mercredi 8 avril 2020

La crise et comment en sortir

Pour comprendre la crise actuelle, il faut d’abord voir que ce n’est pas une crise économique.

L’origine d’une crise économique se trouve dans l’économie : une ressource naturelle fait défaut (crise pétrolière), le potentiel du système technique est épuisé (crise systémique), la spéculation a détruit la crédibilité des créances (crise financière), la confiance dans la monnaie s’est dissipée (crise monétaire), etc. Souvent une crise économique comporte plusieurs de ces dimensions.

On peut juger l’économie actuelle fragile sous certains de ces aspects mais le fait est que ce n’est pas eux qui ont déclenché cette crise. L’origine de la crise présente ne réside ni dans les ressources naturelles, ni dans le système technique, ni dans les créances, ni dans la monnaie.

L’origine de la crise présente est sanitaire.

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Elle a cependant des conséquences économiques. L’INSEE estime que 35 % du système productif sont à l’arrêt1, ce taux variant d’ailleurs fortement d’un secteur à l’autre (certaines activités sont à l’arrêt complet, d’autres travaillent au contraire à plein rendement). Il reste que l’économie fonctionne à 65 % de ses capacités : ce n’est pas nul, contrairement à ce que l’on entend parfois dire, mais le choc est sévère.

Comme toute crise, celle-ci a eu un début et elle finira lorsque sa cause aura disparu : elle durera le temps de l’épidémie, c’est-à-dire encore quelques semaines. Il ne faut pas avoir la vue courte : la situation actuelle n’est pas faite pour durer. Il faut résister à la tentation de la myopie.

La crise aiguë aura cependant laissé des traces. La logistique des flux qui ont été bloqués et les processus de production interrompus devront redémarrer. Cela demandera un certain délai.

Cependant les ressources sont toujours là. Avec tout le respect qui est dû aux personnes qui ont perdu des proches, on peut dire que la démographie n’aura pas été atteinte de façon significative : les compétences seront pratiquement intactes, les organisations ne sont pas compromises.

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La plus grave des conséquences de la crise sanitaire sera la dégradation de la trésorerie des entreprises. Les ménages auront relativement peu souffert grâce aux mesures de soutien aux revenus (chômage partiel, indemnités, etc.). Par contre les entreprises qui ont été contraintes de ralentir ou cesser leur activité (mécanique, BTP, transport aérien et chemin de fer, restauration, tourisme, etc.) auront dû couvrir leurs dépenses récurrentes sans pouvoir faire de recettes.

Nous risquons donc une épidémie de faillites d’entreprises par ailleurs saines, mais incapables de supporter un tel choc.

Il ne faudra pas jouer à la « destruction - création » schumpeterienne. On peut lorsque l’économie est dans son régime normal croire aux vertus brutales de la sélection naturelle, qui supprime des entreprises inefficaces, mais l’épidémie est une situation exceptionnelle et les entreprises qui se trouvent aujourd’hui en danger ne sont pas nécessairement des entreprises inefficaces.

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La stratégie consiste toujours, comme le disait Hjalmar Schacht2, à concentrer les efforts sur la priorité qu’impose la situation.

La stratégie présente consiste à lutter pour préserver la santé de la population, limiter le nombre de victimes, réduire la durée de l’épidémie : toute autre considération, notamment économique et financière, doit alors passer au second plan.

Lorsque l’épidémie sera terminée l’économie deviendra la priorité et le principal problème, une fois surmontées les difficultés du redémarrage qui ne devraient pas durer plus que quelques jours ou semaines, sera celui que pose la trésorerie des entreprises.

Nous faisons tout en ce moment pour empêcher des personnes de mourir. Il faudra tout faire pour empêcher des entreprises de mourir.

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L’État aura ici un rôle important, car il est le seul acteur capable d’agir sur l’ensemble de l’économie. Cette action aura un coût : elle entraînera un accroissement de la dette de l’État qui est déjà jugée trop élevée.

Il ne faut pourtant pas hésiter. La priorité stratégique est de préserver le système productif, les entreprises, car elles sont la source de la richesse du pays. Si l’État refusait de s’endetter davantage et laissait le système productif se dégrader, il se rendrait incapable d’honorer sa dette actuelle.

