mardi 2 février 2010

Denis Robert et Laurent Astier, L'affaire des Affaires, Dargaud, 2009

L'affaire Clearstream dont les journaux nous parlent d'abondance, et qui révèle à qui l'ignorait le caractère vindicatif de notre président, n'est que la suite d'une autre affaire Clearstream autrement plus importante mais dont les journaux ont peu parlé - sans doute étaient-ils intimidés ?

C'est de cette affaire que nous parle Denis Robert, le courageux journaliste à qui nous devons Révélation$, La boîte noire, La domination du monde et quelques autres ouvrages.

Ici il s'agit d'une bande dessinée. C'est un merveilleux outil de communication. Voir (fort bien représentés) les visages des protagonistes, leurs mimiques, voir les façades des immeubles, cela aide à "réaliser" ce que dit l'auteur, à comprendre que c'est réel, à partager ses émotions - et elles sont vives.

Au passages, quelques portraits peu flatteurs : Juncker, premier ministre d'un paradis fiscal drapé dans sa vertu ; Trichet, qui ne veut rien entendre. Tout le monde prend Robert pour un fou...

Mais qui est le fou : ce journaliste hirsute et mal rasé, ou ces banques si policées, si lisses, qui ont failli mettre par terre l'économie mondiale et qui ne semblent aucunement décidées à s'amender ? Qui est raisonnable : ce dénonciateur entêté, ou ces paradis fiscaux, ces paradis du blanchiment que leurs magistrats défendent en utilisant toutes les ficelles de la procédure ?

Robert décrit non pas le monde officiel, celui où il suffit pour se faire respecter d'écrire "le Luxembourg est membre fondateur de l'union européenne et du conseil de l'Europe et, à ce titre, applique l'ensemble des textes régissant l'activité bancaire et financière, la lutte contre le blanchiment et la criminalité financière ainsi que l'entraide judiciaire en matière pénale" (article d'actualité du gouvernement du Luxembourg, 22 janvier 2002), mais le monde réel, violent, de l'économie contemporaine où l'informatique est pour les criminels un outil d'une puissance inégalée.

*     *

Ce monde réel, j'ai tenté de le modéliser dans Prédation et prédateurs en m'appuyant sur les témoignages de Robert, Gergorin, van Ruymbeke, Verschave, toutes personnes que les médias entendent peu et dont quelques-unes ont même été "mises en examen".

Notre tâche, à nous autres économistes, c'est en effet de bâtir des modèles qui, tout en simplifiant le réel, le décrivent de façon pertinente et élucident ses mécanismes essentiels.

Mes chers collègues économistes ont eu, bien naturellement, envers cet ouvrage la même réaction que celle de la plupart des journalistes envers les écrits de Denis Robert : félicitations orales de quelques-uns, seul à seul, voire même admiration (disent-ils) pour mon "courage" - comme s'il fallait du courage pour faire tout simplement notre métier - mais silence dans les revues et les ouvrages, silence de l'écriture !

Et mépris, sans aucun doute, de la plupart : "il faut tout de même être sérieux !", disent-ils, et le sérieux, pour ces "économistes", c'est la carrière, les médias, le pouvoir et surtout pas le souci du monde réel. "La "réalité", je ne sais pas ce que ce mot veut dire", m'a dit l'un d'eux, fort estimé dans la profession ; et pour faire bonne mesure il a ajouté "le bon sens, c'est vulgaire".

Laurent Faibis et Joseph Leddet sont donc les seuls qui aient osé m'inviter à faire une conférence. Cela s'est d'ailleurs fort bien passé.

*     *

Mais revenons à Denis Robert. Si vous voulez comprendre l'affaire Clearstream - la véritable affaire Clearstream, la grande affaire et non la misérable petite affaire qui excite tant notre président -, lisez L'affaire des Affaires : cela rendra votre vision du monde plus exacte, plus précise. Vous vous ferez moins d'illusions et la prochaine crise financière et économique ne vous prendra pas par surprise.

Et peut-être serons-nous ainsi, finalement, assez nombreux pour "changer le monde"...

Lisez aussi Jean-Luc Gréau (L'avenir du capitalisme, La trahison des économistes), économiste authentique et, pour cette raison même, tenu à l'écart par la profession. C'est que, comme me l'a dit Jean Pavlevski, "il ne faut surtout jamais citer les auteurs qu'on pille"...

8 commentaires:

  1. Monsieur Volle,

    On nous dit aujourd'hui que la Grèce, l'Espagne et le Portugal sont attaqués par les marchés financiers américains. Que ceux-ci jouent par là l'éclatement de l'euro. Qu'en est-il réellement ? Quels sont les mécanismes à l'oeuvre ? Et surtout, qui (les noms!) est à l'origine de ces attaques ?

