénomène de l’informatisation d’un brouillard sensationnel (que l’on pense à ce qui se publie à propos de l’intelligence artificielle). Je n’envie pas leurs succès mais ils me contrarient parce que ce qu’ils diffusent retarde l’échéance de la maturité de notre société.
Mes travaux ont pour but d’aider cette société à mûrir sa compréhension de ce phénomène. Il se peut qu’ils soient utilisés après ma mort ou qu’ils sombrent dans l’oubli : je n’en sais rien. La seule chose qui dépende de moi, c’est de faire mon devoir en publiant ce que j’ai compris, seul ou avec d’estimables collègues qui se dévouent eux aussi à cette recherche.
J’ai donc décidé en 1998 de tout publier sur le Web de sorte que le lecteur de bonne foi puisse vérifier, corriger et prolonger mon travail comme il l’entend. Quelques personnes – des chercheurs, des professeurs, des ingénieurs – ont dit que l’un ou l’autre de mes textes avait contribué au développement de leur pensée, à l’efficacité de leur action : cela récompense amplement mes efforts.
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