La communication entre des humains transporte, d’une personne à une autre, des idées, images, intuitions, convictions, etc. Orale ou écrite, elle rencontre une même difficulté : alors que l’objet auquel pense le locuteur se présente à lui en entier comme le fait l’architecture d’une maison, il doit pour en communiquer l’image la faire passer par le fil d’un énoncé qui s’inscrit dans le temps avec un début, un développement et une fin.
Cette exigence est plus forte pour la communication écrite à qui font défaut l’éloquence du geste, les intonations de la voix, la chaleur d’une présence, et qui doit compenser cela par un surcroît de clarté, d’exactitude, d’élégance.
Chaque essayiste, chaque penseur rencontre donc cette question : pour communiquer une vision qui lui semble aussi évidente que celle d’un diamant ayant plusieurs facettes, par laquelle commencer, dans quel ordre les présenter, pour que l’interlocuteur puisse accéder à cette vision comme si elle était sienne ?
L’art de l’écrivain peut heureusement faire confiance à l’art du lecteur, dont l’intuition enrichit le texte en comblant ses lacunes. Il n’est donc pas nécessaire de tout lui dire, un exposé complet fatiguerait son attention : l’écriture la plus efficace sera celle qui suggère plus qu’elle ne dit.
Certains écrivains maîtrisent leur art à tel point que leurs phrases sont comme des flèches qui, vibrant en se fichant au cœur de la cible, procurent au lecteur une impulsion puissante : que l'on pense aux Provinciales.
D’autres, dont la langue est aussi fluide que le cours d’un ruisseau transparent, lui font parcourir sans que cela paraisse une architecture savante : je pense aux Liaisons dangereuses ou encore aux romans de Marcel Aymé.
D’autres encore, moins artistes mais plus puissants peut-être, font vivre au lecteur des situations qui irradient une énergie : ainsi chez Stendhal (par exemple lorsque Mme Grandet avoue son amour à Lucien Leuwen, ou pendant l'exquise relation de Fabrice del Dongo avec Clelia Conti), ainsi aussi dans un tout autre registre chez Balzac.
Certaines écritures sont tellement limpides qu’elles semblent couler de source : c’est le sommet de l’art, rarement atteint si ce n'est par La Fontaine. Un lecteur inattentif ne le remarquera pas car on ne remarque pas ce qui semble tout naturel.
Les amateurs de lecture ne se contentent pas d’interpréter un texte, ils veulent aussi savoir comment l’auteur s’y est pris. Ainsi leur lecture est double : tout en suivant le texte, ils cherchent les clés de sa construction.
La même « lecture double » peut être pratiquée lors de l’écoute de la musique, lors de la contemplation d’un tableau, etc. En écoutant par exemple les Lieder de Schubert, on découvre la profondeur généreuse à laquelle a pu accéder un être humain.
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