Il faut donc qu’il emprunte, mais intelligemment. La dette n’a pas les mêmes conséquences selon qu’elle est contractée auprès de l’étranger ou auprès des nationaux : la dette de l’État japonais est de l’ordre de 250 % du PIB du Japon et cela n’altère pas sa crédibilité car les créances sont entre les mains des Japonais.

La France a adopté, lorsque Bérégovoy était ministre des Finances, une politique d’emprunt sur le marché international. Ses créanciers sont des fonds de pension et autres institutions du même genre, susceptibles de réclamer une hausse de taux en cas de difficulté ou de refuser le renouvellement d’un prêt.

Emprunter auprès des ménages français, créanciers plus fiables, permettrait d’assainir la dette dans une certaine proportion.

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Il faudrait donc lancer un grand emprunt, à un taux d’intérêt attractif, pour drainer l’épargne des ménages vers le soutien au système productif français, aux entreprises.

L’opération est, certes, hérissée de difficultés techniques qu’il reviendra aux spécialistes de traiter. Il faut que le taux d’intérêt soit significativement plus élevé que les taux aujourd’hui habituels, mais non trop élevé. 2 %, 3 %, 5 % ? aux spécialistes de le définir en pesant les avantages et les inconvénients.

Cet emprunt aura sans doute pas un rendement de 100 % car il aura un effet d’éviction sur des formes d’épargne qui, déjà, soutiennent le système productif (livret A, etc.). Il faudrait qu’il attire surtout l’épargne improductive, par exemple celle qui remplit les bas de laine de napoléons et de lingots d’or. Là aussi, c’est aux spécialistes de trouver la formule.

Une fois les fonds obtenus il faudra les distribuer aux entreprises qui en ont besoin. Cela suppose une administration rigoureuse, qui sache lutter contre les prédateurs qui tenteront naturellement de profiter de l’aubaine. Là encore, c’est une question de métier et de compétences.

Avons-nous ces compétences ? Existe-t-il en France des personnes qui, comme Hjalmar Schacht déjà cité, seraient capables de définir et d’appliquer les dispositions nécessaires ? Je n’en sais rien et on peut en douter, mais je l’espère.

Un « grand emprunt pour les entreprises » aura-t-il du succès auprès des Français ? Nous avons vu se manifester ces derniers mois une pulsion destructrice, hostile aux entreprises, à la croissance, à l’économie, et qui ne pousse à rien d’autre qu’à la faillite générale. Elle est le fait d’une minorité très bruyante, considérée avec complaisance par certains intellectuels et par l’essentiel des médias, mais en majorité les Français savent bien qu’il faut sauver les entreprises.

Qui se réjouirait en effet de la faillite d’Air France ? Et qui supportera l’accroissement du chômage que provoquerait une épidémie de faillites ?
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1 Voir le point de conjoncture du 26 mars 2020.

2 Jean-François Bouchard, Le banquier du diable, Max Milo, 2015. Ce livre décrit comment Schacht a mis un terme à la crise économique belge pendant l'occupation allemande durant la guerre de 14-18, puis à la crise monétaire allemande de 1923.

3 commentaires:

  1. "Les ménages auront relativement peu souffert". C'est à voire : que dire des nombreux auto-entrepreneurs, et même des entrepreneurs du bâtiment dont la société est en nom propre ?

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  2. Parfaitement d'accord ! Il faut que la dette soit celle des ménages français, aps des fonds de pension américains.

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  3. Bonjour Michel,

    J’ai lu votre note qui semble être une réponse très intéressante. Je me permets de vous partager également une lecture que j’ai faite ce matin via un Twitter. Mon professeur de master 2 a apporté une piste de réflexion via une note sur l’hélicoptère monétaire. Je vous laisse apprécier celui-ci par vous/même.

    https://www.veblen-institute.org/La-monnaie-helicoptere-contre-la-depression-dans-le-sillage-de-la-crise.html

    Bonne journée.
    Jeanne

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