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Si on aime le quantitatif, on peut creuser la théorie des indices (voir "À propos des indices") pour comprendre ce que signifie "croissance". Mais on peut aussi, de façon légitime, en rester au qualitatif : la croissance, c'est ce qui accroît la satisfaction du consommateur.
Citons en effet Adam Smith : "La consommation est le seul but de la production et les intérêts du producteur ne doivent être respectés que dans la mesure où c'est nécessaire pour promouvoir ceux du consommateur. Cette maxime est tellement évidente qu'il serait absurde de tenter de la démontrer" (Richesse des Nations, Livre IV, chapitre 8).
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On utilise le PIB, indice du volume de la somme des valeurs ajoutées brutes des entreprises, comme indicateur de croissance. Mais tout indicateur peut avoir des effets pervers, et celui-ci a malheureusement orienté la politique économique vers un productivisme qui n'a rien à voir, aujourd'hui, avec la satisfaction du consommateur.
Cette satisfaction dépend certes de la consommation (encore faut-il savoir la définir), mais d'abord et surtout de la "fonction d'utilité" de la personne et cette fonction se forme lors de l'éducation. Deux exemples :
1) celui qui aime à lire jouira autant qu'il le veut d'un plaisir peu coûteux : acquérir l'amour de la lecture accroît donc la satisfaction à revenu égal ;
2) former le discernement permet de mieux choisir les produits que l'on consomme, donc là aussi d'accroître la satisfaction à revenu égal.
Un imbécile ne pourra jamais se sentir satisfait : le ressort de la croissance réside ainsi autant ou plus dans l'éducation de la personne, dans son accession à la maturité, que dans le système productif.
De ce point de vue plusieurs voies s'ouvrent pour la croissance :
- former les personnes de sorte que leurs besoins soient orientés vers des satisfactions qu'il leur sera facile de se procurer (c'est tout l'enseignement des stoïciens) ;
- former leur discernement, puis leur offrir des produits de qualité de sorte qu'elles n'aient plus à chercher la satisfaction dans la quantité consommée ;
- compenser les dégâts que provoque l'activité productive (déchets, pollution etc.) en améliorant l'environnement, qui contribue lui aussi à la satisfaction du consommateur (le PIB, étant brut, ne tient pas compte de son éventuelle dégradation) ;
- développer les services publics (réseaux, institutions) dont la qualité conditionne à la fois l'efficacité de la production et la satisfaction du consommateur.
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Pourquoi tant d'économistes se sont-ils ralliés à une formulation quantitative de la fonction d'utilité du consommateur que les faits contredisent de façon évidente ?
C'est, me semble-t-il, parce que dans l'économie industrialisée, qui succédait à des siècles de pénurie et offrait massivement des produits standards, on a pu confondre la satisfaction du consommateur avec le volume de sa consommation, la richesse d'une économie avec le volume de sa production. Cela confortait d'ailleurs la politique de puissance des nations en cours d'industrialisation, chacune s'efforçant d'être "plus grosse" que les autres.
Pourquoi les politiques se donnent-ils tant de mal, depuis Reagan et Thatcher, pour démolir les services publics et détruire les institutions ?
C'est, me semble-t-il encore, parce qu'une pédagogie qui se résume au premier chapitre du cours d'économie a convaincu des étudiants paresseux que la concurrence pure et parfaite était la seule voie de l'optimalité. C'est aussi parce que ceux qu'un changement affole ont le réflexe naturel de se crisper dans l'affirmation de leur "vérité". C'est enfin parce que la destruction d'un capital permet toujours à des prédateurs de s'emparer de quelques morceaux succulents...
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La construction de la théorie économique a été corrélative de l'industrialisation, que cette théorie a éclairée et servie en lui fournissant un édifice hypothético-déductif imposant. Il en résulte que le modèle économique que tout le monde a plus ou moins clairement en tête est obsolète, qu'il s'agisse des partisans de la croissance ou de ceux de la "décroissance".
Les transformations récentes de l'appareil productif et, corrélativement, des formes de consommation, invitent à remonter à la source de la pensée économique (d'où la référence à Adam Smith). Il faut repenser les éléments fondamentaux qui forment le point de départ de la théorie : fonction de production, fonction d'utilité, répartition de la dotation initiale entre les acteurs (et donc équité), rôle des institutions (et, en particulier, des entreprises).
Il ne s'agit pas de tourner le dos à la théorie économique, mais de démonter des constructions qui ont perdu leur pertinence afin de bâtir une théorie qui réponde aux exigences de la société contemporaine. Il faut pour cela renouer avec la vigueur et la rigueur de la démarche des auteurs classiques, quitte à s'écarter de leurs résultats : aujourd'hui, c'est le classicisme qui est révolutionnaire tandis que la révolte est souvent conformiste.
Pourquoi les politiques se donnent-ils tant de mal, depuis Reagan et Thatcher, pour démolir les services publics et détruire les institutions ?
RépondreSupprimerUn des nombreux éléments de réponse est le caractère monopolistique de la plupart des services publics, à cette époque. Est-il utile de démontrer le coté pernicieux des monopoles ?
@Giner
RépondreSupprimerLe monopole est le régime naturel des secteurs économiques où la fonction de coût de l'entreprise est à rendement croissant.
Comme un monopole peut être tenté de commettre des abus, il convient soit de l'encadrer par une régulation vigilante, soit de le confier à un service public.
Ceux qui voient dans la concurrence la clé de l'efficacité ne conçoivent pas qu'un secteur puisse connaître des rendements croissants. En y introduisant la concurrence, ils violent la nature - et celle-ci se vengera en suscitant une inefficacité multiforme.
Ainsi l'on nous explique aujourd'hui par la concurrence la hausse des tarifs du gaz, de l'électricité etc., alors que la concurrence était censée favoriser une baisse de ces tarifs.