jeudi 4 février 2010

La chute des grandes maisons

Dans un article récent, Dick Brass annonce la chute de la maison Microsoft ("Microsoft's Creative Destruction", The New York Times, 4 février 2010). Les phénomènes qu'il décrit me rappellent les épisodes amers qui annonçaient la chute de la maison France Telecom : mêmes causes, mêmes effets, même mécanisme...

Comment se fait-il, dit Brass, que ce ne soit pas Microsoft, la plus célèbre et la plus prospère des entreprises américaines dans les TIC, qui ait conçu l'iPad, le Kindle, Google, le BlackBerry et l'iPhone, l'iPod et iTunes, Facebook et Twitter ?

Ce n'est pas par manque de chercheurs et d'ingénieurs compétents : Microsoft possède, en interne, toutes les ressources qui auraient pu lui permettre de réaliser, bien avant les autres, les innovations ci-dessus. Des produits analogues ont d'ailleurs en fait été conçus et mis au point chez Microsoft, mais ils ont été rejetés par une organisation qui décourage l'innovation : les directions en place se sentent menacées lorsqu'une équipe propose un nouveau produit, alors elles font tout pour faire échouer le projet.

Quand nous avons mis au point la tablette PC, dit ainsi Brass, le vice président chargé de Microsoft Office décida qu'il n'aimait pas ce produit : alors qu'il fallait un stylet pour la tablette il préférait le clavier. Pour faire échouer le projet, il refusa de modifier les applications d'Office ; pour écrire sur la tablette, il fallait passer par une fenêtre pop-up qui envoyait ensuite les données à Office, c'était pénible et lent. La tablette PC a ainsi été sabotée, l'équipe qui en était chargée a été éliminée, et aujourd'hui Apple sort l'iPad...

Cette anecdote me rappelle ces réunions où nous autres chercheurs proposions avant l'heure des produits analogues à ce qui est devenu Wikipédia (projet "Encyclopédis"), à ce qui est devenu Google : il s'est toujours trouvé un hiérarque qui, du haut de sa sagesse, ne "sentait pas" l'utilité du projet et avait le pouvoir de le bloquer.

La concurrence interne est courante dans les grandes entreprises, dit encore Brass ; cela peut encourager l'innovation mais cela peut aussi l'inhiber si les grandes directions sont autorisées à opprimer les petites équipes, à dénigrer leurs efforts, les priver de ressources et, finalement, les détruire : alors les meilleurs s'en vont et même si l'entreprise a un passé glorieux, même si elle dégage encore un profit impressionnant, on peut se demander si elle a encore un avenir.

Il faudrait qu'elle retrouvât sa capacité à innover...

3 commentaires:

  1. Encore une fois, Microsoft est un mauvais exemple car Microsoft n'a JAMAIS ete une entreprise innovante. Depuis la mauvaise copie de CP/M (alors leader) achetee a bas prix par Bill Gates et revendue a IBM (connue sous le nom de MS/DOS), la strategie de MS a toujours ete d'attendre qu'un marche cree par les societes reellement innovantes ait atteint une taille critique pour, soit les racheter (messagerie gratuite hotmail) soit les tuer avec un me-too product (Excel et Lotus 123, Netscape Navigator et Explorer,...) grace a situation de quasi monopole (la survie d'Apple comme concurrent resukte d'un accord avec Steve Jobs quand il est revenu aux commandes et arrangeait bien MS menace alors par les lois antitrust. Tout le monde l'a oublie!
    Le modele de MS est le suivisme (chaque version de Windows incorpore des innovations de la version precedente... du systeme d'Apple). combinees avec les pratiques des trusts de la fin du XIXeme siecle.

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  2. @Herve
    On critique souvent Microsoft... Je crois pourtant que cette entreprise a joué un rôle utile en lançant le marché des logiciels pour PC. Cette innovation était certes plus économique que technique, mais c'était tout de même une innovation.
    Ceci dit, le modèle économique et technique du logiciel libre a toute ma sympathie : j'ai migré vers Linux, je m'en porte très bien, et volle.com publie sous la licence GNU GPLv3.

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  3. Sans polémiquer sur le modèle Microsoft, cette entreprise a des moyens considérables notamment en R&D et pourtant peine à se créer de véritables vaches à lait alternatives à Windows et Office.

    Pour expérimenter une situation semblable chez un éditeur (infiniment plus modeste), je pense que quand l'entreprise est trop riche ou en situation trop confortable (comme chez France Telecom à l'époque du monopole), les forces internes sont dissipées dans les jeux d'acteurs et les révolutions de palais.

    En situation critique, par contre, l'esprit d'équipe, la solidarité reviennent et permettent d'accomplir de grandes choses.

    A mes yeux, la responsabilité est avant tout celle de la Direction Générale de l'entreprise qui doit faire preuve de leadership, et pousser une culture sans équivoque sur le comportement attendu des différents directions de l'entreprise en termes de sens de l'engagement et d'esprit d'équipe.

    http://alberthermann.wordpress.com/2010/03/10/esprit-dequipe-es-tu-la/#more-77

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