    Merci d'avance pour votre éclairage

    BJ un fidèle lecteur

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  2. @BJ
    Je ne connais pas les noms de ceux qui attaquent l'Euro, mais je sais que de telles attaques sont lancées automatiquement dès qu'apparaît la possibilité d'un gain.
    Je prépare un papier sur l'endettement des nations. Contrairement à ce qu'on entend souvent dire la France n'est pas endettée : il ne faut pas confondre une nation avec son État.

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  3. Bonjour,
    Ceci dit, le journaliste Denis Robert n'a pas non plus été exempt de tout reproche : dans les livres que vous cités, il me semble que c'est du grand n'importe quoi ! Sa thèse repose a peu près (je résume rapidement, désolé pour ce résumé forcément réducteur) sur "de grands montants transitent sur les comptes de Clearstream donc c'est la preuve qu'il y a des détournements" ! Il semble totalement ignorer (ou feint d'ignorer pour créer du sensasionalisme un peu facile) que la fonction d'une banque de conservation et de compensation, qui structurellement accueille des flux énormes...
    Et du reste, il ne parle plus du tout des soit disant scandales qu'il dénonçait à l'origine...

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  4. @Anonyme
    De deux choses l'une :
    - ou bien vous n'avez pas lu les livres de Robert et vous vous permettez de juger de très haut des textes que vous ne connaissez pas ;
    - ou bien vous les avez lus : alors c'est pire car votre discernement semble aussi inexact que ne l'est votre orthographe. Soignez-les l'un et l'autre !

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  5. Bonsoir,

    J'ai lu Révélation$, mais vous avé reyson, je n'ai pas lu les 2 opus suivants et il m'arrive de faire des fautes d'orthographes et de discernement aussi (pendant un instant j'ai eu la sensation de me retrouver dans une classe d'école devant le maitre se tenant sur l'estrade - curieux, j'étais juste là pour exprimer un avis, contradictoire certes, j'ai l'impression que je vais avoir une mauvaise note...). Dont acte.

    Par ailleurs je ne comprends toujours pas pourquoi vous essayez de faire passer cette enquête, Clearstream 1, et son auteur (notez que je n'ai rien de personnel contre lui) pour un épisode de résistance contre les forces obscures du grand Kapital mafieu.

    Peut-être avez-vous plus d'information que moi, personnellement j'en suis à peu près à ce niveau d'information :
    http://www.lemonde.fr/societe/article/2008/10/16/denis-robert-perd-trois-proces-en-diffamation-contre-clearstream_1107920_3224.html
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Clearstream_1
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Ernest_Backes
    + une certaine compréhension des mécanismes des circuits interbancaires.

    Ceci dit la démarche d'autofiction de Denis Robert me semble beaucoup plus intéressante et plus pertinente (au moins il y a de la distanciation par rapport à son enquête et un peu d'humour !) que son travail de journaliste d'investigation (personnellement je trouve que ça n'apprend pas grand chose). Il est certain que le gaillard a un vrai talent de romancier et de mise en scène et je suis curieux de lire "L'Affaire des Affaires", comme votre article y invite ;-)

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  6. @Anonyme
    Comme je suis moins savant que vous j'ai beaucoup appris en lisant Denis Robert. Et comme je connais tout de même un petit peu la Banque, ce qu'il rapporte m'a paru vraisemblable.
    Les forces obscures du capital mafieux existent : il suffit pour le voir de savoir lire Saviano, Cohan, Verschave etc.
    Peut-être estimez-vous que ces témoignages manquent de "sérieux" : alors documentez vous sur les causes de la crise économique présente, et cherchez pourquoi la Banque se refuse à en tirer les leçons.

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  7. Cette BD est intéressante car elle permet d'avoir un aperçu global de la démarche de Denis ROBERT qui est à soutenir vivement.
    En revanche, je ne trouve pas cette BD très explicite et très pédagogue.
    Si on veut en savoir plus il FAUT lire le livre de Michel VOLLE : Prédation et prédateurs. Celui-ci vous expliquera de façon limpide les mécanismes du blanchiment ou du noircissement.

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  8. @Olivier Piuzzi
    "Prédation et prédateurs remercie pour la "pub" !
    L'affaire Clearstream (la vraie) n'arrive que dans le volume 2 de L'affaire des Affaires, peut-être ne l'avez-vous pas encore lu ? Je le trouve très clair...

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